Chapitre XXXXVII : Fools
Pour pallier à ma déficience naturelle en chance, j'avais acquis l'incroyable compétence de pouvoir déceler les avantages de n'importe quelle situation. Par exemple , dans le cas présent, je profitais de la présence très proche du visage du roi des Faunes pour en apprendre plus sur la morphologie particulière de son espèce. Car outre ses cornes recourbées (bien que celle de droite eut été brisée, le laissant qu'un moignon) et ses sabots, sa face n'était pas exempte de curiosités. Je découvrais avec stupeur que la couleur obsidienne de ses iris dissimulait des pupilles horizontales, comme les boucs, d'une demie-teinte plus sombre. Si je n'avais pas été aussi près de lui, je ne l'aurais jamais remarqué.
En revanche, toujours du à ma déficience naturelle en chance, j'avais aussi acquis la compétence de me rendre rapidement compte des problèmes d'une situation. Par exemple, dans le cas présent, c'était l'écume sortant de ses babines, ses yeux exorbités et surtout, ses mains serrées autour de mon cou.
— Roman, fais preuve de civilité ! asséna avec bonhomie Terri. Tu ne veux tout de même pas tuer notre invitée !
Suffocant à moitié, je ne pus lui exposer mon point de vue quant à sa façon de formuler le problème, mais tentais de lui faire comprendre avec un regard accusateur. Peine perdue, la naine ne le vit jamais car elle venait de se redresser pour héler d'un grand geste la nahual restée en amont.
— Si, grogna le roi des faunes en réponse alors qu'un filet de sang s'écoulait hors de ses lèvres.
Ah. Il semblait donc que mes intentions divergeaient de nouveau des siennes. En effet, je n'étais que très peu encline à me laisser être étouffée sans opposer aucune opposition, pour une bête question de survie. Et, dommage pour lui, ce n'était ni son état de cadavre-en-devenir, ni mes scrupules, qui allaient m'empêcher de me débarrasser de cet étouffant collier fait de ses phalanges. Sentant mon champ de vision se rétrécir tandis que l'oxygène commençait à me manquer, j'attrapais un énième stylet dissimulé dans ma manche et le plantais non loin de son cœur. Marrant, j'avais comme une sensation de déjà-vu...
— Auxanne ! Tu ne vas pas t'y mettre à ton tour ! me reprocha Terri avec le même ton qu'une mère obligeant ses enfants à manger ses épinards.
Quelle aide précieuse de sa part ! Cependant, je ne prêtais aucune attention à ses paroles, toujours affairée à défendre ma vie. En effet, peut-être à cause de sa chair torturée, le roi semblait ne plus ressentir la douleur et continuait de presser ma gorge comme si c'était une orange particulièrement coriace. Ou alors, il se fichait simplement de vivre. J'espérais pour lui que la seconde option était la bonne puisque, pour une fois, j'allais alors accomplir son souhait. Rendre service, ma spécialité... lorsque c'était dans mon intérêt, évidemment. Raffermissant ma prise sur mon arme, j'effectuais une torsion du poignet pour enfin me débarrasser du faune.
Enfin, j'essayais.
La naine semblait avoir enfin décidé d'effectuer son travail. Attrapant son patient par l'arrière du crâne, elle le tira en arrière d'un geste brusque, le dégageant de la prise mortelle de mon stylet contre son cœur.
— Dolor craneale, déclara Terri en lui assénant une claque sur la tempe avec nonchalance. Et dors bien maintenant. Tu n'avais qu'à bien te tenir, non mais.
Je sentis l'emprise du roi se relâcher sur mon cou, me permettant de me dégager d'un geste sec. Bien qu'encore sous l'emprise du manque d'oxygène, mon cerveau eût tout de même le réflexe de retirer mon arme pour conserver le stylet. Libérée, je m'éloignais de quelques pas avant de m'affaisser, crachant mes poumons contre le sol. Cependant, contrairement aux attentes de l'algomancienne, son sort ne fut pas suffisant pour assommer Roman. Bien que plongée dans mon tourment, je glissais un regard en direction de la principale menace de la pièce. Les yeux du fae s'étaient révulsés sous l'action de l'Animus de Terri et il commença à se convulser mais ne s'évanouit pas. La naine fronça les sourcils.
— Ah, pas une bonne nouvelle. Soit tu as une résistance exceptionnelle à la douleur, soit c'est la merde... marmonna t-elle en sortant une gemme carmin et luminescente.
Ayant fini de crachoter ce qu'il me restait d'organes respiratoires, je m'appuyais sur mes genoux pour me lever et, bien qu'un peu tremblante, j'observais la pierre écarlate avec un mélange de curiosité et d'appréhension. Curiosité car j'étais prête à parier mon mauvais sourcil que c'était un objet animé, or c'était toujours intéressant d'en découvrir plus sur l'Aeternum. Cependant ma soif de découverte était tempérée par la couleur de la gemme, d'un rouge profond rappelant la couleur de l'hémoglobine, ce qui n'était jamais de très bon augure. De plus, tout ce que je savais de l'utilisation de cette dernière, c'était qu'elle servait contre des Immortels faes rendus fous par la torture. Bref, que du bonheur en perspective.
Pendant que je finissais de me redresser, Terri avait tapoté deux fois sur la pierre écarlate avant de la porter à son oreille. J'en arquais ma pilosité faciale préférée de circonspection. Avouez qu'écouter un petit objet sans prêter attention au reste du monde semblait complétement absurde et même improbable sur Terre... quoi ? Un téléphone ? Jamais entendu parler. Tandis que j'exerçais ma mauvais foi en mon for intérieur, Terri attendit quelques secondes avec la gemme contre son visage tandis que le roi des Faunes continuait de se tordre de douleur sur le dallage. Heureusement qu'elle était, de façon informelle certes, l'infirmière de l'ACE. Son absence totale d'empathie pour le corps prostré à ses pieds faillit de peu à faire naître en moi une vocation pour l'infirmerie. Mais passer la journée à chouchouter des seringues... je préférais largement câliner mon arbalète adorée. D'ailleurs, je ressentais cruellement son manque au bout de mon bras. Si Faelan ou Maxen avait ne serait-ce qu'égratigné ma chérie pendant mon absence... ils pouvaient immédiatement commencer à creuser leur propre tombe avec leurs propres ongles. Cependant, Terri, désormais satisfaite de cette pierre pour une raison m'étant inconnue puisqu'elle n'avait émis aucun bruit audible pour mes pauvres oreilles de mortelle, l'éloigna de son visage pour l'approcher de celui du faune. S'accroupissant pour être à sa hauteur, la naine empêcha la tête de son patient de bouger en l'immobilisant avec fermeté de sa main libre. Puis, assurée de la tranquillité de son action, l'algomancienne apposa la gemme luminescente contre le front du fae. Pendant une fraction de seconde, rien ne se passa, me poussant à m'interroger sur le sens de cette scène. La fraction de seconde suivante, un horrible bruit de succion résonna dans la salle et un cri s'échappa des lèvres ensanglantées de Roman. Grimaçant, je portais mes mains à mes oreilles afin de protéger mes précieux tympans. Gisant toujours sur le sol, le faune se convulsa de plus belle, brisant ce qu'il lui restait d'ongles en griffant frénétiquement les dalles, comme pour fuir un ennemi imaginaire. Et alors que je me disais que cela ne pourrait pas être pire pour lui, une lueur se dégagea de la pierre fermement ancrée à sa peau. Le corps du faune se pétrifia, tout ses muscles raidis par la souffrance tandis que des ruisseaux sombres cascadèrent du creux de ses yeux à la courbe de ses joues avant de clapoter contre le sol. Ses lèvres figées entrouvertes sur un hurlement silencieux, un rai de lumière identique au halo émis par la gemme fusa.
— C'est enfin fini. Observons le résultat ! s'exclama avec une gaieté dérangeante Terri en retirant la pierre désormais terne.
Un petit bruit de succion indiqua que l'objet animé avait été retiré avec succès du front de son patient. Jetant un œil curieux en direction de la naine, je découvrais la métamorphose de la gemme. Si quelques instants auparavant c'était une pierre écarlate taillée, visiblement dans une roche précieuse, parcourue de reflets iridescents et de lueurs colorées, désormais ce n'était plus qu'un caillou terni, dénué d'attrait. C'était comme si toute sa couleur, sa magie, avaient été aspirés par l'esprit du faune. L'algomancienne tapota de nouveau sur la surface de la gemme.
— Allez, au moins une petite étincelle... bougonna t-elle. Je n'ai pas envie d'avoir des soucis.
Mais en dépit de sa demande, la pierre resta obstinément obscure. La nahual, Izel, se rapprocha de notre position.
— Alors ? s'enquit-elle avec une sécheresse dissimulant mal son inquiétude. Quel est votre verdict ?
Terri ne répondit pas immédiatement, se perdant dans la contemplation de sa mystérieuse gemme. Cependant, après une poignée de secondes, elle se résigna.
— Je pourrais fixer cette fichue Johari pendant des heures, déclara t-elle en secouant sa tête, le résultat serait identique. Et c'est la merde.
Les lèvres d'Izel se réduisirent à une simple ligne, plus fine qu'un cheveu.
— Je m'en vais prévenir le quartier général de votre conclusion. Espérons que le coupable de sa torture sera trouvé rapidement.
Ne comprenant pas un traître mot à leur échange, je reculais d'un pas pour aborder (presque) discrètement le vampire isolé derrière son guichet :
— Cela te dérangerait de m'expliquer ce petit spectacle son et lumière ainsi que le dialogue l'ayant suivi ? Parce que je suis perdue, là ...
Le nosferatu m'adressa un regard méfiant avant de se reclure dans les profondeurs d'uniformes, bottes et autres vêtements, le plus loin possible de moi.
— Ç'aurait été avec plaisir mais... j'ai du travail. Beaucoup.
Ce fut les derniers mots que j'entendis avant qu'il ne s'enfuit, loin, très loin, de moi. Quoi ? Et ma réponse alors ?
— Tu m'en veux parce que je t'ai menacé à mort ? m'écriais-je, vexée. Ce n'était qu'un petit stylet de rien du tout ! Puis, c'est toi qui à commencé en essayant de me tuer ! Ce n'était pas personnel ! Tu prends tout beaucoup trop à cœur !
Lorsque j'esquissais un volte-face, le mécontentement toujours inscrit sur mes traits, ce fut pour découvrir les regards d'Izel et Terri ancrés à mon visage. Le premier semblait consterné, me faisant sentir toute la puissance de son jugement réprobateur en dépit des mètres nous séparant tandis que le second était simplement amusé.
— Sympa le jeu de mots avec « cœur » ! s'exclama la naine enjouée. Je le ressortirais celui-là.
— J'aurais pu faire mieux, répondis-je avec une fausse humilité exagérée, mais c'est le seul qui m'est venu spontanément.
Un toussotement nous interrompit. Apparemment, la nahual ne partageait pas notre enthousiasme.
— Veuillez cesser de distraire Terri, s'il vous plaît, me demanda t-elle. Elle s'éparpille déjà assez seule. Et pour résumer en une poignée de mots la scène qui vous intrigue, notre algomancienne a simplement utilisé une Johari, une pierre animée permettant de déceler le niveau de Morbus d'un Immortel. Outre leur prix très et trop élevé, les Joharis ont aussi l'inconvénient de causer une douleur insoutenable et c'est donc pourquoi elles sont utilisées avec parcimonie.
— Et si j'en crois votre échange, le conn- ... le roi des Faunes, me repris-je, est atteint du Morbus.
— Pas complétement, il a commencé à infecter son esprit mais il reste des parties saines. Les récents évènements semblent avoir eu un impact désastreux sur sa psyché. Son cas va donc devoir être traité dans les plus brefs délais.
Sentant qu'Izel ne me disait pas tout, je penchais la tête.
—Et est-ce que ce traitement sera suffisant pour le sauver ? Ses chances de s'en sortir sont-elles élevées ?
La posture de la nahual se figea, la transformant en statue vivante tandis que j'eus comme seule réponse à ma question, un regard sévère. Comprenant le message sous-jacent, je fus rassurée de ne pas être concernée par le Morbus et presque satisfaite de la nouvelle. J'aurai préféré entendre un "non" définitif, cependant je me contenterai d'une probabilité si faible qu'elle n'est pas évoquée à voix haute. Une curiosité morbide me poussait à vouloir demander comment était traité le « cas » tandis que ma raison avait déjà inconsciemment déduit les réponses. Cela serait sale, mais cela sera fait, quelque soit le résultat.
Un rire brisé s'éleva, heurtant les murs de l'armurerie ainsi que nos oreilles. Notre trio fit volte-face, découvrant Roman émergeant à peine de son inconscience. L'étrange liquide noir tâchait sa peau comme un tatouage sirupeux, embrassant ses expressions. Ses dents, autrefois blanches, étaient maintenant rougies par son sang, pour celles qui demeuraient ancrées à ses gencives et nous étaient clairement dévoilées dans un sourire dément faisant écho à la lueur dans ses pupilles. Agitant ses membres, il parvint à se relever en prenant appui sur son bras brisé, sans égard pour la douleur engendrée ou la plaie rouverte.
— Toujours aussi expéditive, ma chère, hoqueta avec difficulté le fae. À peine le verdict prononcé, ma date d'exécution est organisée ! Affûte bien ta hache, ce serait dommage de me rater...
Le visage de la nahual se durcit.
— Ton jugement est bien violent à toi aussi. Nous n'avons pas encore essayé toutes les options, le Morbus peut encore être chassé de tes pensées.
Terri sembla vouloir intervenir pour compléter les dires d'Izel quant à la probabilité de cet événement mais se retînt au dernier moment, évitant l'inévitable confrontation. Cela aurait inutile, les deux avaient parfaitement conscience de la mince chance du faune de s'en sortir. À la place, la naine s'approcha de moi pour chuchoter à mon oreille.
— Puisqu'il s'est éveillé, je vais devoir aller chercher de quoi le calmer et le transporter plus aisément. Izel et toi, restez ici afin de la maîtriser si la situation dégénère. Ne l'énerve pas. Je serai de retour le plus vite possible.
Et sur ses mots presque indiscernables, Terri s'éclipsa sans un bruit après avoir échangé un regard de connivence avec Izel. Roman, quant à lui, ne s'était pas aperçu de la disparition de l'algomancienne et s'obstinait à tenter de ramener ses jambes contre son corps meurtris pour se lever. Après quelques essais infructueux, se soldant par des chutes qui tirèrent des grimaces à la nahual, il réussit à se dresser au-dessus du sol. Néanmoins, sa posture chancelante et la mare écarlate gouttant sous ses pieds indiquaient que c'était seulement provisoire.
— Peut-être, mais admets que tu me considères comme déjà enterré, rétorqua le roi avec une raillerie qui s'acheva dans une toux ensanglantée. Enterré, pourrissant, mes ennemis dansant sur les cendres de ma tête et des plumes décorant ma tombe. Tellement de plumes...
Elle ne répondit, ne daignant pas contredire ses affirmations, ni même se défendre. C'était la vérité brute que même lui, à travers son voile de folie, apercevait. Ses mots non-dits en révélèrent plus sur la culpabilité de la nahual que d'interminables aveux devant un tribunal. Son silence arracha un rictus au faune, révélant de nouveau l'ivoire tachée de ses dents.
— Je le savais, lui souffla t-il d'une voix trompeusement séductrice. Mais ne t'en inquiète pas, je ne t'en veux pas.
Le roi ponctua sa déclaration d'une pause méditative, tapotant sa dernière corne intacte.
— Enfin peut-être, reprit-il avec une voix lointaine. Je ne sais plus. Tu le sais, toi ? Toi... Qui me dit que tu es toi ? C'est un drôle de mot que ''toi'', mais moins que ''moi''. Pourtant, les deux sont si proches... et si éloignés... Comme deux oiseaux inséparables. Ils se haïssent, tu sais ? Mais ils ne peuvent s'empêcher de revenir l'un à l'autre. Comme ''toi'' et ''moi''.
Izel ferma les yeux, n'ouvrant pas ses lèvres pour lui accorder une réponse sans sens. Cela n'aurait servi à rien. Le cerveau du faune suivait désormais une logique diffractée, tordue, si elle existait encore... Le fil de sa raison coupée, les perles de ses pensées s'éparpillaient et formaient des motifs abscons. Intérieurement, j'enjoignais Terri de se dépêcher afin d'être enfin débarrassée de cette corvée. Déjà que j'abhorrais cette ordure, devoir le supporter sombrer lentement dans la folie ne me réjouissais pas. Dans ma liste des pires choses à faire, cela arrivait à être à égalité avec danser la macarena en compagnie de démons. Et vous n'avez pas idée à quel point j'exècre la macarena. Relevant le visage, le faune capta l'expression apitoyée de la nahual. Ce fut en observant Izel que Roman se rendit compte de l'absurdité de ses paroles dans un éclat de lucidité qui se refléta dans son regard d'obsidienne. Aussitôt il esquissa un pas en arrière, manquant de trébucher en s'entremêlant les jambes.
— Mon esprit se craquelle, chuchota t-il en recroquevillant ses mains contre son visage. Je le sens. Il s'effrite à chacune de mes pensées, se dissout dans chacun de mes mots... Mais le pire, c'est la douleur. Elle suinte de mes nerfs, coulant en un fleuve insidieux à travers mon être. C'est une compagne fidèle, attentive. Le moindre de mes gestes est une invitation à ses caresses, ses murmures... Son acolyte et elle y ont veillé, conclut-il en pointant un index accusateur dans ma direction.
Eh bien, il ne manquait pas de culot. Finalement, je le préférais fou, au moins me laissait-il ainsi affûter mes lames tranquillement. Mais non, il a fallut que monsieur se plaigne. Certes, ce n'était pas que son état ne le justifiasse pas, cependant je savais parfaitement quelles taches maculaient mon âme et ce que je lui avais infligé était loin d'en faire partie. Me raidissant, je n'eus pas la retenue de la nahual et répliquais véhémentement :
— Ne te dédouane pas, mon vieux. Certes, dire que je n'ai pas été sympa avec toi est un euphémisme, mais veux-tu que l'on demande son avis à Tina ? Parce qu'un viol, quelque soit les circonstances, n'est jamais excusable...
Qu'est-ce qu'avais dit Terri déjà ? L'énerver le plus possible, c'était bien ça ? Parfait, je le transformerais en symbole de la Colère elle-même. J'avais déjà réussi à suffisamment l'agacer pour qu'il s'avance vers moi. Enfin, qu'il tente de s'avancer vers moi aurais dus-je préciser. En dépit de son corps charcuté, le fae arriva à esquisser un pas avant de s'effondrer, sa jambe brisée ne supportant pas son poids. Pourtant, comme poussé par sa rage, il continua d'essayer de progresser vers moi en rampant, griffant les dalles de ses ongles brisés tandis qu'une flaque de sang s'étendait à chacun de ses gestes. Si j'avais été honnête, je lui aurais accordé un deux sur dix, pour l'effort. Sauf que je n'étais pas honnête et encore moins avec cette pourriture, qui ne m'inspirait que du dégoût.
— Ce n'était qu'une mortelle ! s'emporta t-il alors que son esprit semblait sombrer de nouveau dans la folie. Qu'elle souffre maintenant ou plus tard ne change rien pour son espérance de vie ridicule. L'humaine aurait dû se sentir honorée qu'un Immortel s'intéresse à elle. Cela aurait été mieux pour tous le monde.
Il avait de la chance que mon arbalète chérie soit claquemurée dans la suite de Maxen, sinon j'aurai cloué sa réplique de deux carreaux : un dans sa langue et un second dans son cœur. Lassée par son discours ridicule, je lui fis l'honneur de m'approcher de lui. Il était l'heure pour lui de goûter à la colère de la Ténébreuse. Certes, je n'avais pas mes pouvoirs, cependant ce n'était pas l'unique apanage de la partie la plus enténébrée de ma personnalité. Arrivée à son niveau, je penchais la tête sur le côté, l'examinant comme le parasite répugnant qu'il était. Le faune leva son visage vers moi, un rictus ensanglanté défigurant toujours son expression. J'allais faire disparaître cette hilarité de ses traits, et ce, dans la douleur. Le regardant sans ciller, j'abattis le talon de ma botte sur les phalanges éclatées de sa main gauche dans un craquement d'os brisés. Un petit glapissement s'échappa de ses lèvres.
— Oups, quelle maladroite je fais... soufflais-je dans un sourire.
Puis, me positionnant de manière à porter tout mon poids sur ses doigts écrasés, je m'accroupissais pour atteindre son niveau. D'un revers de main négligeant, je le giflais avec suffisamment de force pour faire voler une de ses dents déchaussées. Cela n'était toujours pas suffisant. De la pointe de mon stylet, je l'obligeais à relever son menton.
— Attention, je vais te faire une révélation choquante, susurrais-je à son oreille effilée. Le monde ne se plie pas à tes désirs et cela n'arrivera jamais, quoique tu puisses penser.
À ma grande surprise et pour mon déplaisir, cela le fit rire. D'un rire difforme, secoué par des sanglots grotesques. Soit je n'y étais pas allée assez fort, soit il était devenu insensible à la menace physique.
— Tu crois pouvoir me faire peur ? s'esclaffa le roi avant d'attraper mon autre pied de sa main libre. Mais cela n'est rien. Je te l'ai dit pourtant, la douleur est mon amie. Ce n'est plus une peur, c'est une force.
Et, plantant volontairement son regard dans le mien, il tira brusquement sur son bras gauche, sacrifiant une partie de sa main sous ma botte. Révulsée, je retirais mon pied et dégageais ma seconde jambe d'un geste vif tout en me relevant. Cela n'éveilla aucune réaction chez le fae, occupé à observer avec fascination son propre sang maculant le sol. Un air absent inscrit sur son visage, il suivit d'un doigt paresseux (et encore miraculeusement intact) les sillons écarlates envahissants les jointures des dalles.
— Et comme toute amie, affirma le faune avec nonchalance, il faut en prendre soin, la ciseler comme l'œuvre d'art qu'elle est. J'ai bien appris, n'est-ce pas ?
— Appris quoi ? le questionna presque négligemment Izel alors qu'elle me poussait, visiblement agacée par mon comportement.
Le roi observa son unique main intacte, enduite de sa propre hémoglobine. Son comportement m'arracha un reniflement désapprobateur. Il fallait que quelqu'un lui ordonne d'arrêter avec sa fascination morbide pour le sang, c'était même pas digne d'un méchant de mauvaise série Z.
— Ce que son acolyte m'a appris, évidemment, déclara t-il sur le ton de l'évidence.
Je n'avais pas réagi sur ce fameux « acolyte » la fois précédente, le prenant pour la divagation d'un esprit perdu dans sa folie. Mais il semblait avoir encore des bribes de logiques dans son cerveau et cette idée en faisait partie. Dégageant la nahual de mon chemin d'un coup de coude bien placé, je regardais de nouveau le faune de haut.Puisqu'il semblait aimer la douleur, j'hésitais à lui en infliger encore plus, ne serait-ce que pour me défouler. Mais le plaisir qu'il en retirerait me retînt.
— Quel acolyte ? Il n'y avait que Tina et moi, rétorquais-je avec sécheresse. Et si tu commences à vraiment croire que c'est elle ton bourreau, c'est que ton cerveau n'est plus qu'un souvenir. Quoique, c'était déjà le cas avant, non ?
Outre ma patience limitée envers cette raclure, je sentais le regard inquisiteur d'Izel sur moi. Même si elle n'appréciait pas ma méthode, elle était trop désireuse de résoudre ce mystère pour laisser passer une occasion d'obtenir des indices. Cependant, cela ne signifiait pas que la nahual m'accordait sa confiance ou une quelconque valeur. Je savais qu'à ses yeux, comme pour la majorité des membres de l'ACE, je n'étais qu'un pion sacrifiable de plus. Si ma valeur en tant qu'appât ne suffisait plus pour balancer celle de dénicher un potentiel traître, alors le calcul serait rapidement effectué. Un être vivant avec des pouvoirs spontanés uniques, cela pourrait se trouver de nouveau. C'était pourquoi, outre le fait d'en apprendre plus sur cette histoire compliquée, il me fallait immédiatement détruire cette hypothèse de relation entre le tortionnaire et moi avant qu'elle ne soit complètement formée dans l'esprit d'Izel. Enfin, si je ne voulais pas être transformée en soi-disant traître et pouvoir vivre quelques jours supplémentaires. Car même si Maxen pensait arriver à pouvoir me protéger (...quelle blague), il ne pouvait rien contre ses propres collègues. Ignorant de mes réflexions, Roman interrompit le cours de mes pensées d'un claquement de langue réprobateur et me dévisagea avec dédain.
— Au début, oui. Puis je fus à mon tour seul, dans l'obscurité. Ce fut long, suffisamment pour que je sente mes blessures se résorber, consolidant involontairement la prise de ta lame contre mon cœur. Pour me distraire, j'ai commencé à compter. Seconde un. Seconde deux. Seconde trois. Puis c'est devenu minute un. Minute deux. Minute trois. J'ai ensuite compté les douze premières heures. Après, je ne sais plus vraiment. Ce que je croyais être de la douleur s'est noyée dans le noir, me faisant perdre le fil. C'est seulement après que vous êtes arrivés, amenant l'autre aux outils acérés avec vous.
Voulant écourter au plus vite cet échange désagréable, je pointais le défaut de son argumentation et sa gorge d'un stylet. L'envie de me débarrasser de lui d'une brève percée de son cœur me démangea, à peine contenue par la présence d'Izel comme témoin en cas de meurtre. Le tuer maintenant signerait mon arrêt de mort et cela lui ferait beaucoup trop plaisir de m'emporter avec lui de l'autre coté.
— Ce n'est pas possible que ton bourreau soit arrivé avec nous, il n'y avait que Faelan, Zynidrael et moi.
Ma remarque interloqua la nahual qui délaissa son silence pour intervenir de nouveau.
— Attendez, c'est impossible que Zynidrael eut été avec vous, déclara t-elle. Il n'a jamais quitté le champs de bataille, trop occupé à occire des démons.
Délaissant le faune, je me tournais vers elle, accompagnant mon impatience en battant un rythme imaginaire avec le talon de ma botte droite.
— Pourtant, même si c'était pas lui, je suis certaine qu'il y avait un ange avec nous, répondis-je en fronçant mes sourcils. Demandez à Faelan, il vous répondra la même chose que moi. C'est ce fameux ange qui est parti avec le corps du roi des Faunes. Qui a ramené ce connard dans cet état ?
Oups, il se pourrait que j'ai laissé une partie de ma pensée m'échapper. Un soupçon de gêne ou de regret, peut-être ? Même pas, mon cœur était limpide, seulement habité par un juste sentiment de satisfaction à insulter cette ordure.
— Roi... Couronne. Responsabilité. Sang. Tout est lié, marmonna Roman en commençant à dessiner des signes étranges avec son propre fluide vital sur le sol.
Je laissais échapper un soupir exaspéré. Merci pour cette intervention à l'utilité encore plus inexistante que mon sens de l'orientation. N'ayant accordé au fae qu'une demie-miette de son attention, Izel secoua la tête.
— Alors c'était un imposteur. Zynidrael, les deux autres anges perdus et moi sommes partis ensemble combattre, et jamais un ange ne se résoudrait à quitter un combat tant qu'un démon vit encore, or l'armée ennemie reste malheureusement fournie en dépit de leurs défaites. Quant au corps, il était dissimulé sous une pile de cadavres. Nous l'avons découvert après une bataille. Pourtant, les stèles d'atéléportation ont été brisées. Cela signifie que celui qui a torturé Roman voulait aussi permettre de nouveau les échanges.
Le bruit, très discret, d'un entrebâillement attira mon attention. Pivotant la tête, j'aperçus Terri enfin revenir avec des cordages d'une étrange teinte métallique. Izel m'ayant précédée grâce à ses sens améliorés, la naine sentit nos deux regards et nous fit signe de ne pas alerter son patient de sa présence. D'un bref coup d'œil, je m'assurais qu'il était toujours affairé à gribouiller ses dessins ésotériques avant d'accorder une réponse à la nahual.
— Je ne fais que vous décrire ce que j'ai vécu, après s'il y a encore une magie bizarre à l'œuvre avec des traîtres foisonnant dans les deux camps, cela sera inutile. Cependant, tout ce que je dis, c'est que l'ange est parti avec cet enfoiré qui sert de roi aux faunes.
La naine ne faisait pas attention à notre conversation car affairée à faire le moins de bruit possible.
— Il y a eu donc un vol d'identité, conclut d'une voix résignée Izel. Ce n'est pas possible qu'il s'agisse d'une illusion, entre Maxen et Valentia, un illusionniste aurait été immédiatement démasqué. Cela signifierait qu'il y aurait un métamorphe dans ses murs, ce qui semble improbable vu leur faible nombre à travers tout l'Aeternum.
Les dires de la nahual furent aussitôt couverts par ceux incohérents du faune avant même qu'elle n'est pu développer un brouillon de logique nous permettant d'avancer.
— Ange, cria t-il en réagissant avec du retard. Plume de soie, plume de fer, plume de sang ! Rouge des lignées, arbres aux branches innombrables. Ailes... Non, lames. Puis sourire. Et bleu. Bleu, bleu, bleu...
Sous nos yeux ébahis, le fae abandonna ses dessins afin d'essayer de se relever. Perdu dans son affolement, il trébucha, chuta de nombreuses fois mais se redressa encore et encore. Ses gestes paniqués rouvrirent certaines de ses plaies tandis que Terri avait enfin réussi à se placer dans son dos. Avec une douceur inhabituelle pour elle, la naine déplia ses cordes qui se révélèrent être de longues bandes de tissus argentés. Après avoir enroulé une extrémité autour de son bras, elle lança l'autre de façon à effleurer la tête du faune. Aussitôt que son singulier cordage eut heurté le roi, il se déploya tel une pieuvre magique sanguinaire pour étouff-, pardon, envelopper le patient affolé. Il se débattit un instant dans l'étoffe métallique mais celle-ci se resserra progressivement jusqu'à l'envelopper entièrement, sa posture ayant été progressivement réduite jusqu'à le forcer à adopter une position fœtale. Puis, une fois sa tâche accomplie, le tissu se solidifia en une sorte de sarcophage métallisé. Cette intervention achevée, le silence regagna l'armurerie.
— J'ai crû que je n'allais jamais y arriver à temps, déclara soudainement Terri. J'aurai détesté devoir remplir de la paperasse pour justifier la mort de l'une d'entre vous.
Après cet interlude particulièrement désagréable, elle arriva à me tirer un rire jaune citron.
— C'eut été dommage, ajoutais-je. Je suis sûre que vous auriez fait une erreur sur mon prénom... Intentionnellement.
La naine esquissa un rictus.
— Tu me connais déjà... Tu iras loin, petite. Si tu survis.
Comme si la mention de survie venait de l'éveiller, Izel secoua sa tête comme pour sortir d'un mauvais rêve. Lâchant l'étrange sarcophage métallique du regard, elle nous dévisagea, une nuance quelque peu hagarde au fond de ses prunelles. Devançant ma riposte sur l'ironie d'être appelée ''petite'' par une naine, elle prit la parole :
— Puisque... puisque tu es reven-
Terri l'interrompit en levant un index menaçant. Son geste dissipa les dernières brumes encombrant les yeux de la nahual et lui arracha même une preuve d'exaspération : Izel, durant un dixième de seconde, soupira. Mais elle se corrigea, reprenant sa phrase.
— Puisque vous êtes revenue, je... je vais retourner au centre de commandement avertir les autres membres de l'ACE de la situation.
Et sur ces derniers mots, elle nous abandonna. Sans un regard en arrière, la nahual s'orienta en direction de la sortie, le bruit de ses pas claquant presque aussi fort que celui de la porte qu'elle referma derrière elle. Aussitôt Terri et moi, nous nous retournâmes pour nous dévisager.
— Elle te trouve suspecte, énonça t-elle sans émotion. Je tenais à t'avertir.
J'en levais mon sourcil adoré.
— Trop d'honneur, merci beaucoup. C'est rassurant de voir qu'un membre éminent de l'ACE accorde du crédit aux propos incohérents et décousus d'un Immortel reconnu cliniquement comme fou.
La naine s'éloigna de moi pour examiner de plus près les dessins du roi des faunes.
— Ses propos nous semblent incohérents mais cela ne veut pas dire qu'ils ne recèlent pas d'indices. En tant qu'algomancienne, je peux t'affirmer que beaucoup de fous sont plus logiques que toi, même si ce n'est pas très dur. De plus, ce n'est pas sur ses mots qu'elle ou la faune s'appuient pour t'accuser.
Arpentant les quelques pas nous séparant pour observer à mon tour les signes étranges du fae, je lui demandais (à peine) sarcastique :
— Et sur quoi se basent-ils, alors ? Ah, je sais ! La position des astres dans le ciel ! Ou alors, à la couleur des yeux !
Aussitôt que ma réponse eût fuit mes lèvres, je la regrettais. Car arrivée à son niveau, la compréhension traversa instantanément mon esprit.
— Non, rectifia t-elle en désignant un brouillon ensanglantée, sur ça.
En effet, de son index maculé, le roi des faunes avait peint des signes aussi divers que variés, allant d'une sorte d'oiseau aux ailes déployées à une lame à la forme étrangement phallique en passant par un arbre. Cependant, au milieu de ses esquisses, un dessin se détachait par sa netteté et le soin appliqué dans les détails. Il s'agissait de la forme en amande d'un œil arborant une pupille démesuré. L'iris avait été différencié à l'aide de deux traits courbes tandis que des petites feuilles partaient des cils, formant de minces rameaux. Enfin, des petits points avaient été placés avec une précision presque mathématique autour du signe principal. Faisant glisser la chevalière de mon pouce, je comparais les deux symboles. Comme je l'avais pressentis, ils étaient identiques, jusque dans le nombre d'étoiles gravitant dans le pourtour.
— Intéressant... ne pus-je m'empêcher de réagir.
— Tu es chanceuse de l'avoir trouvé devant Milcost et moi, fit remarquer la naine.
Je haussais mon sourcil fétiche.
— C'est bien la première fois que quelqu'un me qualifie de « chanceuse ».
Peut-être que la roue de la chance allait enfin tourner. Mouais. Pourquoi n'arrivais-je pas y croire moi-même ? Mais Terri m'avait déjà délaissée, préférant reporter son attention sur les gribouillis écarlates. Se penchant au plus proche des signes, elle ajouta distraitement :
— Avant d'aller voir le seigneur Calas, je te conseillerai de passer par la bibliothèque pour chercher des informations sur « Coileach Airgid ».
Je fronçais mes sourcils.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Je n'en ai aucune idée. Vois-tu les signes tracés au dessus du symbole ? me demanda l'algomancienne.
Avisant les lignes s'entremêlant sous son index pointé, cela n'était qu'un fatras abscons à mes yeux.
— Il s'agit de l'ancienne forme de l'alphabet du Haut-Fae. Seuls les nobles et les érudits la pratiquent encore. Peut-être cela ne mènera à rien, mais c'est curieux que Roman ait choisi ce langage... Mon instinct m'enjoint à croire que c'est un détail important.
Son « instinct » ? Cela me surprenait, c'était plutôt inédit chez une naine. Même les nahuals méprisaient ce terme, préférant s'en référer à leur bête intérieure, appelée ''nagual''. Si nous avions été dans une œuvre de fiction, je l'aurai accusée d'avoir lu le script.
— Bien pratique ton instinct, ironisais-je. Tu n'en aurais pas des miettes en rab ? C'est pour... une amie proche. Très proche.
Terri me répondit avec un sérieux surprenant.
— Tout être vivant dispose d'un instinct, il suffit de l'écouter.
J'en levais les yeux au plafond. Bah voyons. Il ne manquait plus qu'elle me fasse une présentation PowerPoint de quatre heures sur l'importance de la Grande Déesse et des petits oiseaux. Si elle avait été terrienne, je lui aurais déjà demandé sa carte d'adhérente au club New Age du coin.
— Ah non, je peux t'affirmer en être le vivant contre-exemple. Je suis dépourvue d'instinct. Complètement.
La naine, me jugeant sans doute indigne de son attention, se détourna pour s'enquérir de la solidité du sarcophage du roi.
— Je croyais que c'était pour une amie, concéda t-elle à me déclarer.
M'approchant d'elle pour l'observer avec curiosité tapoter contre la surface métallique, je me fis la remarque que je pourrais très bien revendre le sarcophage comme étant une œuvre d'art contemporain tout en lui répondant.
— Techniquement, il n'y a pas de plus proche ami que soi-même.
Ayant visiblement fini de tapoter aléatoirement sur un sarcophage, la naine leva son visage vers moi pour m'envoyer toute la puissance de son expression blasée.
— Cela peut se discuter. Est-ce que les fous comptent ?
Alors que je m'apprêtais à répliquer, un bruit sourd retentit. Nous baissâmes notre regard de concert, reportant notre attention sur la forme métallique et fœtale du roi des faunes. Apparemment, ce n'était pas parce qu'il était immobilisé qu'il était inconscient.
— Il semblerait que j'ai une urgence, déclama t-elle sans une once d'émotion dans la voix. Très bien, je vais retourner à l'infirmerie et avertir le seigneur Calas de ta probable visite si je le croise. Je te conseillerai d'informer des membres de confiance de l'ACE des progrès de ton enquête...
Je lui fis comprendre ma pensée d'un simple lever de sourcil.
— ... Ou au moins des membres qui te semblent vaguement sympathiques. Si tu y arrives.
Ne préférant pas répondre à sa question, je la questionnais sur sa motivation.
— C'est pour éviter qu'on me fasse exécuter en tant que traître par hasard ? dis-je sans vraiment y croire. C'est sympa d'y avoir pensé.
La naine cilla un instant, prise de court.
— Je n'y avais pas pensé mais ça peut éventuellement marcher. Non, c'est surtout pour que quelqu'un puisse reprendre l'enquête lorsque tu auras été tuée pour avoir fouiner trop près.
— C'est toujours aussi agréable de se sentir appréciée.
Terri haussa les épaules.
— Ce n'est pas notre faute si tu as la fâcheuse tendance de t'attirer des ennuis. Puis, tu ne peux pas en vouloir à Izel de soupçonner une personne inconnue d'être un traître.
— Si j'étais vraiment la traître, lui déclarais-je nonchalamment, cela ferait longtemps que je me serai débarrassée d'elle. Laisser vivre les gens soupçonneux n'est jamais une bonne idée.
L'algomancienne m'adressa un regard vidé de toute expression.
— Eh, je rigolais ! m'écriais-je en levant mes deux mains en l'air. Il faut vraiment que vous vous détendiez. Regardez, depuis le début de notre conversation, j'aurai pu vous attaquer par surprise au minimum trois fois sans que vous n'ayez le temps de réagir, et pourtant je ne l'ai pas fait.
Marrant, elle ne semblait pas très sensible à mon sens de l'humour. Surtout quand cela impliquait sa tête séparée du reste de son corps. Les gens n'étaient pas drôles, c'en était triste. Bientôt, j'allais devoir faire des blagues conventionnelles pour faire rire... Un frisson parcourut mon échine. Et puis quoi encore ? Autant me suicider avec une overdose de rose, ce sera plus rapide. Je suis même sûre que Kimcila pourrait m'aider.
— Si tu veux survivre, me conseilla la naine avec un air (presque) maternel, je te conseillerai de ne pas répéter ce genre de phrase devant Izel ou n'importe quel membre de l'ACE. Ce n'est pas un comportement sociologiquement adapté.
Sa remarque me fit rire. Elle n'exagérait pas pour ses actions asociales.
— Comportement sociologiquement adapté... Eh bien, vous êtes plus sérieusement atteinte que je ne le pensais. Ça vous dérange si je vous appelle «Sheldon Cooper Bis» ?
Ma question sembla l'agacer au plus haut point. Lâchant le sarcophage, elle leva son index.
— Un. Je ne suis pas plus atteinte que toi.
Ouvrant la bouche pour lui répliquer, la naine m'interrompit avant même que je ne commence en dressant un deuxième doigt furibond. Sagement, je refermais la bouche et la laissais procéder à sa petite énumération.
— Deux. Je ne sais pas ce qu'est un « Cheldonneuhcoupeur » mais je ne suis le « bis » de personne.
Puisqu'elle semblait décidée à continuer, je la laissais faire en surveillant du coin de l'œil la forme argentée, aussi appelée « roi des faunes ». C'était moi ou il venait de bouger ? Qu'est-ce que je ne donnerais pas pour une règle et pouvoir me débarrasser de cette impression. Quoique, et si cela la confirmait ? Ce serait pire ! Bon, j'allais plutôt regarder ailleurs, cela serait plus efficace. Et penser à autre chose pour me chasser cette désagréable idée de l'esprit. Tiens, des licornes par exemple. Bleues. Avec des petits nuages. Il avait encore bougé, non ?
— Trois, déclara Terri en levant son annulaire. Continue d'essayer de te moquer de moi et je m'arrangerais pour qu'Eci découvre que tu as fait une bataille de sous-vêtements avec le seigneur Calas.
Interdite, je levais la tête pour la dévisager, chassant instantanément toutes mes pensées de licornes bleues avec des mètres de couturière. Ce serait pire que tout. La chapelieuse prendrait cela pour un signe et redoublerait d'effort pour nous placer, Maxen et moi, dans des situations saugrenues et très embarrassantes.
— Non, tu n'oserais pas... chuchotais-je avec effroi.
L'algomancienne releva son menton.
— À ton avis ?
— Si, non seulement tu oserais mais en plus, tu n'éprouverais aucun remord. Comment as-tu appris ?
Un petit rictus déforma ses lèvres.
— J'en avais aucune idée, ce n'était que des suppositions et tu viens de brillamment les confirmer.
Il y a des jours comme ça où l'on se sent stupide, vraiment très stupide.Sachant que tout essai d'apitoiement était vouée à l'échec face à son cœur de pierre, j'essayais de la corrompre avec un sourire. Ce n'était pas ma meilleure tentative de marchandage, cependant n'ayant accès à aucun de mes comptes bancaires ou objet précieux, je me débrouillais avec ce que j'avais sous la main. Et puis, ça marchait dans les films, non ?
— On peut faire comme si rien ne s'était passé ? tentais-je en me balançant d'un pied sur l'autre.
— Non.
Je soupirais. Pourquoi cette réponse ne me surprenait pas ? Ah oui, parce qu'elle était complètement prévisible.
— Je n'ai pas le choix alors, je vais devoir te tuer pour garder le silence... commençais-je avec un air résigné plaqué sur le visage. Holà, calme-toi ! C'était toujours une blague.
La naine abaissa alors ses poings, relâchant légèrement sa garde mais pas totalement non plus.
— Tes blagues ne sont pas drôles, affirma t-elle avec méfiance.
Je haussais les épaules.
— Cela dépend des périodes. Si tu veux, j'en connais une très bonne. C'est l'histoire d'un pingouin qui respire par les fess-
— ... Finalement, je viens de me souvenir d'une tache urgente. L'humour attendra. Longtemps.
Terri attrapa le pied du sarcophage et commença à le traîner en direction de la sortie, sans me laisser le temps de raconter la chute de ma blague. Eh bien. Elle allait s'amuser à le traîner jusqu'à l'infirmerie, surtout pour passer les barricades. Cependant, alors que je faisais un rapide inventaire mental de mes quêtes en cours. Alors, tuer dix démons, c'était fait... Trouver Maxen, c'était en cours... En apprendre plus sur la chevalière et sur « Coileach Airgid »... Ah, voilà ! C'était ça ma tache principale. Cependant, pour pouvoir l'accomplir, il me fallait retrouver la bibliothèque. Pourquoi avais-je le curieux pressentiment que j'aurai plus de difficulté à trouver le lieu que les informations ? Essayant de m'éviter de nouvelles déconvenues, je me hâtais d'interpeller Terri avant qu'elle ne s'éclipse définitivement.
— Avant que vous ne vous éclipsiez en faisant voler votre cape imaginaire sur un fond de coucher de soleil encore plus imaginaire, la hâlais-je, pourriez-vous m'indiquer la direction de la bibliothèque ?
Ne prenant même pas la peine de s'arrêter, l'algomancienne me répondit tout en continuant de tirer son patient par les pieds comme si cela lui était habituel. Peut-être même que ça l'était, l'Aeternum étant plus étrange que le pays des Merveilles sous cocaïne.
— Facile. Tu sors par la porte principale, puis tu suis le couloir sur ta droite tout droit jusqu'à un escalier, tu ne peux pas le manquer. Il ne te reste plus qu'à gravir les marches et tu verras immédiatement la bibliothèque.
S'interrompant pour réaffirmer sa prise sur la forme argentée, elle glissa un regard dans ma direction.
— Pourquoi as-tu une expression étrange ? me demanda la naine en découvrant mon visage figé.
— J'ai un mauvais souvenir de la dernière fois que quelque chose était ''facile'', déclarai-je en frissonnant.
Terri haussa les épaules puis reprit son chemin, traînant son fardeau sur le sol.
— Tu es bizarre quand même, marmonna t-elle en guise d'au revoir.
— Je vous renvoie le compliment ! lui rétorquais-je en secouant la tête d'incrédulité.
— Tsss... répliqua t-elle en secouant la tête à son tour.
Un demi-sourire accroché à mon visage, je la laissais s'éloigner et fis demi-tour pour me tourner dans la direction de la bibliothèque. C'était facile, n'est-ce pas ? Il me suffisait de sortir de l'armurerie par la porte principale, puis de suivre le couloir sur ma gauche tout droit jusqu'à un escalier. Il ne me restait plus qu'à descendre les marches et je serai arrivée. M'auto-congratulant de posséder une si bonne mémoire, je fis un dernier petit coucou au vampire qui, rassuré par l'absence de bruit, venait d'émerger des entrailles de ses étagères d'uniformes. Dès qu'il m'eût aperçue, Milcost émit un petit glapissement avant de s'accroupir derrière son comptoir. Encore quelqu'un qui m'adorait, j'étais décidément aussi douée qu'Edward aux mains d'argent pour m'attirer des amitiés. Ce fut sur cette pensée que je partis, confiante, à la recherche de la bibliothèque.
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Hey ! :D
Petit cadeau de rentrée (pour ceux qui rentre, évidemment x) ) impromptu ;)
Bon je dois avouer ne pas trop aimer ce chapitre , mais puisqu'il est essentiel au reste de la trame... Puis il permet de bien mettre en place le principe de Morbus ^^ Le prochain chap devrait être plus sympa, avec le retour de plusieurs personnages dont un aux chapeaux farfelus :D
Je prévois encore deux chapitres un peu gentil et puis après, normalement, ça devrait vous plaire avec deux-trois petits événements pas piqués des hannetons ;p (mais on verra ça plus tard ^^). J'avoue être extrêmement impatiente et avoir déjà commencé à rédiger des bouts de scènes pour aller plus vite :3
Bref en espérant que ce chapitre vous aura tout de même (un peu )plu, en dépit de son absence de ... de tout en fait xD, en vous souhaitant une bonne rentrée et SURTOUT !
Du Chocolat ;p <3
Kelewana
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