La couronne boréale
Les voiles noires disparurent dans le lointain, avalées par la lumière trouble du couchant. Elle était seule. La jeune femme marchait le long de la plage déserte, étrangement sereine face à la situation. Certes, elle avait été abandonnée sur une île par l'homme qui l'aimait afin qu'il puisse épouser sa soeur cadette, mais elle ne lui en voulait pas pour cela. Arianne savait pertinemment que Thésée l'avait emmenée non pas par amour mais parce qu'il ne pouvait décemment pas la laisser en pâture à la colère de Minos. L'abandonner sur une île déserte était tout de même un peu fort, mais elle n'avait aucune prise sur ce qui était accompli.
Et à présent, le sort de la princesse crétoise reposait entre les mains des immortels. Cela aurait peut-être dû l'effrayer, après tout, les dieux sont réputés pour êtres impitoyables envers les pauvres mortels, mais cela ne servait à rien de se complaire dans le chagrin et la peur.
La jeune femme tourna le dos à la mer sombre et observa la sombre forêt qui bordait la plage. Dans la lumière du crépuscule, les arbres tordus semblaient tendre des bras menaçants vers elle, un frisson vicieux glissa le long de son dos souple. Soit, elle dormirait sur la plage et explorerait les environs le lendemain.
Arianne ramassa quelques feuilles et se fit un lit dans le sable encore tiède, son châle lui servant de couverture. Malgré les bruits inconnus de la nuit, la princesse finit par sombrer dans le sommeil comme le soleil plonge chaque soir dans la mer.
Aux premières lueurs de l'aube, un son discordant, comme des dizaines de tambourins frappés dans le plus grand désordre, tira Arianne de ses rêves. Un parfum puissant, capiteux, envirant, avait envahi l'air. Déboussolée, la fille de Minos se leva et se mit à la recherche de la source de cette cacophonie. Elle n'eut pas à aller bien loin car un cortège bariolé et débridé sortait du couvert des arbres. Des dizaines de nymphes et satyres dansaient et chantaient autour d'un grand char doré traîné par deux léopards. Arianne avait vu ces animaux sur des fresques et des vases mais elle ignorait qu'ils existaient réellement.
Mais ce qui capta l'attention de la jeune femme fut l'home debout sur le char, dominant le cortège de sa stature majestueuse. La princesse crétoise n'avait jamais vu personne de semblable, que ce soit en beauté ou en puissance, et elle sut tout de suite qu'elle avait affaire à un dieu. Pourtant, subjuguée par l'apparition, elle ne pouvait s'empêcher de le dévisager ouvertement. Il avait un visage fin d'une beauté saisissante, parfaitement androgyne. Ses cheveux de jais, parés d'une couronne d'or entrelacée de vigne, retombaient en boucles soyeuses sur ses épaules, et sa barbe soignée ajoutait une touche de gravité à son expression. Enfin, ce qui avait immédiatement capté l'attention de la fille de Minos, était la flamme violette qui brûlait dans les yeux du dieu, une flamme farouche et sauvage, une flamme de folie.
– Qui es-tu, belle mortelle ? demanda le dieu d'une voix mélodieuse en sautant au bas de son char dans un ondoiement de sa longue tunique pourpre.
La jeune femme reprit ses esprits et tomba à genoux dans le sable, tremblante de peur face à la puissance terrible qui émanait de l'immortel
– Je... mon nom est Arianne, fille du roi Minos, Seigneur, bredouilla-t-elle avec crainte.
Le dieu rajusta la peau de léopard qui lui couvrait les épaules d'un geste gracieux.
– Et que fait une si belle princesse loin de son île natale ?
– J'ai été abandonnée ici par un homme, Seigneur. Il m'a débarquée sur cette plage pour pouvoir épouser ma soeur à ma place, ajouta Arianne avec une pointe d'amertume.
– C'est un homme bien stupide dans ce cas, dit le dieu avec un sourire en coin. Car un trésor comme toi mérite tous les honneurs du monde.
À ces mots, la princesse crétoise sentit quelque chose se briser en elle et elle fondit en larmes devant l'immortel stupéfait. Elle se sentait idiote de se donner ainsi en spectacle mais c'était plus fort qu'elle. Elle aurait aimé que Thésée l'emmène à Athènes avec lui. Quitte à devoir épouser un autre homme, Arianne aurait au moins pu être proche de sa soeur et du roi.
– Allons, belle princesse, tu n'es pas seule, dit le dieu d'un ton étrangement compréhensif. Je connais les chagrins et les peines des mortels car je l'ai été moi aussi. Viens avec moi, suis mon cortège, et tu ne seras plus jamais triste. Car je suis Dionysos, dieu du vin, de la fête et de l'ivresse.
La fille de Minos sanglotait toujours, agenouillée dans le sable. La cacophonie du cortège s'était tue face à sa peine et seul le bruit des vagues troublait la nuit. Soudain, Arianne sentit une main chaude sur son épaule et, relevant les yeux, elle vit que Dionysos s'était agenouillé face à elle.
– Ne pleure pas, Arianne, dit-il en plongeant son regard flamboyant dans le sien. Je jure te ne jamais t'abandonner et de faire de toi une déesse, ma femme même, si tu le veux. Je te couvrirai de bijoux, je t'offrirai un palais.
Comme elle continuait à pleurer, dieu l'enveloppa de ses bras jusqu'à ce qu'elle se calme. Enfin, après un long moment, la princesse parvint à réfléchir à la proposition que Dionysos venait de lui faire. L'offre d'un dieu ne se refusait pas mais elle avait tout de même quelques réserves.
– Je serais très honorée de suivre votre cortège, Seigneur Dionysos, finit-elle par répondre. Et je vous suis reconnaissante de l'attention que vous me portez.
L'immortel se releva et lui tendit une main pour qu'elle puisse faire de même. Une fois debout, Arianne prit conscience de sa robe froissée et couverte de sable très peu digne de la future épouse d'un dieu. Avec des gestes nerveux, elle tenta d'ajuster sa tenue mais, dans un souffle au parfum de raisin, Dionysos fit apparaître à la place une tunique semblable à la sienne et bien plus somptueuse que tout ce qu'elle avait jamais porté. Le dieu lui reprit la main et la fit monter dans le char, à ses côtés. La suite de nymphes et satyres acclamèrent Arianne et reprirent leur musique bruyante. La princesse sentit son chagrin s'envoler alors que le cortège se remettait en route.
– Nous partons vers l'Olympe afin que je prenne la place qui m'est due, expliqua Dionysos. Là, Zeus roi des dieux te donnera l'immortalité et prononcera notre union. En attendant, en gage de mon amour, je t'offre ma couronne, forgée par Héphaïstos en personne. Que tous voient cette couronne et connaissent notre histoire.
L'immortel ôta le cercle d'or qui reposait sur ses boucles et, d'un geste leste, le lança dans le ciel. Le bijou scintilla un instant avant de se changer en un dessin d'étoiles pareille à des diamants.
Le 02/06/2020
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