Chapitre XVI : Runaway (U&I)
Supposant que ma fouille du château ainsi que mon petit combat, le tout additionné à l'interrogatoire, avait sérieusement entamé les deux heures accordées, je confectionnai de sommaires cordes dans la veste de mon tailleur et me servis des chutes comme bandages.
Un juron m'échappa lorsque je comprimai ma blessure au flanc. L'adrénaline du combat redescendue, elle se rappelait à moi sous la forme d'une douleur cuisante. Les petits bonheurs de la mortalité
Ligotant le roi avec une maîtrise liée à l'habitude, je m'assurai de positionner le stylet de façon à ce qu'il se l'enfonce dans le cœur si il cherchait à se libérer. J'en profitais pour lui asséner un nouveau coup à la tempe, par acquis de conscience.
Satisfaite je reculai d'un pas pour admirer mon œuvre, l'enfermai dans un placard en cassant la serrure puis fis signe à ma nouvelle responsabilité de me suivre. Après une seconde d'hésitation, elle trottina derrière moi. Enfin, elle tenta d'être au moins aussi rapide puisqu'en réalité je m'efforçais de courir en dépit de mes blessures.
-Pour...pourquoi cour..courons-nous ? me demanda Tina entre deux halètements.
-Car...les vampires, lui répondis-je tout aussi essoufflée, ont un odorat très développés lorsqu'il s'agit de sang. Il faut donc nous hâter avant qu'un membre de leur délégation ne vienne fouiner dans le coin.
-Mais ils vont trouver le cadavre !
-Chérie, il n'y a qu'eux qui ne respire plus. Malheureusement c'eut été suicidaire que d'achever l'autre connard.
-Ils vont tout de même le trouver !
-Je compte sur le fait qu'il soit dans les caves pour le dissimuler. Cependant si la sangsue est affamée, rien ne la détournera de notre piste. D'où mon empressement. Je préfère qu'ils le bouffe lui plutôt que nous.
Elle pâlit brusquement à mes mots et trouva la force d'accélérer, me dépassant. Comme quoi, rien ne vaut une bonne petite menace de mort pour motiver les troupes.
La jeune courut quelques mètres, tomba sur un embranchement, fit demi-tour en se rendant compte qu'elle ne connaissait pas le chemin de ma chambre. Apparemment l'adrénaline affectait ses capacités intellectuelles, encore un détail que nous allons devoir bosser. Pourquoi j'ai accepté de la prendre sous mon aile ? Ah oui, un stupide accès de sentimentalisme. Son visage choqué et la solitude qui courbait ses épaules m'avaient rappelés que j'aurais bien aimé avoir quelqu'un pour m'aider cinq ans auparavant. Je grimaçai face à la stupidité de mon raisonnement. Mais j'avais donné ma parole et ne pouvais la reprendre.
Moitié clopinant, moitié trébuchant, Tina accourait à mon côté et chercha désespérément à m'aider. Sa tentative de prendre un de mes bras sur son épaule ne fit qu'aggraver ma blessure au flanc et nous ralentit toutes deux.
Abandonnant elle se contenta de rester à mon niveau en jetant des regards de poulet coincé dans un KFC, c'est à dire consciente que sa survie dépendait de son score au 100 mètres.
Cependant son calvaire touchait à sa fin puisqu'il me semblait reconnaître le couloir menant à ma chambre. Encore quelques minutes et la porte en acier enchanté nous protégerait du monde extérieur. Quelle serait la probabilité de tomber sur un ennemi après avoir parcouru la moitié de ce foutu château sans croiser une âme vive ?
Visiblement élevée car un certain vampire blondinet était adossé au battant de ma porte. Ma malchance me fit des yeux de cocker battu en arguant qu'un Nosferatu était techniquement mort et donc ne pouvait être considéré comme une âme vive. Ouais et il gelait en enfer. Quoique après réflexion c'était peut-être le cas, il valait mieux que je ne m'avance pas sur le sujet.
Mes considérations météorologiques ne m'étaient cependant d'aucune aide face au problème assoiffé d'hémoglobine haut d'un mètre quatre-vingts. Faelan se redressa et je déglutis. Un mètre quatre-vingt-dix plutôt. Je sortis un autre de mes innombrables stylets en espérant avoir le temps de lui porter un coup mortel avant de subir une anémie fatale. Sur ma droite, Tina fit de même après quelques cafouillages en dégainant l'arme. Me déplaçant souplement de manière à ce qu'il m'atteigne en premier pour laisser à la jeune femme une chance de survivre, j'attrapais la jumelle de la dague qui avait assommé le roi des Faunes. Sauf qu'à la différence de sa cadette, elle était recouverte d'argent sur toute la longueur de la lame.
À son sifflement désapprobateur, je sus qu'elle faisait son petit effet. Mes deux armes étaient relevées, formant une garde me permettant de déchiqueter en un dixième de seconde toute bestiole attaquant ma gorge. Néanmoins, au vu de la mâchoire contractée et de sa curieuse manière de ramener ses bras au niveau de son torse, je devinai que la sangsue était en train de lutter pour ne pas nous sauter dessus. Décidant d'utiliser cette info à mon avantage, je lui demandai :
-Peux-tu te retenir si je te donne mon sang ?
Faelan parvint à répondre malgré la déformation grotesque de ses maxillaires.
-Trop dangereux. Pourrais vous tuer.
Je levai les yeux au ciel. Enfin au plafond en marbre plutôt.
-Gros bêta, si jamais nous nous mettons à courir tes instincts de prédateur se réveilleront et tu nous égorgeras en moins de temps qu'il ne faut à un garou pour avaler un hippopotame. Nous pourrions aussi tenter de passer la porte sauf que je n'ai absolument aucune confiance en ton contrôle et nos artères juteuses seraient alors à moins d'un mètre de toi. La dernière option étant d'attendre dans le couloir jusqu'à ce que ta maîtrise lâche, tu m'excuseras de tenter autre chose.
Je tus l'autre raison qui me poussait à proposer mon sang, c'est-à-dire que si jamais il perdait son contrôle, je pourrais au moins tenter de l'affaiblir pour faciliter la fuite de Tina. Cela ne servait à rien que nous soyons deux à mourir et elle n'était pas en état psychologique pour servir de donneuse. Ma diatribe l'avait renfrogné mais il acquiesça néanmoins d'un hochement de tête.
-Par contre, tu ne plantes pas tes canines, OK ? Sinon je te ferais regretter ta pitoyable existence de macchabée, ajoutai-je avec de l'acier dans la voix.
Pourquoi je ne voulais pas qu'il use de ses dents ? Tout simplement car la magie des vampires repose sur les échanges de sang et sur les substances secrétées par leurs crocs. Lorsqu'un Nosferatu vous mordait, il diffusait dans votre sang un venin aux effets semblables à l'opium pour apaiser sa victime mais vous rendant aussi plus malléable à l'hypnose et aura tendance à vous lier à lui. Il grimaça, cela allait à l'encontre de ses instincts, cependant le blondinet comprit et acquiesça de nouveau.
M'approchant de lui à pas lents, je me fis une entaille superficielle avec ma dague sur toute la longueur de l'avant-bras. Mes autres blessures étaient trop proches de mon torse pour que je puisse réagir rapidement si la situation dégénérait et je voulais que mon bras gauche, mon bras fort, soit exempte de blessures afin de ne pas entraver mes réflexes. Déjà le liquide rouge commençait à couler le long de mon bras et Faelan suivit son chemin de ses étranges pupilles évoquant un serpent. Ses balancements de tête hypnotique suivait un rythme régulier tandis qu'il se rapprochait de moi. Ce brusque rapprochement avec l'équivalent magique d'une Kalachnikov affola mes battements de cœur et le vampire accéléra à son tour ses mouvements répétitifs. Je me glaçai, prenant conscience que c'était mon rythme cardiaque qu'il reproduisait. Trop tard pour reculer, il se jeta sur ma plaie et je ne pus m'empêcher de placer ma lame contre sa gorge. Le vampire s'arrêta et leva son visage affamé vers moi. Il ne restait rien de l'apparence agréable suscitée par sa magie, désormais c'était le prédateur mis à nu qui me fixait. Sa gueule était étirée par une denture plus adaptée pour une mâchoire féline que humaine, déformant ses traits et maculant son menton de bave. Il était monstrueux, reflétant l'horreur qui sommeillait en lui. Pourtant ce fut l'homme qui la contrôlait qui arriva à articuler.
-S'il...te...plaît.
OK, c'était limite plus flippant que ses crocs de tueur. Limite, car ce n'était pas parce que la plume était plus forte que l'épée que j'allais craindre ses paroles plus que ses canines acérées aussi grande qu'un de mes doigts. Déglutissant, j'écartais ma dague de sa gorge avec difficulté. Une fine trace grise marquait sa peau là où la lame l'avait touché.
Faelan m'adressa ce que je supposais être un regard reconnaissant et put enfin se jeter sur mon sang avec la délectation d'un gamin mangeant de la barba-papa.
Après quelques minutes de silence gêné entrecoupé du bruit des déglutitions goulues de Faelan. Soudain il s'interrompit, appliqua une couche de salive pour aider la cicatrisation et se releva d'un geste souple.
Me retenant à grande peine d'essuyer mon bras, je rengainai mon stylet mais gardant ma dague à la main. Ce n'était pas parce qu'il était rassasié qu'il était digne de confiance.
Avisant Tina sagement postée plus en amont dans le couloir, je lui fis signe de venir et poussai le vampire de mon passage. Je fis entrer la demoiselle dans ma suite, lui indiquais la direction de la douche et de ma penderie. Elle s'éclipsa après un remerciement et je pus reporter mon regard sur la cause de ma soudaine faiblesse.
M'appuyant contre le battant de la porte pour dissimuler mes jambes chancelantes, je le dévisageai sans vergogne. Les effets de cette petite prise de sang était déjà visible, son apparence était moins émaciée et son visage reprenait peu à peu des couleurs. Je plissais les yeux. Faelan était tout de même très rouge, même pour un vampire après une petite dégustation. Cela ressemblait beaucoup à un humain rougissant...Mes sourcils s'en soulevèrent de surprise. J'avais une sangsue pluricentenaire gênée devant moi ! Ne pouvant retenir un petit sourire moqueur, j'aggravai le rougissement qui se propagea jusqu'à ses oreilles. Il prit néanmoins la parole.
-Je vous remercie pour votre sollicitude, Madame. Je suis désormais votre obligé.
-Tiens, une petite rasade de O+ et ça passe du tutoiement au vouvoiement ? Intéressant à savoir, le raillai-je.
C'était une véritable infection de rouge qui contaminait son visage plus vite que la peste noire l'Europe.
-Vous ne savez pas à quel point j'ai une dette envers vous. Vous pou-
-Oh si je le sais, tout comme les autres invités le savent et surtout, comme Ian le sait, l'interrompis-je l'amusement ayant déserté mes traits. Je suppose que votre troupeau a été gentiment réattribué à une autre suite ?
La mention des personnes servant de buffets sur pattes aux vampires fit sursauter Faelan, comme si je venais de dire une grossièreté inconcevable tel un invité déclarant quelque soit la cour auquelle appartient un fae, ça reste un salopard. Il y a des vérités que l'on ne veut pas entendre. Il soupira et se passa une main tremblante dans les cheveux avant de parler à son tour.
-Oui vous avez deviné, peu après mon éclat nos suites ont reçu la visite de soldats démons venu "rectifier une erreur de logement". Nous n'avons rien pu faire et ne savons pas où ils ont été emmenés, les liens ont été coupé. Évidemment nulle poche de sang était disponible au repas de ce matin.
-Vous laissant face à un dilemme. Soit vous contractez des dettes envers des membres des délégations, soit vous jugulez votre faim jusqu'au moment où vous perdrez le contrôle et tuerez une partie des invités avant d'être abattus, complétai-je. Finalement vous êtes plus punis que je l'avais supposé, peut-être n'êtes vous pas du côté des démons.
Un mince sourire sans joie étira ses lèvres tandis qu'il s'adossait à son tour contre un mur.
-Vous avez bien résumé la situation, vous êtes ma première dette. Prenez en soin, c'est un cadeau très puissant.
-Je saurais en remercier Ian après l'avoir fait passé de l'autre côté pour nous avoir fait frôler les portes de la mort. Cependant, cela n'explique pas ce que vous faisiez à attendre devant ma porte.
La surprise traversa son visage. Il était beaucoup trop expressif pour un vampire, particulièrement si il avait déjà plusieurs siècles.
-Vous avez une bonne mémoire, me complimenta t-il. Effectivement je voulais vous poser quelques questions.
J'haussais mon sourcil droit et croisais les bras. N'importe qui un tant soit peu familier du langage corporel me dirait que j'étais fermée à la conversation. Si Faelan en faisait partie, il n'eût aucune réaction.
-Parce que vous pensiez que j'allais y répondre ? Vous êtes optimiste.
Le vampire sourit. Vraiment. Et je compris comment sa race avait réussi à acquérir autant de puissance et d'importance, devenant un joueur prit en compte dans n'importe quelle machination. Car son sourire était la personnification même du machiavélisme.
-Pourquoi répondriez-vous ? Mais parce que je connais votre secret.
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