Sorcière
Elle le haïssait de tout son être, de toute son âme. La haine se cristallisa en une pierre froide et tranchante qui perçait son coeur.
Il ne l'avait jamais aimée, elle ne se faisait aucune illusion, mais jamais encore il n'avait osé la traiter de la sorte, il avait bien trop peur d'elle. Mais la gloire était montée à la tête de ce stupide petit coq imbu de lui-même, ce héros de pacotille qui n'était rien sans elle. Il se sentait important mais elle pouvait l'écraser d'un coup de talon, comme on écrase un insecte.
La femme hurla de rage, faisant trembler les murs de la demeure. Il lui devait tout ! C'était grâce à son aide qu'il avait triomphé des épreuves, qu'il était rentré chez lui victorieux, fort de la toison d'or. Il serait mort mille fois sans ses charmes et ses potions, sans l'aide magique qu'elle lui avait donné, trahissant ainsi son pays et tuant son propre frère qui était un imbécile, certes, mais un imbécile de sa famille. Et les dieux condamnaient les crimes de sang.
Oh oui, elle le haïssait ! Et elle haïssait tout autant la déesse qui l'avait poussée à aider ce bon à rien et le suivre dans son pays arriéré. La femme maîtrisait assez l'art obscur d'Hécate pour reconnaître quand une volonté divine la manipulait à sa guise. Hélas, à cette époque, elle n'était pas encore de taille à y résister.
Mais sa magie n'en demeurait pas moins puissante et elle pouvait la mettre au service de sa vengeance, une vengeance terrible et sanglante, à la mesure de l'humiliation que lui avait fait subir son époux.
Jason ne la craignait plus ? Elle allait lui donner une bonne raison de le faire. Il ne l'aimait pas ? Il allait la haïr autant qu'elle le haïssait.
L'enchanteresse se mit à l'ouvrage en ruminant sa rage, broya des plantes, pressa des baies pour en extraire le suc mortel et mélangea des substances dangereuses, des volutes de fumée toxique s'élevaient de son chaudron bouillonnant.
Médée vit ses regrets se dissoudre un à un dans les vapeurs de son Pharmakon. Elle avait abandonné son pays pour un homme, en traîtresse ? Très bien, elle y rentrerait seule, en reine toute puissante. Elle avait été enfermée dans un gynécée obscur, soumise à l'injuste loi de ce pays ? Elle allait se libérer, montrer ce qu'une barbare pouvait accomplir. Elle avait été bafouée dans sa légitimité, sa magie sous-estimée. Elle allait faire goûter à ces imbéciles de grecs la puissance d'une disciple d'Hécate, la petite fille d'Hélios. Sa colère allait se déchaîner sur Jason et sur Corinthe.
La potion exhalait maintenant ses émanations puantes dans toute la pièce. L'enchanteresse plongea une robe somptueuse, tissée dans le lin le plus fin et brodée d'or, dans le chaudron, c'était son cadeau de mariage pour la nouvelle femme de Jason. Même s'il l'avait répudiée, elle devait se montrer accommodante envers les futurs époux. Un présent était donc de circonstance pour prouver qu'elle ne tenait pas rigueur de son comportement à son ancien mari. Il l'avait juste abandonnée dans un pays étranger, brisant ainsi le serment qu'il lui avait fait, rien de bien grave après tout...
L'enchanteresse retira l'étoffe de son bain de poison, l'essora, la sécha et l'emballa soigneusement, un sourire sinistre étirait ses lèvres. Sa très chère rivale allait adorer le cadeau, elle n'en doutait pas. La femme appela un esclave et l'envoya porter le vêtement maudit à la fille du roi de Corinthe.
Médée se para ensuite de ses plus beaux atouts, de ses bijoux les plus précieux. Elle s'habilla à la mode de son pays natal, la Colchide. Ces maudits grecs ne l'avaient jamais acceptée parmi eux, pourquoi donc adopterait-elle leurs coutumes ? Elle glissa son couteau rituel, lame redoutablement affutée, à sa ceinture et passa la lanière de sa besace de plantes magiques à son épaule, elle ne remettrait jamais les pieds dans cette maison.
Dehors, ses deux fils jouaient avec insouciance, ils ne se doutaient pas qu'ils voyaient leur mère pour la dernière fois. Ils ignoraient d'ailleurs tous des actes de Jason, protégés par l'innocence de leur jeune âge.
L'aîné se tourna vers sa mère en riant, inconscient du drame qui se préparait.
− Maman, regarde la grimace que j'arrive à faire ! s'exclama-t-il en tordant le visage.
Sa ressemblance avec Jason frappa Médée de plein fouet, ses fils étaient la réplique miniature de leur père. Ils partageaient son sang, ses défauts, ils ne pouvaient vivre !
Mue par une rage incontrôlable, l'enchanteresse dégaina son poignard et, avant de comprendre son geste, se jeta sur ses fils pour leur trancher la gorge.
Elle reprit ses esprits en voyant une tache écarlate s'écouler les dalles pâles de la cour en même temps que la vie de ses enfants. Horrifiée par son acte, elle d'enfuit avant d'être surprise, les mains et le couteau encore couverts de sang.
Médée fût arrêtée dans sa course par Jason qui se précipitait à sa rencontre. Sa future femme était entrain de mourir dans d'atroces souffrances, rongée par un poison incurable.
− Qu'as-tu fait, vile sorcière ? hurla-t-il, hors de lui. Tu as tué ma femme avec tes potions maléfiques ! Et à qui est ce sang ? demanda-t-il en avisant les taches sur les mains de l'enchanteresse.
Elle le fixa en silence, un air de défi dans les yeux. La compréhension se peignit lentement sur les traits de Jason et ce dernier se précipita vers la maison. Son cri de détresse retentit dans tous les environs. Médée revint lentement sur ses pas tout en psalmodiant une prière à l'adresse de son grand-père, le soleil en personne. Un char d'or traîné par deux féroces dragons descendit du ciel et emporta l'enchanteresse. Leur souffle enflammé dévasta la maison, emprisonnant Jason dans un cercle de flammes.
Médée s'envola sans un regard en arrière, sa chère Colchide l'attendait. Elle était libre.
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Et non, je suis pas morte ! Et me voilà avec une nouvelle retrouvée miraculeusement au fond du "tiroir des Bermudes" où échouent tous mes textes inachevés. J'espère que ce texte vous aura plu, moi même je suis fascinée par la figure de Médée malgré les horreurs qu'elle a commit.
Le 08/01/2020
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