Chapitre 13 : Sirène

J'émerge lentement du sommeil, secouée dans tous les sens dans mon lit pourtant si confortable. J'ai dormi d'une traite cette nuit tant j'étais bien lotie dans le matelas, je n'ai aucune envie de quitter ce nid douillet.

-Réveille-toi Jihanna ! La voix de Livia achève de me tirer du sommeil, tandis qu'elle me secoue comme un sac à patate.

- Je suis levée, je suis levée, j'affirme d'une voix pâteuse en frottant mes yeux pour les réveiller complètement. Je me redresse sur mes coudes, les paupières lourdes. Livia réveille également Néra qui semble elle aussi ne pas vouloir quitter le confort de son lit.

- Allez les filles ! on a une mission je vous rappelle ! Nous presse la lampade d'une voix autoritaire.

La mission. C'est vrai, le confort du palais m'a presque fait oublier que l'escouade devait trouver et combattre cette sirène.

Je m'étire longuement, sentant mes muscles se détendre et reprendre vie avant de repousser la couette. Après quelques instants, je me lève finalement du lit douillet et commence à me préparer.

Je m'habille avec mon uniforme de pourfendeur, resserrant les sangles de mes bottes et ajustant ma ceinture. Je n'oublie évidemment pas de fixer l'étui de mon épée à ma ceinture et de placer mon arc et mon carquois dans mon dos. Je jette un coup d'œil à Néra : elle semble s'être rendormie, ce qui m'arrache un sourire en coin. Voyant que Livia se prépare, je décide d'aller la réveiller à nouveau. Son visage angélique est si paisible lorsqu'elle est endormie que ça me brise le cœur de devoir l'en tirer. Je lui donne une petite secousse douce sur l'épaule, elle émet un léger grognement, mais finit par ouvrir les yeux. Son regard met quelques instants à se focaliser sur moi, et elle cligne des yeux pour chasser le sommeil.

- Déjà l'heure ? dit-elle d'une voix enrouée.

Je hoche la tête avec un sourire. Cette fois-ci, Néra se lève comme si elle venait de saisir qu'elle est en mission. Elle se met à s'habiller.

Une fois prêtes, nous sortons de la chambre pour retrouver les autres membres de l'escouade. Nous nous rassemblons dans le couloir, chacun arborant l'uniforme de mission. Aaron a un air grave, tandis que Jason semble détendu, comme à son habitude.

-Bon alors, commence Jason en s'étirant comme s'il n'était pas tout à fait réveillé. Où est-ce qu'elle se trouve cette sirène ? Demande-t-il comme si nous allions simplement faire une promenade de santé.

-Le Grand Sage a dit qu'il nous donnerait une carte ce matin, Mélusine ne devrait pas tarder. Explique Aaron, son air sérieux tranche radicalement avec la nonchalance naturelle de son ami.

-Détend-toi mon vieux, lui dit Jason en voyant son air tendu, c'est juste une mission de rang 2, on capture la sirène et on s'en va ! Précise-t-il en accompagnant ses dires d'un geste de la main.

- Peut-être, mais il ne faut pas sous-estimer les créatures marines, réplique Aaron.

- Calme-toi, ce n'est pas parce que ce combat n'est pas à ton avantage qu'on ne va pas y arriver, Néra peut s'occuper de combattre dans l'eau s'il y a besoin. Le rassure Jason. Aaron hoche la tête, et je ne peux m'empêcher de penser que son ami a vu juste.

C'est à ce moment-là que Mélusine arrive, la jeune fée vole à toute allure en portant un rouleau de parchemin qui doit faire au moins deux fois sa taille. Lorsqu'elle arrive à notre hauteur, le rouleau lui échappe des mains et glisse sur le sol. Un petit sachet en tissus s'en échappe. Aaron récupère le parchemin ainsi que la petite bourse qui sont tombés.

-Pardon ! S'excuse Mélusine, visiblement essoufflée. Voilà la carte, explique-t-elle en désignant le rouleau de parchemin qu'Aaron tient dans les mains. Le grand sage y a tracé l'itinéraire le plus discret pour se rendre sur les lieux, il a également mis dans le petit sac des pierres de protection pour chacun de vous en signe de reconnaissance, précise la jeune fée.

Aaron déplie la carte, un trait rouge y est tracé, partant du palais à un cercle gribouillé près de la côte.

-Très bien merci, la remercie Aaron.

- Il y a également de la cire pour que vous puissiez vous boucher les oreilles, les sirènes peuvent manipuler les créatures masculines grâce à leur chant ; les filles vous n'en aurez pas besoin, explique-t-elle. N'oubliez surtout pas d'en mettre ! Insiste-t-elle en désignant d'un doigt accusateur Aaron et Jason.

- Ne t'inquiète pas, nous y veillerons, la rassure Livia.

- Tant mieux, dit la fée avec un air soulagée, vous devriez partir dès maintenant, nous prévient-elle en jetant un coup d'œil par la fenêtre, voyant que l'aurore est déjà bien entamée. Je dois filer, bonne chance, dit-elle avec un regard inquiet pour nous, et en particulier pour Néra. Mélusine semble sincèrement inquiète pour sa nouvelle amie, mais elle tente de le cacher par une expression sévère. Avant que son masque ne se brise, elle fait volte-face et s'en va dans un bruissement d'aile.

Un silence plane après son départ : cette conversation a rappelé à tout le monde le poid de la mission, et le danger que peut potentiellement représenter cette sirène.

Néra émet un son de gorge, ce qui semble réveiller les autres de leur torpeur. Aaron se met à étudier la carte en suivant le trait du bout des doigts.

-Je vois, il faut passer par le quartier des centaures, c'est sans doute la meilleure chose à faire, ils vivent dans la forêt. Explique Aaron.

- Bon, alors on y va ? Demande Livia qui semble étrangement impatiente.

- Oui, allons-y, lui confirme son frère.

Il roule le parchemin et le fourre dans la doublure de son armure. Il ouvre ensuite le petit pochon que Mélusine nous a fourni et en sort une pierre de couleur rouge, taillée grossièrement. Comme le Grand Sage la voulu, Aaron distribue une pierre à chacun de nous, que nous mettons dans nos poches. J'ignore si ces pierres ont réellement des pouvoirs protecteurs, mais tout comme les autres, je décide de respecter la volonté du centaure, après tout il nous a merveilleusement accueilli.

Une fois que tout le monde a ranger sa pierre, nous nous mettons en route. Aaron prend de nouveau la tête de l'escouade et nous fait sortir par la grande porte. Je jette un dernier coup d'œil à l'entrée du palais, savourant une dernière fois la beauté de ce lieu magique, avant de passer la porte à la suite des autres.

Nous contournons le château pour pouvoir accéder à la forêt. Je suis toujours aussi ébloui par la beauté et la blancheur des murs extérieurs tandis que nos semelles crissent contre le gravier blanc.

Nous arrivons à la lisière de la forêt, je marque une légère pause pour réajuster ma capuche et mon masque, puis nous pénétrons dans les bois.

La forêt ressemble à celle dans laquelle nous avons atterrit lorsque nous avions traversé le cercle de transmutation : les arbres qui nous entourent sont de différentes espèces, dont certaines que je n'ai jamais vu avant. Les arbres semblent être en harmonie les uns avec les autres, comme s'ils partageaient un lien invisible qui maintient l'équilibre de cette forêt mystérieuse. Je ferme légèrement les paupières, afin de m'imprégner de l'énergie que dégage cet endroit. Le sentier que nous suivons est étroit et sinueux, tracé par la nature elle-même. Les racines des arbres forment des dessins complexes sur le sol, nécessitant parfois une attention particulière pour ne pas trébucher. L'air est frais et chargé d'odeurs de végétation, mélangeant les parfums sucrés des fleurs sauvages aux arômes terreux de la terre humide. Les feuilles, d'une forme et d'une texture étrangement belles, forment un dôme végétal au-dessus de moi, filtrant les rayons du soleil et créant un jeu fascinant de lumière et d'ombre.

Chaque pas que je fais provoque un doux craquement de feuilles et de branches sous mes pieds, alors que je clôture la marche de notre petit groupe. La tension dans l'air est palpable, mêlée à une excitation contenue.

- Je pense que nous en avons seulement pour une petite demi-heure de marche, explique Aaron au reste du groupe, en élevant la voix pour que tout le monde l'entende.

- Très bien, lui répond sa sœur d'une voix militaire.

Les pas de notre groupe résonnent en harmonie avec les murmures de la forêt alors que nous suivons le chemin tracé par Aaron. Nos sens sont en alerte, scrutant chaque recoin pour détecter le moindre signe de danger. Nous marchons de façon calculée, Aaron et Livia, à la tête du groupe, examinent le côté gauche de la forêt tandis que Néra et Jason s'occupent de l'autre côté. Je ressens l'énergie de leurs pouvoirs, prêts à jaillir du bout de leurs doigts. Je les observe d'un œil critique, chacun de leurs gestes respire l'expérience : ils se sont mis d'accord sans avoir prononcé un seul mot et restent sur le qui-vive. Il paraît évident, en les regardant, que cela fait des années qu'ils combattent ensemble.

Nous continuons à marcher en silence, quand soudain, Aaron se stoppe en nous faisans signe de ne faire aucun bruit.

- Que se passe-t-il ? chuchote Néra.

- Nous sommes tout près d'un district de centaure, nous explique Aaron en adoptant le même ton. Curieuse, je me concentre et discerne effectivement un amalgame d'énergie magique à une dizaine de mètres à l'ouest.

- Qu'est-ce qu'on fait ? Je demande.

- On va le contourner, il faut que le moins de personne possible nous voit, me répond-il.

Il nous fait signe pour que nous poursuivions notre progression. Nous marchons prudemment, et je ne peux que constater que je suis bien plus bruyante que les autres qui ne font presque aucun bruit en marchant sur les feuilles et les brindilles. Poussée par ma curiosité, je jette un coup d'œil entre les arbres pour tenter d'apercevoir le quartier des centaures. Les arbres sont extrêmement épais, mais à un moment où la végétation devient moins dense, je parviens à apercevoir une habitation. De ce que je peux percevoir, il s'agit d'une sorte de yourte, à l'image du palais : d'un blanc immaculé. De petites ficelles sont suspendues du toit, permettant d'y accrocher des pierres purifiantes je suppose.

Je ne m'attarde pas davantage et poursuit ma route à la suite de mes amis. Nous avançons avec prudence, gardant nos sens en alerte. Les arbres se font plus denses, créant des zones d'ombre où les rayons du soleil peinent à pénétrer.

Je perçois d'abord l'énergie de la mer avant d'entendre le bruits des vagues. Nous nous rapprochons ostensiblement de la mer : là où la sirène à été aperçue. Aaron s'arrête à nouveau, mais cette fois-ci pour sortir deux morceaux de cire du petit sac que nous a fourni Mélusine. Il en tend un à Jason avant de malaxer le sien pour qu'elle devienne plus souple. Il fait légèrement chauffer sa main grâce à son pouvoir de feu, accélérant ainsi le processus. Je jette un coup d'œil à Jason qui fait de même (j'ai tendance à oublier qu'il est lui aussi à moitié lampade). Les deux jeunes hommes placent la cire dans leurs oreilles avant de nous inviter à poursuivre notre route.

C'est alors que nous découvrons les premiers signes de l'activité de la sirène. Des arbres déracinés, des empreintes laissées dans la terre, des coquillages brisés... Tous ces éléments témoignent du chaos qu'elle peut semer. Nous poursuivons notre avancée, toujours sur nos gardes.

Soudain, un frémissement dans les buissons attire notre attention. L'atmosphère se tend. Jason et Livia se préparent à l'action, leurs pouvoirs prêts à être déchaînés. Néra ajuste son arbalète, prête à décocher un carreau à la moindre menace.

Et c'est alors qu'un centaure émerge des buissons, visiblement effrayé par notre présence. Ses yeux larges et expressifs sont emplis d'appréhension, et il recule instinctivement à notre vue. Ses sabots hésitent, comme s'il était pris entre l'envie de fuir et la curiosité qui le retient sur place.

- Ne vous inquiétez pas, nous ne sommes pas ici pour vous faire du mal, déclare Aaron d'une voix apaisante, levant les mains en signe de paix.

Le centaure semble se détendre légèrement à ses paroles, mais son regard reste méfiant. Il a probablement déjà croisé la route de la sirène et en a subi les conséquences. Je sens la tension dans l'air, un mélange de peur et d'anticipation.

- Avez-vous aperçu la sirène ? ose demander Néra avec précaution, espérant obtenir des informations précieuses.

Le centaure hoche la tête, son expression sombre. Il pointe du doigt en direction du bruit de la mer : elle a visiblement élue domicile sur la côte.

Elle est passée par ici, murmure-t-il d'une voix chargée d'anxiété. Méfiez-vous, ses charmes sont puissants, et ses intentions sont loin d'être bienveillantes.

Sa mise en garde résonne dans l'air, faisant écho à nos propres appréhensions. Nous remercions le centaure pour son avertissement, avant de reprendre notre marche. Tant pis s'il nous a aperçus, au moins nous avons plus d'informations.

Soudain, Aaron sursaute, ayant un grand mouvement de recul. Il se tourne vers nous, le souffle haletant et le regard apeuré.

- C'est une falaise ! nous dit-il d'une voix anxieuse. Le grand Aaron aurait-il peur du vide ?

Il s'écarte pour que nous puissions voir, la forêt s'achève brusquement, laissant place à une falaise abrupte qui s'effondre en un précipice donnant sur la mer.

Le souffle coupé par la beauté saisissante de la vue, nous nous arrêtons à la lisière de cette falaise. Devant nous, l'horizon s'étend à perte de vue, où le ciel se fond dans la mer à l'infini. Les vagues, animées par la force de l'océan, se brisent en éclats d'écume contre les rochers en contrebas. Le fracas assourdissant de la mer se mêle au chant du vent, créant une symphonie sauvage et majestueuse.

Le vent salé caresse nos visages et fait danser nos capes derrière nous. Je prends une profonde inspiration, laissant l'air marin envahir mes poumons.

- Comment on fait ? La voix de Livia m'arrache à ma contemplation.

- Je peux utiliser mes pouvoirs pour nous faire descendre, propose Jason d'une voix plus forte que la normale à cause de ses oreilles bouchées.

- Tu t'en crois capable ? lui demande Livia, en articulant chaque syllabe pour qu'il lise sur ses lèvres.

- Bien sûr, lui répond-il, visiblement vexé qu'elle doute de ses capacités.

Déterminé à lui prouver ses dires, il lève les bras vers le ciel, et le vent semble répondre à son appel. Les bourrasques s'intensifient, sifflant à nos oreilles et faisant danser nos cheveux en une chorégraphie aérienne.

Soudain, le vent se concentre autour de nous, formant une sorte de barrière protectrice. La force du souffle d'air nous enveloppe, nous étreignant comme un ami qui nous serre dans ses bras. Puis, avec une fluidité déconcertante, nous sommes soulevés du sol. Mes pieds ne touchent plus la terre, et je flotte dans l'air, suspendue entre ciel et mer. Mon cœur bat la chamade, mêlant l'excitation et l'appréhension alors que je me trouve en suspension au-dessus du vide.

Le vent nous porte lentement vers le bas, comme si nous descendions une échelle invisible. La falaise défile sous moi, les rochers et les vagues se rapprochant à une vitesse vertigineuse. La brise marine caresse mon visage, et une sensation de légèreté m'envahit. Mes sens sont en éveil, captant chaque détail de cet instant hors du commun.

Le pouvoir de Jason nous guide avec précision, nous déposant doucement sur le sol, comme si nous étions des feuilles portées par le vent. Mes pieds entrent en contact avec le sol rocailleux, mettant fin à notre descente aérienne.

J'observe mes camarades du coin de l'œil, Livia aborde une expression suffisante, ce qui me laisse penser qu'elle a fait exprès de provoquer son ami pour qu'il repousse ses limites. Néra semble avoir l'habitude de ce genre de trajet, tandis qu'Aaron est extrêmement pâle comme s'il venait de frôler la mort.

Soudain, un chant mélodieux fend l'air, envoûtant. Je jette un coup d'œil à Jason et Aaron, et suis soulagée de voir qu'ils ne semblent pas l'entendre. Livia échange un regard entendu avec Néra, avant de dégainer son épée. Le scintillement de l'acier contraste avec l'austérité des rochers qui longent la rive. Mes deux amies commencent à avancer prudemment dans la direction du chant, longeant le rivage rocheux. Les contours de la côte sont sertis de rochers aux formes abruptes, battus par les vagues tumultueuses qui les ont sculptés au fil du temps. Les deux garçons comprennent qu'elles ont repéré la cible et font de même. Je reste en retrait, consciente que je ne suis qu'en observation.

Mon cœur bat un peu plus vite, mélange d'excitation et de tension alors que l'adrénaline monte. Je garde mes sens en éveil, mes yeux balayant les environs à la recherche de tout mouvement suspect. La mélodie continue de flotter dans l'air, ensorcelante et troublante.

Puis, aussi soudainement qu'il a commencé, le chant se stoppe. Mes amis échangent un regard, mais continuent leur progression. Puis, Livia qui est à la tête de l'escouade s'arrête et se colle à la parois, nous incitant prestement à faire de même d'un geste. Je m'efforce de contrôler ma respiration pour qu'elle reste régulière, tout en gardant les yeux fixés sur elle et en surveillant les alentours avec une attention extrême.

- Elle est là ? Chuchote Néra. Livia hoche la tête en guise de réponse. Je ne peux m'empêcher de me demander comment elles arrivent à maintenir leur calme dans une situation aussi tendue. Je sens mon cœur marteler ma poitrine alors que nous attendons, nos muscles tendus, prêts à agir à la moindre alerte. La tension est presque palpable, et j'ai l'impression que le temps s'étire indéfiniment dans cet instant suspendu.

Finalement, Livia décide de jeter un coup d'œil derrière la paroi de la falaise, évaluant la situation. Mon regard suit son mouvement, observant avec attention ce qu'elle peut voir. Elle échange un regard rapide avec Néra, avant de porter son attention de nouveau devant elle. C'est alors que nous entendons une voix envoûtante, résonner dans l'air, brisant le silence tendu.

- Qui est là ? La question est posée d'une manière qui semble à la fois curieuse et méfiante. La voix semble venir de nulle part et partout à la fois, et bien qu'elle soit mielleuse, la question me fait frissonner. Chacun de nous se tend, prêt à combattre.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top