Chapitre XXXIX : I'm Gonna Do My Things

Je déglutis. Brusquement, il faisait chaud. Très chaud. Beaucoup trop chaud. Pourtant Maxen était un sorcier, pas un mage de feu comme Ian. Je n'avais pas prévu que la discussion parte dans cette direction. Et comme à chaque fois qu'une situation me décontenance, j'eus une réaction parfaitement incompréhensible : je me suis mise en colère.

Le repoussant grâce à une poussée du plat de mes mains sur ses épaules, je le fis reculer d'une poignée de pas en arrière. Déconcerté, il se laissa faire et me regarda descendre du plan de travail sur lequel je m'étais juchée. Dardant vers lui un doigt intransigeant, je lui rétorquai :

— Et ta parole, où était-elle lorsque je me suis retrouvée seule face à l'armée démoniaque et aux membres de l'ACE ? Et où était-elle lorsque je me suis faite attaquée par Faelan, me contraignant à donner mon sang pour sauver deux vies ? Je l'ai pas non plus vue lors de la bataille dans la grande salle, ni lorsque Valentia m'a enlevée avant de m'agresser. De même, qu'a fait ta parole pendant que je tuais des démons pour sauver ta peau ou lorsque Ian nous a directement menacé ? Donc ait au moins l'honnêteté de reconnaître que tes belles paroles n'ont servies à rien, conclus-je avec sécheresse.

La mâchoire et les poings du sorcier se contractèrent.

— Faelan et Valentia t'ont attaqués ? Et en plus ils ne t'ont pas aidée ? Ne t'inquiète pas, je vais leur faire un sermon qu'ils n'oublieront pas de sitôt.

Quand il ne voulait pas reconnaître ses torts, c'était quelque chose. Dommage pour lui, cela ne faisait qu'empirer son cas. Avec rage, j'attrapai son menton pour le forcer à me regarder dans les yeux.

— Non, tu ne le feras pas ! Car contrairement à toi, ils ont réagi avec logique. Te rends-tu seulement compte de tes actes ? Tu arrives, déposes une inconnue sur le pas de la porte et disparais avant d'avoir dit qui c'était ou pourquoi tu l'as ramenée. Alors oui, ils se sont interrogés et m'ont considéré avec suspicion. Mais si leur comportement est excusable, quand est-il du tien ?

Le sorcier détourna le regard. Je l'obligeais à me dévisager de nouveau, voulant voir ses yeux pour m'assurer qu'il ne me mentait pas. Il était tellement habitué à user de ses illusions que sans, son visage était une véritable peinture de ses pensées. Voyant son regard hagard, ses cheveux défaits et ses traits tordus par le remord, je me calmais un peu. Mais pas suffisamment pour me faire oublier ma question.

— Maxen, pourquoi as-tu disparu ? Où étais-tu lorsque les légions de Ian ont envahi le château ? Que faisais-tu de plus important que de défendre l'ACE ?

Tandis que je me forçais à prononcer chacune de mes phrases, mon esprit assembla les bribes d'information que j'avais réussi à grappiller. Certaines s'emboîtèrent, d'autres non, mais une partie s'assembla pour former un bout du puzzle. La mention d'Eci sur un traître au sein de l'ACE, la rapide invasion des démons, le fait qu'ils savaient que le château était téléportable...

— Non, tu ne serais pas...

Le puzzle n'était pas complet, loin de là. Ma voix se brisa tandis que je me refusais de formuler la pensée m'ayant traversée l'esprit. Maxen tira sur mon bras, se libérant et se détourna afin de plonger son regard dans le foyer de la cheminée. Les flammes dansaient furieusement, léchant le chaudron et créant des reflets sur le visage du sorcier. Des ombres se tordaient sur ses traits, les dissimulant ou les révélant au gré du feu, le camouflant presque aussi efficacement que ses illusions.

— Non, je ne suis pas un traître.

J'expirai de soulagement. Ce n'était pas charitable pour son estime mais c'était sincère. Le sorcier était la seule personne que je connaissais véritablement ici. Certes j'avais commencé à me lier d'amitié avec Faelan, Tina et même Eci dans une certaine mesure. Mais si Maxen avait trahi l'ACE et était en danger de mort, je l'aurai défendu. Peut-être étais-je menacée par l'Empire Pandémoniaque et avais des intérêts communs, néanmoins ils ne m'avaient jamais aidé comme le sorcier l'avait fait.

— Mais je ne sais pas comment dois-je prendre le fait que tu ais douté de moi. Une des regrettables conséquences d'être le maître-espion de l'ACE je suppose, déclara t-il avec amertume.

Je déviais mon regard. Je pourrais lui révéler mes pensées. Je pourrais. Mais au fond, j'étais une peureuse. Lui dévoiler ce que je pensais de lui était hors de question.

— Alors pourquoi n'étais-tu pas là ? chuchotais-je.

Il s'éloigna de quelques pas, se masquant d'autant plus dans les ombres mouvantes de la cheminée.

— Ton intuition était presque exacte, mon absence est bien dû au traître. Mais pas dans le sens que tu pensais. Juste après mon arrivée, lorsque tu es partie examiner les environs, j'ai reçu un message d'un de mes espions au sein de Pandémonium, la capitale démoniaque. Il me prévenait qu'il avait du effectuer d'urgence une extraction et venait me rencontrer en personne. La communication ajoutait même qu'il avait appris quelque chose sur le traître.

Une pause. Le silence s'étira, à peine troublé par le bruit de nos souffles et les craquements du feu. J'avais l'impression que nous étions dans une bulle hors du temps, loin de la bataille faisant rage, vivant uniquement dans les souvenirs de Maxen.

— Je me suis donc empressé de rejoindre le lieu de rendez-vous, poursuivit-il d'une voix rauque. Le lieu était vide mais, m'attendant à ce qu'il soit en retard, j'ai décidé de l'attendre un instant. Bien mal m'a prit. Alors que j'ai senti un esprit étranger approcher, je me suis entouré d'illusions pour qu'il ne soit pas informé de ma présence.

Laissant échapper un juron, il frappa le linteau de la cheminée. Or, il n'était pas un Immortel. Maxen jura de nouveau, serrant cette fois-ci sa main contre son flanc. Il venait de rouvrir ses blessures. Je lui aurais bien fait remarqué que ce n'était pas très malin, mais je pensais qu'il ne l'aurait ps très bien pris. Hé, apparemment j'avais encore une conscience ! Ça faisait plaisir de la retrouver.

— Je ne sais pas comment, mais il m'a tout de même vu. À peine entré dans la pièce, il a accouru vers moi. J'ai lutté, me servant de mon katar contre sa dague. Mais en vain. Lorsqu'il a réussi à effleurer mon bras découvert, une intense douleur m'a coupée le souffle et m'a mise à genoux, tandis que mes forces s'évaporaient. Il en a profité pour me porter un coup de poing sur la joue, un deuxième sur la tempe et je me suis évanoui.

Le sorcier s'agita de nouveau, cherchant un moyen d'évacuer sa nervosité. Me décidant à enfin l'aider, je m'approchais de lui et pris doucement ses mains dans les miennes. Cela sembla le calmer. Il prit de grandes respirations, puis dégagea une de ses mains pour me tourner face à la cheminée. Ainsi placée, je ne voyais plus les émotions dansant dans ses yeux. Seules ses intonations brutes en émotion m'éclairaient sur son état d'esprit

— Lorsque je me suis réveillé, j'étais attaché à une chaise dans une pièce plongée dans l'obscurité. Je t'épargnerai les détails de ce qui s'ensuivit. Disons juste que mon ravisseur avait des questions et voulait s'assurer de ma bonne volonté d'y répondre. Il semblait pressé et a même accéléré le processus avec des guérissorts, m'infligeant blessure puis guérison coup sur coup. Lorsqu'il eût obtenu les réponses attendues, il me laissa seul dans la pièce. Néanmoins, mon ravisseur n'avait vérifié les liens que très superficiellement, ils étaient assez serrés pour m'empêcher de les défaire mais pas suffisamment pour retenir ma main si je me déboîtais le pouce. Ce que je fis.

Il cherchait à me protéger à nouveau. Je le savais aussi sûrement que le feu brûlait et que l'homme à côté de moi respirait. Le sorcier ne me mentait pas, il omettait la douleur. Il tenta même de maîtriser sa voix afin d'en effacer toute souffrance. Ainsi sa dernière phrase sembla atone, privée des émotions qui agitaient son corps et son âme. Je ne lui dis pas que ce n'était pas nécessaire, que malgré mon amnésie je savais que j'avais vu bien pire. Car c'était tout ce qui le raccrochait à la réalité, l'empêchait de s'immerger complétement dans ses souvenirs. Je l'enserrais de mon bras libre, lui offrant une maigre bouée. Il me rendit mon étreinte, me prouvant qu'il luttait pour rester dans le présent.

— Une fois ma main droite dégagée, je réussis à défaire mes liens. Puis j'ai fait appel à mes pouvoirs pour tâter le terrain, ne voulant pas être repéré par mon bourreau. Peut être arrivait-il à me repérer en dépit de mes illusions, cependant j'aurais capté son esprit avant qu'il ne m'atteigne. Sauf que je n'ai pas pu. Quelque chose m'empêchait d'atteindre mes pouvoirs, comme un plafond de verre magique. Alors j'ai dû recourir à l'ancienne méthode, rasant les murs et guettant à chaque détour de couloir. Néanmoins, je réussis à progresser ainsi, atteignant la suite que je savais réservée au roi des Faunes.

Je sursautais. Maxen ne s'en aperçut pas, luttant trop contre sa mémoire pour prêter plus d'attention à la réalité. Deux informations me perturbaient. La première était la limitation de ses pouvoirs. Sokar m'avait bien dit que ce n'était pas de sa faute mais je ne l'avais pas crû, jusqu'à maintenant. Si le ravisseur du sorcier avait réussi à le priver de ses pouvoirs, cela signifiait qu'il avait été suffisamment proche pour en faire de même avec moi. Un frisson traversa mon échine. Ainsi le traître arpentait bien les mêmes murs que nous... La deuxième information concernait le roi des Faunes. Je l'avais abandonné dans son placard et l'avais complétement oublié jusque là. Est-ce que quelqu'un l'avait trouvé ? Si oui, un membre de l'ACE ou un démon ? Me rappelant de la présence d'un traître, je me corrigeais. Un membre de l'ACE fidèle ou un démon ? Je rejetais le première option. Personne n'était venu me mettre les fers pour avoir agressé et presque tué un roi. De nos jours, on s'emportait pour si peu, voyons. Les deux options restantes étaient tristes pour lui. Soit les démons l'avaient trouvé et le cuisinaient comme un gigot de sept heures, soit il était toujours coincé dans son placard avec ma lame à un centimètre de sa mort. J'aurais dû me sentir vaguement coupable. J'aurais dû. Mais je ne ressentais qu'une juste satisfaction. C'était bien fait pour lui et il devait s'estimer chanceux d'avoir encore sa tête sur ses épaules.

— Faisant un pari fou, j'ai frappé au battant de sa porte et m'y suis écroulé, reprit Maxen inconscient de mon débat interne. Roman l'a ouverte et, à ma grande surprise, m'a soigné. Cependant, je n'avais pas le temps de guérir entièrement. En effet, lors de ma séance d'interrogation, j'ai révélé aussi bien de fausses informations que des véritables pour rendre les premières crédibles. Et parmi les vraies, il y en avait une sur la transmission de renseignements capitaux à venir.

De nouveau il fit une pause. Et de nouveau, il me serra contre lui, comme pour s'excuser. Comme si je pouvais lui en vouloir pour avoir été torturé ! Et comme d'habitude, Maxen avait déjà fait plus que tout être vivant normalement constitué mais continuait de trouver qu'il n'avait pas fait assez. Songeuse, je me demandais d'où cette haute exigence personnelle venait. Je me demandais aussi si il existait seulement une réponse, me doutant que non.

— Il s'agissait d'un compte-rendu des déplacements de l'armée pandémoniaque ses six derniers mois. J'avais prévu de les exposer à l'ACE afin de déterminer si il fallait rapatrier une partie de nos espions, donc il s'agissait d'un risque limité. Comme la plupart de nos informations, il était transité par un fantôme. Je me suis donc lancé dans une course contre la montre, cherchant à trouver le médium les ayant reçu avant qu'il ne soit trouvé par mon tortion...

Une fêlure dans sa voix fit éclater le dernier mot. Je lui tendis une aide pour s'échapper de cette douleur.

— Il y a un autre médium que Tina ?

Cela fonctionna.

— Il y avait. C'était un clairaudient, cela signifie qu'il pouvait entendre les fantômes. L'ACE étant en partie composée des restes de la nation inferie, nous utilisons beaucoup les esprits pour faire passer les renseignements. Mais ils ont la mémoire courte et si ils sont excellents comme messagers, ils sont loin d'être des archivistes, au contraire. Néanmoins, avec sa tête détachée du reste de son corps, le clairaudient allait avoir du mal à me les transmettre. J'étais arrivé trop tard. Encore.

Je ne pus m'empêcher de répondre.

— Ce n'est pas toujours le cas.

Je sentis le rictus amer dans sa voix plus que je ne le vis.

— Peut-être, mais cela arrive bien trop souvent ces derniers temps.

Que voulez-vous répondre à ça. Même lorsque je cherchais à l'encourager, il ne voyait que la face sombre. C'était d'un psy dont il avait besoin pour régler ses problèmes, pas d'une guerre.

— Un peu de chance au milieu de ce malheur, mon bourreau n'est apparemment pas l'un de mes espions car il n'a pas pensé à découdre la doublure du gilet de sa victime. À l'intérieur se trouvait le dernier compte-rendu du clairaudient avant sa mort. C'est comme ça que j'ai appris pour l'invasion des terres gobelines et ai décidé, non sans avoir dû traverser une partie des lignes ennemies, de rejoindre le quartier général de l'ACE. Entre temps j'ai retrouvé l'usage de mon pouvoir mais je ne sais toujours pas pourquoi il a disparu. Cela ne m'a pas empêcher d'être blessé, récoltant de nouvelles entailles sanguinolentes et fractures dérangeantes. C'est en... interrogeant les soldats démons sur le chemin que j'ai appris pour la venue de Ian. Un problème en plus.

Entendant la soupe clapoter, je m'arracha à l'étreinte de Maxen pour aller la remuer. Elle était bientôt prête. Le sorcier ne s'en était pas aperçu et je l'obligeais à s'asseoir sur une des chaises encombrant la cuisine. Perdu dans ses pensées, il se laissa faire sans broncher. Je m'arrêtais un instant. Ainsi assis, docile, il avait plus du chiot attristé que du lion charismatique à la réunion. Cela n'interrompit pas son monologue pour autant. Je le laissais faire, sentant qu'il en avait besoin pour émousser la dureté de ses souvenirs.

— Nous, l'ACE, avions décidé de laisser fuiter cette réunion auprès d'une des conseillers en Renseignements de Luc, la commandante Xuan. Cette dernière ne possède pas assez d'influence pour pouvoir mobiliser une armée mais suffisamment d'ambition pour tenter d'infiltrer la cérémonie, voire même de venir en personne. Puisque c'est une démone yin, lorsqu'elle est trop éloignée de son démon yang, sa puissance et ses forces décroissent. Le plan était alors de téléporter le château dans une dimension très éloignée, celle de la cour Seelie plus précisément. Que ce soit le conseiller le plus proche de l'Empereur, Ian Dulein, est hautement imprévu. Et hautement plus dangereux. Si faire disparaître Xuan aurait causé des remous, celle de Ian causerait un tsunami. Il est l'un des rares démons à avoir acquis la confiance de Lucifer et le seul l'ayant connu enfant.

J'avais réussi à dénicher un bol de céramique immaculé et une cuillère en bois vernis noir dans ses placards sans avoir perdu le fil de la conversation. Ce fut donc en dressant la table face à lui que je lui répondis :

— Donc vous hésitez entre porter un coup fatal à Luc et vous attirer sa rage éternelle ?

Maxen sembla s'éveiller au rythme des couverts plaqués contre la table. Il se leva à son tour, sortant des condiments d'un tiroir et une miche de pain d'un placard.

— C'est bien résumé. As-tu mangé ?

Le brusque changement de sujet me désarçonna.

— Hum, oui pourquoi... ?

Ce rappel de la vie courante semblait avoir effacé les ombres de son visage, les souvenirs temporairement mis sous clé. Maxen se servait du quotidien pour les repousser. Je le laissais faire, sachant qu'il en avait besoin. Parfois, il était nécessaire de créer une nouvelle mémoire pour diluer la douleur de l'ancienne.

— Quoi exactement ?

Son ton me rappelait irrésistiblement celui des mères-poules peuplant les sitcoms américaines. Même ses expressions évoquaient une quinquagénaire inquiète pour sa progéniture parce que cette dernière a sauté le goûter.

— Deux pommes, une sorte de gâteau aux noix et de l'élixir de fée, arrivais-je à lui répondre sans rire.

Ma réponse sembla plus le choquer qu'une grand-mère nonagénaire en skateboard. Avec une bouteille de vodka dans la main. Et une autre dans le sang.

— Après plusieurs jours dans le coma ? Je parie que tu n'as pas dû beaucoup manger non plus depuis le début de la cérémonie, me réprimanda le sorcier.

— J'ai pris un petit-déjeuner, c'est déjà ça, bougonnais-je.

Ma réponse sembla le désoler. Il en secoua la tête de désolation, levant même les yeux au plafond comme pour prendre les Dieux à partie.

— Téné, tu devrais plus prendre soin de toi, me sermonna t-il. Ne râle pas, je t'oblige à manger ta soupe et à avaler au moins un quignon de pain. Au minimum.

Ouvrant la bouche pour protester, Maxen n'en eût que faire et m'obligea à m'asseoir sur la chaise voisine de la sienne. En moins de temps qu'il n'en faut à un nahual pour avaler un bison, il dressa le couvert. Assiette, bol et cuillère atterrirent face à moi, complétant un gobelet en céramique et une carafe d'eau translucide. Cette situation faisait naître moi comme une impression de déjà-vu.

— Pourquoi ai-je la désagréable impression d'avoir de nouveau huit ans et d'être face à ma mère ?

Ma remarque eût le mérite de faire rire Maxen. Attrapant mon bol et une louche, il se rapprocha de la marmite tout en me répondant.

— Parce que tu te comportes toujours comme une enfant ? me taquina t-il.

Je me retournais sur ma chaise, résistant avec difficulté à l'envie de lui tirer la langue. Décidant de surenchérir, je l'asticotais. Oui, mon comportement était toujours aussi adulte et mature que celui des Télétubbies.

— Hé, je ne connais toujours pas mon âge, si ça trouve j'en suis une !

Ayant fini de remplir mon bol, Maxen se retourna et me fit face. Il laissa glisser son regard sur mon corps avant de toussoter.

— Permets-moi d'en douter. Fortement.

Et pour clore le débat, il posa un bol de soupe avec autorité devant moi.

— Mange. Après tu pourras aller te changer, en espérant qu'Ecila t'aura apporté des habits décents.

Je tus ma pensée et avala ma soupe. Car si la nahual avait choisi les vêtements comme elle avait orchestré ma venue dans l'appartement du sorcier, cela serait loin d'être le cas. Trente minutes plus tard, mon ventre remplit par la soupe de Maxen et un morceau de pain encore à moitié enfoncé dans ma bouche, je déboulais à sa suite dans sa chambre.

Terminant de grignoter mon bout de baguette, je profitais que le sorcier soit en train de sortir mes habits pour examiner sa chambre. Un peu plus petite que le salon, elle restait d'une taille plus que convenable. Le plafond avec ses arcs-de-voûte était le même et la mosaïque au sol était recouverte par des tapis monochromes respectant le code couleur de toutes les pièces. Même la tête du lit avait été sculptée dans un bois noir mat, laissant à la grande armoire faisant le coin de la pièce ainsi qu'à la commode et la tache de chevet d'éclairer le reste de la pièce avec des tons très pâles. De nouveau, seul un bouquet de fleurs égayait l'ambiance avec une touche de couleur. Toujours les mêmes, des fleurs roses de genévriers. Je me demandais si elles avaient une signification pour Maxen.  Cependant, je notais un détail. Comme pour le salon et la cuisine, aucune affaire personnelle ornait les murs ou les meubles. Tout était immaculé, propre, seul son lit défait prouvait qu'il y vivait. C'était étrangement révélateur de son mode de vie.

— C'est là que tu vis ? lui demandais-je.

Sa tête étant plongée dans les profondeurs insondables de l'armoire, sa voix me parvint étouffée mais compréhensible.

— Non. Normalement mes appartements se trouvent dans un étage plus huppé du château, cependant c'est là où est installé le quartier général des démons.

J'encaissais le fait que sa suite actuelle était moins "huppée". Mon petit appartement pragois ne payait pas mine à côté.

— Mais ce n'est pas là que j'habite habituellement. J'ai un crannog, une petite maison sur pilotis, dans la deuxième plus grande ville des Calatins. Ce n'est pas grand chose mais c'est à moi. Ce château m'a été prêté pour l'occasion, normalement il est surtout utilisé pour les réunions druidiques.

Je dénichais un petit siège face à l'unique fenêtre de la pièce et jetais un regard vers l'extérieur. Non pas que j'arrive à y voir quelque chose, les démons avaient très bien fait leur boulot et la membrane sombre qui entourait le château empêchait de récolter le moindre indice sur cette dimension. Sokar m'aurait sans dit d'apprécier la richesse des ténèbres mais pour il faisait noir. Point.

— Les druides ne sont pas sensés être proches de la nature ? Genre en dansant à poil sous des arbres ? lui demandais-je négligemment.

Cela fit de nouveau rire Maxen. J'étais dans un laughing spree aujourd'hui, dites donc.

— C'était il y a bien longtemps. La magie druidique implique plus souvent du sang et des têtes tranchées que de l'amour de la nature. Et ils apprécient le confort autant que n'importe qui d'autre.

C'était sûr qu'après avoir décapité une ou deux personnes, rien ne valait le confort d'un jacuzzi magique pour se débarrasser du sang. L'hémoglobine était si salissante... Lassée de fixer les ténèbres pour rien, je me retournais vers le sorcier.

— Trêve de bavardage. Alors, à quoi ressemblent les vêtements que m'a rapporté Eci ?

— Comment tu dire...

La voix courroucée du sorcier éveilla ma curiosité. Descendant promptement de mon siège, je sautillais jusqu'à lui.

— Attends, laisse-moi voir !

Sortant le premier bout de tissu que ma main captura de son armoire, je l'exposai en pleine lumière. Enfin, j'exposai les maigres lambeaux de tissus ayant été cousu ensemble en ce qui semblait être une robe. Particulièrement courte. Et particulièrement dénudée aussi.

— Et bien, apparemment l'ACE n'a pas été épargnée par la crise, commentais-je sarcastiquement.

Fouillant un peu plus dans les affaires, je dénichai un ensemble en dentelles et satin plutôt élaboré.

— ... mais pas partout. Visiblement, le secteur des sous-vêtements a été épargné, me compléta Maxen.

Perplexe, je penchais la tête et tordis le bout d'étoffe dans tous les sens.

— Je n'arrive même pas à comprendre comment cela s'enfile. Est-ce qu'on doit glisser la tête par cette ouverture ou celle là ?

Amusé Maxen daigna sortir la tête de son armoire et put me contempler m'escrimer à chercher le sens de ce sous-vêtement.

— C'est normal, il s'agit d'une tenue traditionnelle de succube. Elle ne peut ni se mettre ni s'enlever seule, tu as besoin au moins d'une autre personne.

Le "au moins" me fit hausser un sourcil. C'était qu'elle était ambitieuse la nahual.

— On ne peut pas dire qu'Ecila a fait preuve de subtilité cette fois-ci, ajouta le sorcier déjà reparti à la chasse aux vêtements.

Mon sourcil se hissa encore plus haut sur mon front. Puis me rappelant qu'il ne le voyait pas, me lança à mon tour "à la recherche de l'habit perdu". De temps en temps j'attrapais un vêtement presque sans trou. À me demander si je pouvais seulement recouvrir ma pudeur avec tous les tissus assemblés... un nouveau haut plus près de la toile d'araignée que de la tenue civilisée me répondit que non.

— Parce que ça lui prend souvent ce genre de jeux ?

— Oh oui, elle a déjà tenté de mettre Valentia avec Mi'tlal, le représentant des nahuals reptiliens. Autant te dire que cela c'est très mal passé et que si elle a encore sa tête fixée à son cou, c'est uniquement grâce à sa valeur en tant que chapelieuse. Elle adore enquiquiner les autres, et parfois pousse le bouchon un peu trop loin. Mais jusqu'à maintenant, la rareté de ses compétences a toujours compensé l'ennui qu'elle cause. Même si cela ne l'a pas empêché de s'attirer des problèmes, conclut-il avec un petit sourire.

Me souvenant d'une des remarques de la nahual, je demandais :

— Eci n'aurait pas eu des problèmes avec un certain... Zynidrael ? L'ambassadeur des anges perdus ?

Ouah. Je venais de plonger dans ma mémoire pour aller pêcher ces informations et c'était terrifiant. Vous rendez-vous compte,  le vide abyssal...

— Si, c'est exactement ça. Elle est tombée sur quelqu'un capable de lui rendre la monnaie de sa pièce. Mais je n'en dirais pas plus, ce n'est pas mon histoire.

Scandalisée, j'en sortis ma tête de l'armoire. Ce n'était pas un adepte des rumeurs, mais tout de même ! Quand on connaît un secret croustillant, on le partage, non mais. À quoi servirait un secret sinon ? L'exclamation de joie de Maxen m'empêcha de formuler ma plainte à haute et intelligible voix.

— Ah ! J'en ai trouvé un !

— Un quoi ? Un habit pouvant être porté autre part qu'à une Fashion Week ou dans un bordel de succubes ? Quoique, les deux ont pas mal de similitudes... lui répondis-je presque sans sarcasme.

— Parce que tu as l'habitude d'aller dans des bordels de succubes ? railla t-il aussitôt.

— Marrant, tu ne m'as pas demandé pour la Fashion Week, lui répliquais-je. Passe moi le bout de tissu un peu plus long que les autres avant que ta langue ne touche le sol.

Vengeur, il me lança l 'étoffe en plein visage. Me prenant la boule de tissu en pleine face, je fus légèrement déséquilibrée vers l'arrière. Dégageant le vêtement de mon visage, je tâtais le fond de l'armoire pour trouver un autre projectile. Le sorcier en profita pour me jeter un deuxième habit chiffonné. Je l'entendis se rapprocher et il vînt ôter le morceau d'étoffe de mes yeux. Mauvaise idée. J'exploitai cette opportunité en lâchant sur lui tous les habits que j'avais réussi à rassembler puis me préparais à la riposte.

Maxen éclata de rire.

Je m'immobilisais en plein mouvement, avant de me rendre compte de la situation. Décidément, j'avais une nouvelle fois fait preuve de maturité. Mais bon, pour une fois, je n'étais pas la seule. L'amusement avait entièrement métamorphosé ses traits, les illuminant et leur donnant plus de couleurs. Finis les souvenirs ployant son échine, désormais ses épaules étaient détendues, libérées de ce poids. Il passa une main dans ses cheveux, s'ébroua pour se libérer des bouts de tissu puis s'écarta de moi, son rire brillant toujours dans ses yeux.

— Allez, trêve de plaisanteries, dépêche-toi de t'habiller. Nous avons une réunion à mener et un démon à trouver.

Le sorcier s'arrêta un instant dans l'encadrement de la porte, me donnant un dernier regard.

— Merci.

Puis je me retrouvais seule dans la pièce, une pile de vêtements froissés à mes pieds. Attendez, quoi ?

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Coucou ^^ (oui, je suis une rebelle je ne dis plus hey x) )

J'espère que votre Pâques/week-end/vacances se passe/nt bien :)

De nouveau, un plutôt long chapitre mais je sens que ça va devenir la norme x) donc j'espère que le format +4000 mots vous plaît. Est-ce que vous trouvez cela trop long ? Préfériez-vous que je coupe les chapitres en deux lorsqu'ils font cette taille pour plus de commodité ? #penséepourleslecteurssurmobile (oui ce hashtag est beaucoup trop long x) ). J'aimerai bien connaître votre avis sur le sujet, ce serait dommage que la lecture de Umbra devienne pénible ;)

Bref, j'avoue (normalement) en avoir fini de cette phase développement de personnage avec Maxen et repartir pour un peu plus d'action la prochaine fois. De même, l'envie de réécrire les premiers chapitres me reprend (c'est courant chez moi, c'est comme une grippe saisonnière de l'écriture :p) mais je pense attendre de dépasser un certain évènement avant de m'y mettre. Néanmoins, je vous avertis dès maintenant ^^

J'espère que ce chapitre vous aura plus et à la semaine prochaine,

Chocolat ♥ (faut pas déco' non plus, changer les habitudes ok, mais pas non plus devenir complétement folle :p)

Kelewana





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