NOUVELLE SIXTINE (partie 12)


Émergeant de nouveau, Barthélémy ne fut pas trop ébloui par la lumière du soleil, car celui-ci était sur le point de se coucher. Il n'avait pas retrouvé son chemin au sortir de l'épave, et avait erré au gré des flots durant un laps de temps indéterminé. À défaut de chemin, il avait en tout cas retrouvé la Peau, qu'il avait replacée tout au fond de son sac. Ils venaient de toucher terre, quelque part dans la Méditerranée, juste à temps pour assister à un magnifique crépuscule sur le rivage.

« On peut savoir ce que tu as récupéré dans ce vieux rafiot, mon grand ? », coupa la Peau, et Barthélémy, sans un mot, sortit le petit livret qu'il abritait dans sa toge. C'était un carnet de notes, une espèce de journal de bord personnel rédigé par un passager, à en croire les quelques mots que le faux saint parvenait à déchiffrer. Il espérait y retrouver le nom du bateau, mais les pages imbibées d'eau étaient devenues illisibles ; il ne pourrait rien en tirer. Il fourra le carnet dans son sac (« Ah ! un peu de lecture ! », se réjouit la Peau à l'intérieur) et se mit à avancer vers l'intérieur des terres.

Le soleil n'était pas encore couché lorsqu'il arriva dans une carrière rocheuse, au creux de laquelle de petites ruines blanchâtres s'extirpaient du sol. D'après le peu qu'il en avait vu dans les dictionnaires et les encyclopédies, ce genre d'édifice antique existait surtout en Grèce. Il en conclut donc qu'il s'était échoué quelque part dans l'archipel, ce qui n'était pas plus mal, en somme, puisqu'il y avait là bien des choses à visiter. Et dire qu'Antoine manquait cela ! « Ha ha ha ha ! Ho ho ho ! » ricanait la Peau dans son sac : depuis qu'ils avaient quitté le rivage, elle feuilletait le petit journal et faisait semblant de réussir à le lire, s'esclaffant de temps à autre pour faire croire à Barthélémy qu'il s'agissait d'un recueil d'histoires drôles. Le faux saint, qui n'en avait cure, descendit la carrière vers le petit temple en débris.

L'intérieur du temple, entre les colonnes, était un havre de paix. Prenant bien garde de ne pas se faire voir des hommes qui creusaient encore la terre alentour, Barthélémy décida d'y passer la nuit. L'éclairage chaleureux du couchant donnait à l'endroit un aspect accueillant, rassurant, surtout pour quelqu'un qui sortait d'un long périple dans les ténèbres sous-marines. Au cours de sa discrète visite, il fut abordé par un drôle de bonhomme qui parlait anglais, et qui était obsédé par une série d'empreintes de pas sur le sol. Barthélémy discuta un moment avec lui, tout en dissimulant son sac que le monsieur regardait d'un œil curieux. Agacé par ses œillades incessantes, il finit par détourner son attention en lui suggérant, sans trop y croire, que les empreintes sur le sol étaient peut-être celles de ses propres semelles. Le monsieur observa ses chaussures, les compara aux traces, et crut que c'était vrai. Peut-être bien, en fait, Barthélémy n'en savait rien, mais sa curiosité satisfaite, le visiteur anglais disparut.

Les chercheurs qui entouraient le temple ne tardèrent pas à faire de même, la nuit tomba, et les étoiles s'allumèrent. La lune baignait maintenant les ruines de sa nacre et Barthélémy, épuisé par son voyage, s'étendit au pied d'une colonne, son sac lui tenant lieu d'oreiller. Il ferma les yeux.

« Retour sur Terre, mon grand, on a de la visite. »

Réveillé en sursaut, il n'eut pas le temps de se lever : tout un groupe se dirigeait vers lui. Ils étaient trempés jusqu'aux os. Il ne les reconnut pas tout de suite.

« Alors, Barthélémy, on a bien profité de ses vacances ? Quand tu pars en voyage, toi, ce n'est pas la porte à côté. »

C'était le Christ. Il n'était pas en colère, il n'avait pas l'air fatigué (le Christ n'est jamais fatigué, ni en colère), simplement, on sentait bien dans sa voix qu'il n'était pas question de rester une seconde de plus dans cet endroit. Saint Pierre, en revanche, était hors de lui :

« Et mes clefs, où elles sont, monsieur le Grand Touriste ? »

Barthélémy ne savait que dire : il n'avait pas d'excuse. Et il savait que l'on ne discute pas en présence du Christ, car le Christ a toujours raison. Il est très compréhensif et ne s'énerve jamais, mais il a toujours raison.

« Les clefs, ce n'est pas si grave, dit le Christ, de toute façon, il n'y a plus grand-monde qui entre chez nous, de nos jours...

– Alors il faut rentrer, maintenant, je suppose... dit tristement Barthélémy.

– On commençait tout juste à s'amuser », conclut la Peau.

Tous regardèrent Barthélémy un long moment, et lui pardonnèrent. Saint Pierre cessa de faire la grimace et sourit à son vieux collègue. Tout cela était parfaitement normal, après tout. Barthélémy se leva, prit son sac sur l'épaule, puis le Christ dit à tout le monde :

« Bien. Allons-y. »

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