OS
J'avais froid.
Je sentais le bout de mes doigts geler. Mon nez se refroidissait et la vapeur s'évaporait de ma bouche formant un petit nuage blanc qui s'ajoutait au décor déjà lugubre de l'endroit. Mes vêtements, pourtant des plus basiques ne m'offraient aucune protection contre le froid qui mordait ma peau. Dans un geste tremblant et maladroit, je cachais bien tant que mal mes mains dans les manches de mon hoodie noir. Noir, tout comme cet endroit, la faible chaleur de mon haut en moins.
Il fallait que je bouge de là avant de mourir de froid. Et ce n'était clairement pas l'endroit idéal pour crever.
« Allez, tu peux le faire »
Je me levais, fourbu par le froid et dû m'accrocher au mur pour ne pas chuter. Tenir debout sur mes jambes se révélait plus complexe que prévu, sûrement à cause des tremblements qui parcourraient mon corps.
Encore ce foutu froid.
Ou la peur.
Je préférais ne pas y penser maintenant.
Le peu de lumière qui passait par la vitre faisait apparaître des ombres terrifiantes. La Lune n'était pas visible de la fenêtre, seules quelques pâles étoiles brillaient avec difficulté. Le noir qui m'entourait et m'étouffait se fondait légèrement avec le reste du ciel d'un bleu sombre.
Je regardais sans cesse autour de moi dans un geste automatique, mû par le stress. La porte, les murs, le plafond, la fenêtre, le sol, la porte, les murs. Le plafond. La fenêtre. Le sol. La porte.
Les murs.
Le plafond.
La fenêtre.
Je me sentais oppressé, prisonnier de ce lieu. Ça n'avait jamais été mon truc, tous ces machins paranormaux. Pourtant, je n'étais pas quelqu'un de facilement impressionnable en règle générale. Habitué aux bagarres, je n'hésitais pas à me frotter à plus fort que moi, quitte à chopper quelques bleus et bosses dans la foulée.
Mais c'est dur de se battre contre des esprits. Voire même totalement impossible. Et il est encore plus dur de se battre contre la peur, quand elle nous prend les tripes. Ça te tombe dessus comme ça mais ça ne te lâche plus. Ça commence par une légère appréhension, un pressentiment, au creux de l'estomac. Et puis ça se ballade, formant quelques nœuds par-ci et par-là. Ensuite tu te rends compte que tu trembles, des mains d'abords, puis des jambes. Le petit bonhomme dans ta tête s'affole et emporte ton cœur dans sa danse folle de la panique. Et là, la peur a gagné.
Sauf que moi, je n'aime pas perdre. Hors de question de laisser mon égo se faire piétiner sans broncher. Alors, en prenant mon courage à deux mains, je fis un pas. C'est fou à quel point il est difficile de faire un premier geste quand la peur nous troue le ventre, mais hors de question de la laisser gagner. Le deuxième pas est plus simple, moins lourd, mais l'angoisse reste toujours autant présente.
Quelle idée de venir ici. Rien que la façon dont ils appelaient cet endroit dissuadait ce genre de volonté étrange. "Le manoir Hanté ", j'avais trouvé ça présomptueux comme nom, ce n'était pas très grand comme bâtisse et ça tombait en ruine. Rien dans ce bâtiment, du rez-de-chaussée jusqu'au grenier, ne méritait le titre de manoir. Mais de nuit, il avait quelque d'un peu impressionnant, de sombre. En plus de ça, les histoires sordides qui tournaient à son propos ne le rendaient pas plus attirant, tout comme l'étrange ombre qui tirait une hache d'un rouge écarlate en se promenant près de l'entrée.
Il fallait être idiot pour entrer dans ce supposé manoir.
Ou amoureux.
Jackpot.
Après avoir poussé la porte en face de moi, qui s'ouvrit en grinçant, je rentrais dans la pièce. Elle était bien plus grande que celle dont je sortais. Les volets fermés mais abimés laissaient passer la lumière blanchâtre de la Lune, cette fois-ci de ce côté. De vieux tableaux éventrés et rongés par les mites étaient accrochés ci et là. Au coin de la cheminée poussiéreuse, un canapé pouilleux avec une table basse sur laquelle un verre décoré de la délicate trace d'une main sanglante était posé.
J'étais donc dans un salon. Ou du moins ce qu'il en restait. Avec toujours cette impression désagréable qui se dégageait du lieu. J'avisais une porte, de l'autre côté de là où je me trouvais, et je m'y dirigeais puisque je n'avais pas trop envie de faire marche arrière. Ne pas trop penser, regarder droit devant moi, rester impassible, ignorer cette peur qui faisait pourtant trembler mon corps.
Le parquet qui reflétait un état quelque peu insalubre, craquait sous mes pas. A chaque nouveau bruit, je tendais l'oreille, sur le qui-vive, le cœur battant dans ma cage thoracique. Arrivé à la porte, je me figeais, essayant de deviner ce qui pouvait se trouver derrière. Rien. Pas un chuchotement, ni le moindre bruissement suspect. Seuls quelques craquements du bois au loin se faisaient entendre.
Et puis, soudainement, alors que les battements de mon cœur commençaient à cesser leur course effrénée, un grand coup de vent fit grincer la piteuse demeure dans un bruit qui résonna partout autour de moi. Le sol à mes pieds trembla, les quelques lumières vacillèrent. Je sursautais brusquement en me retournant. A travers la pénombre, je vis le verre, jusque-là posé au milieu de la table basse, chuter, comme au ralentit, et rouler vers moi dans un mouvement lent, presque retenu. Je lâchais alors un cri strident montrant toute l'étendue du courage qui m'habitait actuellement. Puis, j'ouvris la porte précipitamment en la claquant derrière moi dans un grincement qui me parut insupportable. Je m'appuyais aussitôt de tout mon poids sur le battant en coinçant ma main sous la poignée pour bloquer la porte.
Inspirer, expirer.
J'ouvris lentement les yeux que j'avais fermement tenus fermés dans un réflexe. Comme si j'avais espéré qu'en les rouvrant, je ne me trouverais plus dans cette bâtisse de l'horreur, mais bien au chaud au fond de ma couette après un cauchemar anodin. Malheureusement, les murs autours de moi étaient toujours les mêmes, et l'atmosphère respirait toujours autant la terreur. Sortir de là devenait urgent.
Je m'obligeais à souffler pour faire descendre la panique qui envahissait mon estomac mon cœur et ma tête, en vain. Au bout de quelques instants, je me dit qu'il était temps de relever la tête pour observer ce qui m'entourait. De toute apparence, j'étais à présent dans un couloir, faiblement éclairé comme le reste du manoir. Je commençais à croire que les anciens propriétaires étaient soit nyctalopes soit photophores. Et bien loin du nyctophobe que j'étais.
Je devais sortit d'ici. Mais comment ? Impossible de réfléchir, j'étais beaucoup trop à cran pour que mon cerveau puisse correctement effectuer son travail. Pour structurer ma pensée, j'essayais de réguler ma respiration pour tenter, en vain, de calmer mon cœur qui souhaitait quitter mon corps pour fuir par la première fenêtre qu'il trouverait.
Une fenêtre. Mais oui ! La solution était là, plutôt que chercher une sortie qui se révélait jusque maintenant introuvable, je devais passer par une fenêtre ! Ensuite je pourrais partir en courant loin d'ici et ne plus jamais revenir. J'oublierai la peur, et je resterai dans un monde de licornes et d'arc-en-ciel jusqu'à la fin de mes jours, profitant au maximum des câlins de... Merde. Félix.
En extraordinaire copain protecteur et attentionné que j'étais, je l'avais perdu dans le bâtiment. Mais quand ? Et surtout où ?
Horreur. Comment j'avais pu l'oublier. Pourtant il était plutôt bruyant. Ok, il faut réfléchir, et en vitesse. Il n'était pas avec moi dans la petite pièce. Pas non plus dans la salle de bain morbide. Ni dans la chambre d'enfant. Mais il était encore avec moi dans la cuisine. Donc j'avais pris l'escalier tout seul ? J'étais monté précipitamment à cause de la chose non-identifiée qui nous avait frôlé ou à cause des yeux jaunes dans le miroir ? Mais pourquoi il ne m'avait pas suivi ? Donc j'allais devoir fouiller le manoir entier pour le retrouver ? Il pouvait être n'importe où.
Je devais reprendre tout à zéro, oublier ce doux rêve d'évasion pure et simple par la première fenêtre qui me serait tombée sous la main pour tenter de retrouver mon copain dans cette charmante et accueillante demeure. Il était probablement toujours au rez-de-chaussée, je devais donc voir là-bas d'abord, et par logique, trouver un escalier pour descendre.
Je choisis de continuer vers la gauche du couloir. J'avais entendu des bruits bizarres de ce côté, mais l'autre me paraissait justement trop sûr. Je ne sais pas si c'était la meilleure des méthodes, mais si je commençais à hésiter, j'allais rester planqué là.
J'avançais à tâtons, pour éviter de trébucher sur les lames de parquet et tomber bruyamment. Je crois que là-haut une petite étoile a commencée à me prendre en pitié. Je venais juste d'arriver au bout de ce couloir beaucoup trop sombre pour ma santé mentale, et plus précisément pour ma panique actuellement, quand je m'aperçus que le passage s'agrandissait. Il débouchait sur un palier, toujours coloré dans les jolies teintes macabres de la gamme de couleurs qu'arborait le manoir. Et, bien caché de dans la pénombre des murs sombres, un escalier était là, plongeant dans les ténèbres du rez-de-chaussée.
Avant de descendre, j'enfonçais la capuche de mon hoodie sur ma tête. Je me sentais comme un délinquant. Comme si j'étais en train de cambrioler l'endroit. Je ris jaune à cette pensée, aucune personne saine d'esprit ne viendrait voler quelque chose ici. C'était tellement lugubre et délabré. A part de quoi faire des superbes décors d'Halloween, il n'y rien de bien. Tout était cassé, poisseux, à la limite de la pourriture.
En m'approchant de l'escalier, je pus, avec peine, distinguer les premières marches qui s'enfonçaient dans le noir. Elles étaient abimées mais semblaient suffisamment solides pour que je m'aventure dessus. Je pris une dernière grande inspiration, et posa mon pieds sur la première marche de la descente aux Enfers. Elle s'affaissa légèrement sous mon poids dans un craquement inquiétant, mais elle tient bon. Je relâchais doucement l'air que j'avais gardé, ayant, pendant un instant, oublié de respirer.
Le reste de la descente s'avéra tout autant bruyant, faisant résonner dans le silence tendu des grincements sonores. Quand je pus enfin poser le pied sur le plancher insalubre du rez-de-chaussée, je regrettais un peu que ce moment ne se soit pas éternisé. Si l'escalier me faisait peur, le reste de la maison me terrorisait purement et simplement. Mais retrouver Félix devenait urgent.
Un énième craquement me fit sursauter. Je ne m'y habituais pas. Je me fis mentalement la promesse que, si je réussissais à sortir de là, jamais je n'habiterais dans une maison en bois. J'en avais assez eu pour toute une vie, voire même deux.
J'avançais, à tâtons, dans les pièces sombres du rez-de-chaussée. Je n'osais pas appeler, au cas où d'autres personnes m'entendraient. Des personnes de types malveillantes, qui en voudraient à mon intégrité physique. Ou à celle de Félix.
A cette pensée, je me figeais. L'idée qu'il soit perdu, errant dans le bâtiment m'était apparue comme évidente, mais maintenant, elle me paraissait utopique. Comment pouvais-je être certain qu'il allait bien ? Il aurait très bien pu être maîtrisé, emmené à l'écart, dans une petite pièce sombre du manoir où son agresseur aurait le champ libre pour lui faire tout le mal qu'il souhaiterait. J'avais l'impression qu'on venait de m'arracher le cœur. Je l'entendais pourtant tambouriner dans mes oreilles, le bout de mes doigts et ma cage thoracique. Mais je le sentais tomber au fond de moi, alourdissant la boule de peur du creux de mon estomac. Il ne tenait qu'à un fil, infime, si fragile, si fin. J'avais mal. L'idée de l'avoir perdu m'était insupportable. Je suffoquais, envahi par le chagrin que causait cette pensée incessante.
L'image de Félix, les membres désarticulés, baignant dans son sang, l'ombre de son sourire sur le visage me donnait envie de vomir.
Mes jambes se mirent en marche toutes seules, se dirigeant vers le tout et le rien. Mon corps était passé en mode automatique, dans un ultime système de défense. Mon cerveau contrôlait mes membres, tandis que mon esprit observait, tel un spectateur de sa propre vie.
Avant même avoir pu m'en rendre compte, j'avais traversé la moitié du rez-de-chaussée. J'arrivais dans la partie que j'avais exploré avec Felix. Son absence se faisait sentir à travers tout mon être. J'avais le pressentiment qu'il n'était pas là.
J'allais m'écraser au sol quand j'aperçu une ombre fantomatique dans la cuisine, juste à côté. Dans un réflexe incontrôlé, je me précipitais à l'opposé pour me cacher dans les ténèbres de la pièce dans laquelle je me trouvais. En reculant ainsi à l'aveuglette, mon dos rencontra bientôt une surface froide et lisse. Je me retournai lentement pour faire face à moi-même.
Une vitre. Une fenêtre.
J'étais sauvé.
J'entendais encore résonner les pas dans la pièce voisine. Sentant qu'ils se rapprochaient et venaient dans ma direction, je n'hésitai pas. Je poussais le verrou, tirais la poignée dans un geste brusque. Elle s'ouvrit dans un grand craquement. Les pas accélérèrent. J'enjambai le rebord et quand mes pieds touchèrent l'herbe, je me mis à courir. Vite. Sans réfléchir. Sans savoir où aller.
Je me sentais porté par la tristesse, la colère et la peur. Pourtant, les sentiments me submergèrent soudainement et je m'effondrais bientôt sur le gazon encore mouillé. Je n'étais plus qu'une poupée de chiffon que les sanglots irréfrénables secouaient dans des convulsions violentes. Sous ma capuche, j'étais toujours autant frigorifié. Je serais les poings, m'écorchant les paumes avec mes ongles, mélangeant mon sang à mes larmes. Les larmes qui coulaient le long de mon visage trempaient mes mains, mon cou, mes vêtements, et remplissait mon cœur d'une tristesse sans nom. Je manquais d'air, mais surtout, je manquais de Lui.
Je sentis soudainement quelqu'un s'agenouiller à mes côtés et me prendre dans ses bras dans une étreinte rassurante. Son souffle tombait dans mon cou, le chatouillant légèrement. Sa main retira gentiment ma capuche et retrouva sa place dans mes cheveux, les caressant doucement. Son odeur m'envahit de toute part, apaisant mon esprit, mon cœur et ma crainte. Elle m'enivrait, et bientôt je quittais le monde de la peur pour rejoindre celui, beaucoup plus doux, de l'amour. Sa voix chuchotait à mon oreille des mots apaisants que mon esprit n'essayait même pas de comprendre, se laissant bercer par le timbre sa voix. Il était là.
Des larmes de soulagement replacèrent celles de tristesse, soulageant ma peine, mon cœur et mon esprit. Je m'accrochais à lui, désespérément, férocement, amoureusement. Et la plaie se refermait.
Après plusieurs longues minutes dans cette position, Félix se décala légèrement pour venir poser délicatement son front contre le mien. J'aimais les étoiles sur ses joues. Mais j'aimais bien plus encore les lumières de ses yeux. On se regarda, oubliant le temps, le monde et la vie. Plus rien n'avait d'importance puisqu'il était là.
Il me fixait, cette lumière dans les yeux qui me donnait l'impression d'être un trésor inestimable. Il avait ce sourire qui faisait chavirer mon cœur à chaque fois que je le voyais.
Puis, il reprit la parole, doucement, pour ne pas me bousculer.
- Je suis désolé, Binnie, si j'avais su que tu n'aimais pas ça, on aurait choisis un autre manège.
Bonsoir, ou bonjour!
Merci à toi, d'être venu jusqu'ici et d'avoir lu ces mots, mes premiers ici, j'espère qu'ils t'auront plus !
Cet OS participe à l'échange d'OS organisé par 404projects. J'espère, chère personne inconnue, que tu auras aimé.
Je n'ai fait de chasse aux fautes, excusez moi si quelques unes traînent par-ci par-là.
Bonne soirée, ou bonne journée !
MM_Stay
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