Chapitre X : Best Day Of My Life
J'ouvris doucement la porte de la bibliothèque. Le spectacle me coupa la souffle. J'avais oublié l'amour des mages pour le savoir. Des étagères couraient le long des murs et s'élevaient vers le dôme de verre surplombant la salle. Je m'attendais à une pièce de taille respectable, sauf que l'intérieur tout entier de la tour était la bibliothèque. J'esquissais un petit sourire. Sacré Maxen, même absent il arrivait à me surprendre.
Peut-être que ce qui n'était qu'une excuse pratique, allait pouvoir me servir pour mon enquête. Un bruit provenant de la gauche me fit sursauter. Jetant un coup d'œil je découvris que je n'étais pas la seule à chercher quelque chose.
Ian flottait confortablement à dix mètres du sol tout en feuilletant un épais grimoire. L'avantage de pratiquer les arcanes je suppose. Absorbé dans sa lecture, il n'esquissa aucun geste lorsque je commençais à m'éloigner doucement. Ses yeux rivés aux pages de son livre, j'aurais pu le tuer facilement. Sauf que rien n'est facile, n'est ce pas ? Je n'avais pas la prétention de croire qu'un démon avec plusieurs millénaires au compteur pouvait avoir baissé sa garde en territoire ennemi. Non, en réalité et malgré sa décontraction apparente, je décelais la légère trace laissée par ses sorts de protection. Le gros défaut de ses derniers est qu'ils se brisent au moindre mouvement de leur porteur. Le démon tournait donc les pages grâce à sa télékinésie. Toute cette énergie dépensée pour une simple recherche...il ne pourrait pas avoir recours à toute sa puissance pendant un laps de temps suffisant pour l'assassiner. Je guetterais éventuellement une occasion.
Mettant le plus de distance possible entre Ian et moi, je flânais dans les rayons à la recherche d'indices. J'insufflais une infime part de Ténébreuse en moi afin d'aiguiser mon odorat pour pouvoir flairer la piste de Maxen. Si elle existait. Là ! J'avais saisis son odeur, il ne me restait plus qu'à espérer qu'elle ne s'était pas trop effacée. En effet mon flair était mieux que celui d'un humain mais restait inférieur à celui d'un loup-garou par exemple. Ce fantôme sensitif de mon ami me fit zigzaguer entre les rayons, louvoyer entre les piles de livres et percuter des obstacles. Cela me rendit particulièrement bougonne. Déjà que je devais éviter les alentours du démon, il fallait en plus que cette bibliothèque soit un labyrinthe !
Mais à force d'obstination je finis par arriver au centre de la tour, là où toutes les pistes se rejoignaient. Un espace avait été dégagé entre les lourdes étagères pour permettre de placer un étrange objet. Haut d'environ un mètre, il s'agissait d'une boule taillée dans une matière proche du verre et placée sur un support fait de chêne verni. Il s'agissait de la version magique d'un bibliothécaire, sauf que celui-ci n'était pas vivant, le faisait gratuitement et avait la connaissance de tous les livres rangés autour de lui (En réalité, ceux dans un cercle dont il était le centre et qui s'agrandissait en fonction de la puissance émise pour sa confection, et puisque le sort n'était pas limité en hauteur cela expliquait la présence de la bibliothèque dans la tour). Cela facilitait grandement les recherches des mages mais comme pour tout avec eux, il fallait être admis dans le système. Voilà pourquoi Ian était en train de se fatiguer les yeux perché à dix mètres du sol alors qu'il aurait pu avoir sa réponse en une dizaine de secondes, montre en main. Amusée je ne pus m'empêcher et posait ma main sur le globe. Après tout, peut-être Maxen avait-il prévu et je n'avais rien à perdre. Aussitôt la silhouette légèrement translucide qu'était le bibliothécaire apparut. Sa voix grave résonna dans ma tête.
Que puis-je faire pour vous, Ténébreuse ?
Je tressaillis, surprise. Il avait effectivement prévu cette éventualité, cela ne faisait que renforcer l'aura Je ne pus m'empêcher de regarder furtivement les alentours, la rançon de mon anonymat forcé. Je posais la première question qui me vînt à l'esprit.
Qui m'a entré dans les personnes admises ?
Monsieur Maxen, il a rempli les conditions et votre Animus est enregistré dans les admis.
L'Animus est le nom donné par les mages à l'énergie magique qui circule en chacun de nous. Beaucoup de spéculations circulent à son sujet mais peu d'informations fiables. Grossièrement on peut comparer l'Animus à l'A.D.N de la magie.
Pour enregistrer mon Animus il a du voler un morceau de moi, un cheveu sans doute. C'est pour cela qu'il ne faut jamais laisser ses cheveux aux mains d'une sorcière, elles peuvent vous faire faire n'importe quoi avec un peu d'Animus
Néanmoins je dois vous avertir que votre Animus diffère légèrement de celui enregistré.
Est-ce courant ?
Cela arrive lorsque le morceau du sujet est détérioré ou lors d'une possession, par exemple.
Puisque Maxen avait fait cela rapidement, je suppose qu'il ne s'était pas trop attardé sur la qualité tant que c'était opérationnel.
En parlant de Maxen, il était pour moi de revenir à mon enquête.
Savez-vous à quand remonte sa dernière connexion ?
Puisqu'il vous a inscrit en tant que relation proche je suis autorisée à vous dévoiler que cela remonte à environ 5 heures.
Intéressant...cela correspondait à juste avant l'attaque. Nous venions à peine d'arriver, que pouvait-il avoir de si urgent ?
Je suppose que vous ne pouvez pas me révéler le sujet de ses dernières recherches ?
Si, il s'agit d'une demande à propos de la télékinésie et plus précisément, de son utilisation interdimensionnelle.
Je restais immobile quelques instants. Pourquoi avoir recherché ce point précis ? La télékinésie ne vise que les objets inanimés, cela n'aurait pas du l'inquiéter. À moins que...
Bibliothécaire, sais-tu dans quelle dimension sommes nous ?
Non, je ne peux pas savoir car mes sondes indiquent que le château à subit un changement de dimensions récemment.
Je fermais les yeux. Les tremblements de terre que nous croyions dus aux explosions étaient en faite les conséquences d'un déplacement aussi massif. Et cela expliquait aussi comment une photocopieuse pouvait fonctionner en ses lieux. Notre nouvelle dimension doit être plus pauvre en magie, plus pratique pour gérer une réunion organisée par un mage et révèle pourquoi le simulacre de duel des deux idiots n'avaient pas fait exploser le bâtiment. Dans une dimension riche en magie, la moindre intention de vouloir recourir à ses pouvoirs peut suffire.
Puis-je encore vous aider ?
J'hésitais. J'avais à ma disposition une source de savoir immense mais inutile pour mon enquête...à moins que...
Que savez-vous à propos Ian Dubein ? Et des éventuelles raisons de sa présence ici ?
C'est un Démon aux origines inconnues et habitant Pandoménium, la capitale des Enfers. L'un des plus proches Conseillers de l'Empereur Lucifer, et son serviteur le plus fidèle. Durant les dix derniers mois, des témoins l'ont aperçu à divers endroits à travers les dimensions. Globalement l'opinion générale pense qu'il est secrètement missionné par son seigneur.
Quelles sont les hypothèses de missions qui reviennent le plus ? Les trois premières s'il te plaît.
Oui je sais c'est stupide de remercier un objet magique dépourvu de conscience. Et pourtant, le jour où vous ne le ferez pas, vous tomberez sur un avec une conscience. Et puisque ce sont les plus puissants, vous vous en mangerez des doigts jusqu'aux coudes. Pas longtemps, parce que généralement les impolis ne restent pas vivants longtemps. Survivre dix secondes, c'est être dans le top de tête.
Une piste quand à la cachette de Makhiel, la découverte d'un nouveau pouvoir intéressant l'Empereur et la résurgence de Claíomh Solais.
Ces réponses me laissèrent d'humeur pensive. Makhiel était l'archange qui avait failli tué Lucifer, son échec l'avait obligé à se cacher pour panser ses blessures. Puisque ce sont des blessures graves pour un immortel, comptez plusieurs siècles avant de le voir à nouveau. Quant à Claíomh Solais, aussi appelée l'Épée de Lumière, c'était l'épée la plus puissante existante (Certains iraient jusqu'à dire ayant existé). Son histoire était plus longue qu'une partie de Scrabble sans la lettre E avec ta grand-mère et sa renommée légendaire. Sur Terre elle était plus connue sous le nom d'Excalibur. Inutile de vous dire que cela n'arrangerait personne que Luc réussisse à la récupérer.
Bon. Maintenant j'avais quelques pièces de puzzle, mais je ne savais même pas si c'était celles de celui que je voulais résoudre. Cependant, alors que j'allais quitter la pièce, un doute me retint aussi efficacement que l'aurait fais des chaînes. La silhouette du bibliothécaire me regarda de son air confiant, attendant mon bon vouloir. Sauf que je n'étais pas certaine de savoir ce que je voulais. D'une démarche lente, presque hésitante, je m'approchais à nouveau du bibliothécaire.
Bibliothécaire, que savez-vous sur la jeune fille trouvée dans une ruelle de Prague, il y a 5 ans, durant la nuit de Samhain ?
Voilà. J'avais posé la question qui hantait mon coeur depuis mon réveil, une demie-décennie auparavant. 1461 jours. 35 064 heures. À la fois un battement de coeur pour une créature pluricentenaire comme Ian ou Faelan, mais aussi toute une vie pour moi.
Car cette date était celle de mon premier souvenir, quand je me suis réveillée couverte de sang dans une allée sombre. Sans nom à mettre sur mon visage, sans indice sur mon identité. Dénuée de mémoire, ayant à la place le talent de faire couler le sang, j'avais construit une vie malgré tout. Néanmoins cette question me taraudais toujours lors de mes longues nuits de solitude. J'ai d'abord été étrangère à l'humanité, ai ensuite crû que j'avais trouvé ma place dans le monde des immortels avant de devenir à nouveau une étrangère. Puis un Empereur qui se croit Dieu m'a arraché les quelques racines que j'aurais pu avoir en déclarant me vouloir.
Dans cet océan d'incertitude, je me cramponnais à cette question. Pour l'instant, je n'avais jamais rien trouvé. Rien. Pas un indice, ni même une piste. Et voilà que je m'étais exposée, osant demander ma faiblesse à cet artefact, plaçant en lui un espoir insensé. Ma tête savait qu'il ne fallait pas espérer, mon cœur criant d'y croire.
Le bibliothécaire ne bougea pas, n'ayant même pas conscience du fragile fardeau que j'avais déposé sur sa réponse. Mais lorsqu'il reprit la parole, ce ne fut pas de la même voix grave qu'auparavant. Sa silhouette devint plus sombre et plus vaporeuse, sa voix se fit sifflante.
Ce n'est pas aujourd'hui que tu auras la réponse à ta véritable question, car il y en a pas. Tu n'es pas quelqu'un, tu es quelque chose que ce monde n'a jamais vu.
Soufflée par sa réponse plus que ne l'aurait fait un coup de poing, je trouvais néanmoins la force de lui répondre.
Si vous ne pouvez dire qui je suis, dites moi au moins qui vous êtes.
Il se produit une chose qui aurait du être impossible. Le bibliothécaire, ou plutôt celui qui l'avait possédé, rit. Ce fut un rire rauque, à la limite entre le sifflement et le ricanement. Cet unique éclat impossible pour un artéfact dont la seule mission est de partager son savoir.
Je suis une chose trop vieille pour avoir encore le droit d'exister et pourtant plus jeune que toi. Tes pouvoirs ne sont que le babillement d'un enfant en comparaison de ta puissance passée, il te faut la retrouver. Alors, à cet instant seulement, tu sauras qui tu as été.
Pourquoi celle que j'ai été et non celle que je suis ?
La silhouette me regarda un air étrange sur son visage trop expressif.
Car si l'on peut parler de ton passé, la seule à décider de son présent est toi. Tu ne recherches pas ton identité, tu recherches tes racines. Mais tu comprendras.
Quand ?
Un sourire carnassier, beaucoup trop semblable au mien, découvrit ses dents.
Patience, cela viendra. Je ne peux rester plus longtemps mais sache que l'on se reverra. Pour t'aider à maîtriser ton impatience, je vais te laisser un cadeau.
Avant même que j'ai eu le temps de répliquer, l'étrange silhouette se déploya. Devenant une nuée vaporeuse en constante évolution, c'était un spectacle à la fois fascinant et terrifiant. Une fois qu'elle eut acquis l'envergue nécessaire pour remplir l'espace dégagé pour le Bibliothécaire, elle se rassembla en une seule masse d'un noir absolu et, avec une vitesse impossible à observer pour l'œil humain, me frappa en plein centre de mon front.
J'hurlai. C'était la seule chose que je pouvais faire, submergée par une douleur inimaginable. Toutes mes terminaisons nerveuses furent atteintes et aucune pensée ne pouvait vaincre le blanc insoutenable qui occupait mon esprit. Puis, aussi soudainement que c'était apparut, la douleur partit. Étendue à même le sol, les muscles tendus et le souffle court, il me sembla entendre l'étrange voix chuchoter à mon oreille.
Voilà ce à quoi tu as échappé, ne l'oublies plus jamais.
Je ne savais pas à quoi jamais échappé mais si c'était pour fuir cette douleur, je comprenais complètement les réactions de mon ancienne moi.
Ce fut ma dernière pensée avant de sombrer avec soulagement dans l'oubli de l'évanouissement.
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