Chapitre XXIII : All The Right Moves
Vous connaissez ce proverbe, déclarant que l'on apprécie la valeur des choses que lorsqu'on les perd ? Et bien, personnellement, c'est lorsque je les retrouve que je les goûte le plus.
Je crois n'avoir jamais autant savouré la grisante sensation de puissance qui accompagne mon assimilation des ombres. Car contrairement aux mages, lorsque j'utilise ma magie, cela ne s'apparente pas à manipuler un élément avec ma force mentale. Non, c'est plus comme si je retrouvais une partie de moi qui m'avait manquée, tel un bras ou une main. La vision d'une infinité de membres m'attendant dans les ténèbres s'imposa à moi. Cela ressemblait tellement à un mauvais film d'Halloween que je ne pus m'empêcher de ricaner. Et vous savez ce qui se passe lorsqu'un otage à le mauvais goût de ne plus paraître effrayé ? Et bien son ravisseur se ramène.
-Heureuse de voir que vous ne prenez pas trop cette situation au sérieux. C'est vrai quoi, qu'est-ce que vous risquez au pire ? Mourir ? ironisa Valentia en entrant dans le salon par la double porte.
Elle prit le temps de s'arrêter pour contempler sa tenue dans le grand miroir de pied accroché au mur, me tournant le dos de façon ostensible. Après s'être assurée que sa robe de satin vert d'eau n'avait pas pris un pli, vérifié que son rouge à lèvres était plus rouge que rouge et sans doute tenté de graver les traits de son visage sur le verre en le regardant fixement le plus longtemps possible, la duchesse arrêta de mimer le dédain et m'accorda enfin le plaisir de son attention.
-Que vais-je faire de toi, murmura t-elle en se rapprochant.
Me taisant depuis son entrée dans la pièce, je me contentais d'esquisser un rictus. Je n'avais pas encore retrouvé tous mes pouvoirs et ma pleine puissance, mais cela serait pleinement suffisant. Cependant, je préférais rester dans cette position momentanément afin de tenter d'en apprendre plus, ne serait-ce que sur la raison l'ayant poussée à m'enlever.
Néanmoins, mon mutisme impertinent ne sembla pas lui plaire. La rousse commença à tourner autour de ma chaise, prenant bien soin à ne pas dépasser la limite du pentacle.
-Si faible...si fragile...continua t-elle de chuchoter à mon oreille. À se demander pourquoi Maxen tient à toi.
Ayant fini de déambuler dans le vide, elle s'arrêta face à moi, la tête penchée. Son visage était l'incarnation de la fausse innocence, reflétant exactement l'image que Valentia voulait lui donner, toute en nuances. Le résultat était tellement parfait que je suspectais un intense entraînement face à sa glace tous les matins. Sa manie à poser après chacune de ses phrases était des plus agaçantes, et je commençais à manifester des signes d'impatience. Ce qui ne lui plut pas.
-Pauvre petite chose impertinente ! Comment oses-tu ? Tu devrais être reconnaissante que je m'abaisse à ta parler ! cria t-elle brusquement.
Son pas se fit plus empressé, le cliquetis de ses talons sur le sol plus rapide. Malgré son apparente colère, ses mouvements restaient mesurés. Méfiante, je me demandais à quoi rimer ce spectacle. Je commençai à accumuler ma magie, ramenant à moi les ténèbres m'entourant. Je ne pouvais pas encore me fondre en leur sein mais pouvait déjà les manipuler sommairement. Pendant ce temps, Valentia continuait son petit cirque.
-Je ne comprends pas comment tu as pu survivre jusqu'ici ! Tu es pitoyable, ne possède aucune résistance face à la magie ! Un enfant ferait mieux !
Bon. Elle avait réussi à me taper sur les nerfs. Elle et tous mes autres désagréments, plus précisément. Je laissais l'énergie courir le long de mon corps, augmentant les ombres me couvrant petit à petit puis lui adressa enfin la parole.
-Hé !
La sorcière me dévisagea avant de lever un sourcil. Le gauche. Je la haïssais. Néanmoins, elle s'avança de quelques pas dans ma direction.
-Tiens, tu as subitement retrouvé la parole ?
Je laissai un sourire découvrir mes canines. Patience ma petite, plus que quelques mètres.
-Non pas que cela change quoi que se soit, ce n'est pas parce que le chien aboie que l'on écoute, ajouta t-elle toujours aussi hautaine.
Elle avait continué de se rapprocher, n'étant plus qu'à un mètre de moi.
-Attention, chien qui aboie toujours mord.
OK, ce n'était clairement pas ma meilleure réplique. Je pense même n'avoir jamais fait pire. Si, peut-être, lors d'une mémorable partie alcoolisée de bowling avec des orcs...mais c'était une histoire qu'il fallait mieux oublier. Néanmoins, elle fit son travail puisque la duchesse fit les derniers centimètres nous séparant, restant à une dizaine de centimètres de moi par égard pour le pentacle. Elle leva la main, comme pour me gifler, ne se retenant qu'au dernier instant. Face à ma mine déconfite, Valentia éclata de rire.
-Oh, trop drôle ! Tu crois vraiment que j'allais tomber dans un stratagème aussi grossier ? Je te pensais plus intelligente, déclara t-elle en secouant la tête.
Elle me regarda, un air de commisération peint sur son visage.
-Dommage, j'y ai presque crû. Mais tu restes une ratée, conclut-elle avec satisfaction.
-Et ça, je l'ai raté ?
En même temps que je lui répondais, j'activais mon pouvoir et solidifiais les ombres recouvrant partiellement le pentacle, le faisant éclater par la même occasion. Dans la continuité, je cisaillai mes liens avec les ténèbres recouvrant mon corps tout en gardant une partie sur mes mains. L'ensemble dura moins d'une seconde, pas assez pour que Valentia eut le temps de réagir.
Lorsqu'elle se rendit compte de ma libération, la sorcière ouvrit la bouche et commença à formuler une incantation. Mais il était trop tard. Je bondis hors de ma chaise et assénai un vigoureux direct dans sa mâchoire.
Cependant, comme tous les bons magiciens, elle était entraînée à pouvoir parler en dépit de la douleur. Ce fut donc avec difficulté qu'elle parvint à articuler :
-Apôtheïn.
Aussitôt je fus repoussée en arrière, heurtant le mur opposé. J'émis un grognement, sentant mes blessures se rouvrir malgré les Guérissorts. Mais je ne me laissai pas arrêter par la douleur et bondis de nouveau en direction de mon adversaire. Cependant, aussi rapide sois-je, je ne l'étais pas plus que les mots. Apercevant la sorcière commencer à articuler, je rassemblai le peu d'énergie qui me restait pour me fondre en partie dans les ombres. Je n'y arrivais pas complétement et cela me consomma mes dernières forces. Toutefois lorsque Valentia lança un autre sort, il glissa sur moi.
Enfin, plus exactement, ce fut comme si il tentait de s'accrocher à mon esprit mais que ce dernier avait réussi à se lisser suffisamment pour qu'il n'y ait pas assez d'accroches pour la magie. C'était loin d'être agréable et je grimaçai face à ce surplus de douleur. Néanmoins, son sort réussit à me ralentir, me coupant en plein élan. Lorsque je m'élançai de nouveau, j'eus la désagréable impression de m'enfoncer dans de la gelée.
Cependant cette étrange sensation disparut au bout de quelques mètres et je me trouvais face à ma ravisseuse. Ce fut ce moment que mon cerveau choisit pour faire une mise au point sur deux problèmes. Le premier était que mon opposante était en pleine articulation d'un autre sort et, au vu de mon état physique, je n'étais pas sûre de pouvoir le supporter. Le second était que c'était bien beau d'être arrivée jusque là, mais j'étais dépourvue d'arme. Oups.
Bon, j'allais devoir improviser. En espérant que mes réflexes allaient suffire.
Un. Je lui donnai un vigoureux coup de coude dans le ventre, lui coupant l'arrivée d'air et par là même son sort.
Deux. Je continuai dans mon élan et assénai un coup de poing dans sa mâchoire avant d'attraper son bras gauche.
Trois. Je la déséquilibrai en tirant sur le dit-bras avant de lui crochetai sa jambe gauche. Elle émit un petit bruit des plus satisfaisants lors de sa chute.
Quatre. Mon pied droit heurta de nouveau son estomac, l'empêchant définitivement de parler. Le gauche, lui, décida de sympathiser avec sa tempe.
Évidemment lorsque tout se déroule aussi bien, ça signifie que j'allais avoir un problème. Forcément. La vie est injuste les enfants, souvenez-vous en. Donc mue par ce sentiment que certain qualifierait de pessimiste (ou encore de réaliste, de paranoïaque, instinctif, bref du premier adjectif rencontré en ouvrant un dictionnaire au hasard), je levais la tête. Et j'eus un petit moment de triomphe intérieur en voyant que j'avais raison.
Un vampire quelque peu débraillé contemplait, abasourdi, la scène se déroulant dans le salon autrefois impeccable de Valentia. Apparemment la nouvelle décoration n'était pas à son goût. Jetant un regard par dessus mon épaule, je vis que le mur opposé portait la trace irrémédiable de notre rencontre tumultueuse, la chaise renversée assombrie par mes pouvoirs et les taches de sang parsemant le parquet. C'était...avant-gardiste.
L'avantage de cette situation, c'était que je reconnaissais le vampire et qu'il avait une dette envers moi. Au vu de la tête de Faelan, lui aussi m'avait reconnue. Ou alors il était juste consterné. Les deux étaient souvent liés lorsqu'on me dévisageait.
Le désavantage c'était que je ne connaissais aucun vampire couvert d'écailles jusqu'à aujourd'hui. Et, devinez quoi, je n'en avais aucune envie. Déjà parce que ça signifie qu'en plus d'être un p*tain de suceur de sang quasiment increvable, c'était un p*tain de suceur de sang quasiment increvable ET avec des capacités inconnues. Ce qui n'est jamais une bonne idée quand on doit l'affronter.
Mais visiblement, si le Destin existait, il n'était pas d'accord avec moi.
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