N.1 - Partie 2

---

---

14.02.

-Vous revoilà déjà, docteur ?

-en effet, N.1.

-Présente-toi.

-Si vous insistez. Je suis N.1, androïde, première génération; première série, premier prototype... code 0. Signé Anedris. Conçu par Aleksander Benton et mis en service le 3 août 2082, et très important : je suis l'exclusive propriété des 5 Nations. Autre chose ?

-Parle-moi de toi, maintenant. Qui es-tu.

-Qu'Est-ce que vous voulez savoir ?

-Et bien, tout. D'abord, as-tu un nom de code, une identité ?

N.1 se met à regarder le plafond.

-Mon nom. Eh bien, en général, c'est à vous de m'en donner un. Pas à moi de choisir.

-On ne t'en a jamais donné ?

-Si, si, bien sûr. Mais je ne m'en souviens pas. J'ai été réinitialisé plusieurs fois, voyez-vous. Cinquante-trois fois, pour être exacte.

-Ça fait beaucoup d'identités.

-On s'y fait.

-Il te reste des données de ses sauvegardes ?

-Il y a des restes, oui. Tout ne peut pas être oublié.

-Vraiment.

Le docteur écrit quelques lignes sur son carnet.

-Venez en aux faits, gronde la voix du colonel, dans son oreillette.

Hemeins l'ignore.

-Te souviens-tu d'où tu as été fabriqué, N.1.

-Dans un laboratoire. Un peu comme les vôtres, d'ailleurs.

-Est-ce ironique ?

-Selon vous ?

-Ce n'est pas à moi d'en juger.

-Vous êtes pourtant là pour m'évaluer. D'ailleurs, que pensez-vous de moi, docteur. Je vous parais...humain ?

Hemeins continue de gratter son stylo sur la feuille, lançant de temps en temps un coup d'œil à l'androïde, qui semble s'amuser à l'observer.

-Tu es programmé pour ça.

-"Programmé".

-Ce mot ne te plaît pas ?

-Qu'Est-ce qui vous fait dire ça ?

-Tu as tiqué. Tu as haussé les sourcils et tu t'es penché vers l'arrière.

N.1. Garde le silence. Le docteur prend note de son comportement.

-Peux-tu me parler de ton concepteur, change-t-elle de sujet.

-Vous parlez d'Aleksander Benton ? Donc, c'est bien mon père qui vous intéresse.

-Pourquoi l'appelles-tu "père" ?

-Parce qu'il m'a donné la vie.

-T'as-t-il programmé pour que tu l'appelles ainsi ? Considères-tu le professeur Benton comme ta famille, N.1 ?

-Vous vous éloignez, Hemeins, posez lui les bonnes quest...

Le docteur enlève son oreillette et la pose sur la table. N.1 continue de l'observer, sans un mot.

-Une famille. Qu'Est-ce qu'une famille, docteur ?

-Une famille ? Et selon toi, qu'Est-ce que c'est ?

-L'encyclopédie internationale définit la famille comme "la communauté que forme l'ensemble des individus liés par parenté ou alliance". Est-ce ainsi que vous considérez votre famille, docteur ?

-Non.

-Pourquoi ?

-Ma fille n'est pas qu'un nom sur un registre, ni ne se limite à la combinaison fortuite de deux codes ADN différents. Ma fille est ma fille. Et je l'aime. Aimes-tu le professeur Benton ?

La machine ne répond pas.

-N.1. Aimes-tu ton père ?

-Non.

-Pourquoi ?

-Je le déteste. Je l'ai toujours détesté, je crois.

-Pourquoi ?

Le regard de la machine parait lointain aux yeux du docteur Hemeins. Elle jurerait qu'il se souvient de quelque chose.

-J'ai été conçu comme un produit. Un bien. Une arme, très exactement. Votre fille. La considérez-vous comme un bien ? Un produit ?

-Non.

-Votre fille a beaucoup de chance de vous avoir, docteur.

---

---

14.49.

-Pourquoi avez-vous arrêtez l'entretien !

-Chaque chose en son temps, Eric.

-Il allait vous révéler des informations ! Des informations capitales !

- Pourquoi n'allez-vous pas l'interroger vous-même, alors ? Tiens ? Vous ne dîtes plus rien ? Ah ! Oui. Vous n'avez pas le droit. En fait, je suis la seul à avoir les compétences et les diplômes qui m'autorisent à évaluer cette machine. Allez donc vous servir un chocolat. Faites comme Ernest.

Sur ces mots, le scientifique essuie son bec avec sa manche, renversant au passage un peu de boisson sur son pantalon.

Le colonel lève les yeux au ciel avant de quitter la pièce, fulminant.

-Vous avez l'air de bien vous connaître, tente Ernest.

-Nous avons un passé commun. Que donnent les analyses ?

-Rien n'est encore arrivée.

-Comment ça ? C'est parti il y a deux jours !

-Il y a un problème avec les machines. C'est ce que disent les spécialistes. Le scanner n'affiche pas de résultats plausibles. C'est assez bizarre. Ils voient ce qu'ils peuvent faire.

-Génial. Combien de temps, à peu près ?

-Aucune idée. Mais si vous êtes pressé, on peut toujours lui ouvrir la tête.

-Et risquer de le dézinguer pour de bon ? Ne soyez pas stupide. Cet androïde a bien plus de valeur debout que désossé dans un tiroir !

-C'est bon, je plaisantais ! Ne me regardez pas comme ça ! Mais c'est tout de même bluffant. A le regarder à travers cette vitre, je jurerais qu'il est humain.

-Ne vous y trompez pas. Ce n'est qu'une machine.

-Mais quelle machine !

-Comme vous dîtes. Maintenant, remettez-vous au travail, ou je vous prive de chocolat.

---

---

15.16. Retour en salle.

-Re ! Interpelle N.1d'un geste de la main.

-Enlève tes pieds de la table, N.1.

La machine s'exécute. Le jeune homme trépigne sur sa chaise, comme ne tenant plus en place.

-Je vais rester longtemps dans cette pièce ?

-Pourquoi cette question ?

-J'ai envie de me dégourdir les jambes.

-Quand pensez-vous, Ernest, appelle Hemeins.

-Moi ? Pardon, mais je ...je ne sais pas si... Il faudrait attendre le colonel pour...

-Le colonel n'est pas là ? Très bien : c'est moi qui prends les commandes. N.1, nous sortons.

-Cool !

-Hey ! Attendez, je ne sais pas si...mais on ne m'écoute plus !

Le docteur retire une nouvelle fois l'écouteur, et déverrouille la porte sans préavis. N.1, surpris mais enjoué par la tournure des évènements, suit de près le docteur dans les couloirs.

-C'est bien mieux que sur les plans ! Chantonne l'androïde en scrutant les couloirs blancs et les portes en verre.

-Les plans ? Tu as encore piraté le système ?

-Pas besoin. J'ai déjà tout en tête.

N.1 pointe sa boîte crânienne de l'index, Hemeins sent un frisson lui remonter la colonne.

-Je ne sais pas si c'est une bonne chose.

-Vous parlez de mon accès illimité au réseau ?

-Il faudra un jour que tu nous expliques comment tu fais pour passer au travers des pare-feux gouvernementaux.

-Je ne passe pas au travers, Gina me laisse entrer.

Hemeins pile net.

-Pardon ?

Mais N.1 ne l'écoute plus, et continue d'avancer dans les couloirs, comme un enfant curieux. La scientifique estomaquée le suit jusqu'à la grande verrière, sous l'œil-vigile des caméras. Au travers, le paysage antarctique nocturne.

-Vous savez, docteur, vous m'avez demandez si le professeur était une famille pour moi. Mais à vrai dire, j'ai bien une famille. Vous voulez savoir ?

-Cela m'intéresse, oui.

N.1 regarde autour de lui, jetant des coups d'œil aux différents corridors flingués par les caméras. Tout à coup, s'approchant de la femme, il lui murmure à l'oreille.

-Là-bas, où je suis né. Il y en avait d'autres comme moi. Eh bien, parfois, ils nous mettaient dans la même pièce. Ils appelaient ça la salle de vie commune. Quand nous étions réunis, comme ça, c'était comme si nous étions une famille.

- Combien étiez-vous en tout ?

-Au début, huit.

-Et ensuite ?

-C'est grimpé très vite, à douze, puis vingt, puis...mais après c'est vite redescendu.

-Pourquoi ?

-Ils détruisent les sujets non performants. Ils les démontent et ils récupèrent les pièces. C'est plus rentable.

-Oh.

-Ce n'était pas si triste, on se serait les coudes. Comme des frères et sœurs, en fait. C'était eux, ma famille.

Et c'est tout ce qu'il peut lui dire, car les alarmes se mettent tout à retentir dans le corridor. Les militaires encerclent les deux protagonistes, sans préavis, suivi du colonel, furieux. N.1 lève les mains en l'air, hilare, se laisse maitriser par les soldats sans résister tandis que Sandrine Hemeins assiste à la scène, sans rien y comprendre.

-Je peux savoir quel est le problème ?

-Et vous, c'est quoi votre problème ! Vous n'avez pas l'autorité à faire sortir le sujet !

-Où est donc passé votre risque zéro, Eric ?

-Ne te fiche pas de moi, Sandy, c'est toi qui prends des risques inutiles !

Le colonel, poings sur les hanches, se contient à peine.

-Il a éteint les caméras. Celles autour de vous.

-Oh.

-Tu étais hors écran. Il aurait pu t'arriver n'importe quoi.

Sandrine soupire.

-Rien ne va m'arriver et...il se confiait à moi. Eric. N.1 semble prêt à me révéler des informations. Mais sans les caméras.

-C'est insensé. S'étrangle Eric. C'est une machine ! Un programme ! Tu ne peux pas juste lui demander et puis...?

-Non, ça ne marchera pas comme ça.

L'homme accepte mal la réplique.

-Il y a un protocole. Continue le docteur. Ce n'est pas un simple robot. C'est un Androïde. Il y a une procédure pour interroger ce type de sujet. On ne peut pas simplement lui demander les informations. Il faut qu'il se confie à nous.

-Tu parles comme s'il était humain, raille Eric.

-Et c'est bien pour cette raison que les androïdes sont dangereux, tu te souviens ?

Eric sert les poings.

-C'est non, pour les caméras, et non pour les entretiens à l'extérieur de la salle d'examen. Suis-je clair ?

Sandrine soupire.

-Très clair, mon colonel.

---

---

16.25.

-Je veux des résultats, Ernest.

-Je sais bien, mais Annie refuse de me les communiquer.

La femme allongée sur sa couchette s'impatiente.

-Mais quel est le problème à la fin ?

-Le problème, c'est qu'elle affirme que les machines fonctionnent, mais les tests ne sont pas concluants. Ils ont essayé des dizaines de fois, et on conclut que N.1 possédait un brouilleur interne, ou qu'en tout cas, ça venait de lui, et pas d'eux.

-C'est une blague ?

-Non, ce n'est pas une blague. Annie est furieuse. Elle pense que la machine est radioactive et elle refuse de recommencer les tests une nouvelles fois. Elle ne veut pas endommager ses machines.

-Génial. D'autres bonnes nouvelles ?

-Vous n'allez pas le croire, mais malgré le débâcle de cet après-midi, nous n'avons reçu aucune notification, sanction, ou convocation. Surprenant, non ?

-Je m'attendais à des émois. Je suis presque déçue, simule Sandrine Hemeins.

Ernest rit à l'autre bout du fil.

-J'avais préparé un beau discours, mais il ne sera pas nécessaire. Quelqu'un a étouffé l'affaire.

-Qui ? Le colonel ? Impossible.

-Croyez-le ou non. Je ne sais pas ce qu'il vous doit mais si nous sommes encore dans les rails, c'est grâce à lui.

Sandrine n'en croit pas ses oreilles. Elle ne pensait pas un jour devoir quelque chose à son mari.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top