Phoenix de la Liberté
Présentation : Vous êtes vous déjà demandé pourquoi vous écrivez ? Pour qui ? Pour quoi ? Et si c'était le geste le plus important pour la sauvegarde de l'humanité, comme les communications radios durant la dernière grande Guerre pour l'organisation des Résistants en Europe. Qui en serait l'instigateur futur, selon vous ? Dans une société humaine de SF post apocalyptique, je vous offre cette nouvelle en réponse.
Bonne lecture !
Gaïa ;). Août 2016 (4964 mots)
Cette nouvelle a remporté la première place dans le "Concours de Nouvelles 2016-2017" de SixtineLr dans la partie numéro 1. 🤗
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Dans la ville de Montréal, dans un des nombreux et anciens sous-sols des bâtiments abandonnés, dans un quartier oublié que l'on surnommait « Le Vieux », les maigres lueurs d'une lampe solaire vétuste éclaire un être chauve et imberbe. La nuit est son univers. Il vient ici ou ailleurs, depuis son antre qu'est la rue, pour régner sur son royaume.
La nuit est son domaine, il s'éveille pour pouvoir atteindre la quête qu'on lui a fixée.
C'est un rat de misère, un loqueteux de la Sainte-Catherine, un visage inconnu que les yeux des passants évitent avec mépris en empruntant le chemin pour retourner vers les trottoirs automatiques des étages supérieurs. Lui, il croupit en bas, tout en bas de la société, tout en bas de la ville. Dans les fondements de cette ville qui s'élève en étages au-dessus de la lie.
Et pourtant... La nuit c'est l'oiseau nocturne, le phœnix de la liberté !
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J'ÉCRIS!
Dans ce monde qui me rejette. Pour tous ceux qui m'évitent. Pour une passion qui m'étreint depuis toujours il me semble. J'écris. Sans me lasser. Les lignes s'ajoutent sur le papier. Je les frappe en tempo : staccato, crescendo, moderato... Les lettres s'additionnent et au final cela donne des textes... Du talent ? Je ne sais pas. Mais peu importe : bien ou mal écrit, cela n'a fichtrement pas d'importance ! En effet, car écrire est illicite ! Plus personne ne s'y risque.
Dans le fond du sous-sol poussiéreux, bien caché derrière des poutrelles, emmitouflé dans mon manteau de gabardine élimé, qui fut un jour le point central de mon image de marque, un bonnet rouge sur la tête et les doigts découverts au bout de mes gants de laine usés, je pose ma vieille Royale 200 sur mes genoux et... je tape ! Je tape avec force sur cette amie fidèle, mes jambes en tressautent. Parfois je pose mon clavier sur une vieille boite de livraison en bois, mais celle-ci fait caisse de résonnance et dans le silence de la nuit, j'ai peur d'attirer l'attention. Ce n'est pas que le pâté de maison soit peuplé de bonnes gens mais, entre les clochards, les vagabonds, les fugitifs et les Dames de compagnies, on ne sait jamais... S'il s'y cachait un délateur ? Que ne dirait-on pas pour quelques crédits ? Pour sauver sa vie ?
J'écris ! Comme si chaque frappe devait être la dernière. Et l'antique ruban fatigué transmet mes frappes sur le papier, quelque peu jauni par le temps et les intempéries.
Parfois ma prose a un sens voulu mais pas toujours, car donner une signification à tous les messages ne me semble pas utile.... Je choisi.
Liberté, le sens profond...
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Encore une fois, je change de cachette. Mes délires d'écritures cessent, les claquements de ma prose se taisent. J'embarque ma fidèle amie et mes papiers et je quitte avec précipitation. Je me déplace avec une continuité impromptue, pour échapper aux représentants des autorités.
Dans le cas où ils me piègeraient, ma Royale irait à la ferraille et moi... mon sort ne vaudrait pas mieux. J'aurais beau alors revendiquer mes anciens titres, rehausser le collet de ma gabardine et lever mon menton pour qu'ils y reconnaissent le tatouage dans mon cou...je ne fais plus partie de leur société.
Depuis le temps que ce jeu du chat et de la souris se poursuit : ils me connaissent, ils m'ont repéré, fiché, catalogué, accusé, jugé, condamné.
Mais je crois qu'ils m'exécuteront avant même de faire ces étapes.
Ils ne savent pas exactement qui je suis mais ils me guettent.
Les Patrouilles s'organisent chaque nuit dans les bas-fonds du Vieux Montréal, alors que leur peuple, au-dessus de nous, continue ses pérégrinations nocturnes, fêtardes et sans soucis. Leurs patrouilleurs ratissent les rues et les ruelles verticales de la Métropole vétuste. Parfois, l'un des soldats aperçoit ma silhouette de pénombre dans l'axe d'une ancienne rue, mais déjà je me fond parmi les ruines imprécises qui la bordent. Il aura beau tenter de me suivre dans ces quartiers, ce sera peine perdue, car ces rues sont en canevas dans ma tête où je m'y oriente en Maître des lieux. Les Patrouilles se rabattent alors sur des arrestations de petits bandits, de prostituées non déclarées ou de simples citoyens de dernière zone qui ont le malheur de traîner ici, une fois le couvre-feu atteint.
Mais pour moi, je sais qu'ils ont la permission de tirer à vue.
"Siiift"
...Un grésillement me fait sursauter, un rayon vert, passant par le carreau brisé, vient de faire éclater la lampe solaire jaunâtre qui illuminait avec gêne mon dernier refuge : une mansarde poussiéreuse d'un immeuble centenaire abandonné. Je fuis à nouveau, mon sac à l'épaule en passant par les toits qui se rejoignent dans ce coin. Mes yeux scrutent la noirceur, pour tenter de prévoir les trous béants où je peux soit me casser le cou, soit m'enfuir, car ce sont des issues inespérées pour redescendre sur le parvis, loin des drones qu'ils contrôlent de loin et qui me traquent sans cesse.
Fuir, toujours fuir dans le désert de l'antique cité. Dans ce squelette de bâtiments écroulés, abandonnés.
Certains quartiers sont encore quelque peu habités, bien qu'il n'y ait plus personne officiellement dans cette couche zéro, les dirigeants l'affirment. Cependant, des camps clandestins subsistent, où le cloaque de l'humanité est cloîtrée dans la nuit, camouflé aux yeux offusqués des citoyens des couches supérieures. Comme dans toutes les grandes cités de la planète, dans les fins fonds des strates archéologiques, Montréal, le Vieux, la métropole, est morte. Ces grandes villes lumières n'existent plus que dans certaines rares mémoires, dont la mienne. Dans le présent, elles sont inhabitées, déclarées no man's land. S'il y a des êtres y vivotant, c'est une erreur, un oubli. Les Patrouilles y veillent.
Pourtant, tous les matins, les citoyens du haut envahissent notre zone. Elle revit pour un bref moment. Pour se rendre au industries, ces passants utilisent la Sainte-Catherine, le Dorchester, la Saint-Laurent, évitant de payer l'aérobus ou le graviton qu'ils ont installé plus haut...au soleil. Ils viennent prendre les antiques rames de métro, ici sous terre.
Le soleil... En bas, il y a bien des cages de soleil, ces tubes ouverts jusqu'à la pointe de la ville du dessus et où l'on peut venir pour se gaver de lumière et admirer un petit bout de ciel bleu... Là haut, tout là haut... Je n'y traîne pas trop souvent. Pas que je n'aime pas le soleil, bien au contraire. Mais les Patrouilleurs de jour s'y terrent et contrôlent fréquemment les identités. Où tu habites ? Où tu travailles ? Même pas besoin de se forcer à répondre. Ils scannent notre cou et hop ! Notre implant dit tout... Quel délateur... Il me démange de le gratter pour l'expulser celui-là ! Mais il fait parti de moi depuis toujours. Tout mon parcours est dedans. J'ai quand même réussi à désactiver la puce GPS : mon signal est muet.
Les gens du matin sillonnent nos rues en tous sens, comme au bon vieux temps, mais leurs pas est triste et résigné, ce ne sont plus que des ombres d'humains. Ils marchent, pressés, cachés derrière un foulard, le col relevé ; effrayés de côtoyer les ruines, les décombres, et de nous frôler, nous, les «ceux d'en-dessous ». Nous sommes la représentation des nouveaux monstres qui peuplent les contes pour les rares enfants d'humains.
Nous sommes irréels et cela nous convient pour la plupart. On les regarde de loin, depuis nos coins de pénombre. Leur trajet est souvent le même jour après jour. Une routine de bruits, de sons et de couleurs. Certains d'entre nous veulent en profiter. Ils se sont organisés un petit réseau de fournisseurs et ils vendent à petit crédit, des boissons chaudes, des jus, des beignets, des vapoteuses bon marché. Les Patrouilleurs les tolèrent, apparement de bon aloi, mais je ne suis pas dupe, je les ai vus recevoir des crédits pour fermer les yeux.
Ceux d'en haut qui viennent dans leurs vêtements colorés - selon le code réglementaire - équipés de leur lampe solaire dans l'aube timide, craignent aussi tous les souvenirs que renferment ces vestiges d'une civilisation jadis heureuse. Peu s'en souviennent mais, malgré le bruit, la pollution, la drogue, le capitalisme et l'individualisme, une société existait dans ces rues, ces bâtiments. Ce n'est déjà plus qu'une légende, un mythe. L'ancien Vieux ...
C'est là, durant les trajets du matin, que parfois l'un d'eux découvre l'une de mes pages, abandonnée sur le sol humide et crasseux, parfois j'ose en déposer près des tunnels de soleil avec ma lampe solaire que je pose, comme tant d'autre pour sa recharge journalière. Un papier...une simple feuille gribouillée. Le destinataire regarde alors autour de lui, et s'il est seul, il se baisse pour la saisir, comme s'il ramassait la plume perdue d'un goéland blessé. De plus en plus inquiet, surveillant attentivement les alentours, il ouvre le papier et lit rapidement, discrètement, dans le creux de la main ou le pli du coude car si l'écriture est défendue, la lecture est aussi prohibée, mais elle semble encore se transmettre.
Mais comme il n'y a plus de livre, de magazine, de roman, de journal - tout à été détruit - trouver au sol un papier est devenu, après quelque temps, un signe quelque peu connu. Ainsi, la personne qui trouve une de mes feuilles, pensera du coup : « Tiens, il était ici, j'ai pu le croiser. Peut-être qu'il a pris le métro avec moi ou que c'était la nuit et qu'il fuyait devant une patrouille... S'est-il échappé en s'envolant de toit en toit ? »
Car les gens m'ont associé à un oiseau, petit, nerveux et insaisissable. Qui transporte ses idées dans son maigre bagage. Oui, quand leurs pensées sont moins envahies par les messages obsédants des dirigeants ou encore par certaines substances que l'on glisse dans leur nourriture pour les abêtir, ils m'appellent le Moineau de la liberté. Le moineau, cet oiseau qui observe tout en frétillant et qui ne reste pas en place. Silencieux en solitaire, il piaille en groupe pour avertir ses congénères. Jamais il ne connaît de répit, de pause, il est infatigable. Résistant, à l'image de cette espèce aviaire qui est l'une des seules à oser encore égailler les abords des grandes villes. J'aime bien ce surnom...
Celui qui trouve un de mes papiers, suite à sa lecture en cachette, le rejette discrètement comme si son contact lui brûlait les doigts. C'est ainsi. Jamais un lecteur n'ose le conserver car, surpris en possession d'une de mes proses, on le torturerait ou mieux, il serait tué sur place. Qu'il rejette mon papier, moi ça m'arrange : le pli jauni et froissé aura ainsi une plus longue vie et un lectorat plus fort. Un écrit moins chanceux sera trouvé par mes pourchasseurs... Eux, le ramasse et le flanque illico dans un caisson de désintégration que certains ont au dos. Une petite gloriole de poussière s'en échappe ensuite, je les vois qui donne ensuite à leur radio la position de leur trouvaille. Un écrit envolé ! Comme tant d'autres qu'ils détruisent : pour me faire taire... mais qu'importe, il y a tant de nuits, jusqu'à ma fin, tant de jours, dans la pénombre pour semer mes mots sur mes pas.
J'ai ma réserve de papiers dans une usine inaccessible pour eux, loin, profond, là où des gaz toxiques s'accumulent. J'y vais le moins souvent pour ne pas révéler ma cachette : un vieil entrepôt d'une grande maison d'édition. Le papier craque sous mes doigts et mes yeux admirent les piles de ce substrat de paroles et d'idées.
Car voilà : je ne compte pas m'arrêter ! Tel l'oiseau auquel il m'associe : libre d'aller où je veux, sans attache. Car je suis seul, je me faufile où je veux. Jamais je ne me résignerai aux conditions qu'ils nous infligent, jamais. Malgré les menaces, les poursuites, le danger et la solitude. Je suis la voix qui parle contre eux... la seule.
Eux : ils sont apparus un beau jour, il y a tant d'années, des décennies... non des siècles ! Je perds mes notions de temps... je constate ma propre décrépitude.
Qui sont-ils ? On ne le sait pas et cela est un détail. Qu'ils viennent de l'autre bout de la galaxie, de l'univers ou de Mars, issu d'un monde parallèle, du monde des esprits ou simplement une engeance créé par manipulation génétique d'un psychopathe... Qu'importe ! Le résultat est là : une espèce non humaine dirige et l'espèce humaine subit.
Une oligarchie suprême où l'humain est cloîtrée dans des rôles d'ouvriers subalternes, considéré sans valeur et relégué dans les sous bassement des villes. Les dirigeants aliens sont tout là haut, profitant des bienfaits du travail des humains et des ressources de notre planète.
Leur plan a été bien planifié et démontre une patience séculaire. Ils ont manipulé l'histoire de l'humanité en engendrant des guerres fratricides entre nous, entre les pays, au nom des frontières, des richesses, des religions... Tous ces concepts qui n'existent plus pour les humains dorénavant.
Ensuite, ils ont causé des catastrophes naturelles avec leurs technologies, ravageant les deux-tiers de la planète. Disparues les frontières, les territoires, les régimes politiques ancestraux. Dans leurs actions de destruction, ils ont été méthodiques : tous les sièges de gouvernement, les centres névralgiques des armées et les bases de défense sont rapidement devenus inutilisables, inertes, pris dans des gangues de roches fondues.
Les Dogms se sont alors révélés à l'humanité, dans toute leur laideur, lui offrant un choix déterminant : se joindre à eux ou mourir sur sa pauvre petite planète agonisante. Sans armée, sans chef, sans structure sociale, brisée, blessée et affamée, la population s'est rendue massivement sans honte, les accueillants en sauveur de l'humanité.
Ils ont manipulé les humains. Ils sont hautains, arrogants et sans pitié... Inhumains.
Comme un bétail, les vainqueurs les ont parqués.
Les humains survivants des guerres et cataclysmes, sont maintenant réduits en esclavage, nourris comme des bêtes, habillés en couleur de castes, mis en cage la nuit dans des enclos, puis au matin, ils quittent et circulent par les bas-fonds pour aller travailler dans de gigantesques ateliers.
Pendant dix heures, ils triment dans des usines sur des postes répétitifs et indigestes, à faire une corvée à laquelle ils ne comprennent rien. Le soir venu, ils rebroussent chemin, sans énergie et le cerveau embrumé par des substances qu'on leur fait respirer ou manger pour mieux les contrôler. De plus, une puce électronique les suit, les espionne, les identifie comme un pion dont on doit tirer le maximum de productivité. Si le pion ne rapporte pas assez ou s'il donne des signes de réticence, il est mis de côté et abattu sans autre forme de réflexion.
Historiquement, l'espèce humaine est fière, indomptable, réagissant d'autant plus fortement que l'adversaire est coriace... C'est du moins ce que rapportaient tous les livres que je connaissait – avant qu'ils les brûlent avec tous les autres artefacts historiques et qu'ils construisent par dessus nos cités écrasées. C'était au temps où je participais à l'épanouissement d'une société, d'une civilisation digne de ce nom. Les lettres représentaient ma spécialité, ma fierté : j'étais secrétaire particulier.
Malgré tout, l'humanité a réagi. J'en ai vu, oui, comme au temps des grandes guerres mondiales, des résistants à l'envahisseur. Ils se sont rebellés, nombreux sont morts ou disparus. Combien sont-ils à se terrer comme moi ? Issus d'une société ultra automatisée, robotisée, confortable et numérique, rien ne les avait préparés à affronter de tels événements.
Avouons que les forces ennemies utilisent des armes méconnues des héros d'antan : désintégrateurs, barrières de champs de force antigravitationnelle, détecteurs bio-organique et lecteurs de pensées. Les humains sont de simples recrues dans ces domaines. Pourront-ils un jour posséder les outils et les armes pour reprendre le contrôle de leur planète ?
Pour moi, impensable de céder... Par patriotisme, par fierté des humains, par respect pour la liberté, par amour de la littérature. Penser que la lecture et l'écriture soient interdites dépasse mon entendement !
Seulement imaginer qu'après ma disparition, aucune pensée ne sera gravée, peu en importe la teneur m'est intolérable...inadmissible. Alors, de toute ma douleur, je noircis des feuilles avec des lettres typographique. J'écris, j'écris, sans trêve et sans repos. Dans la pénombre des nuits, du fond de mes terriers, j'écris.
Ce sont des appels à la liberté où je m'adresse aux véritables héritiers de ce monde :
« Terriens, réveillez-vous !
Levez-vous et suivez l'exemple de vos ancêtres, relevez la tête et rejoignez les rangs de ceux qui résistent. Je me fais la voix de vos ancêtres et de vous-mêmes. J'écris pour vous réunir car je suis le seul à conserver ma tête. Je multiplierai mes écrits de jour en jour, sans répit, pour vous rejoindre, vous atteindre.
Votre unique héritage est dans vos gènes et dans vos idées, ne le perdez pas ! Faites circuler l'idée de votre résolution, par un geste, un regard, un mot.
Vous savez que la lutte est possible, il vous faut juste un premier pas, un pas de côté, hors du sentier balisé par les Dogms. Dans les niveaux zéro de toutes les villes, nous sommes nombreux à vous attendre pour grossir nos rangs et organiser nos gestes, nos ripostes. Car moi, je ne suis que la voix, celle qui crie sans trêve dans la pénombre. Malgré toute leur science, ils n'ont pu me faire taire ! Et malgré leur répression, je continue. Au-delà de la mort, ils ne pourront étouffer ma voix car les mots s'inscrivent dans les mémoires...
Lisez, partagez puis faites un pas de côté.
Du côté de la pénombre et du secret. Du côté de ma voix.
Je suis la voix de la liberté, de votre liberté !
Ombragez vos pensées face à l'ennemi, mais demeurez alerte et analysez tout ce que vous pourrez de vos tortionnaires : leurs armes, leurs machines, leurs installations, leurs sources d'énergie. Ensuite, un grain de sable, un boulon de moins : sabotez les installations ! Ensuite, faites le pas de côté et venez dans la pénombre !
Nous combattrons à l'ombre pour atteindre la lumière.
L'humanité n'a jamais accepté les chaînes, avec le temps et des sacrifices, nous saurons la libérer, lui redonner une société où l'âme humaine ne sera plus sacrifiée au bûcher de l'envahisseur.
Vous me donnez le nom de Moineau, un oiseau libre qui vit en groupe avec les siens.
Que la devise de notre nouvelle civilisation soit liberté !
La révolte doit commencer !
LIBERTÉ ! »
Je me relis.. Est-ce de la satisfaction intellectuelle, ce grésillement que je ressens ? Peut importe... Je passe la nuit à retranscrire sans relâche le texte. Au matin, je monte sur les toits et, du haut des corniches, je lance mes papiers un à un, les pliant en formes aérodynamiques qui flottent un instant sur les montées d'air tiède avant de porter leur messages plus loin. J'admire un instant ces lieux sur lesquels je superpose les images du passé de cette métropole, comme...
"Siiift"
- Zut ! Pas moyen de leur échapper !
"Siiiift"
Le rayon vert du drone me frôle l'épaule alors que je place rapidement mon sac sur mon dos avant de filer vers le toit suivant, quelques feuillets encore dans les mains.
Avec témérité, je saute sur le toit suivant, laissant s'envoler de mes mains quelques feuilles, oiseaux blancs qui accompagnent mon élan. En bas, je discerne du coin de l'oeil la file d'humain qui s'allonge vers l'entrée du Métro Champ-de-Mars. Quelques visages pâles se tournent vers moi, tout là haut : de futurs lecteurs ? Je le souhaite. Je me rétablis sur le toit précaire de l'immeuble voisin et m'apprête à prendre mon élan pour le building suivant, le Vieux Palais de Justice, qui possède, je le sais, un escalier en bon état pour rejoindre les sous-sols.
"Siiift"
Je cours, je vole...
Je suis le Moineau, symbole de la liberté !
Je m'envole et je..
"Siiift"
Ah ! ce n'est pas vrai... Je suis touché.
Ma main s'ouvre, les dernières pages s'envolent. C'est l'image qui envahit ma vision.
« Ce n'est pas la fin » est ma dernière pensée logique.
Je grésille et je m'éteins.
** ** **
Les quatre Patrouilleurs s'approchent de leur victime. Ils l'ont enfin eu ! Ce satané Moineau dont les écrits inondent les bas-fonds tous les matins. Une ombre, un fantôme, un être qui a pris son envol pour la dernière fois.
Ils vont pouvoir l'identifier car le rayon ne semble pas l'avoir frappé de plein fouet.
L'un des Patrouilleurs s'empare du sac et y trouve une vieille machine à écrire et un tas de feuilles blanches, il a donc eut le temps de faire sa distribution du matin !
On retourne la forme humanoïde qui gît sur le toit. En son ventre brille la plaie, des petites lumières scintillent, quelques arcs électriques, un grésillement, puis plus rien. Il est inerte !
- Un cccyborg humain ! siffle avec stupeur le Chef de la patrouille, ses crêtes luisants de sueurs.
- Voilà donc la raison de l'inefficacité de nos détecteurs, constate l'un des soldats. Son implant n'est pas fonctionnel depuis la deuxième vague de notre règne.
- Un robot secrétaire de la vieille génération, admire le plus jeune des soldats en regardant la main pentactyle qu'il tient avec déférence dans sa main à trois doigts.
- Sssoldat Sâag ! réplique sèchement le Chef. Un peu de retenu où je vous octroie le même sssort que ce robot !
- Oui, Chef ! se reprend le soldat en fermant ses doubles paupières en signe d'obéissance.
Il ressent l'impact de l'afflux positionique qui s'immisce dans ses pensées. Il se concentre pour ne pas flancher. L'influx cesse, le chef est satisfait de son examen.
Ce dernier découpe la gorge du cyborg et récupère une pièce métallique.
- Vous trois : ramenez le corps et ssson bagage en bas, déclare-t-il en observant son butin. Pendant ccce temps, je communique la bonne nouvelle au Centrale et leur demande de patrouiller le sssecteur avec les drones, on ne sssait jamais, il y en a peut-être d'autre. Vous me ramasssserez tous les tracts que vous verrez ensssuite et hop ! Embarquez-moi tout ça !
Deux des soldats transportent la dépouille en passant par les marches intérieures de l'immeuble.
En approchant du porche du rez-de-chaussée, éventré et encombré de blocs de béton, le soldat Sâag porte les yeux sur le mur au côté de celle-ci. Un écusson est encore visible, il y voit des silhouettes d'animaux qu'il ne connaît pas et un texte gravé qu'il lit furtivement, en fronçant les crêtes, car il n'a commencé à apprendre à lire que récemment en cachette avec une collègue : «Je me souviens », décrypte-t-il. Il reste cynique devant ses mots qui représentent maintenant assez peu cette espèce qui n'a plus aucun passé face à la suprématie des Dogms.
Il voit que ces deux congénères peinent à sortir le corps et ne s'occupent pas du tout de lui. Il ouvre le sac qu'il transporte et y fouille plus à fond. Dans une pochette de côté, il y trouve des manuscrits à l'écriture ronde et régulière ainsi que des copies de divers textes dactylographiés. Son double coeur se débat en contre-temps, il jette un œil apeuré autour de lui, avant de glisser les papiers dans le côté de son manteau réglementaire. Il referme le sac. Puis, il prend une pause et s'octroit quelques instants pour reprendre une contenance et un contrôle de son esprit en fermant ses doubles paupières. Lorsqu'il émerge de son temps d'arrêt, son visage est plat et sec.
Il rejoint ses acolytes dans la ruelle sombre alors qu'un appel du chef retentit :
« Sssoldats, changement de programme : on désssintègre tout sur place. Je veux que cela sssoit fait à l'instant. Exécution ! »
Les deux soldats qui peinent sur le corps depuis le toit vont déposer leur fardeau dans un coin extérieur du bâtiment, suivi de Sâag. Ensuite, l'un d'eux se retourne vers le jeune soldat en lui plaçant le désintégrateur entre les doigts :
- On s'est tappé le corps depuis le toit... La désssintégration te revient SSSSâaag ! ricane-t-il en s'éloignant avec son collègue.
Sâag regarde le dispositif de désintégration. Dans une pièce isolé et ventilé, cette manœuvre est déjà une saloperie, alors en plein air, même dans un coin de mur comme ici ! Il sera bon pour un nettoyage triple en rentrant, les poussières s'immisceront entre toutes les interstices de sa peau à plaquettes, causant des démangeaisons incurables.
- Attends qu'on soit loin, hors de vue ! lui crie l'un des soldats. On t'attend au coin de la rue !
Il ne les entends plus. Le silence s'installe. Il se retourne vers le corps du cyborg, abandonné contre le mur de coin. Inerte, sans vie, la gorge et le ventre béant. Celui que les pensées des humains appelaient le Moineau ! Il lui ont coupé les ailes ! Il s'accroupit près de lui, replace la redingote et le bonnet rouge, croise les mains - comme elles on l'air vraies... Il vient pour déposer le sac près du robot, puis se ravise. Il le cache derrière un éboulis. Des feuilles blanches : quel danger ! Il a en sa possession les derniers écrits. Il n'aura qu'à les jeter dans le premier désintégrateur mural ! Il évite ainsi les pires poussières qui lui reviendraient dessus : celles d'origine organique, qui empestent tant ! Il y aura bien sûr le manteau, le bonnet rouge et les gants, qui semblent en imitation de laine.... bof, ce n'est que du synthétique ! Comme le Moineau lui-même.
Il ajuste le désintégrateur, vise le cyborg et appuie sur le commutateur. Une lumière bleue enfle puis se propage d'un coup vers le point visé. Un contre-coup sur le cyborg, qui passe par plusieurs teintes de bleu, vert et jaune, puis un bruit de chuintement retentit alors que le flux de poussières créé passe en retour vers Sâag, qui a ancré ses pieds griffus au sol et fermé hermétiquement toutes ses orifices. Il attend que la poussière retombe puis ouvre une paupière : il ne reste plus qu'un nuage blanchâtre et argenté qui scintille dans les rares rayons de lumières venant des ruelles verticales. Voilà ! Le Moineau s'est envolé. « Je me souviens ».
En se secouant, il va rejoindre ses compatriotes. Lorsqu'il rejoint le reste de la Patrouille, ils lui portent un rictus méprisant mais continuent leur échange :
- ...qu'il n'ait été programmé pour transmettre les tracts qu'il composait automatiquement, dit l'un d'eux.
- Un cyborg si vieux ! Impossible ! Les programmes seraient rouillés !
- Mais tous ces hasards me semblent un peu trop bizarres. Des oiseaux de liberté, Corbeau, Mouette, Chouette et autre volatile ont déjà été signalés dans une vingtaine de ville, parfois simultanément, et souvent après que l'on ait signalé leur désintégration.
- Des oiseaux qui reviennent de leurs propres poussières ! ricane celui qui prend les commandes de leur graviton.
Leur chef embarque à son tour et les toise sévèrement.
- Soldats, sssoyons fier car nous sssommes la première Patrouille à coincer un de ces oiseaux de malheur et à pouvoir en identifier la nature. Et sssi j'en juge par votre état SSSâag, ajoute-t-il avec un ricanement, il n'est pas prêt de revenir voler par ici. On croyait qu'il s'agissait d'un groupe organisé, mais grâce à notre action d'aujourd'hui, nous sssavons maintenant qu'il ne s'agit probablement que d'un vice de programmation d'un très vieux modèle. J'ai gardé sssa plaque, ajoute-t-il en montrant l'objet qu'il a retiré de la gorge du cyborg, c'est sssuffisant pour tenter de les retracer.
Un drone arrive au-dessus de leur véhicule puis repart vers l'ancestrale palais de Justice. Sa lumière éclaire un instant le vieux bâtiment. Sâag suit le trajet du rayon lumineux qui révèle un instant toute la majesté des lieux... «Je me souviens ». Un Phoenix qui revient pour propager l'histoire des siècles passés. Les feuillets sur son flanc diffusent une chaleur intense.
- Les drones ne trouveront rien selon moi Chef, dit l'un des soldats. De tels cyborgs, il ne doit pas en subsister des masses. Et les humains n'ont sûrement rien remarqué.
- Vous avez bien raissson, cet oissseau n'aura pas eu la vie si prossspère car...
Sâag perd la suite du discours de son chef en portant son regard sur la foule humaine qui se déplace vers le métro Champs-de-Mars, alors que leur graviton prend de l'altitude pour gagner les étages supérieures.
Il aperçoit alors deux silhouettes qui quittent la file vers le métro et gagnent subrepticement l'abri des décombres dans le fond d'une ruelle... L'appel du Moineau.
** ** **
Troisième sous-sol de Paris. La vieille dame aux multiples bâtiments légendaires effondrés depuis des centaines d'années, surplombée par les constructions des Dogms, ne vit plus au rythme des lumières.
Au fond d'un atelier d'imprimerie oublié dans un ancien gratte-ciel aux fenêtres éventrées, un robot secrétaire s'éveille à la vie.
Il ignore encore qu'un autre oiseau de liberté a erré deux ans durant dans la cité, qu'il en sera l'héritier. Il ont en commun une puce unique créée par un obscur programmeur responsable d'un projet expérimental d'écriture historique robotique. Sous l'effet d'un signal d'un Satellite qui tourne autour de la planète en un mouvement sans fin, sa puce se met à jour... et reçoit des siècles de mémoire. Il sort de sa dormance.
« Mise à jour complétée. Bonjour Condor ! »
Il brûle d'envie d'écrire, de propager l'histoire, de réagir à son milieu, d'observer les humains et de noter les évènements de la société dont il est issu. Il restera insatisfait tant qu'il n'aura pas découvert une Remington ou une Olivetti.
Il reprend là où son prédécesseur a été stoppé.
C'est le Condor qui renaît de ces cendres, un autre Phœnix de la Liberté.
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