Tu me manques
Yo, ça fait un moment que je réfléchis à la façon dont je vais traiter ce thème et ça m'est venu d'un coup, alors voilà.
Ecrivez un dialogue (avec ou sans narration) sur le thème de l'abandon.
Musique proposée : Darkness - Imagine Dragons. (En média).
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- Vas la voir.
Je dévisage mon meilleur ami quelques secondes avant de me reconcentrer sur le miroir lunaire qui flotte devant nous sans rien dire.
- Est-ce qu'elle te manque ? insiste-t-il.
Je soupire en me laissant tomber dans le sable pour observer directement les étoiles que je ne vois plus se refléter dans l'eau.
- Non.
- Vérité ? demande-t-il, alors que je souris tristement.
- Mensonge, murmuré-je.
- Alors pourquoi tu ne lui parles pas ?
Je serre les dents en laissant le chant des vagues noyer sa question pour ne surtout pas avoir à lui répondre.
- Tu crois que le monde peut s'écrouler, mais quand même continuer de tourner ? l'interrogé-je après un court silence.
Il s'allonge à côté de moi, les prunelles rivées vers le tableau noir aux pépites argentées qui nous surplombe.
- ça dépend, le monde en général, ou le notre ?
Je hausse les épaules.
- Les deux.
- Je pense que notre monde il fait que ça. Il s'effondre encore et encore, jour après jour. Sauf qu'on est tous là, à le porter à bout de bras en se disant que si on le serre suffisamment, on pourrait peut-être le réparer. Sauf qu'à force d'essayer de recoller tous les morceaux de nous, éparpillés un peu partout, on en oublie le monde qui nous entoure. C'est peut-être pour ça qu'on se sent toujours à la ramasse, qu'on a constamment l'impression d'avoir un cran de retard : parce que le monde, la réalité, ils en ont rien à foutre qu'on soit à bout de souffle, ils continuent d'avancer quoi qu'il arrive. Avec ou sans nous, et nous, on est pas foutu de suivre la cadence, parfois. Alors notre monde à nous s'écroule, quand l'autre continue de tourner sans nous.
- Je crois que mon monde a volé en éclats, mais que j'ai perdu certains morceaux.
- Elle en fait partie, n'est-ce pas ?
Je souffle. Evidemment qu'elle en fait partie.
- Envoie-lui un message.
La ferme.
- Elle te répondra. Je le sais. Et tu le sais aussi.
- Je l'ai abandonnée, dis-je plus pour moi que pour lui.
- Et t'as peur qu'elle t'en veuille ?
- Non, me contenté-je de répondre.
Je n'ai pas peur qu'elle m'en veuille. Elle devrait m'en vouloir, elle devrait me détester, c'est ce qu'il y a de mieux pour elle. Plus elle est loin de moi, plus elle est en sécurité. Plus elle évolue sans moi dans sa vie pour la ralentir, plus elle sera heureuse. Je ne suis qu'un poison, un poids et j'ai peur de souffler sa lumière comme une bougie.
- Alors quoi ? Tu la crois quand même pas capable de tirer un trait sur votre amitié juste parce que son trou du cul de meilleur pote a vu en elle un espoir et qu'il a flippé, quand même.
- La ferme, lâché-je.
- Tu l'as laissée tomber, c'est vrai. Et c'était une connerie. T'aurais pas dû t'éloigner d'elle, t'aurais pas dû te renfermer comme ça, t'aurais pas dû laisser vos liens s'amincir jour après jour simplement parce que t'étais en train de sombrer et que t'avais peur de l'entraîner avec toi parce qu'elle non plus, elle allait pas bien. C'est vrai, t'aurais pas dû. Mais tu sais ce qui serait encore pire que de l'avoir abandonnée ?
Je tourne la tête vers lui pour l'inciter à continuer, mais il ne dit rien. Le visage toujours fixé sur le ciel, il prend tout son temps pour chercher ses mots et trouver le courage de me les envoyer à la figure.
- Pas réessayer. Ce serait encore plus con de pas retenter. Parce que là, ça voudrait dire que ce serait un vrai abandon, un truc définitif. Alors que si tu fais demi-tour, ce sera plus une erreur qu'une fuite. Elle mérite que tu lui rappelles à quel point elle compte pour toi et toi, tu mérites une seconde chance.
- Je peux pas faire ça. Si je fais ça, ma noirceur l'engloutira.
Je sens son regard insistant me décrypter, mais je suis de nouveau focalisé sur les astres. J'esquive tout contact visuel avec lui. Je fuis. Comme toujours...
- Y'a pas qu'elle que t'as abandonnée, finalement, affirme-t-il calmement. Toi aussi, tu t'es laissé tomber. Toi aussi, tu t'es lâché.
Il se redresse d'un seul coup, en expirant bruyamment.
- Elle t'aurait jamais laissé faire un truc pareil. Elle t'aurait jamais laissé lâcher prise à ce point là pour te laisser envahir par la douleur. Jamais.
Je souris alors qu'il ne me voit pas. C'est vrai, elle ne m'aurait pas laissé faire ça. Ses yeux marron, ses yeux à elle, étincellent un instant dans mes souvenirs et ma gorge se serre. C'est ma meilleure amie, et j'ai tout foutu en l'air.
- Bah tu sais quoi ? Moi non plus, je te laisserai pas faire, m'annonce-t-il, alors qu'il dégaine son téléphone portable.
Je fronce les sourcils en m'asseyant vivement sur le sable pour scruter le moindre de ses faits et gestes, mais c'est trop tard, il me tend déjà l'appareil.
- L'appel est en cours, tu te démerdes comme tu veux, mais tu la fais pas souffrir.
J'écarquille les yeux et mon coeur rate un battement pour ensuite s'accélérer comme un fou, pendant que j'entends sa petite voix à l'autre bout du fil. Elle est obligée de répéter trois fois un léger "allo ?" assez exaspéré, et à la seconde où je comprends qu'elle va hausser le ton, mes cordes vocales se réveillent.
- Tu me manques.
Un long silence suit ma déclaration et je crois un instant qu'elle a fini par raccrocher en reconnaissant ma voix. Elle pourrait mettre fin à cette mascarade et me haïr pour ne plus jamais m'adresser la parole. Elle aurait raison de le faire.
- Toi aussi tu me manques, No'... chuchote-t-elle, en m'envoyant tous les craquèlements que renferment sa voix en pleine face.
Je ne devrais pas, mais je prie pour que notre ami commun ait raison et qu'elle m'offre une seconde chance.
Parce que, cette fois, je suis prêt à la saisir.
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