Chapitre XXX : 21 Century Girls
À travers mes paupières trop lourdes, j'entrevis le démon survivant enrouler magiquement l'eau du bouclier magique autour de son bras tout en s'approchant de moi. Serrant les dents, je tentais de me relever pour lui faire face mais mes membres bougeaient lentement, beaucoup trop pour que je puisse me défendre. Comme pour m'épargner ces pitoyables efforts, le survivant agita sa main vers moi et recouvris ma tête d'une bulle d'eau. Effectivement, je reconnus que sa technique était des plus sûres et que je ne pouvais pas y faire grand chose. Néanmoins, j'eus tout de même le réflexe de bloquer ma respiration lorsque la masse aquatique me fonça dessus. Mais apparemment mon adversaire ne trouva pas cela suffisant et dégaina une de ses dagues pour m'achever. Génial. Depuis quand les méchants achèvent les gentils au lieu de les laisser agoniser sur le sol pendant qu'ils déblatèrent leurs plans maléfiques, arrivais-je péniblement à penser alors que l'oxygène commençait à manquer. Je vis la lame meurtrière se rapprocher de mon cou, déformée par l'eau. Si j'avais pu parler, je lui aurais précisé de ne pas s'occuper de ce genre de détail, après tout je n'étais pas une immortelle. Cependant le vampire qui se jeta sur sa jugulaire, lui l'était.
Aussitôt le démon relâcha son emprise sur la bulle d'eau, tentant de se défendre face à l'attaque de Faelan. Mais ce dernier ne lui en laissa pas l'occasion et agrippa les bras de sa proie pour l'immobiliser. Crachotant sur le sol en essayant de reprendre mon souffle, j'osais lancer un regard en direction des deux antagonistes. Bien mal m'en pris.
Le visage transfiguré de joie du vampire était parcouru de veines sombres, faisant violemment ressortir la blancheur livide de son visage et ses pupilles écarlates bien différente de son habituel vert d'eau. Ses crocs, maculés du sang de sa victime, déformaient sa mâchoire et l'éloignaient de l'homme pour le rapprocher de la bête. Sa proie avait cessé de lutter en se repaissant du bonheur artificiel provoqué par le venin vampirique et se contentait de laisser pendre sa tête sur le côté afin de faciliter l'accès à sa jugulaire. Le démon ne se rendit pas compte qu'il était de mourir peu à peu et lorsque le nosferatu eut fini de le vider de son fluide vital, il lui brisa la nuque et laissa le corps échouer face contre terre. Tranquillement Faelan sortit un mouchoir de sa poche et s'essuya le bas du visage avant de m'adresser la parole :
-Désolé, j'ai perdu du temps en posant Maxen sur le sol, ce qui m'a empêché d'intervenir plus tôt, dit-il tout en rangeant son carré de tissu. Néanmoins je dois avouer que ce petit encas impromptu m'a revigoré. J'étais quelque peu tendu pendant le trajet, les effluves de sang ont tendance à réveiller mon appétit.
J'encaissais difficilement la nouvelle. Déjà parce que c'était toujours problématique de découvrir que l'on a été en danger de mort sans le savoir, ensuite parce que mon état physique ne me permettait pas d'encaisser grand chose. Je pouvais encore supporter une rencontre avec mon matelas et c'était tout. Malheureusement ce n'était pas à l'ordre du jour. Constatant que je n'étais pas dans mon meilleur état, Faelan soupira.
-Si tu ne pouvais pas supporter le choc de l'utilisation de tes pouvoirs, tu aurais pu attendre deux minutes que je dépose Maxen afin que nous attaquions à deux. Mais non, il a fallut que madame décide de se la jouer solo et voilà le résultat ! ronchonna t-il en m'attrapant les bras pour m'aider à me relever. M'affaissant à moitié, je ne pus m'empêcher de grommeler une réponse:
-C'pas m'faute, 'core épuisée par attaque 'ontre Val.
Faelan leva les yeux au ciel (plutôt au plafond). Apparemment il m'avait compris.
-D'autant plus, alors ! Si tu comptes continuer dans le métier et avoir une chance de survie en général, le minimum est de connaître tes limites ! continua t-il de rouspéter. Non mais les débutants, je vous jure !
Je réussis à me stabiliser et nous nous dirigeâmes clopin-clopant jusqu'à Maxen.
-Suis pas débutante ! protestai-je véhément. Puis, 'ai quand même 'éussi à en tuer plusieurs !
Nous avions atteint l'emplacement où Faelan avait déposé le corps inconscient de Maxen. Je m'adossais lourdement contre le mur tandis que le vampire le remettait sur son dos tout en continuant de me sermonner.
-Oui et c'était plutôt impressionnant même pour un être âgé de cinq cents ans comme moi, me répondit-il. Mais le problème est qu'il en restait un. Et un seul est largement suffisant pour se débarrasser d'une petite mortelle comme toi.
Une fois que Maxen fut calé sur son dos, je m'appuyais de nouveau sur son épaule. Chacun de mes gestes me faisaient un mal de loup, soit pire qu'un mal de chien. J'espérais qu'il y aurait des Guérissorts dans le quartier de l'ACE, sinon je n'allais pas leur servir à grand chose. Mais ma douleur n'empêcha pas ma langue de se manifester. C'était la seule partie de ma personne qui allait de mieux en mieux, à mesure que les mètres s'écoulaient sous nos pieds.
-Gna gna, lui rétorquais-je, très mature. T'dis ça, parce que t'as tué qu'le dernier. Et l'petite mortelle, c'mieux débrouillée que toi.
Ma remarque sembla l'exaspérer et il dut se mordre la langue pour se retenir de répondre, preuve évidente que j'avais raison. Ou que j'étais insupportable. De toute façon, dans les deux cas, c'était moi qui avait le dernier mot. Notre petite compagnie trébuchante s'interrompit brusquement face à une intersection. Le couloir que nous suivions jusqu'à maintenant se divisait désormais en trois, nous confrontant à un épineux problème ayant depuis l'aube des temps détruit des amitiés. Devant, droite ou gauche ? Faelan choisit la gauche. Tsss, il ne savait pas qu'il fallait toujours aller tout droit, heureusement que nous n'étions pas amis. Pourquoi aller tout droit? Parce que la direction la moins choisie des trois. Donc c'était ce qu'il y avait de mieux pour égarer nos poursuivants. Je fis part de mes pensées à ma béquille presque vivante.
-Ce n'est pas une mauvaise technique en effet, mais tu as négligé un détail : entre ton état et celui de Maxen, nous ne pouvons nous permettre de faire des détours et devons attendre un coin sûr le plus vite possible, contesta t-il.
Certes. Je n'avais effectivement pas pris ce paramètre en compte. Ce que mon corps allait finir par me faire payer. Ah, non, il avait déjà commencé. Des signaux de douleur monopolisaient mon système nerveux comme des charognards avec un mourant : de manière très sale et extrêmement douloureuse. Je ne sais pas qui était le plus revanchard entre ma côte et mon poumon. À moins que ce ne soit ma tête. En fait, il valait mieux que j'arrête immédiatement sinon ça allait devenir le défilé des protestations. Et ça risquait de se terminer en vente d'organes, ce qui était bon pour mon esprit et mon portefeuille mais moins pour mon intégrité physique. Bouarf, de toute façon, vu dans l'état dans lequel j'étais...
Faelan finit par s'arrêter, manquant de me faire trébucher.
-Nous y sommes presque, me déclara t-il. Il ne nous reste plus qu'une centaine de mètres.
-Et tu t'arrêtes parce que ça te semble trop louche ? lui demandais-je.
Le vampire s'arrêta et huma les environs. Les macchabées étaient comme des requins, ils pouvaient sentir la moindre goutte d'hémoglobine à des kilomètres à la ronde. Mais entre celle de Maxen et la mienne, je ne pensais pas que son odorat puisse lui servir. Néanmoins je ne pus m'empêcher de faire une remarque sarcastique, comme à mon habitude.
-De toute façon, tu as sauvegardé le niveau, non ?
-Sauvegardé le quoi ? me répondit-il, l'incompréhension teintant sa voix.
Des pas résonnèrent derrière nous.
-Voyons Faelan, tu devrais t'intéresser un peu plus à la culture des autres peuples. Après tout, il s'agit de l'une des bases pour comprendre et prévoir le Continuum. Mais je comprends que vous ayez un peu de mal à vous faire aux subtilités de la civilisation, vous autres les rejetons de Tepes, commenta une voix suave.
Je me disais bien que nous n'avions pas encore affronté le boss final. Non pas que je le voulais, cependant les trois-quarts du chemin m'avaient parus relativement calme, or la guerre c'est comme la philo : si tu sors en disant que c'était trop facile, dans un cas comme dans l'autre ça veut dire que tu vas te prendre une raclée. Me retournant avec précaution pour faire face à notre nouvel ennemi et sa clique, moins par politesse que pour voir où j'allais devoir taper, je leur rétorquai :
-Tsss, au lieu de critiquer la paille qui est dans l'oeil du voisin, il faut enlever la poutre qui est dans le sien. Et c'est un proverbe presque aussi vieux que toi, c'est dire.
Ma répartie n'arracha qu'une moue désabusée à mon interlocuteur cornu qui ne daigna même pas hausser un de ses sourcils blancs. Être un conseiller impérial, ça rendait prétentieux.
-Du coup, si tu respectes autant la parole de tes anciens, tu vas accepter de te rendre sans combattre ?
Je lui adressais un rictus carnassier en dépit de mon visage douloureux.
-Voyons Papi, ça voudrait dire louper ton seul moment d'exercice de la semaine, ce serait dommage pour ton arthrite, ripostais-je en me redressant péniblement.
-Ah, parce que c'est une soirée sportive ? Zut alors, j'avais prévu un barbecue, me répondit Ian en enflammant nonchalamment ses bras.
Derrière moi j'entendis le chuintement d'une épée retirée de son fourreau. Faelan venait de se mettre en place, il ne me restait plus qu'à achever notre petite joute verbale.
-Ce n'est pas grave, j'ai ramené de quoi faire des brochettes, concluais-je en dégainant mes stylets.
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