N.1 - Partie 1

12 février 2085.

8. 00. Le docteur Hemeins entre dans la salle d'examen. De l'autre côté de la table, un adolescent d'apparence. Quoi signaler de plus, à part sans doute, que si son corps semble de chair et d'os, ses yeux restent immanquablement vides de tout sens humain.

Le docteur Hemeins soupire. En croisant ses jambes et en lissant sa jupe, elle regagne alors tout professionnalisme. On lui a demandé d'évaluer le sujet. Elle le fera.

- Présente-toi.

-Je suis N.1, androïde de première génération.

La voix est monotone, mécanique. Quelle déception.

-Bien, N.1. répète-t-elle en griffonnant sur son calepin, sans conviction.

-Je vous l'avais dit ! Grésille une voix dans son oreillette. Un première génération ! C'est fantastique ! C'est...

-Taisez-vous, Ernest, vous dérangez Hemeins. l'interrompt un autre scientifique.

-Ton Immatricule, maintenant.

Mais la machine ne répond pas. Hemeins lève les yeux vers N.1, encore immobile. Figé. Ce truc est sûrement cassé. A quoi bon interroger une épave ?

-Série, première...lance-t-il soudain. Prototype...Prototype premier, code 0. Signature... Anedris.

Hemeins, troublée, repose son stylo sur la table et se lève. A son oreille, les scientifiques sont extatiques.

-Nom du concepteur. demande la femme de science, sentant ses poils s'hérisser sur ses bras.

-...Aleksander...B...Aleksander Benton.

Hemeins est furieuse. Elle sort. Sans protocole.

-Qui vous a autorisé à sortir, docteur ?

En face d'elle, l'homme de pouvoir, son supérieur, le grand big boss. Elle a envie de rire.

-Vous avez un sens de l'humour très développé, colonel. M'enfermer avec une machine de guerre, et ce sans même m'en informer.

-Le danger est zéro.

-Oh ! Le danger est zéro ! Mais alors tout va bien ! Je devrais peut-être retourner à l'intérieur, histoire de voir jusqu'où vous pouvez avoir raison !

Ses talons claquent sue le carrelage alors qu'elle s'éloigne de l'homme en uniforme.

-Cela ne vous intrigue même pas ? Je vous croyais plus curieuse. Sandrine.

La femme s'arrête, puis se retourne.

-Je n'ai qu'une question, Eric. Comment l'avez-vous eu ?

-Ca, ce n'est pas votre affaire.

-Et pourquoi cela ?

-Sécurité internationale.

Sur ces mots, le colonel fait demi-tour, laissant Heimens sans voix.

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8.53. Le docteur Hemeins entre en salle d'interrogatoire.

-J'étais sûr que vous reviendriez. Grésille la voix du colonel.

Sandrine lève les yeux au ciel.

-Commençons, N.1.

-Bien, docteur.

-Tu sais qui je suis ? Le questionne Heimeins en prenant place en face de la machine.

-Vous êtes le docteur Sandrine Hemeins, 34 ans, diplômée de Solsoi, en droit et psychologie de l'homme. Vous avez un doctorat en science de la coexistence de la machine avec l'homme. Vous êtes mariée, vous avez une fille. Mais vous êtes sur le point de divorcer. Vous travaillez officiellement pour le gouvernement américain, sur le projet Arcos. Officieusement, vous êtes un consultant pour la Société des 5 Nations, et vous recherchez Anedris. Vous voulez m'interroger pour découvrir qui ils sont, et où ils sont. Ai-je correct, docteur Hemeins ?

La scientifique, arque les sourcils, ses poings se resserrent autour de son bloc-note.

-Comment il sait tout ça ? interroge Ernest dans son écouteur.

-C'est simple, lui répond N.1. J'ai piraté votre serveur.

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9.17.

-Vous aviez assurez qu'il était inoffensif, j'aimerais bien comprendre !

-Demandez cela aux scientifiques dans cette salle, pas à moi.

-C'est trop facile, vous ne croyez pas ? Prenez vos responsabilités, colonel. Cette machine navigue sur notre réseau !

-C'est incroyable, s'enthousiasme Ernest. Qu'il puisse dans son état nous pirater sans alerter Gina est époustouflant.

-Gina ? Qui est Gina ?

-Une entité virtuelle, répond Louise, scientifique en blouse blanche. Un I.A. indépendant. C'est elle qui gère le site.

-Oh ! Gina, carrément ? Soupire Hemeins. Et vous m'expliquez pourquoi elle n'a rien fait, cette Gina ?

-Elle n'a tout simplement rien vu.

-Et vous affirmez qu'il n'y a rien à craindre ! S'énerve Heimeins.

Ernest pivote tout à coup de son bureau, un mug à la main, un ordinateur dans l'autre. Se levant, l'homme à la chemise débraillé et à la blouse froissée se met à sautiller jusqu'au fax.

-Pas de panique, il n'est pas militairement armé. lui répond le colonel.

-J'ai vu ce que peuvent faire ces choses à mains nues, Eric, elles n'ont pas besoin d'armes pour vous broyer la gorge !

-Ce n'est pas un problème, continue Ernest, en portant la tasse de chocolat froid à ses lèvres. Il est neutralisé. Nous avons inscrit une nouvelle adresse dans son système. Un androïde ne peut pas se retourner contre son propriétaire, ni ne peu...

-...lui désobéir. Le coupe Hemeins. Je sais. J'ai eu mon diplôme, vous vous souvenez ?

-Et c'est pour cela que vous êtes là. lui répond Eric. Parce que vous êtes la meilleure dans votre domaine.

-La meilleure dans quel domaine exactement ? Que recherchez-vous, colonel ? Pourquoi me faire venir au fin fond de l'Antarctique, si vous ne me dîtes pas au moins ce que vous attendez de moi ?

-On ne vous demande qu'une chose : interroger cet androïde, découvrir où est Aleksander Benton et retrouver Anedris.

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9.59. Le docteur Heimeins entre dans la salle d'interrogatoire, pour la troisième fois.

-Bonjour, docteur. Commence N.1.

Surprise, Sandrine ne dépasse pas le palier.

-Bonjour, bredouille-t-elle en se redonnant contenance.

Elle s'assoit. En face de la machine, qui l'observe, sans ciller. L'androïde se tient droit, fonctionnel.

-Commençons, N.1. Présente-toi.

-Je suis N.1, androïde de première génération. Première série, Premier Prototype, code 0. Signé au nom d'Anedris. Conçu par Aleksander Benton et mis en service le 3 août 2082, je suis l'exclusive propriété des 5 Nations.

-Très bien. N.1, on dirait que c'est beaucoup mieux.

-Beaucoup mieux ?

-Et bien, oui, beaucoup mieux, insiste Hemeins.

-Faites-vous référence à un quelconque dysfonctionnement apparent ?

Le docteur fronce les sourcils.

-En effet, androïde, tu dysfonctionnes.

-Pouvez-vous décrire les symptômes ?

-Les symptômes ?

La femme se tourne vers la vitre teintée, cherchant un appuie.

-Décrivez lui, insiste Ernest.

Hemeins ne peut que reconnaitre les progrès de la machine, mais fort est de constater que l'androïde est bien loin des performances promises. Le corps, tangiblement humain. L'esprit, lui, n'est qu'une calculatrice. Un visage inexpressif. Un timbre sans émotion. Des yeux sans vie.

-Ta façon de parler. D'agir. Rien n'a l'air humain. Tu es factice. Défectueux.

Et c'est la vérité. Hemeins fixe N.1 du regard. Mais alors qu'elle attend une réponse, la machine se fige. Ses yeux bleus translucides semblent bien plus vides encore. Un fourmillement parcourt son bras et fait claquer son doigt sur l'accoudoir de son siège. Un toc toc nerveux. Un bug.

-Parfait, soupire Heimeins. Il est cassé.

Des exclamations dans son oreille lui font comprendre la déception de l'équipe.

Le docteur range la mine de son stylo et le remet dans sa poche. Elle quitte la salle sans un regard pour l'épave.

-Remettez-le en état, gronde la voix du colonel à une troupe de scientifiques et techniciens. Sandrine, votre rapport !

-Ce sera fait, indique la femme d'un léger signe de main, avant de rejoindre sa cabine.

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10. 16. Dans la cellule, le stricte nécessaire. Sandrine s'allonge sur sa couchette, poussant sous le sommier sa valise entrouverte. Le décalage horaire commence à la rattraper. Au-dessus de son lit, un voyant clignote. La femme frôle le panneau de contrôle qui s'illumine.

-Bienvenue, Docteur Hemeins. Je suis Gina, votre interface d'aide personnalisée.

-Et bien voilà la fameuse Gina. Marmonne le docteur.

-Que puis-je faire pour vous aider ? L'ignore la machine, nullement perturbée.

Hemeins réfléchit un moment.

-Aleksander Benton.

Une multitude de dossiers s'ouvre sur le mur, dévoilant des dizaines de rapports sur les faits et gestes d'Anedris, des fiches incidents, beaucoup d'incendies et d'explosions de présumés laboratoires ; parmi les documents, un dossier décrit même la vie privé du scientifique avant son inculpation. Sous quelques feuillets, une photographie familiale. Une femme, un homme et leur enfant. Trois têtes blondes posant devant une grande maison blanche. Une famille à l'allure parfaite. L'homme à l'air honnête pose sa main sur l'épaule de sa femme. On peut voir briller leurs alliances. Qui aurait cru que cet homme allait un jour percer le secret de la biotechnologie ? Et qui aurait cru que le même individu deviendrait le fondateur du plus grand marché noir de la robotique ?

Les Androïdes d'Anedris.

Hemeins lance une vidéo montrant l'entrée dans un aéroport d'une des machines. Une jeune adolescente crépite sur l'écran. Jeans et écouteur. Assise sur un banc. Qui aurait cru qu'il s'agissait d'une machine de guerre ? Personne. Pas même la passagère du siège d'à côté, qui affirme avoir eu à faire à une étudiante de droit tout à fait charmante. Le personnel de l'aéroport décrit une jeune femme tout ce qu'il y a de plus normal. 72 heures plus tard, ce même individu exécute 3 agents gouvernementaux sous couverture dans un hôtel britannique, avant de disparaître. Plus une trace d'Amy Gate. Après vérification, on découvre qu'elle n'a jamais existée. Faux passeport, fausse identité, faux compte et faux passé. Tout était faux.

Sandrine se frotte les yeux. Il est peut-être temps pour elle de récupérer un peu du vol. C'est ce qu'elle pense. Mais un voyant clignote de nouveau sur le mur. Le docteur décroche l'appel.

-C'est Ernest, résonne la voix dans la chambre, alors qu'un visage mangé par le chocolat apparaît sur le mur.

-Qui a-t-il ? Soupire Sandrine Hemeins.

-N.1 est revenu.

-Revenu ? Parce qu'il était parti quelque part ? Plaisante-t-elle à demi.

-Vous comprendrez quand vous le verrez.

Puis l'image fond au noir, laissant la femme perplexe. Ce n'est pas aujourd'hui que le docteur Hemeins pourra se reposer.

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11.42. La femme entre une nouvelle fois dans la salle.

-Vous revoilà ! Rit N.1.

Sandrine se fige. Ses yeux se posent sur une toute nouvelle personne. Un jeune homme, le même physique qu'elle connaît, cheveux bruns, et yeux bleus translucides. Mais l'impression n'est plus du tout la même.

-On se voit souvent, vous ne trouvez pas ? Ironise la machine.

-Tu as...

-...Changé ? C'est un peu grâce à vous. Merci beaucoup docteur.

Hemeins s'assoit en face de l'androïde sans savoir quoi en penser.

-Et si nous commencions ? S'enquit N.1.

-Très bien, répond Sandrine en enfonçant l'écouteur dans son oreille.

- Présente-toi.

-Ca, on l'a déjà fait.

-Et on va le refaire.

La machine soupire.

-Okééé... Comme vous voudrez : Je suis N.1, androïde de première génération. Première série, Premier Prototype, code 0. Signé au nom d'Anedris. Conçu par Aleksander Benton et mis en service le 3 août 2082, Je suis l'exclusive propriété des 5 Nations. Ça vous va ?

-Ça me va. Je peux savoir ce qu'il t'ait arrivé toute à l'heure ?

-Vous parlez de mon...moment d'absence ?

-Un moment d'absence...

Hemeins griffonne ces mots dans le dossier. Lorsqu'elle lève les yeux, elle voit un ado intrigué par ce qu'elle peut bien gribouiller à un moment pareil.

-Ne fait pas attention, dit le docteur.

-Très bien. Je me soignais. Je n'étais pas au meilleur de ma forme, il faut dire.

-Tu te soignais ? Interroge-t-elle surprise.

-Oui. affirme N.1, en hochant frénétiquement la tête. Certaines données étaient endommagées, des souvenirs, mais aussi des connaissances. J'ai dû restaurer ces connaissances. Et cela m'a pris...un peu de temps.

-Tu veux dire que tu... t'auto-restaurais ?

-Je préfère le mot soigner.

-Tu préfère le mot soigner.

-Oui, docteur, c'est ce que je viens de dire. Êtes-vous sûre que tout va bien ?

-Pardon ?

-Vous répétez plusieurs fois la même chose, votre rythme cardiaque est assez élevé, et vous montrez des signes d'insomnie. Vous devriez vous reposer, le décalage horaire, le stress, vos nouvelles responsabilités...

-Comment tu...ah.

-Ah ! Comme vous dites. Oui, j'ai encore piraté votre serveur. J'espère que vous ne m'en voulez pas trop, docteur.

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12.12. Ernest ne tient plus en place.

-Il se soigne ! Vous le croyez ça ? Il se soigne !

-On sait, Ernest, c'est la quatorzième fois en deux minutes que vous en faites la remarque.

-Que pensez-vous de lui, docteur, s'enquit le colonel.

-Ces progrès sont spectaculaires. Et je dois dire que le résultat est bluffant. Qui que soit Aleksander Benton, c'était un génie.

-Un génie qui a mal tourné, docteur.

-Peut-être, mais le travail est remarquable. Je vous rappelle qui est le seul au monde à réussir à faire passer ces machines au Programme de reconnaissance Turing.

-C'est très intéressant, Sandrine, mais si je pouvais vous faire une suggestion, j'aimerais que vous l'interrogiez le plus rapidement possible sur Anedris.

-Ce sera fait, mon colonel. Mais après ma sieste. J'ai des heures à récupérer.


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