Je ne pleure pas

Ne pas pleurer.
Jamais.
Quoi. Qu'il. Arrive.

Il essaie, chaque jour. Chaque putain de jour de sa misérable vie, comme il le dirait si bien. Il tente, par tous les moyens, de faire fuir les torrents qui menacent de s'écouler sur ses joues et de lui rappeler qu'il ne laisse jamais personne les éponger.

Ce soir là était l'une de ces fois, l'une de ces tentatives. Un putain d'échec de plus. Devant le miroir, il se défie. Il se méprise. Il observe ses joues et les met en garde. Il fixe la tristesse qui brûle dans ses prunelles en la chassant à coup de rage et de haine.
Il ne pleurera pas. Pas pour elle. Pas encore. S'il avait suivi les règles, elle n'aurait pas pu pénétrer dans sa forteresse. S'il avait suivi les règles, elle ne l'aurait pas détruit.

Ne pas s'attacher.
Jamais.
Quoi qu'il arrive.

Un souvenir apparaît, là, dans un coin du miroir. Ses pupilles se jettent dessus et s'effondre sur ses doigts qui se battent les uns avec les autres.
Qu'elle aille se faire foutre.
Il a beau se répéter ces quelques mots, il a beau les graver au plus profond de sa chair, il a beau les hurler à l'obscurité de la nuit, rien y fait. Rien ne fonctionne.

Elle ne disparait pas.
Jamais.
Quoi qu'il arrive.

Elle est partout, tout le temps et il le sait. Rien ne peut l'effacer, aucune partie de lui ne la laisse s'en aller.
Une tâche assombrit soudain ses manches grises. Puis deux. Puis trois. Il relève vivement la tête vers son reflet, la colère grondant dans sa poitrine fatiguée.
Des larmes. Des putain de larmes. Il les essuie brutalement. Plusieurs fois. Encore et encore. Quitte à se lacérer la peau, quitte à déchirer les dernières parcelles de faiblesse qui jonchent son âme déchiquetée. 

Qu'elle aille se faire foutre.
Qu'elle aille se faire foutre.

- Qu'elle aille se faire foutre !

Sa voix explose dans la pièce comme un coup de feu. Une détonation violente et incontrôlée qu'il aurait préféré garder pour lui. Là, enfouie dans les quelques lueurs brillantes subsistant parmi les débris et s'éteignant une à une, en silence. Là, en plein milieu de ce coeur qu'il aurait préféré pulvériser en appuyant lui-même sur la gâchette.

Il le savait pourtant. Il connaissait la fin de l'histoire avant même d'avoir attraper le livre. Pourtant il l'a ouvert et il s'est plongé dans le roman. Une putain d'erreur. Il s'est accroché trop vite, il s'est ouvert trop grand, il n'aurait pas dû.

Ne pas faire confiance.
Jamais.
Quoi qu'il arrive.

Rien ne dure jamais avec lui. Qui voudrait jouer avec le feu ? Qui oserait s'approcher d'un poison ? Qui s'aventurerait près d'une tempête ? Personne, évidemment.
Alors pourquoi l'avait-elle fait ? Pourquoi l'avait-il laissée faire ? Pourquoi diable voulait-il encore qu'elle revienne ?

Son avant-bras rempli d'encre balaie le lavabo et tous les produits s'éclatent sur le sol. Tout se casse la gueule. Tout dégringole alors qu'il vole en éclats. Son poings se serre, sa mâchoire se crispe et son corps s'enflamme. Sa hargne s'envole et la feuille d'argent se fissure, puis rougit.
Un liquide visqueux s'engouffre dans chaque brèche, chaque cratère, chaque blessure, avant de finalement se laisser atteindre par la gravité qui le cloue au sol.

Ses genoux lâchent, des spasmes le secouent et il s'étonne de se laisser glisser le long du mur alors que son esprit vogue vers la fenêtre. Quelques diamants l'y attendent sagement. Les seuls qui se sont jamais barrés comme des lâches. Son regard flotte quelques instants, lui laissant croire que la crise est passée.

- Putain de merde !

Il se relève à la hâte et ses phalanges rencontrent de nouveau l'obstacle tranchant. Une fois. Deux fois. Cinq. Sept. Il ne s'arrête plus. Rien ne pourrait le stopper. Même pas la douleur, même pas l'hémoglobine qui s'échappe et ravage l'intégralité de la pureté blanchâtre régnant en maître dans la salle.
La lune. Il a croisé la lune. Cette putain de traîtresse.

La fatigue estompe ses coups, le manque d'oxygène l'oblige à faire une pause et un sanglot éclate.
Puis deux.
Puis trois.

Ne pas pleurer.
Jamais.
Quoi qu'il arrive.

- Je ne pleure pas. Je ne pleure pas... je pleure pas, putain !

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