Mensonges
Salut, aujourd'hui on se retrouve pour l'un des thèmes de mon challenge.
Je précise que parfois je mettrais un titre en particulier, comme ici et parfois je mettrais juste le thème du challenge si j'ai pas d'idée de titre.
Que pense votre personnage de la spiritualité ?
Musique proposée : Long Since Gone - Simon Daum. (En média).
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- Isaiah ?
Je lâche les étoiles qui brillaient de l'autre côté du velux des yeux pour la regarder. Allongée à côté de moi, elle me dévisage à l'aide de ses magnifiques prunelles vertes et je me demande si elle va finir par changer d'avis en me demandant de coucher avec elle. Après tout, c'est pour ça qu'on me paye normalement. Elle m'observe un moment, comme si elle attendait que je lui réponde quelque chose. Ses pupilles passent furtivement sur mon torse nu, pour finalement s'attarder sur mon bras tatoué. Elle reste un moment bloqué sur l'encre qui colore ma beau blanche et je ne tiens plus, il faut que je brise ce silence. Je n'ai pas l'habitude qu'on me paye pour passer une heure à ne rien faire, à ne rien dire.
- Belle inconnue ?
Un petit rire mignonnet lui échappe et je me demande ce qu'une fille aussi pure et sereine qu'elle peut faire dans un endroit pareil avec un garçon comme moi.
- Si tu pouvais être n'importe où ailleurs, où est-ce que tu aimerais te trouver ?
A mon tour de la fixer curieusement. Je n'arrive pas à croire qu'elle ait gaspillé son argent pour me poser des questions existentielles. J'inspire profondément pour tenter de faire abstraction de mon incompréhension et réfléchir vraiment à ce qu'elle me demande. Après tout, si elle a payé pour ça, autant que je sois honnête.
- J'en sais rien. Je suppose que ce serait pas un endroit trop différent d'ici. Je serais probablement allongé à regarder les étoiles, comme je le faisais avant de te regarder toi. Sauf qu'y'aurait pas de velux pour me séparer du ciel. Je me vois bien allongé dans de l'herbe fraîchement coupée pour pouvoir sentir l'odeur du gazon. Une herbe un peu humide à côté d'un lac, au beau milieu de nulle de part. Face à face avec la nuit.
Ses yeux pétillent et sa jolie frimousse s'illumine, on dirait que ma réponse lui plait. Étrangement, une bouffée de joie m'envahit. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis content d'avoir pu lui faire plaisir, d'avoir réussi à formuler quelque chose de sincère sans qu'elle ne le remette en cause et sans qu'elle ne juge quoi que ce soit. Elle semble simplement heureuse d'avoir obtenu une réponse franche. Peut-être que ça ne lui arrive pas souvent, à elle non plus, de rencontrer quelqu'un qui accepte d'échanger avec elle sans la regarder comme si elle était complètement dingue, complètement ravagée par des idées qu'elle est seule à comprendre. En y repensant, c'est peut-être pour ça qu'elle a préféré payer un inconnu pour s'exprimer.
- Tu as l'air d'avoir un lien profond avec les étoiles, affirme-t-elle. Peut-être que tu as été astrologue, dans l'une de tes vies antérieures.
Je souffle du nez.
- T'es du genre spirituelle ?
- Et toi, tu l'es ? élude-t-elle.
Je reporte mon attention sur les astres, même si je sens toujours son regard sur moi.
- Moi, j'y connais rien, à tout ça, mens-je.
- Et qu'est-ce que ça t'inspire, la spiritualité ?
Je serre les dents et tente de balayer l'image de ma mère, dansant avec sa robe à fleurs dans le jardin de cette maison qui n'est plus qu'un tas de ruines et de cicatrices.
- Je sais pas trop. ça m'inspire des gens que personne prend au sérieux. Des gens un peu à l'écart du monde, un peu du genre hippie. Des gens qui jouent avec des jolis cailloux de toutes les couleurs et qui s'amusent à faire les ninjas avec sept chakras qu'on connait pas.
Nouveau mensonge. Je sais exactement de quoi elle parle et je sais que ce que je viens de dire est la pire caricature qu'on peut faire de la spiritualité, mais je suis incapable de parler de ma mère à cette fille, même si elle me payait le triple de ce qu'elle m'a donné ce soir. Je l'entends rire et je me reconcentre sur elle. Elle n'a pas l'air le moins du monde contrariée par la stupidité de ma réponse.
- Donc tu n'y connais rien, mais tu sais combien il y a de chakras et tu sais que la lithothérapie existe ?
Touché.
Je revois encore ma mère déposer la pierre qu'elle appelait "l'oeil du tigre" dans ma petite main. Je me souviens ne plus avoir été capable de m'arrêter de sourire, je trouvais ce truc magnifique. "C'est pour ton chakra du plexus solaire" que disait ma mère. Elle m'expliquait toujours ce que faisait les pierres et celle-là devait me protéger. C'était une pierre de protection contre le mauvais oeil et la négativité, c'était une pierre qui devait aussi favoriser ma créativité et ma productivité. Le genre de pierre qui puise dans sa propre énergie pour m'épauler et qu'il faut donc nettoyer et recharger régulièrement. Cette pierre à la con que j'ai toujours, quelque part, dans mon appartement.
Je connaissais les noms des pierres par cœur, je savais que la sodalite était la pierre de l'humilité et que c'était aussi la plus belle à mes yeux. Je savais que j'aimais pas la citrine parce que ma mère disait que c'était "la pierre de l'argent" et que c'était le seul truc que j'avais retenu. Je savais qu'il existait une pierre noire qui correspondait au chakra racine, mais j'ai oublié son nom depuis. Je connaissais par cœur les sept chakras et leur couleur respective. Je retenais tout ce que ma mère voulait bien m'apprendre et je croyais dur comme fer au pouvoir de ces machins.
- Disons que j'en ai entendu parler, alors.
Le sourire de la fille s'agrandit et je me rends compte à quel point elle me fait penser à ma mère quand elle était jeune. La même lueur dans les yeux, la même conviction incroyable, la même bienveillance à toute épreuve et... Le même style de robes affreusement fleuries.
- Alors ça ne représente rien, pour toi, la spiritualité ?
- Non, pas vraiment, c'est pas trop mon truc, je crois.
C'est la troisième fois que je lui mens aujourd'hui, elle aurait peut-être mieux faire de payer quelqu'un d'autre, finalement.
- Tu n'es pas un très bon menteur, tu sais, dit-elle calmement en se redressant et bondissant souplement hors du lit.
Il n'y avait aucune déception dans sa voix, aucun reproche, juste une affirmation simple. Elle me sourit encore avant de me faire un signe de la main en se dirigeant vers la sortie.
- Pour moi, la spiritualité, ça représente l'époque où ma mère souriait encore, lancé-je.
Elle s'arrête et je devine que son sourire s'agrandit.
- L'animal totem du dragon, c'est faire confiance à sa capacité de victoire, accepter le défi et l'imprévu. C'est un peu comme passer à l'action en se libérant de la notion de combat, tu vois ?
Je hoche la tête comme un idiot, alors qu'elle me tourne toujours le dos.
- ça te va plutôt bien, je pense que ce sont des objectifs qu'on t'invite à poursuivre, m'annonce-t-elle avant de passer la porte pour disparaître de ma vie.
Je reste là, la bouche entrouverte, à moitié allongé dans le lit en observant mon bras. En observant ce tatouage qui est trait pour trait le même que celui de mon père. En observant ce dragon qui n'avait jamais vraiment eu de signification pour moi et je me rends compte qu'elle a raison.
Il me va plutôt bien.
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