Le calme.

Le silence.

Il n'y avait personne.

L'appartement était vide, seulement constitué d'un lit et d'un bureau avec quelques feuilles posés dessus. Des feuilles à moitié vide, l'autre n'étant qu'incompréhension et signe sans sens. La lumière filtrait uniquement par la fente des rideaux mal fermés, et aucun bruit ne rentrait. Tout était sombre, silencieux, et vide. Pourtant, le monde lui était clair, parfaitement clair, comme si elle se trouvait au centre de tout. Les vibrations, les paroles, les sons, les pensées : tout lui était relié. L'humain ne pouvait rien lui cacher. Dans ce petit appartement, dénué de meubles et de vie, elle se situait au centre du monde. Le dos de ses mains étaient posés sur le plancher, ses genoux repliés, tandis que chaque chose parvenait à son esprit. Elle le sentait. Elle l'entendait.

- Numéro 1, te voilà enfin.

Ses yeux s'ouvrirent, et un regard rouge perça l'obscurité. Bientôt, il sera là. Et à ce moment, tout basculerait. Car là où passait Numéro 1, le monde se retrouvait perturbé, à tout jamais.

____

- Atchoum !

Jiyu arqua un sourcil et se tourna vers Yashuu, qui venait de bruyamment éternuer.

- Ne tombe pas malade, ce n'est clairement pas le moment.

- On doit parler de moi quelque part, c'est pour ça ! Je suis trop célèbre.

- Mais bien sûr.

Cela faisait désormais une semaine qu'ils avaient pris la mer depuis l'Europe, pour faire route vers les Etats-Unis. Le trajet était long, et certains avaient un mal de mer bien prononcé, surtout Boran. A chaque fois qu'il mettait un pied hors de sa cabine, son visage se décomposait et il devait courir aux toilettes pour recracher le peu de chose qu'il mangeait. Fort heureusement, il était le seul dans ce cas là. Si ce n'est Anwa qui n'était pas très à l'aise sur un bateau qui tangue, les autres ne présentaient aucun symptôme du mal de mer.

- Je me demande qui on va trouver sur place, fit Jiyu en s'adossant sur la balustrade qui donnait sur l'immensité de l'Atlantique.

- Il y avait une personne qui était originaire de là bas si je me souviens bien, fit Yashuu, la Numéro 646.

- Tu te souviens de quelque chose à son sujet ?

Yashuu fronça les sourcils, fouillant dans sa mémoire vieille de dix ans pour essayer de retrouver quelques informations concernant cette personne. Mais, à sa grande surprise, il n'en avait que très peu de souvenirs.

- Pas vraiment. Elle avait une faible présence, si bien que l'on pouvait facilement oublier qu'elle se trouvait là. Et je n'arrivais pas toujours à lire son esprit, ce qui était vraiment agaçant.

- À la manière d'Okami ?

- C'était différent. Je pouvais entrer dans sa tête, mais tout était incompréhensible, dénué de sens. C'est comme si je me trouvais dans l'esprit d'un extraterrestre. Finalement, j'ai arrêté de chercher à comprendre, et j'ai fini par l'oublier.

Ce n'était donc pas une personne qui marquait les esprits, conclut Jiyu. Mais cela pourrait être un point fort. Des personnes avec une forte présence ils en avaient déjà bien assez parmi eux, avoir une personnalité effacée qui n'attire aucun regard serait un très bon atout. Mais encore fallait-il la convaincre de venir avec eux.

- C'est vraiment trop long le bateau quand même ! Pourquoi on a pas pris l'avion sérieux ! râla Yashuu qui n'en pouvait plus d'être bloqué sur un bout de métal flottant. Tu crois que j'irais plus vite à la nage ?

- Tu veux te noyer ? ricana Jiyu. Je ne serais pas là pour te sauver la mise cette fois-ci.

- Mais si voyons, tu seras toujours là.

Il se redressa et s'étira de tout son long, son corps débordant d'énergie. Il ne demandait qu'à se défouler, et cela se voyait. Mais ils n'étaient pas seuls sur ce navire, il y avait d'autres personnes qui travaillaient. Car il s'agissait d'un navire cargo, et non pas de croisière. Jiyu ne savait toujours pas pourquoi Kaku avait fait ce choix, mais il était toujours pleins de questions. Cependant, depuis le départ, ils n'avaient que très peu vu le scientifique, qui était toujours occupé à droite et à gauche pour diverses affaires qu'ils n'avaient pas cru bon d'éclaircir. Ce qui était d'autant plus suspect aux yeux de Jiyu.

- Tu me donnerais un coup de main pour interroger notre ami Kaku ? demanda-t-il à Yashuu.

- Bien sûr. Il nous cache des choses.

- Tu ne peux pas aller fouiller dans sa tête ?

Yashuu haussa les épaules.

- Il est malin et sait à peu près comment fonctionne mon pouvoir. Si je veux pouvoir fouiller profondément, je dois avoir un contact direct avec lui, sinon je peux juste effleurer la surface de sa noirceur. Et il est toujours enfermé quelque part donc j'ai la flemme de jouer à chat avec lui, surtout que ce serait suspect.

- Donc il fait en sorte de dissimuler ses pensées au fond de son esprit pour que tu n'y accèdes pas ?

- C'est fort probable.

C'était un point de plus pour l'interroger. De toute façon, Jiyu ne laisserait pas passer cette occasion. Boran était malade, donc il ne serait pas avec Kaku, et étant sur un bâteau il n'y avait aucune fuite possible.

- On fait ça ce soir, sans faute.

- Adjugé vendu. En attendant, je vais partir nager.

Jiyu ne fit même pas mine d'être surpris, et se redressa pour aller se promener plus loin, tandis qu'il entendait un gros "plouf" dans son dos. Rien ne pouvait arrêter ce type, c'était dingue.

Il marcha de longues minutes sur toute la longueur du navire cargo, croisant parfois quelques hommes en plein travail, qui ne posaient aucunes questions sur leur présence ici. Ca aussi, c'était étrange. Normalement, il n'y avait pas de civils qui se baladaient sur ce genre de transports. Que cachait donc Kaku ? Qui étaient ces contacts ? Où trouvait-il les fonds nécessaires pour tous ces voyages ? Et qui donc permettaient au Labo de toujours retrouver leur position partout dans le monde ? Autant de questions qui ne trouvaient pas de réponses. Tout du moins, pour le moment. Il espérait bien que cela changerait après leur petite discussion de ce soir. Car la patience commençait à s'éroder petit à petit, ainsi que la confiance. Si Kaku voulait que cette coopération dure, il allait devoir montrer un peu plus ses cartes, au risque de se faire mordre par les dragons qu'il essayait de tenir en laisse. Sur son trajet, il croisa Anwa, appuyé contre le bord et observant l'océan sans rien dire. Depuis leur dernière altercation au Danemark, ils ne s'étaient quasiment plus adressés la parole. Le point de divergence nommé Azline avait creusé une distance, que ni l'un ni l'autre ne voulait combler pour le moment. Elle ne lui lança même pas un regard et il passa dans son dos en silence. Il se moquait bien qu'elle soit encore blessée par les propos qu'il avait tenu, et il ne s'en excuserait pas. Pourquoi devrait-il s'excuser pour des choses qu'il pensait après tout.

- C'est plutôt désagréable, fit-elle alors.

Il arqua un sourcil et s'arrêta, parlait-elle toute seule ou bien à lui ?

- Tu ne comptes pas t'excuser auprès de moi ni d'Azline, je me trompe ?

Bon, ça répondait à sa question au moins.

- Je ne vois pas pourquoi je devrais le faire. Je le pensais et je le pense toujours. Je préfère avoir Yashuu à mes côtés que cette fille.

- Pourquoi tu es aussi différent, souffla-t-elle alors. Tu n'as aucune idée de ce que Yashuu représente à nos yeux, de ce que nous avons tous vécu au Labo, de ce que nous avons vu. Si tu étais comme nous, tu comprendrais la peur d'Azline, et notre réticence.

- Je suis parfaitement au courant de ce qu'il se passait au Labo, même si j'étais coupé de vous, fit il calmement. Je sais très bien ce que Yashuu faisait.

Il lui avait raconté en personne après tout.

Anwa écarquilla légèrement les yeux, comme si cela lui paraissait impossible.

- Alors pourquoi ?

- Et pourquoi pas ?

Il leva un doigt presque accusateur vers elle, un petit sourire aux lèvres.

- Vous êtes tous bloqués dans le passé, gardant une image figée de Numéro 1. Aucun d'entre vous n'est capable de passer outre et d'avancer. Moi je ne porte aucun préjugé sur lui, et je le vois uniquement comme il est maintenant. Et tu devrais le savoir aussi bien que moi, Anwa, qu'il n'est pas une personne qui se retournera contre nous, sauf si on le trahit.

De toute façon, c'était une situation prévisible. Yashuu avait énormément marqué les esprits au Labo, et l'arrivée d'Azline et de sa peur n'avait fait que rappeler à tous qui il avait été avant, et qui il était toujours au fond de lui. Mais Anwa était arrivée tôt, elle avait vécu la rencontre avec l'Empereur, elle avait vu Yashuu protéger Tatie Rosi et les défendre du Labo.

- Vous devriez plutôt être rassurés d'avoir une personne comme lui avec vous plutôt que contre vous.

Anwa serra légèrement les poings face à ces propos, ça ne semblait pas lui plaire, mais elle ne pouvait pas nier cette vérité non plus.

- Donc non, je ne vais pas m'excuser. C'est dommage que notre relation se dégrade ainsi, mais tant pis.

- Tu serais prêt à te mettre tout le monde à dos juste pour rester aux côtés de Numéro 1 ? demanda-t-elle alors.

Jiyu ne pu pas répondre immédiatement. C'était une question délicate. Le stratège au fond de lui savait que ce ne serait pas la meilleure des idées, et que même si Yashuu était puissant il avait ses limites. Comme tout le monde. Mais c'était aussi la personne qui pouvait le mieux le comprendre, le cerner, et l'aider. Une pièce, deux faces.

- Je me mettrais le monde à dos si nécessaire.

Anwa resta silencieuse et finit par détourner le regard, pour fixer de nouveau l'océan.

- Moi, je ne suis pas capable de prononcer de telles paroles. Je ne sais pas si tu es fou ou courageux.

- Peut-être les deux.

Il ne continua pas cette conversation, et partit, la laissant de nouveau seule. Ce monde tournait de moins en moins bien. Etait-ce à cause d'eux ? Du Labo ? Ou simplement de l'humanité ? Il n'en savait rien.

- Tu m'aurais presque fait pleurer dit donc !

La voix de Lance brisa le silence, et Jiyu le vit sortir d'une cabine en remettant correctement sa chemise. Il n'avait même pas envie de savoir ce qu'il venait de faire à l'intérieur, même s'il en avait une petite idée vu le caractère et le pouvoir du jeune homme.

- Ce n'est pas très poli d'écouter aux portes tu sais.

- Ton discours était si émouvant que je n'ai pas pu m'en empêcher ! sourit-il.

C'était un bien beau mensonge, tout simplement car Lance ne pouvait pas supporter Yashuu. Il n'avait qu'une envie : lui faire payer l'humiliation et la souffrance qu'il lui avait fait endurer.

- Tu es jaloux car je ne parlais pas de toi ?

Lance rigola doucement et posa ses mains sur ses hanches, avec un petit regard supérieur.

- Jaloux ? Je ne vois pas pourquoi je serais jaloux de Numéro 1. Je suis très bien comme je suis, et je suis aussi plus beau d'ailleurs.

Lance n'était en effet pas horrible à regarder, avec ses cheveux noirs comme la nuit coiffés avec précisions et ses yeux rouges comme le sang frais qui perlait d'une plaie juste ouverte. De plus, il était assez grand, avec une bonne musculature et prenait soin de lui. Ce n'était pas étonnant que son pouvoir joue sur la séduction.

- Je ne fais pas vraiment attention à ça. Et j'ai des choses plus importantes à faire que comparer vos physiques respectifs.

- Je trouve que ce serait amusant pourtant, sourit Lance qui ne comptait pas lâcher prise. Ne me trouves-tu pas un peu séduisant ? Toujours supporter Yashuu ne doit pas être facile, on pourrait s'offrir un peu de bon temps tu sais.

Jiyu soupira légèrement, un peu amusé par ce qu'il disait. Est-ce qu'il était en train d'essayer de le mettre dans son lit ou il rêvait ?

- Tu ne penses même pas une seconde au fait que je pourrais tout simplement ne pas être attiré par les hommes ?

Lance balaya l'air devant lui d'un mouvement de main, comme s'il chassait une mouche.

- Allons, tu es le genre de personne qui ne rentre dans aucune case de ce genre. Je te vois plutôt comme celui qui prend ce qui lui apporte le plus, et qui est capable de tout tester juste pour voir ce que ça donne.

Il n'avait pas vraiment tort sur ce point. Jiyu avait parfois tendance à oublier que Lance n'était pas un idiot, et qu'il était au contraire redoutablement intelligent, capable d'analyser les gens et son environnement avec précision.

- Je ne suis toujours pas intéressé par ton offre.

Lance esquissa un petit sourire, et sa main droite tressaillit légèrement.

- Quel dommage. Je suis certain que ce serait enrichissant pour nous deux pourtant.

- Je peux savoir de quoi vous parlez ?

Lance plissa les yeux et se recula, alors que Yashuu venait d'apparaître sur le bord du bateau, sortant de sa baignade. Il était trempé jusqu'aux os, et son regard sombre fixait Lance avec une certaine autorité, comme pour lui ordonner de reculer.

- Lance voulait savoir si je voulais venir dans son lit, répondit simplement Jiyu.

- Eh, tu n'étais pas obligé de lui dire, fit Lance qui ne semblait pas avoir prévu l'arrivée de Yashuu.

- Tu es vraiment un pervers, lâcha Yashuu.

- Et toi tu ne sais pas ce que tu rates. Moi qui pensais que tu allais faire quelque chose avec la danoise, mais rien du tout, quelle déception.

Yashuu arqua un sourcil, et Jiyu savait très bien ce qu'il était en train de penser : Pourquoi est-ce qu'il serait arrivé quoi que ce soit avec Okami ?

S'il avait bien compris quelque chose, c'est que Yashuu ne montrait absolument aucun intérêt pour les femmes ni, pour les relations physiques avec qui que ce soit. Il trouvait sa jouissance dans le combat et la destruction.

- Bon, ça ne sert à rien de parler plus de ça avec toi, je me tire.

Lance tourna les talons et s'éloigna, tandis que Yashuu se tournait vers Jiyu.

- Il voulait dire quoi par rapport à Okami ?

- Oh, je suppose qu'il imaginait que vous pourriez avoir une quelconque relation charnelle.

Yashuu grimaça et secoua la tête.

- Quelle idée saugrenue, pourquoi les humains ont-ils l'esprit autant tourné vers le sexe ? C'est incroyable le nombre de fois où je perçois ça dans les esprits.

Jiyu rigola légèrement. Oui, Yashuu ne risquait pas de s'y mettre un jour.

- Peut-être car c'est ce qui permet à notre espèce de se reproduire. Ca doit être un mécanisme pour éviter que l'on s'éteigne, et pour avoir une descendance.

- Je vois. Dans ce cas c'est plutôt une bonne chose que je ne veuille pas faire ça. La nature est bien faite.

- Ah oui ?

- Oui, tu voudrais vraiment des mini Yashuu qui courent partout sur terre en causant la destruction dans tous les sens ? Ça doit être un mécanisme de survie ça aussi, pour éviter aux monstres de proliférer.

Jiyu ne dit rien, ça lui faisait toujours un étrange goût amer dans la bouche quand Yashuu disait des choses aussi violentes sans sourciller. Il ne se voyait pas comme un monstre lui, donc il ne pouvait pas comprendre ce que ressentait Yashuu sur ce sujet. Mais il ne dit rien, ce serait inutile de le contredire. Après tout, dans le fond, il valait mieux éviter d'avoir plusieurs Yashuu sur cette terre. Un seul était amplement suffisant.

- Va te sécher au lieu de parler, ce serait dommage que tu tombes malade. Même si je doute que cela soit possible pour toi.

- Ouais, mon corps est trop robuste pour ça ! D'ailleurs j'ai vu des baleines et des dauphins, c'était vraiment cool. Tu devrais venir la prochaine fois.

- Ca ira.

Il n'avait pas envie de plonger dans des eaux glaciales juste pour voir des baleines ou autres animaux aquatiques. Il était bien mieux ici, au chaud dans ses vêtements. Et il n'avait pas la résistance de Yashuu non plus.

Une fois bien sec, Yashuu changea de vêtement et souffla un peu dans ses mains pour les réchauffer.

- Bon, si on passait à l'attaque pour Kaku ? Il se trouve dans sa cabine de ce que je perçois, et il est seul.

- Où sont les autres ? Il faudrait éviter que l'on soit interrompu.

Yashuu ferma les yeux et laissa ses ténèbres sonder le bâteau et s'accrocher à chaque être vivant qu'il croisait.

- Azline et Anwa sont ensemble dans une cabine. Boran est toujours en pls dans son lit. Et Lance mange au buffet tout seul.

- Parfait.

Il était donc temps d'agir. Kaku allait répondre à ses questions dès ce soir, et il ne partirait pas le temps que tout ne serait pas clair dans son esprit. Il ne voulait pas user de violence, mais si le scientifique ne lui laissait pas le choix, il lâcherait Yashuu sans vergogne.

- On y va alors.

Ils quittèrent la cabine tous les deux, pour se diriger vers celle de Kaku. L'heure des réponses était venue.