NOUVELLE SIXTINE (partie 8)


« Serrurier ! Je serai serrurier ! s'écria Barthélémy de bon matin, après une nuit d'ardente réflexion.

– Tiens c'est drôle, dit Antoine en bâillant, je t'aurais plutôt vu en meunier...

– Et moi je te verrais mieux en peinture », ajouta la Peau.

Ils se mirent donc en route pour la ville la plus proche, où Barthélémy dut céder, à contrecœur, sa seconde clef à un vieux brocanteur pour acquérir sa boutique. À défaut d'être antiquaire, Antoine serait brocanteur. Ensemble, les deux faux saints déblayèrent le fatras poussiéreux qui régnait dans le petit magasin, et qui comprenait bien des trésors, à vrai dire, parmi lesquels une collection de vieux bustes blancs sur piliers, un très ancien phonographe et quelques disques d'un certain Beethoven, des instruments de musique d'un âge et d'une valeur inestimables, et une porte scellée.

« Voyons comment tu vas te débrouiller pour l'ouvrir, celle-ci, mon grand, maintenant que tu n'as plus les clefs de ce bon vieux Pierre. »

Mais Barthélémy, grand et costaud comme la fresque l'indique, eut tôt fait d'enfoncer la porte vétuste, qui révéla un profond corridor, apparemment condamné depuis bien des années, entièrement envahi de toiles d'araignée. Il y en avait sur les murs, au plafond, elles formaient un épais tapis sur toute la surface du sol et faisaient écran sur ce qui semblait être une autre porte, au fond du couloir. Tels des draps, elles recouvraient et masquaient également de volumineux objets renversés en vrac sur le sol. Armés de chandelles, Antoine et Barthélémy explorèrent ce couloir secret, et dégagèrent les objets momifiés.

« Ma parole, ce sont des lampes ! s'exclama Barthélémy.

– Oui, et de finement sculptées », renchérit Antoine.

La première qu'ils dégagèrent était une magnifique statue d'un personnage qu'ils ne connaissaient pas, mais le globe qu'il portait sur son dos était brisé. Avec d'infinies précautions, ils amenèrent les luminaires nettoyés dans la boutique.

« Le portrait craché de ce vieux Barthélémy, s'esclaffa la Peau devant une statue ayant un globe pour tête, mis à part le fait que l'original ne soit pas vraiment une lumière. »

Les deux faux saints furent étonnés de ne pas trouver le moindre arachnide dans le corridor, car ils durent en extraire plusieurs rouleaux de toile bien épaisse. Malgré tous leurs efforts, cependant, ils ne purent forcer la seconde porte au fond du couloir, et durent renoncer aux hypothétiques merveilles qu'elle pouvait encore cacher.

Quelques jours plus tard, la boutique restaurée, Antoine s'établissait brocanteur, et Barthélémy, installé dans l'ancien corridor aménagé en atelier, devenait serrurier. Certes, ils eurent à faire un peu de publicité bon marché au départ, mais leur fausse aura ne tarda pas à faire le reste : Barthélémy fut bientôt appelé aux quatre coins de la ville, et les badauds, sans être légion, se laissaient prendre au charme rêveur de la vitrine. Pendant ce temps, la Peau ne se rendait guère utile.

La première mission de Barthélémy fut couronnée de succès : il s'agissait simplement d'un petit monsieur qui désirait faire changer la serrure de sa porte. Petit appartement insipide, au troisième étage, prisonnier entre deux cieux, à mi-chemin du haut comme du bas : décidément, Barthélémy était bien content de n'avoir pas échoué dans ce genre de réduit. Il refusa plusieurs fois le pourboire que le monsieur lui proposait avec insistance puis, sur les conseils chuchotés de la Peau, finit par l'accepter, car il n'était pas vraiment un saint, après tout. Quelques jours plus tard, un petit monsieur du même genre entra dans la boutique d'Antoine et lui acheta le vieux phonographe. Antoine lui en demanda le strict minimum, juste ce qu'il fallait à deux faux saints pour vivre décemment. Plusieurs clients suivirent, et nul ne ressortait sans avoir fait quelque achat, tant les prix étaient bas dans le petit monde vieillot d'Antoine. Les affaires marchaient donc plutôt bien, mais Barthélémy était plus souvent dehors que dedans – non qu'il tentât de fuir la compagnie d'Antoine, mais ce dernier avait baptisé la boutique « La Nouvelle Sixtine », en hommage aux pseudo-trésors qu'elle arborait dans sa vitrine, et l'idée d'avoir quitté une Sixtine pour se retrouver enfermé dans une autre était tout à fait insupportable au faux écorché.

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