Chapitre XXXX : How Can I Say

Immobile au milieu de la pièce, je tentais de rassembler mes pensées. Pour se faire, j'utilisais ma technique favorite : focaliser mon esprit sur une tache. C'était toujours plus facile de faire un puzzle si il n'avait qu'une seule pièce. Logique Implacable. Il ne me restait plus qu'à créer mon entreprise de jouets et devenir milliardaire.

Soupirant presque face à ma propre bêtise, je préférais examiner les magnifiques habits dénichés par Eci. Les étalant sur le dessus du lit, je les observais comme si ils allaient me déchiqueter le bras au moindre effleurement. Comprenez-moi, je trouvais suspect que la nahual ait réellement prévu une tenue convenable au milieu de toutes les fanfreluches de dentelles. Cela ne m'aurait pas surpris qu'elle ait prévu quelques petits tours de magie. Et pas du genre sortir un lapin de ses chapeaux. Pourtant, les bouts d'étoffe semblaient inoffensifs.

Un chemisier rouge vif taillé dans un tissu fluide complétait un pantalon noir à la coupe ajustée. Les habits semblaient neufs ainsi qu'à ma taille. L'ensemble aurait presque pu être originaire de la Terre si le bas avait possédé une fermeture à glissière et non des boutons et si il y avait eu des étiquettes. Néanmoins, cela restait de très bonnes imitations. Je me tournais vers l'armoire, armée de la ferme intention de débusquer les sous-vêtements les plus portables. Après trente minutes de fouille intensive et deux dépressions nerveuses, je tirais de ma chasse aux œufs de Pâques une brassière (presque) sans dentelle avec un soutien correct de ma poitrine en cas de combat mais avec suffisamment de lanières pour ligoter un minotaure et un bout de tissu ressemblant presque à une culotte. Mon seul réel réconfort était la paire de bottines à talons compensés dénichée entre deux paires d'escapins à la hauteur hautement périlleuse pour mes chevilles. En cuir noir, elle alliait élégance et confort, ce qui en faisait une pièce rare. Face à ma néanmoins maigre révolte, je soupirais exaspérée. Je ne savais pas quand ni comment mais j'allais me venger d'Eci. Et pas discrètement. Du genre à faire passer la Seconde Guerre Mondiale pour une dispute de bac à sable.

Ayant perdu assez de temps, je me débarrassais de mes vêtements déchirés le plus rapidement possible et en fis une boule crasseuse informe (mais avec plus de matière que le contenu entier de l'armoire). Me sentant poisseuse, ma peau semblait recouverte d'un étrange mélange de sang, de sueur et de crasse. Un cocktail sensitif peu ragoûtant en somme. Je me demandais si Maxen avait une salle de bain mais me voyais mal sortir lui poser la question en petite tenue. Surtout crasseuse. Espérant que la chambre était communicante avec la salle d'eau, je vérifiais rapidement les murs de la pièce. Le problème des placards encastrés, c'était que vous ne saviez jamais si en ouvrant la porte vous tomberez sur une douche ou atterrirez à Narnia. M'approchant des poignées chromées, j'en tournais une au hasard.

Et clignais les yeux en découvrant un petit jardin verdoyant derrière le battant. Devant moi s'étalait ce qui autrefois devait avoir été une cour carrée mais qui depuis avait fusionné avec la jungle amazonienne. Le plafond en verre diffusait une forte chaleur, sans aucun doute magique, tandis qu'un petit ruisseau serpentait à travers la terre meuble pour irriguer les plantes. Curieuse, je m'avançais sur un sentier de galets polis pour explorer les lieux plus en profondeur. Mais j'en eus rapidement fait le tour, le jardin semblait plus grand qu'il ne l'était vraiment. Cette impression était accentuée par la végétation luxuriante recouvrant les murs et grimpant jusqu'au plafond de verre à dix mètres de hauteur. L'herbe m'arrivait à mi-mollet tout en semblant merveilleusement désorganisée. C'était comme si chaque brin avait poussé de manière indépendante des autres, suivant sa vie placide de plante verte, avant de rejoindre sa vaste famille couleur pelouse pour former un tableau champêtre hasardeusement esthétique. Cependant le plus extraordinaire restait les fleurs. C'était elles les véritables maîtresses des lieux et tenaient à le faire savoir. Sortant de tous les recoins, occupant le moindre espace libre, elles jaillissaient dans une explosion de formes, de textures, de couleurs et d'odeurs. Si et là je reconnaissais des plants de lavandes, des bouffées du parfum des hibiscus ou encore du glaïeul esseulé, il y avait aussi des espèces dont je n'aurais jamais osé soupçonné l'existence. Mes découvertes préférées étaient la fleur qui ronronnait, celle aux pétales d'une délicate couleur cuivrée, sa voisine argentée qui semblait plus coupante qu'un rasoir et enfin, l'étrange hybride entre une orchidée et la glycine avec des petites lumières courant le long de sa tige avant de s'enrouler autour de ses pistils. Bien que fascinée par cette profusion fleurie, je dus me retirer à regret. Le temps passait et si je voulais pouvoir me laver avant que l'Empire Pandémoniaque ait conquis le château, il me fallait me dépêcher. Refermant la porte avec délicatesse, je me fis la remarque que j'avais trouvé le jardin secret de Maxen. Cela me fit rire et je décidais que, ayant l'air stupide à rire seule devant un placard, je la sortirai aussi à mon sorcier favori. Rien que pour voir son visage affligé par mon jeu de mot. Que voulez-vous, il faut savoir profiter des petits plaisirs de la vie.

Entrouvrant une deuxième porte, je fus soulagée de ne découvrir qu'une innocente penderie. La tentation de la fouiller afin de trouver les potentiels secrets de Maxen m'effleura l'esprit. À peine. D'accord, je restais plantée devant à hésiter. Chercher-ne pas chercher-chercher formait une ronde pour enfants dans ma tête. Et je ne savais pas sur lequel frapper pour que cela s'arrête. Cependant, après quelques minutes de réflexion presque aussi intense qu'un café italien à sept heures du matin, je pris ma décision. Au demeurant, j'étais une personne adulte et raisonnable, non ?

Oui, j'ai pensé la même chose. Alors j'ai plongé ma main dans ses affaires. Avant de la ressortir très vite, un papier froissé déniché entre deux chemises. Aussi fébrile qu'une gamine à Disneyland (et parfaitement insupportable donc), je le dépliais pour révéler ses secrets. Et fus déçue plus profondément qu'un éléphant dans une piscine gonflable. La feuille était complétement blanche. Aucune tache d'encre ou de crayon n'en maculait la surface. Je l'exposais à la lueur de la lampe, vérifiant qu'il n'y avait pas de mot secret écrit en filigrane. Mais rien. Je l'aurais bien exposé à une lampe à UV si je n'étais pas certaine que Maxen n'en avait jamais entendu parler et surtout si j'avais eu une lampe à UV. Plaquant ma déception dans un recoin de mon esprit bien sombre avec des araignées marchant au plafond, je renonçais (provisoirement) à ma fouille et ouvris la troisième porte.

Évidemment, c'était bien celle de la salle de bain. Où que ce soit dans l'univers, si jamais vous aviez le choix entre trois options, c'était toujours la dernière la bonne. Si si si, c'est une règle universelle je vous dis. Si vous n'êtes pas d'accord, c'est parce que vous n'avez pas confiance en moi. Et qui de sain d'esprit ne croirait pas en une amnésique mercenaire aux (très) légères tendances psychopathes ? Les gens étaient soupçonneux de nos jours, une vraie honte je vous jure.

Néanmoins, je détaillais rapidement la salle de bain du regard que je résumais ainsi : du blanc, du noir, du blanc, du noir, une douche, le reste j'en ai rien à faire. Puisque j'étais quelqu'un de fondamentalement gentil, j'ajouterai qu'il a avait un tapis blanc, que le sol était en marbre noir et que les seuls meubles étaient un lavabo d'inspiration médiéval (enfin je le supposais car avec les Immortels, on pouvait jamais savoir) ainsi qu'une douche en pierre. Me débarrassant de mes restes de tenue, j'entrais dans cette dernière avec l'esprit habité d'une délicieuse attente. malheureusement pour lui, il se heurta à un problème inattendu : je n'étais pas sur Terre. Oui, cela faisait longtemps. Mais plus précisément, cette douche était apparemment magique et je n'avais aucune idée de comment elle fonctionnait. Il n'y avait ni paume de douche, ni savon. Juste une mosaïque représentant une sirène stylisée recouvrant le fond opposé à l'entrée. Un brin dubitative quant à cet étrange appareil, je remarquais néanmoins que certaines des pierres ressortaient plus que les autres. Était-ce comme cela que les douches animées fonctionnaient ? J'haussais les épaules. De toute façon, je n'avais qu'une seule façon de savoir. Mon doigt appuya sur l'une des écailles de la sirène et aussitôt je vis des bulles de mousse voler autour de moi. OK. Je venais de trouver le savon. De façon hasardeuse, j'enfonçais d'autres morceaux de mosaïque et déclenchais successivement l'aspiration, les jets moussants (ils n'y avaient que des magiciens pour imaginer une douche à jets moussants), le massage (ou comment vivre l'étrange expérience de sentir ton dos se détendre sans aucune raison) avant d'enfin dénicher celui me permettant d'être arrosée. L'eau sortit mes mains de la sirène avant de m'envelopper, coulant le long de mon corps continuellement. Le liquide était glacé mais je renonçais à trouver l'eau chaude, cessant toute tentative de comprendre l'esprit des Immortels. J'en comprenais presque les incompréhensions de Maxen face au monde terrestre.

Malheureusement pour moi, le séchage était aussi intégré. Donc je dus à nouveau découvrir toutes les options de la douche avant de dénicher la bonne. Autant vous dire que j'enfonçais chacune des pierres de cette fichue mosaïque avant de deviner celle que je voulais. Pour se sécher, il fallait juste appuyer simultanément sur la nageoire de la sirène et une bulle s'échappant de sa bouche. Que c'était évident ! Un brin agacée par ce problème imprévu, je le fus encore plus en me rappelant que je n'avais pas apporté mes habits de rechange. Je sortis donc de la douche dans ma tenue de naissance avant de me diriger vers la chambre. mais, captant une tache sombre du coin de l'œil, je m'immobilisais face au miroir du lavabo. La vue de mon reflet me paralysa. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas autorisée à me regarder. Mo torse et mon visage encore marqués par des éraflures de mes dernières échauffourées malgré ma guérison express. Ces traces rougeâtres détournaient le regard de mes cicatrices plus blanches, et surtout plus vieille. Passant un doigt sur certaines d'entre elles, je me remémorais comment je les avais acquises. Celle sur le long abdomen était due à un épéiste nain plus doué que moi tandis que celle s'éclatant sur mon épaule était le résultat d'une rencontre explosive avec un mage de fer nahual. D'autres encore ne me remémorer aucun combat, datant d'avant mon amnésie et gardant leurs secrets. Je n'avais pas attendu l'ACE pour être une combattante, quoi que Maxen puisse penser. Mon corps était le témoin vivant d'une vie mouvementée. Cependant la marque la plus étrange restait celle apposée au niveau de mon cœur. Reposant sur le flanc droit de mon sein gauche, un tatouage en forme d'étoile s'étalait sur ma chair. Je touchais la marque, cherchent à en sentir les contours. Car elle camouflait aussi une légère aspérité, ma peau étant plus rigide à cette endroit de mon corps. Je ne savais pas d'où me venait cet étrange tatouage mais j'étais sûre qu'il était un indice pour me souvenir de mon passé. Pourquoi ? Et bien, outre sa forme et son emplacement porteurs de symboles, sa surface ne reflétait aucune lumière. Quelque soit la puissance de la lumière ou ma forme, l'étoile était d'un noir d'encre de néant. J'étirais pensivement ma peau, observant comment la lueur des lampes jouait sur mon tatouage. C'était comme un trou béant dans ma chair et seul le contact de mes doigts l'ancrait dans la réalité. Un frisson parcourut mon échine. En dehors de mes pouvoirs, c'était un indice de plus qui m'éloignait de l'Humanité.

— Téné ? Tu es bientôt prête ?

La voix de Maxen, étouffée par les nombreuses portes nous séparant, me fit sursauter

— Oui, oui... Je suis là ! lui répondis-je en m'élançant vers la chambre en vitesse.

J'enfilais les sous-vêtements le plus rapidement possible, en fis de même avec le pantalon et me vêtis du chemisier comme d'une veste tandis que je faisais demi-tour pour dénicher une brosse et de quoi m'attacher les cheveux. Je glanais un peigne décoratif noir en bois laqué et un ruban de velours sombre. Plantant le premier dans ma chevelure à peine humide (j'admis que la douche magique avait quelques bons côtés, rares mais ils existaient), plaquant le deuxième sur la surface du lavabo, je boutonnais mon chemisier en dixième vitesse face au miroir pour m'assurer du rendu des plis. Suffisamment satisfaite pour que ce soit socialement acceptable, je repartis dans la chambre avec une rapidité à faire pâlir d'envie Bip-Bip tout en attrapant mon butin de coiffeur. J'enfonçais mes pieds dans les bottines noires, parsemais ma tenue de mes stylets rescapés avant de saisir de la main gauche mon arbalète et j'enfilais l'amulette de Valentia. Durant toute l'opération, je tentais de démêler mes cheveux avec de grands coups de peigne verticaux.

— Ça va ? Cela fait cinq minutes que tu m'as être là, me parvint la voix d'un sorcier tendu.

J'en levais les yeux au plafond en voûte. Il n'avait pas intérêt à me dire que j'étais longue ou j'allais lui faire avaler les sous-vêtements en dentelle d'Ecila. Avec les habits associés. L'avantage, c'était qu'il y avait plus d'air que de tissu donc ça ne lui comblerait même pas l'estomac.

Néanmoins, je daignais sortir, le ruban en velours entre les dents et peignant avec force ma chevelure blonde argentée. Ouvrant la porte d'une main, je lui répondis :

— C'est bon, je suis prête !

Ce qui, étant donné le morceau de tissu encombrant ma diction, résonna plutôt comme un :

— 'est bon, 'e 'uis prête !

Cependant Maxen arriva à me comprendre et ne fit pas de remarque sur ma définition de "être prête". Tant mieux pour sa santé. Je tressais rapidement ma tresse avant de la nouer avec le ruban puis l'enroula sur le haut de ma tête en la fixant avec le peigne noir.

— Je ne critique pas ton choix d'accessoires, mais est-ce que tu es certaine de vouloir venir avec ton arbalète ? me demanda t-il après avoir observé mon manège chevelu.

Son espérance de vie venait d'être raccourcie à dix secondes. Le temps que je sépare son cœur de sa cage thoracique comme il voulait me séparer de mon âme sœur. Je lui dédicaçais même mon fameux "regard-de-la-mort-qui-tue". Cela eut l'air de lui remettre les idées en place.

— Si tu y tiens vraiment, je ne m'y opposerais pas, me répondit-il diplomatiquement.

Un sourire étira ses commissures. Rassurée de ne pas avoir à défendre ma fougueuse relation avec mon arbalète, je le détaillais plus précisément. Le sorcier avait lui aussi profité de ce court intermède pour se rafraîchir et se changer. Ses cheveux noisettes, légèrement humides, bouclaient sur sa nuque à cause de l'humidité. Sa nouvelle tunique rebrodée verte pâle faisait naître des reflets colorés dans ses yeux tandis que la coupe de sa veste mettait en valeur ses épaule tout en dissimulant sa silhouette. Un pantalon en cuir brun clair et une paire de bottes remontant jusqu'à ses genoux achevaient sa tenue. Niveau accessoires, deux brassards en cuir ornementés recouvraient ses avants-bras et des gants camouflaient ses mains. Une ceinture de cuir complexe cinglait sa taille et son katar y était accroché de manière ostensible. Une gaine protégeait la lame et l'empêchait de déchiqueter ses potentiels voisins directement mais cela restait une arme. De plus, sa garde était recouverte d'or comme son fourreau, captant la lumière et les regards. Je comprenais parfaitement son besoin de réaffirmer au monde qu'il était capable de se défendre après les épreuves qu'il venait de vivre en affichant de façon claire ses compétences martiales. Néanmoins, nous savions tout deux qu'il ne s'agissait pas de son arme la plus mortelle. Il pouvait briser des esprits grâce à ses illusions ou encore trancher des têtes avec un des deux poignards qu'il portait en permanence. Mais il avait besoin du réconfort apporté par son katar. Je serrais mon arbalète contre ma jambe, le comprenant bien plus qu'il ne le soupçonnait. Ma commisération dut se lire sur mes traits car le visage de Maxen se ferma aussitôt.

— N'ai pas pitié de moi. Ce n'était pas le pire instant de ma vie et j'en vivrais sans doute encore de nombreux autres bien plus douloureux.

Cela ne fit que renforcer ma compassion envers lui, à son grand malheur.

— Pourquoi continues-tu alors ? Pourquoi t'acharner dans un chemin qui ne te cause que des souffrances ? lui demandais-je avec douceur.

Il n'eût même pas besoin de réfléchir à ma question pour me répondre.

— Car les moments de joie sont à la hauteur. Moins nombreux, mais cela m'a appris à les apprécier d'autant plus. Puis de mes actions dépendent le bonheur de milliers, voire de millions d'autres personnes donc si il faut que je souffre un peu pour qu'ils soient heureux, c'est un prix équitable.

Dans un marché, il y avait toujours un gagnant et un perdant. Je tus ma pensée à propose dans lequel des deux camps il se trouvait. Cependant, je ne pus m'empêcher de l'interroger de nouveau :

— Et si à la fin, le résultat n'était pas à la hauteur de ton sacrifice ?

Maxen se figea, les ombres noyant son visage. Il prit son temps avant de me répondre, pesant les arguments et les exemples comme un dragon son or. Mais finalement, il ne prononça qu'une seule phrase.

— Alors j'aurais dû sacrifier plus.

Puis il poussa la porte en grand et sortit dans le couloir. Je le suivis silencieusement, n'osant renchérir. Son air ombrageux me dissuadait plus efficacement qu'un revolver pointé sur ma tempe. Autour de nous, quelques rares membres de l'ACE sortaient de leurs chambres avec lenteur, comme si ils n'étaient pas pressés. Je reconnus l'ange détesté d'Eci, Zynidrael, ainsi que le reptile m'ayant "dénoncé" lors de la précédente réunion. Maxen les repéra d'un regard et accéléra sa foulée. Apparemment il ne voulait pas se confronter à eux, en tout cas pour l'instant du moins.
À ma grande surprise, ce fut lui qui relança la conversation.

— La réunion d'aujourd'hui va être très courte. Il va s'agir d'un compte-rendu de la situation de nos troupes face aux démons avec un rapide bilan de nos objectifs et se déroulera dans un petit comité, me déclara t-il d'une voix basse.

Ses inflexions étaient dénués de la moindre trace d'émotion, comme à chaque fois que le sorcier abordait le cas d'une mission. Son calme soudain me surprit.

— Est-ce vraiment une bonne idée que de m'y faire participer ? Je ne fais pas partie de l'ACE et cela ne va apaiser les tensions liées à la présence d'un traître, lui répondis-je néanmoins alors que nous quittions les quartiers résidentiels.

— Ils sont stupides si ils croient que tu es la traîtresse, me rétorqua t-il d'un ton ne souffrant nulle contradiction. Cependant, Valentia sera là et va inspecter les esprits des membres présents pour s'assurer qu'aucun d'entre nous ne s'est compromis avec les démons.

Arrivant face à une barricade allié, le sorcier me fit néanmoins signe de me taire avant de déclamer le mot de passe. Un grognement étouffé lui répondit et Maxen le prit comme étant un signe affirmatif. Prenant appui sur un bloc à mi-hauteur, il sauta avec souplesse par dessus le muret improvisé. Sachant pertinemment que je n'étais pas capable d'en faire de même sans racler mon menton contre la barricade, je calais mon arbalète sous mon bras gauche et me contentais de l'escalader. Mon passage causa un ou deux éboulements, ce qui fit râler le garde nahual à l'odeur de chien mouillé. Je résistais (de peu) à l'envie d'arracher des pierres supplémentaires afin de lui donner une véritable raison d'être grincheux. Mais le regard de Maxen m'attendant patiemment m'en dissuada. Je lui posais donc la question brûlant mes lèvres une fois éloigné de la sentinelle à l'ouïe fine.

— Pourquoi ne pas l'avoir fait avant alors ? Et pour que ce plan marche, il faut être certain que ce n'est pas Valentia la coupable.

Ma remarque lui arracha un petit rire.

— Valentia ? Voyons, il s'agit d'un des membres-clés de l'ACE et l'une des rares personnes à qui je confierai ma vie. Il est hautement impossible que ce soit elle. De plus, elle voue une haine farouche aux démons. Cependant, effectivement nous avions déjà inspecté les esprits des membres de l'ACE auparavant mais c'est un exercice très compliqué. Si lire les pensées en surface est à la portée de n'importe quel psychomancien, ce n'est pas le cas des souvenirs plus en profondeur. Valentia est l'une des meilleures de tout l'Aeternam et pourtant même elle admet avoir des limites. Il existe des psychomanciens spécialisés dans la pose de boucliers mentaux qui bloquent la lecture de l'esprit. C'est un sort coûtant très cher mais inutile de te dire qu'ils sont plus qu'accessible à la brochette de hautes personnalités que nous sommes.

Je notais la pointe d'affection dans sa voix lorsqu'il parlait de Valentia et le rangeais avec la réaction de la Duchesse lors de l'arrivée de Maxen à la dernière réunion. Leur passé commun me semblait de plus en plus intéressant. Je me demandais bien ce qu'ils avaient vécus tous les deux. Néanmoins, ne voulant pas éveiller les soupçons du sorcier, je préférais continuer à l'interroger sur la psychomancie qui me semblait être une science obscure.

—  Comment arrive t-elle à lire dans les esprits ? Ses pouvoirs ne servent à rien alors, non ?

Nous passâmes devant le salon-salle de détente où j'avais vu Eci et Tina pour la dernière fois cependant Maxen bifurqua, empruntant un autre couloir plus large que les précédents mais tout aussi clinquant.

— Valentia peut détruire les boucliers mentaux mais pour cela, il faut qu'elle arrive à les détecter. Les Kykloi comme elle les appellent, sont comme des membranes protectrices et une fois posés, seuls leurs défauts permettent de les distinguer du reste de l'esprit. Cependant ils sont affectés par les émotions de leur propriétaire ou par son état psychologique. Valentia est devenue une experte, connaissant les défauts de la plupart des kykloi, elle peut même en déduire l'académie du sorcier les ayant posés. Aujourd'hui elle va tenter de les percer de nouveau et nous allons essayer de les déstabiliser mentalement pour faciliter son travail.

Je me tus, accumulant ces nouvelles informations. Cela me semblait logique. Néanmoins, j'allais participer à une réunion confidentielle avec des hauts membres de royaumes magiques alors que je ne connaissais que très peu des tenants et des aboutissements de la situation. Mais ma curiosité insatiable était complètement d'accord avec ce plan. Toute information était bonne à prendre même si l'on ne la comprenait pas. La compréhension venait avec le temps. Au fur et à mesure que nous progressions dans le couloir, celui-ci s'élargissait et le tapage de la vie quotidienne s'éloigna. Les échos du cliquetis des armes s'étouffèrent, ainsi que le bruit de nos pas. Je ne savais pas où était la salle de réunion mais elle semblait lointaine. Les membres-clés de l'ACE cherchaient à s'assurer que personne ne les dérangerait pendant leurs petites messes-basses. Sauf moi. Mais moi, j'avais une accréditation haute d'un mètre quatre-vingts avec des cheveux bruns et une tendance à l'auto-fustigation. C'était pas pratique pour la faire rentrer dans la poche, certes, cependant elle pouvait rendre fou n'importe quel Immortel. Beaucoup plus fun qu'une carte. En plus, elle pouvait même parler ! C'était fou la technologie de nos jours...

— Nous avons un peu d'avance, c'est normal. Je voudrais en profiter pour inspecter la salle et t'annoncer quelque chose, me déclara soudainement Maxen en passant une main nerveuse dans sa chevelure.

Pilant net, je l'obligeais à s'arrêter pour le dévisager. Un "je dois t'annoncer quelque chose" était toujours un problème. Il était synonyme d'ex jalouses, ruptures imminentes ou de de bébés dans du congélateur. Jamais quelqu'un ne s'était un jour dit " Hé ! Si j'avouais une bonne nouvelle en lui disant je dois t'annoncer quelque chose ? Cela me semble être une riche idée !". Donc oui, cela me rendait plutôt anxieuse. Je n'avais pas envie de sortir mes bébés du congélateur, moi.

— Si tu dois me dire quelque chose, dis le tout de suite. Au moins, ce sera fait.

Ma réplique sèche lui arracha une grimace.

— En réalité, j'ai deux annonces à te faire, m'avoua t-il.

J'arquais mon sourcil favori.

— Et bien, fait-les. Maintenant.

Le sorcier expira longuement, évacuant ses doutes par la respiration. C'était une technique zen que je n'avais jamais réussi à maîtriser. Je ressemblais plus à un bulldog essoufflé qu'à un maître yogi. Et ce n'était pas la latence de sa réponse qui améliorait mon irritation.

— La première information concerne l'ACE. J'aimerai faire de toi un membre permanent de l'association. Cela te permettrai d'être mieux protégée et d'avoir un petit peu d'autorité sur les décisions. De plus, cela t'apporte un soutien non négligeable disponible dans presque tout l'Aeternam.

Mon sourcil favori redescendit au niveau de mon sourcil détesté.

— Oh. Ça.

Maxen fronça les sourcils, faisant ressortir sa ride de lion.

— Comment ça "Oh. Ça" ?

J'haussais mes épaules.

— Je le savais, Eci me l'avait déjà révélé.

Le sorcier sembla décontenancé.

— Oh. Et cela ne t'inspire aucune réaction ?

Je jouais négligemment avec mon arbalète, évitant son regard et me donnant le temps de rassembler mes pensées.

— D'un côté c'est une bonne idée car cela me permettra d'avoir une aide plus présente et d'éviter de répéter le cas du début de cette cérémonie. Aussi cela me serait utile pour me constituer un réseau de relations pour lutter contre Lucifer. De l'autre côté, c'est une mauvaise idée car cela va encore plus m'impliquer dans l'ACE, toi qui cherchait à m'écarter du pouvoir pour me protéger. Sans oublier que je suis parfaitement consciente de n'avoir de la valeur qu'en tant qu'appât. Donc je ne sais pas trop si je suis pour ou contre, surtout que ce n'est pas une décision sur laquelle il est possible de revenir, achevai-je dans un souffle.

Maxen se rapprocha de moi et souleva mon menton, plongeant son regard dans le mien comme je l'avais fait dans sa suite.

— Ne t'inquiète pas, si tu ne veux pas encore prendre ta décision, c'est ton choix. Tu peux parfaitement obtenir un rôle intermédiaire, pas complétement dans l'ACE mais pas trop en dehors non plus. En conséquences, tu ne pourras pas influer sur les décisions ou accéder aux réunions importantes, c'est tout. Et oui, je ne suis toujours pas d'accord pour t'exposer plus, cependant la sécurité que cela pourrait t'apporter est plus grande encore. Quant à cette histoire d'appât, si les choses se déroulent comme je les ai prévu, tu n'auras pas besoin d'être affichée ainsi, me déclara t-il pour me rassurer.

Je souris. Il était adorable. Mais ce n'était qu'une seule des deux informations.

— Et pour la deuxième information ? le questionnai-je à mi-voix.

Sa prise se crispa sur mon menton.

— C'est... plus compliqué. Dans ce que j'ai révélé, il y avait une cache secrète dans notre suite.

Les images me vinrent dans un flash.

— Le tableau ! m'exclamai-je.

Le sorcier hocha la tête et laissa sa main retomber contre son flanc.

— Exactement. Je n'avais pas mis beaucoup de secrets, juste de quoi berner un potentiel malfaiteur. Néanmoins, dedans ce trouvait le compte-rendu de recherches que j'avais fait menées sur Terre.

Un mauvais sentiment étreignit mon coeur.

— Vois-tu, ces recherches étaient à propos de ton identité, me révéla t-il le visage grave.

Ses mots heurtèrent ceux de Sokar. Comment pouvais-je être un Aspect si des traces de mon passé avaient été trouvées sur Terre ? Le doute tourbillonna dans ma tête. Mortelle et Aspect dansaient dans mes pensées, me plongeant plus profond encore dans la confusion.

— Mais... mais... cela ne peut pas être possible, commençais-je à balbutier avant d'être interrompue par Maxen.

Sentant mon trouble, il me serra dans ses bras pour me réconforter.

— Chut... me souffla t-il. Tu n'as pas besoin de me répondre maintenant. Je comprends que cela est dur pour toi de voir cette chance de connaître ton passé s'échapper, mais n'ai crainte, je t'aiderai à te souvenir. En attendant, il te faut juste faire attention à ce propos. Évidemment le traître n'est pas obligé de te révéler ce qu'il a appris et peut parfaitement jouer la surprise, cependant sois prudente.

Je levais les yeux vers lui et hésitais à lui confier ce que j'avais appris. Mais le regard du sorcier, débordant de gentillesse et de bienveillance, m'en dissuada. D'abord, il fallait que j'en apprenne plus sur les Nox et après seulement j'envisagerais. Cela ne servait à rien de lui sortir un nom de but en blanc si je n'en savais pas plus que la prononciation. Prenant ma décision et l'ancrant dans mon coeur, je me dégageais avec douceur de l'étreinte de Maxen. Je lui adressais un sourire tremblant, tout de même chamboulée par ces nouvelles. Mais je connaissais qu'une façon de vivre. Aller de l'avant. Toujours.

— Alors, on l'inspecte cette salle ou pas ? lui demandais-je d'une voix rendue rauque par l'émotion.

Le sorcier accepta ma tentative de faire bonne figure comme j'avais fait avec la sienne auparavant. Avec délicatesse.

— Bien sûr, me répondit-il. C'est la deuxième porte sur la gauche.

D'une pression de la main légère dans le dos, il m'indiqua la direction.
Suivant ses instructions, je fis tourner la poignée et entrais dans la pièce avec un sorcier attentif derrière moi. Une fois à l'intérieur, je contemplais les lieux. Une partie de moi, encore engourdie par la nouvelle, m'indiqua que ce château avait de très mauvaises influences sur ma notion du luxe. À mi-chemin entre la galerie des glaces de Versailles et une salle de réunion, le résultat arrivait à être époustouflant et professionnel à la fois. Cependant, cela ne me tira aucun hoquet de stupéfaction. Ce séjour me blasait, c'en était impressionnant. Bientôt j'allais me mettre à boire mon thé en levant le petit doigt. Brrr...

Arrivé à mes côtés, Maxen se figea brusquement. Curieuse, je tournais la tête vers la cible de son regard. Qu'est-ce qui avait bien pu le suprendre autant ? Une table de bois cirée et une vingtaine de chaises assorties, le tout dans un style ressemblant à du Louis XVI, ce n'était pas cela qui venait de pétrifier le sorcier. Ce n'était pas non plus la présence de Valentia, ayant apparemment décidé de venir avec un peu d'avance, aussi aristocratement elle qu'à son habitude. La Duchesse était juchée sur le haut de la table, ce qui mettait en valeur ses longues guêpières taupe associées à une robe noire mi-cuisse cintrée à la taille par une large ceinture de cuir. Non en réalité, ce qui avait figé Maxen aussi efficacement, c'était la posture de Valentia. Les bras alanguies autour de la tête d'un homme, ses mains glissées dans une chevelure plus noire que l'encre et sa langue enfoncée dans la gorge de son compagnon. Les oreilles effilées de ce dernier et ses iris bleu pur achevèrent de me renseigner sur son identité.

Nathan.

__________
Hey :p

Ça va ? Vous tenez le choc du (petit) cliffhanger ? En tout cas, j'espère xD

De nouveau un gros chapitre (même si ça risque d'être le dernier aussi gros avant un bout de temps) avec pas mal d'infos ^^.

J'ai noté que le dernier chapitre vous avez particulièrement plu ( vous avez fait explosé mon téléphone avec vos commentaires xDD) donc je vais continuer de m'en ficher de la longueur (ce qui m'arrange x') )

D'ailleurs, ce nouveau chapitre ?  Comment est-il ? Quand pensez-vous ? Est-ce que vous vous y attendiez ou pas du tout ? Peut-être avez-vous même des hypothèses sur la suite... :3
En tout cas, j'aimerai bien lire vos réactions ^.^

Bref j'écris ce message beaucoup trop tard et vais donc me contenter d'espérer que la lecture vous a été agréable. Comme d'habitude, rendez vous la semaine prochaine :D

Chocolat ❤

Kelewana

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top