Tout-le-monde tournait les yeux sur son passage. Tout-le-monde semblait hypnotisé, et pourtant, personne ne l'avait reconnue. Ou du moins, ils avaient fait mine de ne pas la reconnaître. Comme le jeu le voulait, elle n'était plus qu'une inconnue pour eux, de la même manière qu'elle-même n'en connaissait aucun.

De son pas lent et sensuel, elle marchait et faisait claquer ses talons. À l'étage du haut, où se trouvaient déjà Lily, Britney et Sébastien, personne ne l'avait reconnue. Elle roulait des hanches dans sa petite robe noire. Sous sa jupe à franges, des collants en résille aux mailles particulièrement écartées les unes des autres se repéraient avant que ne commencent, mi-cuisse, passant outre le genoux, ses cuissardes noires à talons aiguilles fins, avec lesquelles elle s'était longuement entraînée à marcher.

Aujourd'hui, elle se sentait plus prête que jamais. Prête à sortir de son coin. Prête à marcher avec ses cuissardes sans risquer de tomber ou de se tordre la cheville. Prête à commencer.

Les longs gants qu'elle avait enfilé pour parfaire le reste de sa tenue lui arrivaient presque à l'épaule, et étaient aussi noirs que ses cheveux, ainsi que le reste de ses vêtements. Ses lèvres étaient pulpeuses et rougies par ce qui semblait être un petit coup de glosh. Ses yeux noirs et scintillants, au moins aussi profonds qu'une tasse de café pur, étaient maquillés d'un grand trait d'eye liner et d'une petite superposition de far à paupières, noir, puis gris foncé, puis enfin gris clair. Ses longs cils avaient été rehaussés par une couche de mascara. Son nez était court et sensiblement élargi au niveau des narines. Mais celui-ci, si charmant soit-il, était invisible. Ses sourcils fins et courbés aussi avaient été cachés par son masque. Un magnifique masque vénitien noir, parsemé de petits strass blancs de part et d'autres des parties hautes et basses, et tout particulièrement au-dessus des trous laissant encore paraître ses yeux.

En descendant des escaliers menant au rez-de-chaussée, là où se trouvaient le comptoir, ses autres amis et le reste de l'ambiance, elle fit se retourner Elvis et Matt, qui étaient en train de le remonter, un verre à la main. Elvis, le garçon brun aux yeux bleus dont le masque avait plus de motifs que celui de son ami, avait d'ailleurs faillit en faire tomber son diabolo cerise. L'autre, Matt, blond aux yeux marrons avec un masque noir et totalement vierge du moindre petit détail de fantaisie, n'arrivait plus à décrocher les yeux d'elle, et s'était surpris à se lécher avidement les babines.

Elle se fit remarquer tout-de-suite une fois qu'elle eut commencé à marcher en direction du bar, derrière lequel son ami Serin, désigné barman, était en train de servir une boisson à William. Elle épiait les alentours d'un regard malicieux, tandis qu'un léger sourire en coin se percevait sur ses lèvres. Chaque fois que l'un ou l'une de ses ami(e)s croisait son regard profond et tombait dans son iris noire nuancée de marron, il ou elle baissait immédiatement les yeux. C'était ce qu'elle avait voulu qu'ils fassent, tous. Elle était appétissante, mais elle était aussi intimidante, et elle le savait. Elle était désirable, mais elle n'était pas facile. Elle était fantasmatique, mais elle était inaccessible. Elle était énigmatique et fantomatique, ce fut presque comme si sa présence aurait pu se résumer à un simple et beau rêve.

Plus personne ne bougeait. Plus personne ne parlait. Ils retenaient leur souffle. Ils savaient tous pertinemment qu'elle savait ce qu'elle voulait, et que donc si elle était descendue ici, c'était parce qu'elle avait un but bien précis. Elle voulait récupérer l'un d'eux, et l'emmener avec elle. Elle voulait s'amuser avec son corps et sa conscience jusqu'à la fin de la nuit. Et ils savaient aussi que quand elle voulait quelque-chose, elle l'avait. Elle finissait toujours par obtenir tout ce qu'elle désirait, parfois même sans avoir à faire le moindre effort. C'était une des nuances qui faisait sa force mystérieuse et indéniable.

Tous, sans aucune exception, ils se taisaient. Et même les plus audacieux et ceux qui avaient été désignés dominants par le jeu avaient les yeux cloués au sol. Dans ce jeu qu'elle avait elle-même organisé, Elmah, dont le regard intimidant était toujours recentré par le masque vénitien, avait le pouvoir sur absolument tous les autres participants. Ils lui devaient chacun, respect et soumission. Filles comme garçons, dominants comme soumis.

Il ne devait y avoir qu'une seule personne qui ne l'avait pas encore remarquée. Une personne qui était assise seule, à une table au fond du bar, son masque noir sur le nez et habillée d'un élégant costume-cravate noir. Il était devant sa boisson, assis sur sa chaise derrière la petite table ronde, les jambes croisées, un bras remuant sa paille dans son verre, l'autre soutenant sa tête lourde, et il regardait ailleurs. En se rapprochant encore un peu, de plus en plus discrètement, Elmah put remarquer qu'il avait ses écouteurs dans les oreilles. C'était ainsi pour cela qu'il ne l'avait pas entendue, pas même le claquement de ses talons. Parfait. Elle allait pouvoir le surprendre comme elle avait toujours rêvé de le faire.

Elle était maintenant tout prêt de lui. Elle inspecta son regard, et, constatant qu'il avait toujours les yeux ailleurs, elle piqua sans gêne un glaçon dans son verre. Ce glaçon, elle le plaça entre ses dents, en tâchant de ne pas le faire tomber au passage. Malgré la présence de cette glace dans sa bouche, les lèvres de la jeune fille parvinrent à s'étirer pour lui faire afficher un grand sourire. Elle se releva (puisqu'elle s'était un peu courbée), et se craqua bruyamment les doigts, remarquant que le garçon ne l'entendait ou ne la voyait toujours pas.

Ce fut alors que Sylvain, qui venait de terminer sa chanson et d'en commencer une autre, sursauta en sentant deux mains se plaquer sur ses yeux. Il mit la pause dans sa musique, et enleva brusquement ses écouteur pour demander :

- C'est qui ?!

Il n'eut que pour seule réponse un long et sensuel :

- Chuuuut...

Ce dernier lui ordonnant de se taire. Il esquissa un sourire, pensant savoir qui était en train de le capturer, lentement mais sûrement, et ne bougea plus, puisqu'il avait décidé de se laisser faire.

Sans enlever ses mains gantées de ses yeux, Elmah se baissa de nouveau un peu plus sur lui, et commença à lui passer le glaçon qu'elle avait encore entre les dents et qui n'avait pas encore fondu sur le cou. Sylvain sursauta, et poussa un petit gémissement. Sans se décoller de sa peau une seule seconde, elle fit remonter le morceau de glace le long de ses joues, jusqu'à ce qu'elle atteigne sa propre main, qui empêchait toujours, avec l'aide de la deuxième bien sûr, le jeune homme de voir. Alors, elle termina de suçoter tranquillement le glaçon et l'avala. Elle demanda au garçon de fermer impérativement les yeux au moment même où elle enlèverait ses mains de devant ceux-ci. Sans aucun commentaire, il obéit, ainsi même lorsqu'elle alla placer ses mains ailleurs, sur ses hanches, il ne voyait toujours que du noir.

Elle fouilla dans son sac à main en cuir noir, qu'elle avait bien évidemment emporté avec elle, et en ressortit assez rapidement ce dont elle avait besoin. Elle ne tarda pas à de nouveau lui cacher les yeux en lui enlevant son masque et en faisant passer un bandeau noir autour de sa tête. Il sourit grandement, ce fut presque s'il allait de nouveau se mettre à gémir. Elle lui ordonna sévèrement de se lever. Il obéit. Pour ce soir, son lecteur mp3 et ses écouteurs, son verre de sirop de rose et son masque vénitien noir allaient rester sur la petite table ronde au fond du bar. Son corps, ainsi que son âme, allaient quant à eux s'envoler pour un Paradis qui lui était encore quasi-inconnu, sur lequel il n'avait fait que fantasmer depuis le début du jeu.

Elmah lui ordonna de garder les mains dans le dos, et en profita alors pour les menotter (comme elle avait prévu de le faire). Il sourit et gémit une nouvelle fois. Elle lui demanda de se retourner, et le prit par le bras, retroussant le chemin qu'elle avait pris pour parvenir jusqu'à lui. Elle tâchait tout-de-même d'aller doucement, et le guidait, lui qui avait toujours ce bandeau autour des yeux.

Lorsqu'ils la virent repasser devant eux avec son désormais partenaire, les amis d'Elmah n'osèrent toujours pas lui adresser le moindre mot, ni même le moindre petit signe de main, ni même le moindre sourire, et encore moins le moindre regard. Elle alla lentement pour aider Sylvain à monter les marches de l'escalier sans en louper une et s'écraser à terre. Elle y parvint sans problèmes, car maintenant le jeune homme connaissait bien les escaliers du bar, et parvenait à retrouver le pas des marches sans grande difficulté.

En remontant au premier étage, elle l'entraîna au bout d'un grand couloir, s'attirant au passage les regards de Lily, Britney, Sébastien, Elvis et Matt dessus. Une fois qu'elle fut parvenue à la porte de cette grande pièce dans laquelle ils allaient enfin pouvoirs'amuser, elle lâcha Sylvain le temps d'aller tourner un bon coup la clé dans la serrure. Une fois chose faite, elle le fit rentrer à l'intérieur, avant d'elle-même s'y engouffrer et de refermer la porte par la suite.

Rapidement, elle lui détacha les menottes, et l'aida à se déshabiller, lui qui avait toujours les yeux bandés. Elle fit de même, découvrant son corps qui, visiblement, était déjà nu sous son vêtement à Sylvain qui, malheureusement, ne pouvait rien voir. Dans un premier temps, elle décida de garder ses cuissardes et ses gants.

Mais elle ne put que retirer son masque, et le poser au coin de l'étagère la plus proche. Elle demanda à Sylvain de se retourner, et de se mettre à quatre pattes. Ni l'un ni l'autre n'avaient enfilé de préservatifs, ils n'allaient pas en avoir besoin, ou du moins jusqu'à ce qu'arrive le moment d'une éventuelle pénétration.

Sylvain ne voyait toujours rien du tout, et attendait tout excité, que quelque-chose se passe. Lorsqu'il sentit un souffle d'air frais et un bruit de fouet juste derrière lui, il se dit que lui et sa petite-amie allaient sans aucun doute passer une excellente nuit... Elmah annonça d'ailleurs, lentement :

- M, A, R, T, I, N, E, T.

Sylvain sur ses quatre pattes finit par s'allonger, et courba le dos pour lui tendre son postérieur. Il attendait patiemment que contre ses fesses, résonne le premier coup.