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"Je sors." j'annonce à mes parents.

"Tu es sûr, Jungkook ?"

Mon père me dévisage avec cette peine dans les yeux que je déteste lui voir.

Promis, un jour, j'aurais battu cette eau qui m'aspire vers le fond, et alors j'arrêterai de vous faire souffrir. Promis, un jour. Mais aujourd'hui, il n'y a rien devant moi. Rien, à part cette étendue bleue à qui je veux rendre visite encore une fois.

"Le soleil va bientôt se coucher, tu ne devrais pas sortir aussi tard, Jungkook. Et puis, tu n'as qu'à peine mangé de la journée, et si tu t'évanouissais et que nous n'avions aucun moyen de le savoir ?"

Il s'inquiète. Comme tout le monde.

"Je me sens bien, Papa, je te jure. J'ai réussi à dormir six heures cette nuit, et j'ai mangé un encas pendant que vous étiez partis faire les courses. Je veux juste descendre voir la mer."

Je n'ai jamais mangé d'encas.

Il se résigne.

"Bon d'accord. Ne reviens pas trop tard, hein ?"

J'acquiesce. J'attrape les baskets que mes parents ont acheté cet après midi en allant faire les courses, puisque je n'ai pas pu sauver mes chaussures hier. Je leur ai raconté un mensonge, quelque chose du genre ; je les ai déposées sur la plage et la mer a monté, les a englouties sans que je ne m'en rende compte alors que je m'étais posé contre un rocher pour contempler le coucher de soleil.

Je prends un carnet et un stylo avec moi, cette fois ci.

Une fois dehors, les bourrasques de vent me caressent avec une certaine rudesse. Ça ne me déplait pas. Aujourd'hui n'est pas un si mauvais jour. C'est ce que je me dis, en haussant les épaules.

Je dévale les escaliers et m'installe contre un des gros rochers, de façon à ce que j'ai la mer à ma droite et la haute falaise à ma gauche. Un vertige me prend, mais je l'ignore. Je sais que mon corps n'en fait qu'à sa tête, et que je ne ferai pas de malaise. Je commence à connaître chaque recoin des mécanismes qui m'habitent. Je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle ou non.

Je repousse une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Ils ont tant poussé. Je ne les ai jamais coupés, depuis le sept février. Je les ai laissés pousser, je les ai laissés faire leur bout de chemin autant que je me suis laissé mourir. Mais ça n'a pas d'importance.

Je saisis le stylo entre mes doigts et ouvre mon carnet à la première page. Mon regard s'égare un instant dans l'eau et les reflets orangés qui la parcourt. J'y puise de la force avant de noter quelques mots qui me passent par la tête.

Je ne sais pas quel jour on est, alors je ne vais pas mettre de date. Quelque part entre juillet et août, je ne sais pas. Je ne compte plus vraiment. Je suis en vacances avec papa et maman à l'autre bout du pays, près de la mer ; c'est le seul avantage. J'y passe la plupart de mon temps, sur une petite plage où il n'y a personne.

Je me demande ce que je devrais ressentir. Mais rien ne sort. Je ne sais plus écrire comme je le faisais avant. Je n'ai plus repris. Parfois, quand je dors, je vois mes personnages s'agiter, me suppliant de reprendre leur écriture. Mais je ne suis même plus sur de pouvoir finir ce roman.

C'est affligeant.

Je me sens mourir.

Mais je crois que j'aime ça.

Mon stylo reste en suspension un moment. Une larme vient rouler le long de ma joue. Elle est seule, mais elle est si déchirante à mon âme que je me dis qu'elle aurait pu rivaliser avec l'océan.

Je suis incapable d'écrire une lettre de plus. Alors je laisse tomber ma tête en arrière. Elle cogne contre le rocher, et je la sens tourner un moment avant que ma vision ne se stabilise et que je n'ai une pleine vue sur le haut de la falaise à ma gauche. Je m'apprête à rabaisser ma tête pour plonger à nouveau dans mon carnet, mais un silhouette attire mon attention.

J'ouvre grand les yeux et me redresse. Je me mets debout alors que mon carnet et mon stylo restent abandonnés dans le sable sec.

C'est le même qu'hier. Je reconnais sa silhouette.

Mes membres se tendent, et je me sens prêt à intervenir, quoi qu'il arrive. Mais cette fois ci, le garçon ne s'avance pas vers le bord. Il reste à une distance raisonnable, et je peux deviner à l'inclinaison de son visage qu'il me regarde. Je serre mes poings, sur mes gardes, de peur qu'il ne tente quelque chose de dangereux. Mais rien.

Deux minutes entières s'écoulent, seulement perturbées par le bruit des vagues et de l'écume moussante à chaque explosion contre le sable. La mer est agitée, ce soir.

L'immobilité est brisée lorsqu'il engage un mouvement. Il me montre du doigt la plage, puis hausse les épaules, l'air de se questionner. Je fronce les sourcils, ne comprenant pas où il veut en venir. Alors il montre de nouveau la plage, et mime cette fois ci un point d'interrogation, le dessinant avec son doigt dans le vide.

Je crois comprendre qu'il cherche le chemin pour se rendre à la plage.

Je me renfrogne, embêté à l'idée qu'il veuille rejoindre mon havre de paix, dans lequel je me sens si bien seul. J'hésite à le laisser en plan, faire semblant de ne pas comprendre, mais à l'instant où je visualise de nouveau son pas, hier, au dessus du vide, alors je suis incapable de lui refuser quoi que ce soit.

Étrange, comme les âmes cassées se cèdent plus facilement entre elles.

Je pointe du doigt le buisson qui cache l'entrée, puis mime un mouvement qui est censé lui montrer qu'il faut repousser les branches pour passer derrière. Il lève un pouce en l'air, et je souris malgré moi, ahuri par la situation absurde qui se déroule. Il trouve le chemin et je l'observe zigzaguer dans les escaliers abruptes qui dévalent la pente raide.

Plus il descend, et plus les contours de son corps, de ses vêtements, et de son visage se dévoilent à leurs détails. La lueur orangée du soir me les révèle dans la chaleur de l'été. Je découvre une marche assurée, des mains fines, des vêtements amples, puis un visage. Un visage marqué d'un teint hâlé par le soleil de la saison, ainsi que des yeux verts, éclatants d'émeraude. Un large jean s'écroule à ses pieds et recouvre presque entièrement ses chaussures. Lorsqu'il met les pieds dans le sable, les pans de son pantalon traînent dedans. En haut, un gros hoodie recouvre son corps.

Ses cheveux sont plus courts que les miens, châtains, et immédiatement, mon regard s'attache à ces mèches et se fascine de la façon dont elles flottent en douceur, comme au ralenti, dans la brise qui se fait de plus en plus violente.

Je suis toujours debout. À ma position, on dirait presque que je l'attends. Que je me tiens là à l'observer pour qu'il vienne à moi.

Et c'est finalement ce qui arrive. Son corps arrive jusqu'au mien. La nuit tombe si vite, près de la mer, que la luminosité a déjà baissé d'un cran. Comme si une éternité s'était écoulée pendant sa descente. Je cligne des yeux, perturbé par cette soudaine présence, sur cette plage où je n'ai jamais croisé personne jusqu'ici.

Il s'approche, ne me regarde pas.

Son regard, d'une profondeur qui me trouble, s'échoue à quelques pas derrière moi, au sol. Puis soudain, sa voix s'élève. C'est peut-être absurde, mais sa voix a la texture du sable sec. Avec une certaine rigueur, mais qui coule entre les doigts lorsque l'on en prend une poignée.

"Fais gaffe. Ton stylo est en train de rouler vers la mer."

Je mets du temps à comprendre ce qu'il me dit, focalisé sur sa silhouette que je vois enfin de près. Il est beau, je ne peux m'empêcher de remarquer.

Je me retourne. Effectivement, mon stylo bleu est en train de faire sa course le long de la pente, et si je ne le rattrape pas, il finira dans l'eau. Je m'élance alors à sa suite. Le vent souffle plus fort et l'emmène au large, mais je le saisis juste avant qu'il ne se fasse engloutir.

Néanmoins, je n'avais pas pris en compte mes faiblesses. Un instant, je vois trouble, et mon corps bascule sur le côté. Je me rattrape, et reste assis quelques secondes afin de respirer et d'attendre que le monde arrête de tanguer. Lorsque c'est le cas, je me redresse, embarrassé. Ce garçon a dû se demander ce que je faisais. Mais lorsque je me retourne, je réalise qu'il ne me regarde même plus. Il a grimpé sur l'un des rochers pour s'assoir en hauteur, dans une brèche sur sa pente ardue.

Ce mec n'a vraiment pas peur des hauteurs, je pense intérieurement.

Il m'intrigue, et je n'arrive pas à retourner à mes occupations. Alors je récupère mon carnet au sol, le range sous mon bras et me dirige vers son rocher.

Je sais que je ne devrais pas être si direct, mais c'est plus fort que moi.

"Pourquoi tu voulais sauter ?"

Auparavant, jamais je n'aurais osé poser ce genre de question. Mais je crois que maintenant que je n'ai plus rien à perdre, mon image aux yeux des autres ne m'importe que très peu. Et je veux aussi m'assurer que ce garçon avait bel et bien cette intention, et qu'il ne le refera pas. Je serais prêt à lui soutirer une promesse, peu importe à quel point je l'agace.

Je sais comme la mort peut dévaster.

Je ne le laisserai pas la faire tinter pour son entourage.

"Wow." répond-il, avant de se redresser. De son perchoir, il se penche, faisant balancer ses cheveux vers l'avant. Les derniers éclats du jour se reflètent dedans, tant ils sont soyeux. Je fais un pas en avant, avec la peur qu'il puisse déraper et tomber. "C'est direct..."

"Je veux juste m'assurer que tu ne recommenceras pas." je lance.

"Pourquoi ?"

"Parce que ce n'est pas la solution."

Il effectue un mouvement que je ne comprends pas trop. Ses doigts s'accrochent au trou dans la roche et il laisse tomber son corps contre la paroi, se tenant seulement avec les mains. Je recule, effaré, puis il lâche la pierre pour se laisser tomber dans le sable un mètre plus bas. Il époussette son pantalon, puis plante ses yeux dans les miens.

"Et c'est quoi, la solution ?"

"Ça dépend du contexte. Mais c'est tout, sauf ça."

"Tu as faux." réfute t-il. "Qui es tu pour savoir si la vie ou la mort vaut mieux l'une que l'autre ?"

Sa question me pique au vif. Je passe ma langue sur mes lèvres, soudain asséchées, tout comme ma gorge.

"Je t'assure que la mort ne vaudra rien."

Je m'attends à ce qu'il se renferme à ma morale, mais à ma grande surprise, un sourire s'affiche sur son visage. Puis un rire le prend. Les vagues chatouillent mes tympans au même rythme que ce son que je découvre, plein de vitalité.

Il m'a l'air si vivant, ainsi. Pourquoi aurait-il voulu mourir ? C'est absurde.

"Et toi, t'écrivais quoi ?"

"C-comment ça ?" je me défends, les mains dans mon dos, protégeant mon carnet de ses œillades assidues. "Rien de très intéressant."

"Je suis sûr que non. Tu me montres ?"

Sa question m'étonne. Je ne cache même pas mon effarement.

Personne n'aurait osé cette demande, aussi assurément, sans connaître la personne en face.

Alors étrangement, sa spontanéité et ses iris qui me scrutent, dans lesquels se reflète la mer et ses remous, me font libérer mes bras de mon dos. Je lui tends mon carnet. Il tend sa propre main, et je peux voir dans l'hésitation de son geste qu'il ne s'attendait pas à ce que j'accepte aussi facilement.

Ses doigts parviennent à l'objet, et alors ce dernier glisse de ma main à la sienne. Il l'ouvre à la première page, l'unique page sur laquelle j'ai étalé mon encre pour l'instant. J'ai décidé de profiter de ces vacances pour commencer cette sorte de journal. C'est peut-être ridicule, peut-être trop personnel, mais le jeune homme ne flanche pas une microseconde en lisant les quelques mots que j'ai inscrits il y a dix minutes à peine.

Mes pieds se balancent d'un côté à l'autre. Je patiente, curieux de sa réaction. Je sens le sable s'enfoncer entre mes doigts de pieds. L'odeur du sel me détend, et le soleil, bientôt disparu, accentue le sentiment de sécurité qui me prend.

Le garçon relève les yeux, garde le carnet entre ses doigts. Je perçois son index qui passe sur mes mots, comme pour les regarder une dernière fois, avant qu'il ne me le rende.

"Tu es en vacances ?"

Je suis étonné que, sur tout ce que j'ai pu écrire, ce soit ce sur quoi il rebondisse. Ça me plait. Je n'aurais pas aimé m'épancher sur un autre sujet.

"Oui. Pour un mois et demi. Ça fait déjà deux semaines que je suis là."

"Moi j'habite ici. Un peu plus loin, à la ville. Je ne connaissais même pas l'existence de cette plage jusqu'à hier. Je suis venu pour les falaises. Ça aurait fait classe, tu ne trouves pas ? De mourir dans la mer. Au moins, j'aurais eu une belle mort."

Un silence s'installe. Je détaille les plis de son hoodie. Comment peut-il parler de ça avec un air aussi détaché ?

"Promets moi."

"Hm ?"

"Promets moi. Que tu ne feras plus ça. Que tu vas vivre."

Il me dévisage. Semble peser le pour et le contre.

"À une condition."

"Laquelle ?" je fais, amusé, calant mon carnet sous mon bras.

"Que tu reviennes demain soir. Au même endroit."

Je souris un peu plus. Il n'est vraiment pas banal.

Je tends ma main. Il la saisit, comme pour sceller notre accord.

"Très bien. Je serai là."

༄༄༄

La première rencontre 👀 Et le premier chapitre qui a une longueur décente 😭

Qu'en pensez vous ?

Merci pour tous vos retours, à demain <3

-Elise-

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