NOUVELLE SIXTINE (partie 7)
De l'autre côté de la Manche, bien à l'abri dans un blockhaus à demi ensablé sur une plage de la Côte d'Opale, les ex-démons de Saint Antoine, en cercle autour d'un feu, tenaient conseil. Le plus laid d'entre eux (devinez lequel) se demandait :
« Que faisons-nous ici ? Quelque chose nous a attirés sur ce rivage, mais pourquoi faire ? Est-ce que l'Antoine est dans le coin ?
– Réfléchis, triple crétin (répliqua le chef, qui n'était pas le plus laid, mais le plus prompt à l'initiative) ! L'Antoine et nous, on fait partie du même tableau. Par conséquent, nous sommes liés, attachés à lui, c'est pour ça que nous avons fini par tomber du tableau, nous aussi. Où qu'il aille, il nous traîne avec lui, et qu'il le sache ou non, nous sommes forcés de marcher sur ses traces. Oui, si nous nous retrouvons ici, c'est qu'il est probablement de l'autre côté de cette mer.
– Mais alors, pour le rejoindre (réfléchit le plus cornu) il nous faudrait quelque embarcation.
– Bingo, Einstein (rétorqua le chef), et qui accepterait donc de nous prendre à son bord ?
– Pour le moment, le problème est insoluble... médita le plus méditatif.
– Eh les gars (brailla le plus bruyant) ! Regardez-moi cette procession aux flambeaux, là-bas ! Ça sent bon le catéchisme, tout ça... »
Tous les affreux diablotins pointèrent ce qui leur servait de tête à l'extérieur du blockhaus, et assistèrent en effet à un curieux manège : un important groupe d'hommes vêtus de robes et de toges s'avançaient dignement, torches en main, vers la marée descendante. Le premier d'entre eux, celui qui avait l'air d'être le chef, ne semblait pas très catholique aux démons méfiants.
« Cornes de Belzébuth ! Ce type-là, c'est le Christ, je crois bien ! » chuchota le plus perspicace.
Et il avait un peu raison. Du moins, c'était le Christ de Michel-Ange, ce qui n'est pas rien. Lui et sa troupe progressaient d'un pas décidé, sur le sable doucement phosphorescent, vers la mer sombre. Un à un, ils s'y enfoncèrent. Les torches furent noyées dans les vagues.
« Serait-ce déjà l'heure du Jugement Dernier ? bredouilla le plus superstitieux des démons.
– Le plus vraisemblable, si l'on suit la logique absurde de cette histoire (cogita le chef), c'est que ces ahuris soient dans le même cas que nous ! La disparition d'Antoine a dû causer du grabuge en haut lieu, et le Nazaréen lui-même a été dépêché, avec toute sa clique, pour régler l'affaire.
– Si c'est bien lui, alors, il va le retrouver, lui, l'Antoine ! reprit le plus laid.
– Sans doute ! On peut dire ce qu'on veut du Christ, mais au moins, c'est un type de confiance. Le mieux que nous ayons à faire, si nous voulons récupérer notre Antoine, c'est encore de les suivre. S'ils peuvent respirer sous l'eau, nous aussi ! »
Ainsi les démons quittèrent-ils leur asile de béton, pour à leur tour s'enfoncer, à tâtons, au creux des vagues glaciales. Plutôt habitués à la fournaise infernale, ils ne s'acclimatèrent pas sans difficultés, et s'aspergèrent longtemps les uns les autres, pour mieux se faire à la froidure salée, avant d'effectuer le plongeon décisif. Bientôt, ils disparurent presque tous sous les flots. Resté seul, le dernier se retourna pour contempler encore une fois la plage et le blockhaus, baignés d'ivoire par la pleine lune. Après tout, ce n'est pas parce qu'on est un démon que les splendeurs de la création vous laissent de marbre. Finalement, il prit son peu de courage à deux mains, et s'engloutit à son tour dans l'eau gelée.
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