Chapitre XXXXVI : Decretum

Je hoquetais, me redressant brusquement du matelas dans lequel je gisais, mes mains crispées autour du cadre du lit. Le retour au monde matériel fut moins rude que la fois précédente mais je m'en rendis à peine compte, l'esprit fixé sur une volonté.

— Maxen. Il faut que je lui parle. Tout de suite.

Seul le silence me répondit. J'étais seule.

Mon esprit, perturbé par les déclarations étranges de Sokar, n'avait toutefois pas perdu pour autant ses réflexes conditionnés par mes quelques années de mercenariat. Aussitôt éveillée, je survolais du regard mon environnement, détectant les potentielles menaces et les armes permettant de m'en débarrasser. À mon grand désarroi, je ne dénichais nul briquet, pourtant bien utile pour dégager la pièce encombrée de chapeaux aux formes trop diverses et variées pour encore mériter l'appellation de ''couvre-chef''. Cependant, je remarquais aussi que les autres lits qui constituaient la sommaire infirmerie de l'ACE étaient vides de blessés, malgré les tâches noirâtres souillant les draps blancs. Cela signifiait deux choses. Soit les patients avaient déjà guéri et abandonné leur repos réparateur pour s'empaler gaiement sur le champ d'honneur, soit ils avaient trouvé un repos plus définitif en dépit (ou à cause... ) des soins bienveillants de l'hôtesse de ce lieu. Dans les deux cas, il me fallait partir en vitesse. Si les combats persistaient, j'aurais plus de chances de débusquer Maxen dans les alentours du centre de commandement. Puis, ce n'était pas comme si je gardais un mauvais souvenir de mon précédent (et douloureux) passage, mais tomber sur Eci, aussi délectable cette rencontre pourrait-elle être, ne m'aiderait pas à en découvrir plus à propos de mon passé tandis que le cerveau nébuleux du maître-espion ne m'avait pas encore dévoilé tous ses secrets, ne serait-ce qu'à propos de cette fameuse action mystérieuse capable d'éveiller mon courroux selon Valentia.

J'avais un semblant de plan, il ne me restait plus qu'à l'accomplir, ce qui allait être facile, n'est-ce pas ? Un rictus déforma mes lèvres. Marrant comme je n'y croyais pas moi-même. Néanmoins il me fallait bien commencer quelque part et je me concentrais donc sur la première étape de mon projet, décamper le plus vite possible d'ici. Me levant avec précaution, j'inspectais brièvement mon apparence. Étais-je suffisamment présentable pour ne pas être arrêtée trois minutes après avoir quitté l'infirmerie ? Attention, alerte au spoiler, non. Mon chemisier était tellement lacéré que même une Blanche-Neige sous crack n'en voudrait pas comme serpillière tandis que mes bottines, délicatement posées non loin du lit, ne pouvaient plus être qualifiées de chaussures. Certes le cuir avait surprenamment bien tenu, les taches de sang dissimulées par le noir profond (croyez-moi, si j'étais toujours de sombre vêtue, c'était autant pour faire honneur à ma réputation de Ténébreuse que pour masquer l'hémoglobine de mes victimes), les talons ne pouvaient pas en dire de même. Une large entaille fendillait la semelle droite, la rendant complétement inutile en plus de gagner en dangerosité pour mes chevilles. Quant à mon pantalon, le tissu au niveau des genoux semblait s'être évaporé et il était parsemé d'entailles ainsi que de déchirures. Cependant c'était la pièce la plus correcte de mon apparence, ressemblant à l'évadé d'un magasin de streetwear et pouvait faire illusion sur un champ de bataille. N'ayant jamais prêté grand cas à mon apparence, je décidais de le garder et me mis en quête d'un haut correct et d'une paire de chaussures. Niant les élancements dans mes muscles et mon épaule douloureuse, je commençais à me mouvoir dans la pièce. À mon grand désarroi, les innombrables piles de chapeaux ne cachaient aucune chemise, tunique ou même T-shirt. À la place, je dénichais une carafe ébréchée, une brique de pierre, des fleurs séchées avec des odeurs de viande, une sculpture en corne à moitié peinte et une plume dépassant les deux mètres. Je me demandais comment Eci arrivait à ne serait-ce que rassembler des objets aussi incongrus. Ramassait-elle des objets en permanence telle une kleptomane ou existait-il une sorte de déchetterie magique où elle s'approvisionnait ? Les deux options suscitaient leurs lots de questions et d'amusement mais ne m'aidaient pas à avancer. Frustrée, j'en tapais de mécontentement dans les tas informes de couvres-chef. Cela ne servit à rien mais les voir voltiger à travers la salle me tira une franche satisfaction. Pas autant que si j'avais brûlé l'entièreté de ce fichu château, mais je faisais avec les moyens du bord. Soudain j'eus une étincelle de génie.

— Afin de pouvoir équiper tout ses soldats, l'ACE doit bien avoir une sorte d'armurerie avec des uniformes qui trainent, marmonnais-je. Il ne me reste plus qu'à la trouver, emprunter discrètement un uniforme ainsi qu'une paire de bottes et le tour est joué !

Plongée dans mes pensées, je ne me rendis compte qu'au dernier moment qu'une personne venait d'entrer dans l'infirmerie. Sa voix rauque me fit sursauter.

— Ou pas. Vous allez vous rallonger tout de suite, vous avez une guérison à achever et lui une guerre à organiser. J'aimerai bien que vous arrêtiez de gâcher nos efforts à Ecila et moi en restant intacte au moins une journée complète. Donc vous allez gentiment vous taire pendant que je finis de remplacer vos bandages ou je vais chercher des menottes.

Me retournant pour la dévisager, je fus confrontée à l'expression renfrognée de la compagnonne naine de la chapelieuse. J'aurais pu me sentir menacée par ses paroles si sa taille dépassait celle d'un enfant de douze ans. Malheureusement pour elle, ce n'était pas le cas. De la pointe de sa chevelure brun acajou ramenée en chignon lâche à ses chaussures cloutées, elle peinait à dépasser le mètre vingt. Ce fut donc avec un haussement de sourcil sarcastique que je lui répondis.

— Des menottes ? Sérieusement ?

Nullement décontenancée par mon sarcasme, la naine se rapprocha de moi avant d'effectuer une vigoureuse poussée contre mon ventre, me propulsant dans un lit proche. Ouch. Visiblement, ta tunique blanche d'infirmière camouflait bien sa carrure. Cherchant à reprendre mon souffle après cette attaque incongrue, je ne pus me débattre alors qu'elle rabattait la couverture sur moi. L'infirmière borda les draps avec tant de vigueur qu'à peine eus-je finie de réapprendre à respirer, je me retrouvais piégée dans l'équivalent en literie du Mordor. Sérieusement, comment avait-elle réussie à coincer le linge ainsi ? J'aurais pu être ensevelie sous un bus, lui-même recouvert par un train, le tout surplombé par un Airbus A320, cela n'aurait pas été différent.

— Oui, et vous avez de la chance que je ne vous colle pas dans une cellule capitonnée, me répondit-elle en secouant sa tête. Mais même là, vous arriveriez à vous blesser ...

Me débattant avec les draps, essayant vainement de m'échapper de ce piège mortel pendant qu'elle avait le dos tourné, je lui rétorquais :

— Vous êtes en train de me dire qu'en plein milieu d'une guerre, vous avez aménagé une pièce en cellule capitonnée ? J'adore votre sens des priorités.

La naine interrompit sa tâche nécessitant une sorte de seringue animée et un liquide violet de mauvais augure pour m'adresser un regard stupéfait. Me pétrifiant instantanément, je voulus lever les mains en l'air pour prouver mon innocence. Malheureusement pour moi, mes bras étaient toujours coincés sous ce métal... pardon, ces draps. Heurtant le tissu, j'eus l'impression de m'attaquer à un mur. Un juron m'échappa. J'étais sûre que je venais de me faire au moins un bleu. Relevant la tête, j'eus la surprise de découvrir que mon infirmière (très) costaude ne m'avait pas quitté du regard pendant tout mon petit manège. Je me raidis, m'attendant à une réprimande musclée pour avoir défait les draps mais surtout, à me faire border une nouvelle fois qui réduiraient à néant mes minces progrès. Cependant, si je me fiais à l'expression de son visage, j'aurais pu avoir fait exploser l'ACE à l'aide de quarante bombes atomiques cela ne l'aurait pas plus fait réagir.

— Tu es sérieuse en plus, déclara t-elle estomaquée en utilisant le tutoiement. Tu n'as vraiment aucune conscience de ce qui se passe dans l'Aeternam ...

Son ton n'aurait pas pu être plus sidéré, même en découvrant Elvis Presley, JFK, Marilyn Monroe et Michael Jackson coincés entre deux serpillères dans son placard.

— Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ? me défendis-je.

— Si je te dis que la principale cause de décès dans l'Aeternam est le suicide, à ton avis pourquoi ?

Je clignais des yeux, à mon tour décontenancé par son changement de sujet à 180°.

— Je ne sais pas, peut-être une manière pratique pour les politiciens de justifier la mort de leurs opposants en dépit de leurs quatre balles dans le dos ?

Ma réplique lui arracha un grognement abasourdi.

— Clarifions les choses. Tu sais qu'il existe seulement seulement trois façons de tuer un Immortel : par le feu, par la décapitation et par la destruction de son cœur. Donc si jamais un Immortel est suffisamment précautionneux pour éviter de plonger tête la première dans une cheminée et vit un quotidien plutôt calme, tels les paysans [noms à la con], il ne vieillira et ne mourra jamais. Jusque là, tu me suis ?

— Excepté qu'il ne faut jamais dire jamais, oui.

Cette fois-ci, la naine ne prit même pas la peine de manifester une réaction face à ma boutade. Pourtant elle n'était pas si nulle que ça... ou au moins, j'avais déjà dit largement pire.

— Maintenant, je vais te demander un effort d'imagination. Tu vas devoir essayer de te débarrasser de tes instincts de mortelle, annonça t-elle comme je lisais une recette de cuisine : avec circonspection. Imagine-toi te lever un matin en découvrant que tu es désormais immortelle, que fera-tu ?

— Je ne sais pas, probablement la même chose que d'habitude. Quoique, à bien y réfléchir, non. Je pense que je deviendrais la plus grande fraude à l'assurance ambulante de la Terre.

La naine m'adressa un regard confus, teinté de désapprobation. Elle ne savait pas ce qu'était une fraude à l'assurance mais avait bien compris que ce n'était ni très moral, ni très légal. Bref, tout ce que j'adorais. Comme l'infirmière semblait tout de même attendre que je lui explique, un soupir accouplé à ma réponse s'échappa de mes lèvres.

— Faites comme si je vous avais seulement répondu "la même chose que d'habitude".

Acceptant le fait qu'elle ne saurait probablement jamais ce qu'est une fraude à l'assurance comme d'autres une paire de chaussettes, mon infirmière de petite taille reprit son explication.

— Au début, oui. Les jours s'enchaîneront, semblables, identiques en tout point. Lors de tes premiers siècles, cela ne te gênera pas. Tu te fixeras des objectifs, voyageras à travers l'Aeternam, feras de belles rencontres, deviendras quelqu'un d'important, bref, tu t'occuperas. Puis un matin, tu comprendras que tout ce que tu as vécu n'est qu'une infime goutte d'expérience dans l'océan de ta vie. Si tu ne meurs pas, n'es pas destinée à disparaître, qu'est ce qui peut bien te motiver à te lever ? À faire quelque chose de tes journées ?

Mon regard se brouilla tandis que je fixais le vide. À croire qu'entre Sokar et elle, mon entourage s'était fait passer le mot pour m'obliger à réfléchir. Non pas que je n'ai jamais souhaité être immortelle, la pensée m'avait traversé l'esprit plus d'une fois après une blessure douloureuse ou simplement en arpentant des cités de l'Aeternam peuplées de personnes éternellement jeunes. Mais outre le fait de guérir à la vitesse de la lumière et de ne pas avoir à noyer ma crise de la cinquantaine sous des crèmes anti-rides, j'étais trop attachée à ma mortalité pour chercher à sauter le pas. Pour devenir Immortelle, il faudrait que je devienne une magicienne et les écoles d'Animus étant l'incarnation du neuvième cercle de l'Enfer, cela ne m'avait jamais attirée. Et puis, déjà que je ne savais pas d'où je venais... Cependant considérer les conséquences de l'Immortalité pour ceux ne l'ayant pas choisi, étant né avec, cela ne m'avait pas encombré les synapses. L'assistante d'Eci attendait patiemment que j'eus fini de dérouler le fil de ma pensée et d'un hochement de menton, lui indiquait avoir saisi ce qu'elle voulait dire. Satisfaite, la naine continua son raisonnement.

— Quand les rêves s'affadiront, ne restera que l'habitude. C'est pourquoi les parents ancrent des repères de vie à leurs enfants avant qu'ils n'atteignent l'Immortalité. Dormir la nuit, manger et boire régulièrement, se soucier de la température... autant de choses qui, bien que nécessaire pour être en forme, sont négligeables à un corps immortel pour survivre. Les geôles des maginarchies sont remplies d'exemples si squelettiques qu'ils en feraient peur à un cadavre. L'Animus continuera de faire survivre le cœur et le cerveau éternellement, en dépit de l'état du reste du corps. Mais après des années, des siècles, des millénaires d'existence, même l'habitude finira par s'estomper, te laissant isolée de tout. Pourquoi continuer te demanderas-tu ? Et c'est là que la lame te semblera attirante. Mettre fin à ce tourment... une idée plus que séduisante à cette étape là. C'est ça le mal des Immortels, le Morbus.

Je détournais les yeux, me perdant dans l'imbroglio de matières et de couleurs qu'était les chapeaux d'Eci alors que j'assimilais ces nouvelles informations. Cela n'aurait pas du me surprendre, après tout, rien ne s'obtenait sans prix. Et celui de l'Immortalité était à la hauteur de ce qu'il permettait. Je ne pouvais m'empêcher de voir l'Aeternam sous un autre œil. Comme si toutes ses constructions, ses intrigues, ses batailles ne servaient finalement qu'à camoufler la tragédie accompagnant ce don. La folie.

— Mais les suicides esseulés ne sont pas les principaux problèmes, continua imperturbablement l'infirmière. Non, après tout c'est leur plein et entier choix. Même les plus petits enfants de l'Aeternam savent qu'un jour ou l'autre, le Morbus gagnera. Ce n'est qu'une question de temps et le temps, un Immortel en a à revendre. Car vois-tu, certains sont près à épargner à leurs proches, voire à des peuples entiers, la souffrance qu'ils ont enduré. Des civilisations ont déjà disparu, annihilées par des Immortels bienveillants.

Imaginer un être avec la puissance d'un Dieu devenir fou... quel cauchemar. Peut-être était-ce ainsi que les Nox avaient disparu ? Car les Dieux aussi étaient Immortels, alors étaient-ils concernés par le Morbus ? Je rangeais mon interrogation dans un tiroir au fond de mon esprit, prêtre à la ressortir à la prochaine intervention de Sokar. Considérant mon absence de réponse comme une approbation, mon interlocutrice poursuivait son récit.

— Ainsi, contrairement à vous, les mortels, ce n'est pas l'imprévisibilité de la mort qui effraient les Immortels. Nous connaissons déjà notre fin. Si le Morbus ne nous emportera pas, ce sera un combat ou encore une maladie mentale qui se chargera de nous achever. Car rien de mieux que des siècles, des millénaires, voire même des éons, dans un monde sanglant et brutal pour développer des tares psychiques.

La naine fit une pause, perdue dans ses propres pensées. Ne tenant pas à perturber sa réflexion, je me rendis brusquement compte que l'emprise des draps s'était assez relâchée pour me permettre de me mouvoir. Avec lenteur, j'entrepris de me redresser.

— Plus qu'une magie, des rois ou même des dieux, les Immortels craignent leur propre esprit, conclut-elle en rompant le silence. Voilà pourquoi une chambre capitonnée est une nécessité, et qu'il s'agit même de la rare chose utile dans cette infirmerie. Les lits autour de toi ne servent qu'afin de laisser le temps aux Immortels trop blessés de récupérer sans avoir à tacher leurs propres draps, avant de repartir immédiatement au combat.

Faisant glisser mes jambes hors de la couverture, je me levais de nouveau. Risquant un coup d'œil vers mon infirmière, cette fois-ci prête à réagir si elle tentait de nouveau de me plaquer dans un lit, je guettais sa réaction. Mais son humeur s'était faite songeuse.

—Pourquoi le seigneur Maxen t'a choisie ? me demanda t-elle avec franchise. Il est évident que tu ne connais rien aux fondements de l'Aeternam, alors te plonger dans cette réunion... C'est suicidaire.

Sa question m'interrompit en plein mouvement. Je mentirais si je lui disais que cette interrogation ne m'avait pas traversé l'esprit.

— Je l'ignore, répondis-je avec honnêteté. Je suis l'une des cartes dans sa manche, je suppose que je devais être la plus adaptée à la situation.

D'un claquement de langue contre son palais, la naine rejeta mon hypothèse.

— Cela n'a pas plus de sens. Alenta regorge d'espionnes à la couverture plus solide que la tienne et aux compétences plus adaptées à la situation. Et même s'il tenait absolument à t'emmener ici, pourquoi en tant qu'invitée, surtout à son bras ? C'était inévitable que cela attirerai une attention malvenue, pouvant conduire à exposer ta véritable identité. Te faire passer pour une Immortelle, c'était évident que cela ne durerait pas, même si le conseiller Dubein n'était pas intervenu.

À peine surprise qu'elle connaisse la véritable position de Maxen au sein de l'ACE ou de la réelle utilité d'Alenta comme couverture pour son réseau d'espionnage tant l'assistante d'Eci dégageait l'impression de connaître tout l'Aeternam, j'acceptais ses réflexions pour ce qu'elles étaient : des pistes de questionnement. Ramenant ma jambe gauche contre moi, je laissais l'autre pendre tandis que mon esprit examinait le problème sous plusieurs angles. Depuis le début je sentais que quelque chose était étrange à propos de ma présence ici, mais l'infirmière venait de soulever plusieurs points pertinents. En y repensant, les arguments du maître-espion pour me convaincre de participer à cette réunion ne me semblaient plus si pertinents. Comme l'avait justement fait remarquer mon interlocutrice, j'étais peut-être capable de tuer un être vivant d'un carreau d'arbalète, cela restait peu utile lors de l'activité la plus dangereuse de toute rassemblement impliquant de l'argent et du pouvoir : les ragots. Même le rôle de potiche était inapproprié pour moi puisque j'étais incapable de faire profil bas. Penchant la tête, l'esquisse d'un raisonnement se forma dans mon esprit. Peut-être avais-je fait confiance à Maxen trop vite finalement. Cela me poussa à remettre en question mon envie de lui révéler pour Sokar et ma peut-être essence divine.

— Ah, ces manigances de politicien vont me faire perdre la tête ! s'exclama subitement la naine en interrompant le fil de mes pensées. Crois-moi, moins tu tenteras de comprendre, le mieux ce sera pour toi.

Son conseil avait trop la teinte d'un avertissement pour que je me permette de le négliger. D'un hochement de tête, je lui signifiais avoir compris son message.

— Lorsque l'on aura réussi à quitter ce foutu château, je vais fêter ça pendant au moins une semaine, grommela la naine. Rien de mieux que de s'éclater la panse en s'arrosant d'alcool pour oublier les mauvais moments. Bon, puisque tu semblais pressée de partir, je vais d'examiner afin de vérifier que tes blessures ont bien cicatrisées et je te laisserais partir.

Me retenant de justesse de laisser échapper un soupir de soulagement, je la laissais faire.

Dix minutes plus tard, je le regrettais amèrement.

— C'était obligé pour le coup de la seringue ? lui demandais-je en grimaçant.

— Non, mais je ne peux jamais l'utiliser sur les Immortels, me répondit la naine avec un franc sourire. Alors qu'en j'ai des mortels à soigner, j'en profite. C'est fou comme c'est libérateur ces petites choses...

Détournant les yeux pour ne pas la voir cajoler sa seringue, je m'étirais les bras pour chasser les derniers élancements.

— À tout hasard, tu ne saur—

La naine interrompit ma phrase d'un regard foudroyant, accompagné d'un tapotement de doigt menaçant sur une nouvelle seringue contenant un épais liquide vert. Haussant mon sourcil d'amour, je lui renvoyai un sifflement agacé. Qu'avais-je fait, encore ?

— Vous.

Levant les yeux au plafond (recouvert de chapeaux, évidemment), je posais de nouveau ma question :

—À tout hasard, vous ne sauriez pas où mes armes ont été entreposées ? Et s cela ne vous arrache pas trop de votre précieux temps, pourriez-vous en plus m'indiquer où je pourrais emprunter des vêtements suffisamment pratiques pour combattre ?

Dès que le premier "vous" eut traversé mes lèvres, son visage se détendit comme par magie. Elle arborait désormais son habituelle expression renfrognée.

— Bien sûr. Tu trouveras tes armes dans les appartements du seigneur Maxen, il les a récupéré quand le seigneur Ignitas t'a déposé ici. Quant aux habits, si ceux fourni par Ecila ne te convienne pas, je pense que les uniformes entreposés dans l'armurerie de l'ACE devrait suffire à ton bonheur.

Ayant l'étrange impression d'être redevenue une adolescente rebelle se faisant corriger par une grand-mère, je serrais les dents pour ne pas l'obliger à me vouvoyer à son tour. Parce que je m'en fichais mais surtout parce que son explication restait incomplète. Non je n'avais absolument pas peur des seringues, et aucunement de celle se balançant négligemment au bout de ses doigts, ce n'était pas vrai. J'étais juste un peu anxieuse et avais envie de leur tirer dessus pour les faire disparaître de ma vue avant de faire flamber le bâtiment mais c'était simplement une petite appréhension. Vous ne voulez pas connaître ma réaction face à une araignée. Saleté de bestiole.

— Et où puis-je dénicher cette fameuse armurerie ? lui demandais-je néanmoins.

— Enfantin. Tu sors par la porte sur ta droite, ensuite tu suis le couloir directement sur ta gauche pendant une centaine de mètres avant de tourner sur ta droite. Ouvre la porte bleu clair, mais pas la bleu foncé évidemment, pour traverser une salle de repos. Une fois de l'autre côté de la pièce, prend la porte bleu foncé cette fois-ci. De là, il ne te reste plus qu'à dépasser deux salles puis de poursuivre jusqu'à l'embranchement suivant pour finalement prendre le couloir sur ta droite, ouvrir la troisième porte paire et tu y es ! Simple, non ?

La naine leva les yeux et vit mon visage.

— ... Ou alors, je peux t'y amener. Ça me semble être une bonne idée, non ?

Mon orgueil tenta de me pousser à dire non. Ma raison et mon abominable sens de l'orientation hurlèrent un retentissant oui. Surprise par ma réaction, l'infirmière faillit troubler son masque renfrogné. Faillit.

— Dépêchons-nous alors, je n'ai pas que ça à faire non plus, déclara t-elle avant de partir plus vite qu'une Directioner ne saute sur des pass back-stages.

Jetant un bref regard à mon chemisier réduit à l'état de charpie, je haussais les épaules. Tant pis, je me soucierais de mon apparence une autre fois.  Faisant fi des regards stupéfaits des soldats croisés dans les couloirs, je m'élançais à la suite de la naine. Mon attention concentrée sur elle, j'essayais de ne pas la perdre mais l'infirmière était étonnamment rapide pour sa taille. Éberluée, je me rendis compte que mes jambes peinaient à atteindre sa vitesse. Les douleurs habitant mes muscles se firent plus présentes, comme pour me rappeler mes récentes expériences douloureuses. Il semblerait que même la magie des Immortels ne puissent plus me guérir entièrement. Cela devait à cause de mes blessures et de mes guérisons à répétition. Apparemment laisser un peu de temps de récupération à mon corps n'était pas optionnel. Chouette, je me coucherais moins bête ce soir. Mais plus fourbue. J'aurais préféré l'inverse. Cependant j'avais réussi à rattraper une partie de mon retard sur la naine, la talonnant désormais. Cela aurait pu me rassurer à propos de mes piètres compétences physiques si cette dernière ne s'interrompait pas régulièrement pour s'assurer que je suivais toujours.

— J'aurais dû effectuer un bilan physique supplémentaire avant de la laisser partir, marmonna l'infirmière pour elle-même tandis que j'arrivais enfin à son niveau. Et peut-être une piqûre ou deux en plus...

— Vous savez que je vous entends ? lui déclarais-je en reprenant mon souffle.

Elle me dévisagea avec son habituel renfrognement collé sur ses traits.

— Et ? me demanda la naine en ouvrant la porte la plus proche pour entrer dans l'armurerie.

— Non rien, oubliez, répondis-je dans un soupir. Vous venez de me battre en terme d'asociabilité.

Puis je la suivis, découvrant la salle d'armes de l'ACE. Installée dans l'une des innombrables pièces de marbre dont recelait ce fichu château, sa superficie était de moitié inférieure à celle de la Chambre d'Ambre. Deux guichets en bois avaient été disposé de part et d'autre de la salle, l'un servant à distribuer les montagnes d'uniformes cachées derrière la silhouette du vampire responsable tandis que le deuxième était gardé par un robuste gobelin endormi à l'air aussi amène que les armes accrochées aux râteliers dans son dos. Le reste de l'espace était divisé entre des mannequins d'entraînement, des cibles de tir, des bancs de bois et des sortes de cabines d'essayage.

— Normal. J'aime pas les gens, énonça la naine qui s'était avancée jusqu'au centre la pièce pour examiner une flèche perdue.

De mon côté, je m'étais rapprochée du guichet des uniformes. Le nosferatu, après un bref coup d'œil expérimenté, me tendit un haut ainsi qu'une paire de pantalons. Refusant la deuxième part d'un mouvement de tête, j'attrapais ma récolte puis me dirigeais vers une loge.

— Pourquoi être devenue infirmière alors ? demandais-je distraitement à mon accompagnatrice en enfilant mon nouveau vêtement. Pour voir souffrir des personnes ?

Après m'être défait de la dépouille de ma chemise, je glissais mes bras dans les manches de mon nouveau haut. Il s'agissait d'une tunique taillée dans une matière évoquant le cuir tanné mais en plus souple et plus léger. Son utilité martiale était amplifiée par des renforcements au niveau du cœur et un col rigide protégeant superficiellement le cou d'une décapitation, les indispensables des Immortels . Teintée de sombre, cet uniforme semblait avoir été conçu pour des champs de bataille en extérieur avec ses longues manches et sa capuche doublée.

— Totalement. Même si je ne suis pas infirmière.

La réponse de la naine me surprit doublement lors de mon essayage. D'une part à cause de la vérité brute contenue dans sa voix et d'autre part car en reprenant la parole, elle rompit le silence, me faisant sursauter par la même. J'étouffais un juron. La rencontre de la boucle de ceinture avec ma main venait de se solder par une égratignure pour moi.  J'espérais que la date du dernier repas du vampire ne datait pas trop.

— Qu'êtes-vous donc ? la questionnais-je néanmoins en sortant de la cabine.

L'uniforme était légèrement trop grand au niveau des épaules et des manches mais rien de rédhibitoire. Satisfaite, je dépassais la naine en train de tenter de reconstituer la scène de crime ayant conduit à la mort de cette pauvre flèche si loin des cibles pour emprunter des bottes au nosferatu. Il eut l'extrême politesse de ne pas regarder en direction de mon égratignure et me sortit trois paires à essayer. J'en attrapais une au hasard et glissais mon pied gauche dedans.

— Algomancienne. C'est une branche de la sorcellerie spécialisée dans la douleur, je peux autant la réduire que l'amplifier.

— Oh.

Contrairement à ce que vous pourriez le penser, mon interjection de surprise n'était pas due à la révélation de l'infirmière. En effet, toute personne passant sa journée à jouer avec des seringues ne pouvait être qu'une dangereuse sadique en puissance et sa casquette d'algomancienne collait donc parfaitement avec  le reste de sa personnalité. Ma surprise prenait source autre part, plus précisément du fond de ma botte. Mes orteils venaient de percuter un objet dur. Curieuse, je retirais mon pied et retournais le soulier pour faire tomber ce Kinder Surprise improvisé. Une bague en chuta, rebondissant sur le sol en marbre avec un bruit clair. 

— Bref, nous ne sommes pas ici pour échanger sur nos vies, coupa t-elle la naine avec sécheresse, indifférente à ma découverte. Alors à moins que tu n'aies d'autres questions inintéressantes, je vais t'abandonner ici. Essaie de tenir une journée au moins.

— Justement, j'ai une dernière question pour vous. Auriez-vous une idée de ce que c'est ? dis-je en tendant le bijou devant moi.

Massif, il avait été visiblement créé pour être porté sur un pouce. L'anneau était large, forgé dans un métal argenté ayant été terni par les années. Le chaton quant à lui représentait un étrange emblème gravé, une sorte d'œil entrelacé avec des rameaux. De petites pierres translucides étaient serties pour faire figurer des étoiles tout autour du motif principal tandis qu'un joyau bleuté plus imposant servait d'iris. Une dernière gemme d'un noir profond avait été enchâssée pour matérialiser la pupille. En dépit de l'âge évident du bijou, aucune crasse ne marquait le symbole, preuve qu'un grand soin y était apporté.

— C'est une chevalière nobiliaire ! s'exclama le nosferatu qui s'était penché par dessus son comptoir pour observer.

— Il s'agit même d'une chevalière fae. Vous voyez les petites fleurs sur les branches ? Cela signifie qu'elle appartient à un membre de la Cour Seelie. Et si j'en crois le nombre d'étoiles, c'est une famille très proche de la royauté, conclut l'infirmière avec un claquement de langue. Je ne sais pas qui l'a perdue, mais il doit être en train de vider tout le château à sa recherche.

Examinant de nouveau mon butin, j'écoutais d'une oreille distraite le vampire déblatérer.

— Ce qui est surprenant, c'est que je n'ai vu aucun fae par ici. La plupart d'entre eux sont venus avec leurs propres armures et affaires, contrairement aux Inferis par exemple. Et je peux vous assurer n'avoir vu personne porter cette chevalière sur sa main, elle est trop grosse pour ne pas être remarquée.

— C'est sans doute pour cela que je l'ai retrouvée dans un botte, ajoutais-je en jouant avec les reflets sur la bague. Son propriétaire devait ne pas vouloir se faire remarquer sans pour autant trop s'en éloigner.

Mon hypothèse sembla amuser le nosferatu qui s'appuya à son guichet en penchant la tête.

— C'est une proposition intéressante. Mais pourquoi ne l'aurait-il pas mis dans sa poche, par exemple ? Cela lui aurait évité de la perdre.

— Parce que vos fichus uniformes n'en ont pas, grommela la naine. Le nombre de fois où mes patients s'en sont plaints...

Celui avec les dents les plus longues de la pièce leva deux bras en l'air, comme pour en appeler au Dieu Majeur des Poches Sur Les Uniformes.

— Eh, ce n'est pas de ma faute ! J'ai transmis la demande au secteur Équipement du quartier général.

— Et qu'a t-il répondu ? s'enquit-elle.

— D'aller me faire foutre. Trois ans après.

— Au moins, ça a le mérite d'être clair. Et de te rappeler que ton niveau d'importance flirte avec des valeurs négatives.

Le vampire éclata de rire avant de secouer la tête.

— Terri... Le jour où vous changerez, ce sera le dernier de ce monde.

— Normal, je préfère encore tout vous emporter avec moi dans la tombe plutôt que de devoir faire un ... câlin, déclara t-elle tandis que son visage devenait la vivante incarnation du Dégoût.

— À votre avis, je peux tirer combien en vendant cette breloque ? les interrompais-je avec ma question.

L'hilarité disparut des traits du nosferatu tandis que Terri me contemplait tel qu'elle le ferait face au Joker lui déclarant qu'il allait détruire Gotham City : peu surprise, se questionnant sur la probabilité de l'événement et sur le nombre de neurones me restant.

— Je suis sûre que je peux tirer une petite jolie somme d'argent de cette breloque, autant en profiter, non ? leur dis-je d'un ton absent alors que je soupesais la future source de ma fortune.

— Auxanne... commença la naine avec la même prudence que face à un fou possédant la mallette des codes nucléaires des États-Unis. C'est une chevalière nobiliaire de fae.

Agacée qu'elle ressasse les mêmes informations comme si j'étais un enfant refusant de lâcher sa peluche préférée alors qu'il s'agit en réalité d'un berger allemand enragé.

— Oui et ?

— Or, comme tu l'as justement fait remarquer, reprit l'infirmière, elle a sans doute été cachée par son propriétaire. Sauf que pourquoi un noble de la Cour Seelie, sûrement l'un des Immortels les plus arrogants de l'Aeternam, dissimulerait sa haute ascendance ?

— Pour ne pas être reconnu ? proposais-je.

— Et pourquoi chercherait-il à ne pas être reconnu alors que nous sommes en plein cœur du quartier général de l'ACE, dont les deux cours faes sont parmi les plus ardentes alliées ? ajouta le vampire afin d'aider sa collègue.

— Si tu veux de l'aide, c'est un mot qui commence par "t" et finit par "-raître", marmonna la plus petite des deux.

J'en levais les yeux au plafond. Ils croyaient vraiment que j'étais assez stupide pour ne pas l'avoir compris  seule ? Je savais que ma couleur de cheveux était trompeuse mais tout de même... Comment pouvait-on croire qu'une personne stupide arriverait à survivre en temps de guerre ?

— Justement ! m'exclamais-je. Cela signifie que je peux la revendre plus chère à son propriétaire, puisqu'il cherche à dissimuler son identité !

Mes deux interlocuteurs clignèrent plusieurs fois des yeux, interdits, avant d'arriver à me répondre.

— Peut-être suis-je plus asociale que toi, déclara Terri, mais certainement pas plus amorale. Tu me bats largement.

— Attention, lui rétorquais-je, vous allez me faire rougir à me complimenter ainsi.

Si ma réponse surprit le nosferatu, elle ne tira qu'un grognement à la naine.

— Et si tu nous remettais cet indice ? proposa l'infirmière.

J'en levais mon sourcil d'amour.

— Plutôt mourir, c'est mon précieuuuuux ...

Ratant complétement la référence, Terri haussa les épaules et après un regard de connivence avec le vampire, rétorqua :

— S'il le faut ...

Et les deux s'élancèrent vers moi, leurs intentions meurtrières clairement dessinées sur leur visage.

Une demie-seconde plus tard, je menaçais le nosferatu en tenant un stylet contre son cœur tandis qu'un deuxième était plantée en travers de la gorge de la naine.

— Bordel, je pensais te les avoir tous enlevés ! se plaignit-elle en retirant la lame de son cou dans un bruit de succion. Comment arrives-tu à les dissimuler ?

— Secret professionnel, répliquais-je avec un rictus. Maintenant que je vous ai battu, vous acceptez que je garde la chevalière ?

Si une lueur d'hésitation demeura dans le regard de Terri, ce ne fut pas le cas pour le vampire qui hocha précipitamment la tête. Tiens, c'était marrant comme menacer les gens les rendait plus coopératifs.

— Puisque Milcost accepte, je ne peux pas en faire autrement, grinça t-elle entre ses dents.

Sans m'appesantir sur le nom de mon otage, je babillais joyeusement :

— Parfait alors ! Voilà ce qui va se passer maintenant. Je vais relâcher votre copain, puis après m'être armée décemment, je vais aller à la pêche aux informations à propos de cette fameuse bague. Une fois fait, j'irai tout raconter à notre maître-espion qui réagira en conséquence. Est-ce que la bibliothèque se trouve dans la zone occupée du palais ? C'est juste pour que j'adapte mon emprunt de lames en fonction du nombre de démons à affronter.

La naine marmonna un "aucune idée" peu coopérant. Un haussement de sourcil supplémentaire et une pression avec mon arme contre le cœur de mon otage plus tard, ce dernier n'arrivait plus à s'empêcher de cracher des informations. Une personne plus gentille en aurait éprouvé des remords. Mais puisque je n'étais pas cette personne et j'adorais ça.

— La-bibliothèque-a-été-libérée-tout-comme-les-quartiers-privés-des-invités.-Les-zones-de-tension-sont-concentrées-autour-de-la-grande-salle,-les-cuisines,-et-les-appartements-des-domestiques.-Les-portes-sont-toujours-contrôle-ennemi-mais-les-stèles-d'atéléportation-ont-enfin-été-brisées-donc-ce-n'est-plus-si-grave.

— Assez, le coupais-je. Si les stèles empêchant la téléportation ont enfin été brisées comme tu le dis, pourquoi l'ACE n'évacue pas les lieux ?

— Car la cérémonie débutée par le conseiller Dubein est différente de celle initialement prévue. Or celle qu'il a effectuée a la particularité de devoir être conclue par un deuxième don du sang. Lors de la première partie, la bataille qu'elle a enclenchée a suffit à contenter les Dieux mais si la deuxième partie n'est pas accomplie, nous serons tous tué par leur Lumière. Et avant que tu ne poses la question, les deux parties de la cérémonie doivent être réalisée par la même personne, c'est pour cela que nous ne l'avons pas encore achevée.

Une cérémonie avec option bombe à retardement magique, quelle bonne idée. Et puisqu'il s'agissait de mon antithèse, même ma prétendue nature d'Aspect de l'Obscurité ne serait pas suffisante pour y échapper. Je retenais aussi la petite information croustillante sous-jacente : si une personne suicidaire voulait tous nous tuer, par exemple et à tout hasard afin de se débarrasser de l'ACE, il lui suffisait d'exécuter Ian. Vraiment, un jour, j'attraperais ce foutu karma qui me narguait en permanence.

Et comme si y avoir pensé avait invoqué des contrariétés, nous entendîmes subitement des échos de pas. Notre trio se tourna en direction du bruit, c'est à dire la porte de la salle. Son battant s'ouvrit brusquement et avec fracas, laissant passer la nahual aux yeux canins de la dernière réunion. Cette dernière arborait toujours la même longue cape de fourrure, bien de désormais tachée de vermillon, qui battait ses flancs avec une vigueur égale à celle de sa démarche. Ses longs cheveux bruns sombres avaient été ramené en une tresse, dont s'échappaient des mèches qui encadraient les traits anguleux de son visage. Elle traînait avec détermination un sac informe sur le sol. Lorsque la nahual vit notre étrange association, elle porta la main à son fourreau avec méfiance.

— Que se passe t-il ici ? nous apostropha t-elle.

— Absolument rien, siuapili Izel, répondit la naine en la défiant de contester son affirmation.

J'en profitais pour relâcher mon emprise sur le vampire. Milcost s'éloigna avec précipitation de moi tandis que Terri me rendait le stylet ayant (brièvement) occupé sa gorge. La nahual suivit notre échange avec intérêt avant de reporter son attention sur l'infirmière.

— Heureuse de voir que vous m'avez fait perdre mon temps pour absolument rien alors, asséna Izel d'une voix plus tranchante qu'Incarnat. Cela fait une demie-heure que je vous cherche à travers le palais. Je ne savais pas que vous pouviez quitter les appartements de la chapelieuse.

Terri se raidit.

— Ecila n'est pas à un stade si avancé, elle a encore le droit de circuler seule.

La sécheresse de sa voix transforma l'ambiance de la pièce en annexe du Sahara. Désormais habituée à ne qu'à demi comprendre les conversations, je me rapprochais du guichet réservé aux armes tandis que le nosferatu battait en retraite derrière son comptoir. M'assurant que le gobelin responsable dormait toujours en agitant une main devant son nez, je profitais avec bonheur

de l'aubaine pour faire mes emplettes. Pardon, mes emprunts.

— Cela ne tardera plus, déclara la nahual avec une teinte de tristesse dans les yeux. Nous allons bientôt devoir l'enfermer. Pour son bien.

— Alors laisse-lui ses dernières bouffées de liberté, rétorqua avec aridité la naine. Quand viendra ton tour, tu en demanderas autant.

Izel acquiesça avec lenteur.

— Soit. Je me fis à votre avis, mais aucun écart ne sera toléré.

Terri étrécit ses yeux, croisant les bras.

— Ne me dis pas comment faire mon travail et je ne te dirai pas comment faire le tien.

— Très bien. Cependant, ce n'était pas pour cela que je voulais vous voir originellement.

Revenant des profondeurs insondables des râteliers avec suffisamment d'acier forgé pour me lancer dans le commerce d'armes. Transportant mon butin à bras le corps, je juchais un casque prélevé pour l'occasion sur le crâne du gobelin endormi en regrettant de ne pas avoir prévu de rouge à lèvres pour dessiner sur son visage avant de poursuivre mon avancée vers le centre de la salle. La nahual et la naine se dévisageaient toujours, insensibles au reste du monde.

— Et c'était pourquoi donc ? s'enquit Terri avec une moue dédaigneuse.

Izel se baissa pour saisir le paquet derrière elle et le propulsa vers l'infirmière d'une vigoureuse poussée.

— Ça.

Arrivée à hauteur de la naine, j'y adressais un coup d'œil curieux avant de me figer. Ce que j'avais d'abord pris pour un sac informe laissait des traces écarlates de mauvais augure sur le plancher. Ressentant une curieuse prémonition, je penchais mon regard vers le tas pendant qu'Eci s'accroupissait pour le retourner. Découvrant la nature de ce mystérieux cadeau, elle émit un hoquet de surprise. Il s'agissait d'un Immortel doté d'une forte carrure ainsi que de muscles prononcés. Même ainsi étendu sur le sol, il semblait gigantesque. Pourtant le plus impressionnant était la quantité d'entailles balafrant une peau naguère bronzée, désormais livide. Des traits rougeâtres couraient le long de son torse, en rejoignaient d'autres sur ses bras avant de s'éloigner pour marquer son visage. D'anciennes estafilades avaient empiré, devenant des trous béants qui offraient sans gêne une vision vers ses organes vitaux. Le corps devant nous avait été tant abîmé que même l'Immortalité peinait à le guérir. J'en venais à me demander comment pouvait-il encore être en vie. La personne lui ayant infligé ce supplice avait transformé un être vivant en sculpture vivante de la douleur, lui refusant la grâce du dernier coup, le droit à mourir. C'était un expert qui savait comment infliger la douleur comme d'autres maniaient un pinceau. Qu'un bourreau pareil puisse arpenter les couloirs de ce château me faisait froid dans le dos. Je n'avais jamais toléré la torture, quelque soit sa forme, et ses instigateurs ne méritaient pas le statut d'être humain ou Immortel. Évidemment que je n'étais pas innocente et savais que les deux camps, aussi bien l'ACE que l'Empire Pandémoniaque la pratiquait mais il s'agissait d'une limite que je m'étais toujours refusée de franchir. Cette pensée me tira un sourire sans joie. Il semblait qu'en dépit de ce que pensait Terri, des miettes de morale subsistaient en moi. Cependant d'un geste la naine rompit le fil de mes pensées. Attrapant les cheveux poisseux de sang, elle les dégagea du visage de la victime. M'immobilisant de nouveau, je distinguais la forme caractéristique d'une corne torsadée mais aussi celle d'une oreille effilée. Non, ce corps ne serait-il pas... Achevant mes doutes d'une torsion de poignée, l'infirmière exposa au regard du monde l'identité du supplicié à nos pieds.

Ainsi était-ce un fae, représentant de son peuple de l'extrémité de ses cornes tordues à ses sabots fendus, possédant le titre de roi des Faunes, plus simplement nommé Roman de Scylla.

Et il venait d'ouvrir ses paupières, plongeant son regard d'obsidienne, rendu vitreux par la douleur, dans le mien.

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Hey ! :D

Cela faisait longtemps ! (oui j'écris ça à chaque fois en ce moment x) )

Je dois avouer avoir été en vacances dans un lieu sans ordinateur ni réseau ce qui a complexifié (ainsi que rallongé le temps x') ) la confection de ce chapitre. Cependant c'est la première fois depuis loooooooooongtemps que j'ai réussi à mettre tous les événements que je voulais dans un segment xD. Et puisqu'au fur et à mesure de l'écriture, les chapitres deviennent de plus en plus lourds, j'ai la fierté de vous annoncer que nous avons dépassés les 7000 mots \o/ (.... je n'ose imaginer ce que donnera le dernier chapitre xDD)

Bref, toujours à cause de ce fichu manque de réseau, j'ai pas mal de retards dans mes notifs et vais m'atteler à résoudre ce problème ^^

En espérant que ce chapitre vous aura plu en dépit des thèmes... ultra joyeux (entre suicide et torture, nous sommes à la recherche de la gaité x) ). Il contient donc moins d'humour que d'habitude mais je me voyais mal caser des blagues entre deux discussions sur le Morbus :\ L'avez vous tout de même apprécié ?  Comme d'habitude, j'attends vos retours avec impatience :D

En vous disant à la prochaine fois (... je ne sais pas du tout quand ce sera x) ) et surtout le traditionnel chocolat de fin de chapitre ❤

Kelewana

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