Chapitre XXXIII : Mad Hatter
Nathan et moi, nous nous retournâmes pour dévisager notre mystérieux interlocuteur. Pourtant, avec son accent anglais si particulier, j'aurais dû immédiatement deviner. En dépit d'une bataille, plusieurs morts et un état de guerre permanent, ma contre-façon préférée majordome se contentait de hausser un sourcil face à ma robe brûlée, déchirée et couverte de sang.
-Si je puis me le permettre, Madame, vous avez besoin de réajuster votre tenue. Au minimum, me dit-il en sortant un mouchoir de sa poche pour le placer devant son nez.
Un rire m'échappa par surprise.
-On peut dire que vous avez toujours le sens des priorités, lui répondis-je néanmoins.
Le presque-majordome leva son sourcil droit encore plus haut en contemplant le fae et le corps de Maxen gisant sur son épaule. Sarcastiquement, je me demandais qu'elle aurait été sa réaction si il avait baissé les yeux et aperçu l'état du sol. Est-ce qu'il aurait réussi à faire rejoindre ses sourcils avec sa chevelure aussi blanche qu'impeccable ? Cela devait être drôle, il fallait que j'essaye. Pendant que je me livrais à des considérations internes sur les ressources drôlatiques de sa pilosité faciale, il s'enquit, toujours de façon aussi distinguée, de notre conduite et dégageant assez d'espace entre le mouchoir et sa bouche pour parler.
-Où alliez-vous avec ce... corps étranger et au fort potentiel salissant ?
-Un peu plus de respect quand tu parles, serviteur, le rabroua sèchement Nathan avec toute la morgue d'un prince fae. Il s'agit du seigneur Calas, ton maître.
Son ton me surprit. Il était bien éloigné de son comportement habituel, mêlant à la fois la candeur la plus improbable et la témérité d'un chevalier servant. Je ne pus m'empêcher de reculer d'un pas, déconcertée. Nathan s'en aperçut et rougit immédiatement, ses pommettes prenant une carnation délicatement rosée, loin de l'habituel couleur tomate éclatée du commun des mortels. Je roulais des yeux. Même ses réactions physiologiques faisaient trop parfaites pour être vraies. Cependant je ne fus pas la seule à réagir et le valet-qui-aurait-dû-être-majordome se raidit, presque imperceptiblement pour un œil non attentif. Sa réaction fut pourtant bien différente de celle attendue pour un domestique venant de se faire réprimander.
-De un, commença t-il en levant un doigt ganté de sa main libre, le seigneur Calas n'est plus mon maître depuis que le seigneur Dubein a pris possession de ce château au nom de Lucifer. De deux, cela ne répond absolument pas à ma question. Que faites-vous dans cette partie du bâtiment ?
Son apparente impassibilité ne parvenait pas tout à fait à camoufler la rigidité qui perçait dans sa voix, bien loin de sa décontraction amusée précédente. Nathan accusa le contrecoup, son visage prenant brusquement la couleur de l'albâtre la plus délicate sous l'effet de l'embarras. Je commençais à me demander si sa plastique surnaturellement parfaite n'était pas un moyen détourné de la Nature pour s'excuser d'avoir oublié de mettre de la matière grise dans sa caboche. Ma théorie me semblait tout à fait crédible, bien plus réaliste que de croire en la science et la génétique. Depuis quand me reposais-je sur la raison ?
-Pourquoi devrions-nous justifier de nos actions devant un serviteur de l'Empire Pandémoniaque ? parvint néanmoins à bafouiller le fae.
Sa remarque était pertinente, dommage que le trémolo dans sa voix en gâchait l'effet. Cependant, je me retournais vers le valet-toujours-pas-majordome pour observer sa réponse.
Qui fut un lever de sourcil. Gauche. Je sentais mon affection pour lui fondre comme neige en Enfer. Il prit bien le temps d'ôter le mouchoir de son visage pour le plier méticuleusement avant de le ranger dans sa poche de veston en l'arrangeant de manière à ce qu'il dépasse de façon élégante. Une fois assuré du résultat de l'ensemble, la contrefaçon de majordome anglais daigna parler.
-Ce n'est pas parce que je suis un serviteur des démons que je dois attenter à la vie de tous ceux croisant mon chemin. Au contraire, ma mission étant d'aider les invités au mieux de mes compétences et faute de contre-ordre direct, je suis obligé de vous aider.
Je venais brusquement de découvrir que l'Enfer n'était pas si froid et qu'en plus, il venait d'essuyer une chute de neige record. Définitivement, il était mon faux-majordome préféré. Non pas que j'en ai croisé beaucoup mais cela fait toujours plaisir d'être premier. Surtout lorsque l'on a un si joli arrangement de pochette.
-Dans ce cas-là, auriez-vous l'extrême obligeance de nous conduire au quartier général de l'ACE ? Cela serait fort plaisant, ne pus-je m'empêcher de demander et aussi absurde que soit ma requête.
-Mais certainement, madame, me répondit-il en me tendant galamment son bras. Cependant, je dois vous avertir que vous vous rendiez dans la direction opposée. Mais rassurez-vous, nous n'en sommes pas très éloigné.
Sa déclaration fut le clou qui acheva de claustrer la fierté de Nathan dans un cercueil avec avant de faire rouler un trente-trois tonnes dessus et de dissoudre les restes à l'acide sulfurique.
-Vous... vous ne venez tout de même pas de dire que je m'étais trompé de chemin, tenta de remarquer le fae. Cela ne saurait être possible !
-À moins que vous ne soyez un Dieu capable de distordre la notion même d'espace-temps, si c'est exactement ce que je sous-entendais, lui asséna t-il à peu près aussi aimablement qu'une porte de prison, mais une très distinguée avec des décorations à la feuille d'or dessus.
Le pauvre Nathan ne semblait plus savoir où se mettre, tellement mortifié qu'il aurait presque l'air d'une personne normale. Presque. Ses yeux mis-clos par la gêne créaient des demis-lunes trop parfaites, encore. Un jour il y arriverait, j'en étais sûre. Néanmoins, il nous emboîta le pas, la tête basse.
Nous cheminâmes en silence, tandis que je tentais de trébucher de façon opportune pour attirer l'attention sur le sol. Mais en dépit de mes efforts pour lui faire remarquer les traînées brunâtres d'hémoglobine sur le velours, mon presque-majordome favori ne broncha pas et se contenta de m'aider à me stabiliser à chaque fois. Je soupirais intérieurement. J'allais y arriver, un jour. Sans doute très lointain au vu de son manque de réaction. Mais, nous étions arrivés à destination.
Mon valet freina doucement alors que nous approchions d'une porte exactement semblable aux vingtaines d'autres que nous avions dépassées. Il retira galamment son bras et me dévisagea.
-Vous voici arrivés à bon port. Derrière cette porte se trouve l'ACE, j'espère que vous y trouverez ce que vous cherchez, me déclara t-il.
Nathan le dépassa et franchit la porte, prenant garde à ne pas en heurter le cadre avec son fardeau. Cependant il n'y parvint pas complètement et un bras de Maxen se cogna contre le battant. Je grimaçais, formulant des excuses silencieuses envers le pauvre corps du Calatin. Après l'avoir traîné par terre sur plus d'une centaine de mètres, on pouvait considérer ce dernier choc comme l'ultime vengeance du karma. Peut-être allais-je finir par lui pardonner. Peut-être. Alors que je lui emboîtais le pas, le faux majordome me retînt le bras.
-Faites attention à qui vous vous fiez ici. Certes, l'ACE a pour but d'effacer l'Empire Pandémoniaque de l'Aeternam mais cela ne veut pas dire que ses membres sont tous d'accord sur la façon d'y procéder. Et une presque-Immortelle sans réelle attache politique ne sera pas un pion difficile à sacrifier...
Une fois son conseil murmuré, il lâcha mon bras et remis son masque de serviteur impassible en place.
-Comment savez-vous que je suis une presque-Immortelle ? lui demandais-je néanmoins, laissant mes pensées analyser son conseil.
Un sourire doux-amer brisa son expression de domestique parfait.
-Une Immortelle aurait depuis longtemps cicatrisé ses plaies ou au moins commencer à les refermer. Et si j'en crois le nombre de tapis en velours que nous allons devoir remplacer, cela fait un moment que vous êtes blessée.
-Vous aviez remarqué ! ne pus-je m'empêcher de jubiler.
-Évidemment, je suis un valet, me répondit-il avec un haussement de sourcil des plus significatifs. Mais cessez de tergiverser, passez cette porte et allez vous faire soigner avant de succomber sur le sol. Imaginez-vous, cela me ferait un autre tapis à remplacer.
Riant doucement suite à sa dernière remarque, je pris congé et entrais dans le quartier de l'ACE.
Et me pris un ornithorynque dans la figure. Littéralement.
Ce fut à ce moment que je me demandais quand ma vie avait-elle pris un tournant aussi étrange. Trop longtemps pour que je m'en souvienne fut ma réponse.
Dégageant l'étrange créature de mon visage, je cherchais du regard la raison de sa chute des plus gracieuses sur ma personne. J'eus à peine le temps d'apercevoir une naine courser une sorte de dindon mutant frôlant les deux mètres et aux couleurs agressives avant de me faire plaquer au sol par plus d'un mètre soixante-dix de nahual félin.
-C'est bon, j'ai le dernier ! hurla t-elle puisqu'elle semblait être de sexe féminin. On peut rouvrir la cage, on s'occupera des derniers plus tard.
Elle se dégagea avec l'agilité caractéristique de son espèce mais ne manqua pas de m'écraser plus lourdement qu'un rhinocéros. Le souffle coupé, j'essayais de respirer de nouveau tandis que la femme chat m'arrachait l'ornithorynque des mains. Ce fut à ce moment seulement qu'elle remarqua ma présence.
-Oh zut ! Je ne t'avais pas vue, me dit-elle toute contrite. Ça va ?
Si je ne lui fis pas remarquer le superflu de sa question, ce fut uniquement parce que je n'arrivais pas à parler.
-Ça ira, parvins-je tout de même à articuler après avoir copieusement craché sur le sol. Je devrais m'en sortir.
Si je survivais à ma côte cassée. Je ne savais même pas si elle était brisée mais une nouvelle douleur irradiait dans mon corps. Je soupirais. Devais-je inscrire ce moment en tant que record historique ? Après tout, j'ai failli passer dix minutes sans ramasser une autre blessure, cela relevait de l'exploit. Après m'être de nouveau hissée (non sans mal) sur mes deux jambes (un peu trop tremblante à mon goût, je dévisageais la terreur de mes côtes.
Me dépassant d'une dizaine de centimètres, son visage humanoïde s'était couvert d'une douce fourrure écaille sous l'effet de l'émotion. Ses yeux reprenaient peu à peu leur apparence animale, deux pupilles de chat aux iris couleur de denim délavé. Sans être trapue, elle était dotée d'une constitution solide que ma cage thoracique plutôt bien ressentie. Un pantalon noire et une tunique aux reflets chatoyants complétaient son portrait et indiquaient un amour du confort ainsi qu'une vie aisée. Mais ce qui surprenait le plus dans son apparence, c'était le chapeau juché sur le sommet de son crâne.
Architecture étrange, je me demandais comment celui-ci arrivait à respecter les lois de la physique en maintenant son fragile équilibre. C'était un amoncellement de satin pâle entremêlé de rubans sapin, mais aussi doté de minuscules sculptures d'oiseaux qui étaient fixées à des branches s'entrecoisant délicatement tout autour de la structure. Des feuilles se balancaient ci et là, au gré d'un vent imaginaire. Et comme si cela ne suffisait pas, des cerises mûrissaient sur les tiges de bois verts et promettaient des touches écarlate pour égayer le tout. Je déglutissais. Eh bien, cela avait le mérite d'être surprenant.
-Enchantée, je m'appelle Ecila. Mais je préfère Eci, c'est plus court, me déclara t-elle après avoir patienté le temps de mon inspection chapellière. Bienvenue au quartier général provisoire de l'ACE.
-Eci, dépêche-toi, nous n'avons pas que ça à faire de la journée, l'interpella la naine que j'avais vu un peu plus tôt mais sans dindon géant cette fois.
Mon interlocutrice roula des yeux, paraissant ainsi beaucoup plus jeune.
-Ça va, j'arrive. Pas la peine de rouspéter, finit la nahual en marmonnant à moitié ses mots.
Me voyant plantée au mileu du passage, visiblement désoeuvrée, elle me tira avec elle de sa main gauche, la droite étant affairée à retenir un ornithorynque aux envies de liberté.
-Viens avec moi, je risque d'avoir besoin d'aide.
-Pour quoi faire ? eus-je la présence d'esprit de lui demander avant d'être happée.
Eci s'immobilisa à son tour, manquant de se faire percuter par pas moins de trois personnes, moi comprise. Elle tenta de se tapoter la lèvre pour se remémorer la raison la poussant à vouloir une assistante avant de se rappeller que la dudite main serrait un ornithorynque. Un claquement de bec et une lèvre meurtrie plus tard, la nahual s'exclama :
-C'est vrai ! J'ai un nouveau patient !
Sentant une appréhension des plus désagréables envahir mon corps, je la questionnais pour plus de précision.
-Hum, est-ce que cela ne serait pas un mortel ? À tout hasard, évidemment.
-Si, c'est bien ça ! Je savais que tu ferais une bonne assistante, s'écria t-elle, ravie.
Mon appréhension se métamorphosa en consternation. C'était elle le dernier espoir de Maxen ? Tu m'étonnes que Faelan ait voulu appeler le croquemort tout de suite.
-Mais tu es sûre d'être médecin ? osais-je tout de même demander.
Eci se retourna, me faisant pleinement profiter de son expression courroucée.
-Évidemment, j'ai un chapeau !
Sur ces bons mots, dotés d'une logique qui lui était propre, elle repartit d'un pas énergique, faisant dangereusement osciller la structure lui servant de couvre-chef et me laissant en proie à l'incompréhension la plus totale.
Dire que j'avais presque réussi à croire que j'avais une chance. Le karma, ça faisait très mal.
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Hey 😘
Une journée de retard mais plus de 1000 mots supplémentaires et un nouveau personnage assez... Spécial disons xD
En espérant que ce chapitre un peu plus long que d'habitude vous aura plu ;) ,
Kelewana
(p.s : on s'approche des 20k, vous des vrais dingues x) (mais mes dingues préférés :p 💖))
(p.p.s : non, je n'ai pas oublié le chocolat. Chocolat ❤ ;p)
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