Alors écris
Salut, salut.
Je dors toujours pas et j'avais ça dans la tête, alors voilà.
C'est pas vraiment travaillé, pas vraiment réfléchi. C'est un peu bateau, mais c'était là, alors je l'ai laissé venir.
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Il marchait. Il s'aventurait dans les méandres de la nuit, pieds nus et sans aucune crainte. Il leva les yeux vers le ciel en recrachant la fumée qui lui brûlait la poitrine et sûrement quelques instants de vie en plus. Les étoiles étaient là, elles semblaient même le guider vers une destination floue, incertaine, presque perdue d'avance.
La braise s'illumina alors qu'il tirait sur une énième cigarette et le chemin noir qui se dressait devant lui disparu pendant une fraction de seconde. Un instant infime qu'il aurait souhaiter plus long. Son paquet se vidait à vue d'œil, combien en avait-il fumé jusque là ? Sept ? Peut-être huit ? Plus que ça ? Il n'en avait aucune idée. De toute façon, ça n'avait aucune importance.
Il tourna la tête sur la gauche, observant le lac qu'il voyait au loin, mais qu'il ne pouvait pas approcher à cause du grillage qui entourait les alentours. ça devait être paisible comme endroit, un paradis dans lequel il aurait aimé pouvoir se perdre et s'effacer. Il ne connaissait pas l'homme qui vivait tout près de l'étendue d'eau qui lui appartenait, mais il l'enviait. Il enviait sa solitude et ce lieu qui était sien. Peut-être avait-il une famille aimante non loin de là, peut-être pas. Peut-être était-il heureux de terminer ses jours dans un endroit comme celui-ci, peut-être pas. ça aussi, ça importait peu. Tout n'était qu'une question de perception et ce qu'il percevait de ce vieil homme qui dormait sans doute, c'était une magnifique demeure. Aussi rassurante que mystérieuse.
Une lumière vive stoppa soudain le cours de ses pensées et le jeune garçon fit volte-face. Il leva un bras tatoué en guise de protection contre la lueur qui l'éblouissait et entendit des pas résonner sur les graviers de la terrasse d'à côté. Quelqu'un s'approchait de lui, mais il ne bougea pas. Il se contenta d'enflammer la nouvelle tige qu'il venait de porter à ses lèvres de sa main libre en fixant la lampe torche qui venait à lui.
- Eh, petit, qu'est-ce que tu fais ici, à cette heure-ci ? Tu m'as fichu une peur bleue ! s'exclama une voix nasillarde et fatiguée.
Le brun leva nonchalamment un sourcil en laissant un nuage gris s'échapper de ses poumons.
- Moi ? Rien, j'imagine simplement la couleur qu'aurait pu prendre ma vie si j'avais été quelqu'un d'autre, affirma-t-il d'un ton calme.
- Viens avec moi, gamin.
Le jeune homme écrasa sa cigarette contre un poteau en pierre et suivi son aîné sans réfléchir. Après tout, que pourrait-il lui arriver de pire ? Ils entrèrent dans la l'habitation vétuste et le gamin s'agenouilla pour caresser la tête du minuscule chien noir qui remuait la queue devant lui. Un faible sourire vint illuminer son visage marqué et il finit par s'asseoir en tailleur à côté de l'animal. Le vieil homme qui s'était affairé dans la cuisine remplie de meuble en bois fit demi-tour pour rejoindre son compagnon d'un soir, deux verres dans une main et une bouteille dans l'autre.
- Bois ça petit, ça répare rien, mais ça réchauffe les cœurs glacés, dit-il en avalant la liqueur cul-sec.
Le brun scruta le récipient d'un œil curieux, sans cesser de câliner son nouvel ami poilu.
- Alors, dis-moi, pourquoi passes-tu tes nuits à créer la vie de quelqu'un d'autre alors que tu pourrais vivre la tienne ? repris la voix nasillarde qui n'eut qu'un rictus cynique comme toute réponse.
Le jeune homme qui venait tout juste d'avoir vingt ans attrapa ce que son hôte lui avait servi et l'engloutit d'une traite. L'alcool était fort, bouillant. Il lui enflammait les entrailles, mais ne paraissait pas atteindre son cœur. Peut-être n'en avait-il plus, peut-être qu'à force de le réduire en miette, il n'en restait plus rien. Il dévisagea la chevelure grisonnant du grand-père, mais n'ouvrit pas la bouche, alors celui-ci se contenta de les resservir. Après quelques verres et quelques brûlures supplémentaires, le dessin d'un corps sali, d'un amour fuyard et d'une famille décimée apparu dans son jeune esprit déjà tourmenté.
- Parce qu'il y a certaines histoires que personne n'aimerait vivre, murmura le gamin pour répondre à la question qui lui avait été posée bien plus tôt.
Son regard se figea sur le carrelage de mauvais goût et les images se rallumèrent à l'intérieur de sa boîte crânienne endolorie. Il voyait le dégoût qui suintait des draps usé d'un lit qui n'était pas le sien. Il apercevait la chevelure foncée de la passion qui flottait loin de lui et qui s'évaporait pour l'abandonner encore une fois. Il contemplait les yeux vides et l'air désolé du médecin qui avait condamné à mort le dernier souffle d'espoir qu'il pensait avoir suffisamment bien protégé. Il subissait tous les films que sa mémoire refusait de supprimer ou de mettre en pause dans un silence déconcertant.
- Ce n'est pas parce qu'un récit est triste, que le livre ne peut pas être beau, se contenta de répondre le vieil homme qui refusait de voir une énième étoile innocente s'éteindre.
- Peut-être que je n'aime plus lire, dans ce cas, répliqua le brun.
Le grand-père sourit tristement en plaçant une main veineuse et compatissante sur l'épaule frêle d'une âme qui respirait à peine.
- Alors écris, fiston. Écris.
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