Chapitre XXXV : Where The Devil Don't Go

Je flottais.

La douleur m'avait quittée, me laissant libre de toute contrainte. Seul le vide m'entourait. Aucune pensée ne traversait mon esprit, rien ne perturbait mon repos.

Mais rien ne durait éternellement.

Un élément vient perturber ma béatitude, rompant ma tranquillité. Ce fut d'abord une simple démangeaison avant de devenir un picotement désagréable. La sensation troubla mon bien-être, se faisant de plus en plus forte. Au départ simplement limitée à mon front, la douleur pris de l'ampleur pour s'étendre peu à peu à travers mon corps. Je m'agitais, essayant inconsciemment d'échapper à cette souffrance, en vain. Alors, j'ouvris les yeux.

Et la douleur cessa.

Quelque peu sonnée, je testais avec précaution mon corps du bout de mes doigts engourdis. Ne ressentant aucune douleur latente, je palpais mes vêtements. Amples, ils étaient faits d'une matière étrange à mi-chemin entre le lin et la laine. Leur toucher était doux mais avec les aspérités rugueuses de l'artisanat et leur couleur d'un gris teinté confirmait mes dires. Cependant, moins que ces habits étrangers, ce fut surtout la disparition de mes armes et de l'amulette de Valentia qui m'inquiéta. Je décidais donc de me relever avec précaution pour examiner mon environnement. Et quel saugrenu spectacle s'offrait à moi. Les ténèbres m'entouraient à perte de vue, des volutes d'obscurité évoluant paresseusement en son sein. Aucune lueur, pas même une étoile ne perçait leur chape sombre. Pourtant, je pouvais déceler des nuances dans les teintes de noir, certaines étant proche de l'ébène polie tandis que d'autres hésitaient entre les plumes de corbeau et la fourrure de la panthère. Ici je pouvais distinguer une ombre de midi de celle de minuit, les deux se déployant à travers une infinité de nuances. Curieuse, je tentais de m'approcher d'elles. Mais à peine avais-je fait un pas que la brume sombre s'écartait de mon chemin. Fronçant les sourcils face à cet étrange phénomène, je tentais de nouveau de m'en approcher en prenant garde à choisir une direction différente. Le résultat fut identique. Je décidais alors de faire appel à mes pouvoirs et appela l'obscurité à moi. Aussitôt cette dernière se tordit vers moi, cherchant à se plier à ma volonté. Un sourire satisfait fleurit sur mes lèvres. Voilà qui me convenait plus ! Cependant, à peine avais-je formuler cette pensée que la brume se délita et échappa à mon contrôle.

N'essaie pas, c'est inutile. Tes pouvoirs ne te seront d'aucune aide ici.

Je sursautais en entendant résonner cette voix dans mon esprit. Déjà que Valentia avait pris l'habitude de fureter dans mon esprit, si un autre s'y mettait... j'allais bientôt m'accrocher une pancarte "Ici pensées à espionner" autour de mon cou. En dépit de mon sarcasme, je ne pus m'empêcher d'avoir une impression de déjà-entendu. Je savais que je la connaissais, mais je n'arrivais pas à me rappeler quand je l'avais déjà écoutée. Cet accent étrange, ces sifflements sur les consonnes ... oui, définitivement ce n'était pas la première fois que j'étais confrontée à lui.

Son rire éraillé retentit dans mes pensées.

J'espère bien que tu te souviens de moi. Cela fait trop longtemps que tu me fuis.

Que je le fuis ? Qui cela pouvait bien être ? J'avais beau m'être attirée des ennemis, mon relatif anonymat m'avait jusqu'à là permis d'échapper à d'éventuelles représailles. Ça et le fait qu'ils soient six pieds sous terre, soyons honnêtes, cela avait tendance à gêner les conversations. En réalité, je ne voyais qu'un seul de mes adversaires étant à la fois encore en vie et disposant des moyens nécessaires à ma traque. Mon interlocuteur était-il Lucifer ? Mais si il maîtrisait les ténèbres comme cet inconnu, alors pourquoi cherchait-il donc à voler mes pouvoirs ?

Ne me compares pas à cet avorton !

Son cri rauque me transperça, me faisant grimacer sous la violence de l'impact psychique. D'accord, apparemment il ne portait pas l'Empire Pandémoniaque dans son cœur, cependant ce n'était pas une raison pour tenter de crever mes tympans ! Certes, c'était une exclamation mentale et seul mes neurones avaient reçu le message mais tout de même, un minimum de respect était possible. Tandis que je rouspétais intérieurement sur le manque de civilité des entités surpuissantes, mon cerveau affolé me signala qu'une créature considérant l'une des plus grandes menaces de l'Aeternam comme un simple "avorton" ne devait pas être pris à la légère. Dommage pour lui, mes synapses étaient déjà affairées à gérer le problème évoqué un peu plus tôt.

Ce minable empereur n'est rien, il ne pourrait même pas supporter de poser un doigt de pied dans cette dimension et seul un fou ne convoiterait pas tes pouvoirs. Tu es tellement plus que tout ce qu'il pourrait imaginer.

Heureusement pour moi, mon interlocuteur se fit un plaisir de me rappeler ce "menu" détail. Ça et son ton dédaigneux achevèrent d'irriter mes neurones ayant enfin réglé ce problème de surdité mentale.
Scrutant les ténèbres avec attention, je guettais sa silhouette. Mais rien ne se détachait de la masse de ténèbres en perpétuelle évolution, me poussant à l'interpeller.

Si je suis si puissante, pourquoi ne parvins-je pas à maîtriser les ténèbres ici ? Et pourquoi parlez-vous par énigme en vous dissimulant comme un lâche ?

Ma tirade eut le mérite de lui arracher une réaction. C'était déjà une petite victoire de remporté, me dis-je en savourant un court sentiment de satisfaction. Mais ce dernier se ternit peu à peu avant de faner tout à fait tandis que mon interlocuteur se révélait. Les volutes d'obscurité s'écartèrent, révélant une forme floue. Frôlant les trois mètres, elle ressemblait à une créature humanoïde avec des membres disproportionnés et était composée de ténèbres tellement sombres qu'on l'aurait cru faite de néant. Seules deux flammes d'un bleu glacé à l'emplacement de ses yeux tranchaient avec cette ombre mouvante. Surprise, je dus me retenir de reculer.

Me voilà face à toi, comme exigé. C'est à se demander qui est le lâche maintenant.

Ses inflexions sarcastiques me piquèrent dans le vif, m'aidant à me ressaisir. Ce n'était pas demain la veille qu'une créature surpuissante, douée de télépathie, immatérielle et régnant apparemment sur une dimension allait réussir à m'effrayer. Cela signifierait que mon instinct de survie était encore de ce monde, en dépit du nombre de claques métaphoriques que j'avais asséné à Darwin.

Je pense que celui qui échappe aux questions est le plus couard des deux. Cependant, c'est une question de point de vue, je suppose.

Ma réplique acerbe eut l'air d'avoir l'effet contraire à celui attendu. Un air amusé tordit le néant de son visage, formant un simulacre de sourire. Cela me rassura à peu près autant que Slenderman câlinant un chaton. Cela avait beau être (un peu) mignon, ce n'était pas suffisant pour le rendre moins effrayant. Au contraire même...

C'est bien, tu commences à t'affirmer. Ta véritable personnalité refait surface.

Il avait beau être terrifiant, le bonhomme, il me courrait sérieusement sur le haricot. Son arrogance et ses phrases volontairement obscures avaient de quoi enrager même Mère Thérésa. Ou alors, c'était juste moi. Ce qui était extrêmement probable mais pas suffisant pour compenser ma mauvaise foi. Cependant, je n'arrivais pas à me souvenir où je l'avais déjà rencontré.

Ma piqûre de rappel dans la bibliothèque a finalement servi à quelque chose.

Ah. OK, plus besoin de chercher. Somme toute, j'aurais peut-être préféré ne pas savoir. Méfiante, je reculais d'un pas avant de lui répondre.

Ce sont de belles paroles, mais que me voulez-vous ? Et où sommes-nous ?

J'ai attendu que tu t'endormes pour attirer ton esprit dans cette dimension, celle de ton foyer. Quant à ce que j'attends de toi, ta navrante mortalité t'empêcherait de comprendre.

J'accordais un bref regard à mon environnement. Eh bien, si c'était sensé être mon foyer, je ne voulais pas savoir à quoi ressemblais mon enfer personnel. Le trip "néant absolu et brumes perpétuelles" ça allait bien deux minutes mais je préférais mon petit loft douillet dans le centre-ville de Prague. Au moins, j'avais le chauffage et l'eau courante dans ma piaule. De plus, l'absence totale d'occupation promettait de folles heures d'amusement à contempler le décor avec le même regard vide qu'une vache du Minnesota.

C'est parce que tes sens de mortelle ne sont pas assez aiguisés pour saisir toute la beauté qui se cache dans les ténèbres.

Sa voix pleine de morgue acheva de m'irriter. Ce qui n'était pas très compliqué, la colère ayant souvent tendance à éveiller les réactions les plus stupides en moi.

Bon, Pépé tu vas te calmer tout de suite. Déjà, tu ne m'as pas dit exactement où nous étions, ensuite ton délire sur une prétendue grandeur enfouie en moi c'est plus cliché qu'un film d'action avec Jason Statham et enfin, tes plans à mon propos je peux te les carrer là où le soleil brille toujours, c'est à dire très loin de toi. Vraiment, ce n'est pas en agitant des menaces en l'air et me privant de tes pouvoirs que tu arriveras à me convaincre.

Ma tirade résonna longuement dans cet espace étrange où s'échangeait nos pensées. La gaité avait quitté son semblant de visage, allant jusqu'à perturber l'atmosphère autour de nous. En effet, la température chuta brusquement tandis que le noir profond des ténèbres s'intensifia. Peu rassurée, je serrais mes bras autour de moi tout en levant le menton d'un air bravache. J'avais sans doute commis une énorme bourde en provoquant ainsi une créature capable de me faire changer de dimension dans mon sommeil et d'inhiber mes pouvoirs, mais la franchise était l'un des mes défauts préférés. Que voulez-vous, on ne changeait pas une équipe qui roule sur la compétition avec la subtilité d'un rouleau compresseur.

Je comprends ton agacement, cependant cela ne te donne pas le droit de me manquer de respect.

La sécheresse de son ton arriva à percer la sournoise humidité qui accompagnait la brume. Si il n'était pas hostile, il était toutefois ouvertement menaçant, me poussant à me mettre position de combat. Certes, mes poings ne me seraient d'aucune utilité face à un être immatériel mais je ne tomberais pas sans combattre, dussé-je y perdre la vie. Néanmoins la réaction de la créature de brume me prit de court. Cette dernière exhala un long soupir, la rendant étrangement humain pour un être mystique incarnant le néant absolu.

Comment cela a t-il pu aussi mal tourner... Je voulais juste te réveiller, Tana.

Je tendis mon corps vers lui, avide de vérité. Tana ? Étais-ce mon nom ? Il avait une sonorité étrange, me semblant plus ancien que le temps. Mais il ne résonnait pas de façon agréable, m'évoquant plus un lointain souvenir qu'une chose aussi intime qu'un prénom. Mon interlocuteur, si il ne savait pas réellement qui j'étais, semblait connaître une partie de mon passé. Ce fut pour cette raison et uniquement pour celle là, que je lui adressais la parole.

Puisque tu sembles désireux de te repentir, je vais t'offrir une opportunité. Nous allons tout reprendre depuis le début et cette fois-ci, je ne tolèrerais aucune omission. C'est l'entière vérité ou rien.

L'être de néant sembla peser le pour et le contre, se livrant à de savantes mesures en son for intérieur avant d'acquiescer d'un hochement de tête ténébreux. Cette formulation pouvait paraître étrange mais ce fut littéralement comme voir des ténèbres hocher de la tête, ce qui était plutôt perturbant. Quelque peu rassérénée par son attitude posée, je fis le premier pas en m'asseyant en tailleur, indiquant ainsi que je n'étais plus sur la défensive. La créature parut surprise puis m'imita du mieux qu'elle le pouvait. Les volutes d'obscurité se répandirent donc sur le sol et formèrent une forme hésitant entre l'humain assis et le Tadmorv. Si cela manquait assurément d'allure, cela dénotait d'une bonne volonté de sa part pour se mettre à mon niveau de "pitoyable mortelle", ce qui était déjà une énorme avancée. Soupirant, je lui indiquais d'un geste de commencer.

Que veux-tu savoir exactement ?

Je ne sais pas, ce n'est pas moi qui prétend connaître mon nom et cherche à me rappeler mon passé.

Ma réponse eut l'air de le décontenancer, au moins assez pour que je remarque ce sentiment passer dans les deux flammes glacées qui lui servaient de globes oculaires. Mais ce fut l'abattement qui résonna dans mes pensées.

Alors tu ne te souviens vraiment de rien. Je pensais avoir au moins réussi à éveiller quelques souvenirs en toi.

Sentant que la discussion à venir allait être des plus longues, je m'assis plus confortablement et me pelotonna dans mes étranges vêtements.

Peut-être qu'enfin parler clairement m'aidera à retrouver la mémoire plus rapidement.

Ma proposition ne suscita aucune émotion en lui, à tel point que je dus attendre de longues minutes avant d'avoir une réponse. Lorsque mon interlocuteur reprit la parole, sa voix s'était faite plus rocailleuse et charriait un temps lointain à travers ses mots.

Allez, Père Castor, raconte moi une histoire.

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Hey !

Cela faisait longtemps (près de deux semaines :o ), vous m'avez trop manqués (>^.^)>♥

J'avoue avoir eu un peu de mal à reprendre le cours de l'histoire après une si longue pause mais encore plus à m'arrêter après avoir commencé xD (d'où la longueur inhabituelle de ce chapitre/segment/assemblage de mots/ truc x) ). J'ai dû couper ce chapitre en deux, déjà parce que ça commençait à être beaucoup trop long et ensuite parce que j'aimerai bien avoir vos réactions sur ce fragment de passé de la Ténébreuse enfin révélé (promis, elle va un jour avoir un prénom x) (bon, on va dire que Tana est plus proche de son véritable prénom dans l'idée que le "Auxanne" tant honni x) (je précise que Tana est une référence à une mythologie bien particulière, cookie à celui qui trouve !))). J'espère que cela vous aura plu ^^

La suite ne tardera pas trop (elle devrait sortir normalement cette fois ci x) ), puisque j'ai beaucoup trop d'idées (après elle va peut-être faire 4000 mots si je continue sur ma lancée xD)

En vous disant à très bientôt,

Chocolat ♥

Kelewana

(P.S. pour les traqueurs d'incohérence, oui la Ténébreuse peut connaître le Père Castor  car j'ai découvert qu'il s'agit originellement d'une série écrite par une pédagogue tchèque :O (oui, c'est très improbable mais ça me sauve bien la vie xD). Voilà, en espérant que cette anecdote vous aura au moins fait rire ;p )

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