9 🌊
Les vagues s'écrasent à mes pieds.
Il est tard. J'espère que mon père n'attend pas mon retour pour s'autoriser à aller se coucher.
Je suis seul.
Le soleil s'est couché.
Et il n'est pas venu.
Il fallait que je m'y attende. Il était trop beau, trop spontané, trop idyllique pour être réel. Un instant, je me demande même si je ne l'ai pas imaginé, ou rêvé. Mais c'est idiot.
Je me sens idiot. Je pensais vraiment que, peut-être, une part de moi avait pu l'intéresser. J'attendais cette soirée avec impatience, mais plus les minutes s'écoulent, et plus la déception creuse mes traits.
Je ne sais pas pourquoi j'y porte autant d'intérêt, de toute façon. Je vais simplement rentrer chez moi, passer devant ce rocher qu'il a escaladé avec tant de facilité hier, et marcher jusqu'au gîte pour me fondre dans des draps qui n'accueilleront même pas le sommeil.
Je serre mes baskets entre mes doigts, et fais demi-tour.
Mais soudain, dans la pénombre, sous l'éclat d'une nuit étoilée, une silhouette se précipite dans les escaliers. Je la suis des yeux, stupéfait, avant qu'elle ne saute les trois dernières marches pour atterrir les pieds dans le sable. Il semble essoufflé. Je dévisage son visage que j'imagine rougi par l'effort.
Moi aussi, j'aimerais tant pouvoir courir comme ça.
Sans aucun vertige.
Sans ces tâches blanches devant mes yeux qui me donnent l'impression que je vais mourir.
"J'ai cru que tu ne viendrais pas." je lâche, peut-être trop durement.
"Je tiens toujours mes engagements."
"Il est tard. J'allais partir."
"Mais je suis quand même là. Et toi aussi. Alors tout va bien, non ?" sourit-il.
J'acquiesce, n'ayant pas la force de jouer les rancuniers. La vérité, c'est que le soulagement qui s'évade dans le soupir que je lâche m'empêche de lui en vouloir trop longtemps.
Le garçon sourit un peu plus, puis s'avance.
"Je peux ?" me demande t-il.
Je hoche la tête sans même comprendre ce qu'il me demande. Je crois qu'au point où j'en suis, je n'ai pas la force de refuser quoi que ce soit. Et c'est impossible de ne pas céder aux deux billes intenses de ce garçon. On dirait qu'elles ont été façonnées par la mer. Ou par la roche, peut-être.
Il laisse tomber un sac au sol, qui doit contenir ses affaires, puis saisit mon poignet. Je ne m'écarte pas, curieux. Ses doigts se referment autour de mon membre. C'est doux et rugueux à la fois au toucher. C'est alors qu'il me tire à sa suite, et nous emmène calmement devant l'étendue d'eau.
Je me laisse faire, tel un pantin, et alors il ne s'arrête pas de marcher. Même lorsque ses pieds, que je réalise nus, entrent en contact avec les vagues. Il continue sa descente, lâche mon poignet, et continue encore et toujours de s'enfoncer, si bien que l'eau vient tremper son pantalon qu'il ne retrousse même pas, ainsi que le début de son bassin.
Il est fou, est ce que je me mets à penser.
J'ai envie de le suivre, ajoute une petite voix dans un coin de ma tête.
Soudain, il entame un saut, plonge tête la première sous une vague. Je fais un pas en avant, alerté. Je me dis qu'il n'a vraiment aucune conscience du danger. Puis je me souviens que se baigner dans une eau aussi peu agitée n'est dangereux que pour moi et mon corps faible.
Il sort de l'eau, balance ses cheveux trempés en arrière. Des gouttelettes voltigent avec le vent jusqu'à m'atteindre. Je ferme un oeil par réflexe.
"Bah qu'est-ce que tu fais, tu ne me rejoins pas ?"
Un sourire s'esquisse au bord de ses lèvres. J'aurais presque envie de rire, mais je baisse la tête, les yeux rivés aux vagues qui lèchent mes orteils.
"Je ne peux pas me baigner." j'avoue à demi-voix.
"Tu as peur de l'eau ?" tente t-il, mais je secoue la tête.
Je n'ai pas peur de l'eau. Je l'ai toujours aimée. J'étais le premier à plonger tête la première lorsqu'on avait piscine à l'école. Je me souviens qu'Arin, elle, me regardait faire, tremblotante sur le bord. Je lui hurlais "Allez, plonge !", et elle secouait la tête, faisant valser ses cheveux tirés en deux longues couettes : "C'est trop haut, Kook..."
"Alors si tu n'as pas peur, viens ! Tu as peur de tremper tes vêtements ? Même la nuit, il fait bon avec ces températures, ça séchera rapidement !"
Je secoue la tête, fais un pas en arrière.
"Ce n'est pas ça. Je... j'ai peur de tomber, et que mon corps lâche."
"Que ton corps lâche ? Pourquoi lâcherait-il ?"
"Je ne sais pas..."
Parce que je n'ai pas mangé depuis plusieurs jours. Que des vertiges affreux me prennent depuis ce matin. Et que mes nuits de sommeil se font de plus en plus courtes et mouvementées.
L'air de la mer n'arrange rien. Mes parents avaient tord de m'emmener ici.
"Allez, laisse toi aller !" me crie t-il, avant qu'il ne sombre de nouveau sous les eaux.
Il met tant de temps à remonter que je m'avance inconsciemment. L'eau arrive à mes genoux à présent, et lorsqu'il émerge, son regard capte le mien.
Il ne me suffit que de ça pour que je me décide à franchir la dernière barrière. Je me retourne, dos à lui, et écarte les bras pour me laisser tomber dans la mer. À l'instant où j'atterris dans le liquide, une vague me passe par-dessus, et je souris sous l'eau. Puis je cherche la surface, la trouve, écarte les mèches qui barrent mes yeux pour voir que le garçon est en train de rire.
Je ris à mon tour, étonné.
Je traverse la distance qui me sépare de lui, en ignorant mes jambes qui peinent à tenir le coup de mon acte aussi violent.
C'est affligeant, de se sentir aussi faible, en permanence.
"C'est bon, tu es content ?" je lance, amusé.
Il ne répond rien, se contente de m'éclabousser avant de fuir. Une goutte épaisse d'eau de mer atterrit sur ma langue. Je tousse en sentant le goût écoeurant éclater sur mes papilles. Je repère son corps qui s'éloigne en nageant, et m'élance à sa suite, un sourire aux lèvres.
La lune éclaire nos êtres trempés qui se poursuivent dans la masse mouvante de l'océan. Je ris franchement lorsque je réussis à l'atteindre. Je forme une coupelle avec mes mains pour amasser l'eau salée en son centre et la jeter sur mon adversaire.
Il s'apprête à me balancer de l'eau à son tour mais je l'arrête, essoufflé.
"C'est bon, on est quitte !"
"Si tu veux." rit-il. "Tu te débrouilles bien, pour quelqu'un qui a peur de l'eau."
"Je n'ai pas peur de l'eau !" je me défends.
"T'es pas banal, tu sais ? Personne ne m'aurait suivi. On ne se connait qu'à peine, et tu n'as pas réfléchi une seconde avant de plonger à ma suite."
"T'as pas l'air méchant."
"Ah bon ?"
"Nan."
Je suis à court de souffle, mais tente de ne rien en montrer. Mes poumons crachent mais ce n'est pas le pire. Le pire, c'est mes jambes que je sens flageoler, et mes yeux qui clignent à répétition, comme épuisés de devoir rester ouverts.
"Tu n'écris rien, aujourd'hui ?" me demande-t-il.
Il se met sur le dos, en étoile de mer, battant doucement des jambes et des bras pour se maintenir à la surface. Ses cheveux châtains flottent autour de lui comme un halo, alors que le tissu de ses vêtements amples s'étale dans la mer.
"Non. Je n'avais pas l'esprit pour."
"Tu me parleras de ton roman ?"
Je fixe son profil, et soudain, un vertige puissant me prend. Je tangue, ferme les yeux très fort, retiens ma respiration qui s'emballe.
"On... O-on peut revenir vers la plage ? S'il te plaît."
Il abandonne sa position allongée, me dévisage, puis acquiesce.
Je me dirige vers le rivage, pressé de retrouver la terre ferme et le plein contrôle sur mes actions. Si je tombe là-bas, au moins, ce n'est pas très grave.
Je m'assois tout juste à la frontière de l'eau et du sable, ramenant mes genoux à moi pour enrouler mes bras autour. Le châtain décide de s'installer à mes côtés, les jambes étendues devant lui, ses bras écartés en arrière pour se maintenir.
"T'as pas l'air d'aller bien." souffle-t-il.
Je laisse mon regard voguer sur l'horizon et la nuit qui rend l'eau aussi noire que mes cauchemars les plus enfouis.
"Peut-être. Toi non plus."
"Peut-être."
Je souris. J'imagine qu'il en fait de même.
Nos vêtements collent à nos peaux. Étrangement, c'est la dernière de mes préoccupations sensorielles. Je préfère sentir l'odeur de l'écume, mélangée à celle du jeune homme à mes côtés. Puis je sens le sable qui s'infiltre un peu partout sur ma peau, nos bras qui se touchent presque dû à notre proximité.
"J'ai le droit de te poser une question ?" me questionne t-il.
"Vas-y."
"Pourquoi es-tu si frêle ?"
Je me crispe.
Il est si direct.
"Je mange peu." j'avoue faiblement.
"Pourquoi ?"
"Ça ne passe pas."
Le silence s'installe à nouveau. Il semble réfléchir. Moi, je me fonds en moi même.
"J'ai l'air si intriguant que ça, pour que tu te décides à venir me rendre visite deux soirs d'affilée ?"
C'est à son tour de ne pas savoir quoi répondre. Mais l'amusement s'invite dans le timbre de sa voix. Il hausse les épaules.
"Peut-être."
Puis il se lève.
"Je devrais y aller, il est tard."
J'acquiesce. Et drôlement, ça ne me réjouit pas. J'aurais aimé qu'il arrive plus tôt, qu'il ne me laisse pas poireauter si longtemps, et qu'il ne parte pas déjà. Sa présence me rassurait. Elle n'est pas embêtante, n'est pas blessante, puisque contrairement à tous les autres, je n'ai pas perçu de culpabilité ou de pitié dans son regard.
Seulement un intérêt sincère pour ma personne.
C'en est troublant.
Il part récupérer son sac. Je le suis.
On se dévisage. J'admire l'effet que ses mèches ruisselantes ajoute au charme de ses traits. J'admire l'image de son corps qui se révèle un peu plus à moi maintenant que ses courbes sont dévoilées par ses vêtements qui le collent.
"Demain...Tu..." commence t-il.
"Même endroit ?"
Il acquiesce, et alors je le laisse partir.
Moi, je contemple l'océan une dernière fois, de longues minutes, avant qu'un sourire placide ne prenne place sur mes lèvres et ne m'accompagne pendant tout le trajet du retour.
La nuit m'accueille difficilement. Mais pour une fois, quelques heures sans cauchemars me sont accordées.
༄༄༄
La dynamique du Taekook est en train de se mettre en place, j'espère que vous allez l'aimer ndbdkwjw
À demain et prenez soin de vous ♥︎
-Elise-
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