L'ÎLE FLOTTANTE (partie 4 et fin)

Désireux de mettre à profit la disposition de l'île et l'appétit de Luther, Robin entreprit de creuser avec lui un petit bassin à l'endroit où l'ombre du cocotier était la plus durable : ils mangèrent profondément, jusqu'à atteindre l'eau, qui s'engouffra dans leur tunnel et remonta jusqu'à quelque vingt centimètres du sol (selon Robin). De la sorte, ils disposaient à présent d'une petite piscine intérieure au pied de l'arbre, ce qui leur permit durant plusieurs jours d'échapper aux rayons de plus en plus insistants du soleil. Ils purent même assister à trois ou quatre crépuscules sur l'océan, confortablement installés dans leur petit lagon privé une tranche d'île dans la main. Ils revirent aussi, un soir, la montgolfière violette qui passait au loin.

Malheureusement pour eux, le côté de Luther s'était considérablement amenuisé, si bien que par une belle nuit estivale, l'île bascula brusquement vers l'onde, plaçant le côté de Robin presque à la verticale, et engloutissant l'autre moitié sous les flots. Le grand échalas ne tarda pas à refaire surface et à se hisser de nouveau à bord aux côtés de Robin. Ils furent alors étonnés de voir que l'inclinaison nouvelle de l'île n'avait en rien affecté la position du cocotier : il demeurait érigé droit vers le ciel. Ce changement brutal leur avait toutefois causé un tel choc qu'ils en restèrent immobiles jusqu'au lever du jour, osant à peine remuer les orteils.

Le soleil se leva bientôt sur les restes de l'île, et Robin, se levant à son tour, dit adieu à sa petite piscine personnelle qui avait désormais rejoint l'immensité salée.

« J'ai un petit creux, déclara Luther, avant de se mettre à manger de nouveau.

– Moi aussi ! », rétorqua Robin, bien décidé à ne pas périr uniquement par la gourmandise de son voisin. Son dernier jour sur cette Terre – ou plutôt, sur cette mer – serait aussi celui de son plus faste repas. Et il se mit à table, s'acharnant à manger au moins autant que l'autre.

Le soleil avait déjà amorcé son déclin, et la montgolfière violette flottait de nouveau entre deux cieux lorsque les convives atteignirent le seuil critique : leur île, percée de toutes parts, prenait l'eau, et le goût du sel marin la rendait à présent immangeable. Les dernières bouchées seraient pour la mer.

Tandis que les derniers gros pans d'île, gonflés d'eau, s'enfonçaient dans l'onde les plus petits se dispersaient et partaient à la dérive : c'était, de loin, l'après-midi la plus chaotique qu'eût vécue Robin depuis son arrivée sur les lieux. L'île devint un archipel de quelques minutes, avant que ses dernières composantes ne disparussent à l'horizon, comme les coquilles de noix de coco que Luther rejetait autrefois dans les flots.

Au sommet du cocotier qui émergeait encore fièrement d'entre les vagues, se trouvait déjà Luther, occupé à fouiller entre les branches. Robin lâcha le morceau auquel il était agrippé, et rejoignit l'arbre à la nage. Une fois parvenu à la cime, il sentit que la nuit à venir serait probablement la pire de toutes. Il expliqua à Luther que le cocotier prenait sans doute racine au fond de l'océan, et que si le tronc descendait jusqu'au fond, le fond n'était pas très éloigné de la surface, et si le fond était proche, donc, fatalement, une terre devait se trouver quelque part non loin de là.

« Pour l'instant, j'ai faim », répondit Luther.

Tous deux regardèrent un moment la montgolfière s'éloigner. Raté, ma vieille, pensa Robin, ce n'est pas encore aujourd'hui que tu nous verras mourir ! Puis, comme l'arbre ne présentait toujours pas le moindre signe de fruit, ils se mirent à manger les feuilles.

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