Sa petite fille n'avait jamais existé

Yo, je sais, je passe quasi jamais ici, mais j'ai eu ce texte dans la tête, alors je vous le mets là.

Il répond pas à un défi quelconque, je l'ai vraiment écrit comme ça, d'une seule traite, sans relecture, sans rien. Alors je sais pas ce qu'il vaut, mais il est là.

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Elisabeth était là, assise sur ce vieux canapé jaunâtre et elle regardait un morceau de papier plastifié. Une photo. Un souvenir. Une image disparue. Comment était sa fille aujourd'hui ? Est-ce qu'elle avait toujours ce sourire collé aux lèvres ? Est-ce qu'une lueur indescriptible était toujours piégée dans son regard ? Est-ce qu'elle vivait même encore ?

Peut-être que le temps avait effacé cette petite fille. Peut-être que cette petite fille n'avait finalement jamais existé. Peut-être qu'Elizabeth avait fait une erreur et qu'elle n'arrivait pas à l'admettre. Était-ce de sa faute si sa fille était devenue ce qu'elle était aujourd'hui ? Avait-elle raté quelque chose ? Et puis pourquoi n'avait-elle jamais remarqué ce qui grandissait là, juste sous son nez ? Elizabeth ne pouvait pas s'empêcher de se poser ces questions encore et encore. Comme un vieux disque rayé qu'elle refuserait de jeter par peur de perdre le dernier lien qu'elle avait encore avec sa fille. Sa petite fille. Sa petite princesse. Cette enfant qu'elle avait tenté d'élever et d'aimer malgré la mort qui les entourait constamment.

Ce bébé, Elizabeth l'avait longtemps voulu et après un premier avortement douloureux, elle avait cru à un miracle lorsqu'elle avait compris qu'un nouveau petit être fragile prenait vie en elle. L'avait-elle conçu avec l'homme de sa vie ? L'avait-elle conçu avec un homme bien ? Elle ne le savait pas, mais sur l'instant, elle ne s'était pas posé la question, elle s'était contentée de remercier le ciel pour cette nouvelle chance.

Elizabeth a toujours aimé l'enfant qui s'éveillait doucement à ses côtés, mais la vie ne l'a pas épargnée. Elle croyait même à un acharnement injustifié parfois, dans les moments les plus sombres, où même cette petite fille n'était pas assez lumineuse pour lui montrer le chemin. Pour éclairer le bout de ce tunnel duquel elle semblait ne plus pouvoir sortir.

Aujourd'hui, cette petite fille avait grandi. Aujourd'hui, cette petite fille était partie. Elle s'était enfuie vers un avenir incertain, un avenir dangereux, un avenir qu'Elizabeth ne voulait pas pour sa petite princesse. Mais que pouvait-elle faire, désormais ? Que pouvait-elle dire ? Elle était devenue impuissante, gardée à l'écart de la vie de sa propre enfant. Deux perles salées et chargées d'émotions s'écoulèrent sur ses joues creusées par la maladie et la douleur, mais elle les essuya bien vite. Elle avait beau fouiller son vécu pour comprendre, passer en revue chacune de ses décisions, des meilleures aux plus mauvaises, elle n'arrivait pas à identifier la première cassure. La première déchirure. La première fois que ce lien indestructible avait été éraflé.

Était-ce la première fois où les rôles avait été interchangés ? Était-ce le jour où, ivre, elle avait osé lever la main sur une enfant après l'avoir secoué pour une raison illusoire ? Était-ce lorsqu'elle avait tremblé et hurlé pendant des heures la première fois que les médicaments lui avait manqué ? Était-ce le jour atroce où elle avait choisi de partir en laissant la chair de sa chair faire face au monde sans elle une énième fois ? Ou peut-être était-ce tout autre chose. Est-ce que ça aurait pu être ce premier Noël que sa fille avait vécu seule ? Ou alors était-ce la première fois que sa fille l'avait protégée d'un homme infâme qu'elle avait elle-même choisi et défendu ?

Tellement d'années s'étaient écoulées sans qu'elle ne puisse échapper aux conséquences de ses choix. Aux conséquences de ceux de l'homme qui l'avait détruite si peu de temps après la venue au monde de ce qui aurait dû être l'un de leurs plus beaux trésors. Il s'était passé tellement de choses qu'Elizabeth ne parvenait pas à se rappeler de la seconde décisive où tout a basculé. De la seconde de trop, celle qu'elle aurait dû retenir pour que le cœur de son bébé n'explose pas.

Mais quelle importance désormais ? Sa fille s'en était allée sans se retourner. Elle l'avait abandonnée en clamant qu'elle était à bout de souffle et qu'elle ne pouvait plus continuer de se débattre au risque de mourir étouffée. Peut-être que finalement, ce n'était pas de sa faute à elle, pensa Elizabeth. Peut-être que l'enfant qu'elle avait mise au monde était simplement ingrate et sans cœur. Peut-être que quelque chose n'allait pas chez cette gamine, après tout. Ou alors c'est cette personne qu'était devenue sa fille qui était tombée dans la folie. Peut-être que c'était l'inconnu qui avait remplacé sa fille qui était fautif dans cette histoire. Ce jeune homme si mal dans sa peau, si étranger à son propre corps... Peut-être que c'était lui le coupable, peut-être que c'était lui qui avait fait changer sa fille et qui l'avait tuée.

D'ailleurs, où était sa fille maintenant ? Est-ce qu'elle était vraiment morte ? Est-ce qu'elle avait simplement disparu comme s'il l'avait kidnappée ? Est-ce qu'elle était un peu en lui comme il avait toujours été en elle ? Et si, depuis toutes ces années, cette petite fille n'avait jamais existé ? Et si Elizabeth avait fait une erreur ? Et si elle n'avait jamais eu de petite fille, mais qu'elle mis au monde un petit garçon ? S'en serait-elle rendue compte malgré les caractéristiques corporelles qu'elle croyait connaître par cœur ?

Elizabeth lâcha la photographie, se leva et avança difficilement jusqu'à la fenêtre. Elle l'ouvrit sans faire attention au froid mordant de l'hiver et elle observa le ciel comme son fils avait l'habitude de le faire. Pourquoi aimait-il autant les étoiles ? Pourquoi passait-il autant de temps la tête dans les nuages ? Elle n'en avait aucune idée et elle n'avait jamais trouvé pertinent de lui poser la question. De toute façon, elle ne posait jamais de questions, à quoi bon ? Il ne lui aurait probablement pas répondu. Il ne parlait pas beaucoup, il se contentait décrire des textes qu'elle ne lisait pas. Elle n'en avait lu qu'un, elle n'avait posé les yeux que sur cette unique feuille de papier qu'il avait dissimulée dans sa chambre pour que personne ne le voit, pour que personne ne le trouve et elle avait déchiffré chaque mot secret qui ne lui était pas adressé. Tout ce qu'elle y avait lu lui avait brisé le cœur, alors c'était ce genre de choses qu'il s'amusait à écrire ? Alors c'était ça qu'il faisait de ses journées ? Il noircissait des pages et des pages de mensonges ?

Un sanglot s'échappa de la gorge de la cinquantenaire pendant qu'elle se remémorait les phrases violentes imbibées de peurs incohérentes qu'elle avait pu lire. Elle n'arrivait toujours pas à comprendre ce qui avait pu lui passer par la tête, elle ne savait pas pourquoi il avait écrit de telles immondices, mais encore une fois, elle ne lui avait pas demandé.

Une étoile filante laissa une traînée blanche sur le tableau noir qui la surplombait et elle se demanda ce que son fils ferait devant un tel spectacle. Est-ce qu'il sourirait ? Est-ce qu'il baisserait les yeux ? Est-ce qu'il pleurerait ? Est-ce qu'il chuchoterait ? A quoi penserait-il ? Que lui évoquait les astres ? Elizabeth soupira, comment se faisait-il qu'elle ne pouvait pas répondre à de si simples questions ? Une triste idée traversa son esprit et de nouvelles larmes s'écrasèrent sur son visage fatigué : peut-être ne connaissait-elle pas son propre enfant. Peut-être ne le connaissait-elle plus. Peut-être avait-elle cesser d'essayer de le connaître à la seconde où il a tenté de lui expliquer qui il était.

Mais peu importait désormais, son fils était parti vivre une vie qu'elle n'avait pas choisi et il lui manquait. Tout ça n'avait plus aucune importance parce qu'elle avait fait une erreur.

Sa petite fille n'avait jamais existé et elle n'avait pas pris le temps de rencontrer son petit garçon.

Alors elle observait la nuit scintiller devant elle en espérant que l'être qui aurait dû être l'un de ses plus beaux trésors le regardait, lui aussi.

Et qu'il souriait.

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