L'Horloge de Verne
Petite Nouvelle écrite pour ma participation au dixième Challenges des Rêves d'Androïdes de @Sayadinah sous le thème "Steampunk" pour lesquelles elle s'est classé troisième !! (*Cabriole de joie!*). L'inspiration est venue de l'image imposée par Saya (en média, modifiée par mes soins) que je remercie pour ce choix (😊). Les premiers mots qui me sont venus spontanément sont ceux du personnage en avant-plan, bien assit en spectateur avec son vieux Stetson sur la tête. Ce sont les mots qui ouvrent le récit "Ça y est, nous y sommes!"...
Il me restait à découvrir ce que ce personnage voulait me dire, qui était-il et quel était cet instant si important pour lui qu'il méritait que je couche des mots sur mon écran.
Un instant qui changerait le cours de l'histoire, de notre histoire.
Voici le message que porte cette nouvelle.
Je souhaite que vous aimerez ce que ma muse m'a soupiré . . .
Bonne lecture
Gaïa ;)
(Février 2017, 1636 mots )
*J'ignore l'auteur de cette superbe image mais voici un lien où elle est hébergée dans sa forme originale (https://u.livelib.ru/reader/Delfa777/o/b0zx7zwy/o-o.jpeg)
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« Ça y est, nous y sommes ! »
C'est tout ce qui vient à l'esprit du vieillard alors qu'il s'assoit avec difficultés afin d'assister à l'aboutissement de l'œuvre d'une vie. Ses jambes s'étirent en émettant des grincements un peu plus forts que le soupir de soulagement de l'humain qu'elles portent.
Les engrenages qui occupent la moitié de l'espace dans la pièce ombrageuse couinent doucement dans les reflets naissants de l'aube derrière la verrière. D'une main tremblante, il active la mise au point de ses lorgnons en portant son regard vers la balustrade où se profilent deux silhouettes. Il peut ainsi mieux distinguer les traits de son arrière-petite-fille qui s'acquitte avec promptitude des tâches que lui assigne son père, Markus, alors que celui-ci se dirige vers la console pour affiner les derniers réglages des plaques-capteurs. Tout ce protocole, le vieux Julius le connaît par cœur. Mais il serait bien en mal de l'exécuter maintenant. Son cerveau est toujours alerte, mais son corps ne suit plus, malgré les améliorations mécaniques qu'ils lui ont prodiguées, lui et Markus.
Il admire, de son point de vue privilégié, le ballet du père et de la fille qui complètent sans accroc les dernières mises au point, alors que la femme de Markus, Silia exécute aussi des tâches importantes quelque part dans le bâtiment. Voilà bien trois personnes qui lui ont été d'une aide appréciable alors que ses jambes le lâchaient de plus en plus ces deux dernières décennies, surtout après le meurtre de son fils Auguste.
Eh oui, la famille Verne est marquée du destin funeste des génies redoutés et constamment menacés ! À preuve toutes les embûches que l'aïeul et ses descendants ont dû surpasser depuis plus d'un siècle. Lui-même, Julius, a malgré tout bien survécu à toutes ses manigances mais son corps, telles ses jambes qui ne sont plus là et son cœur qui s'active en engrenages, sont meurtris par toute cette haine dirigée vers eux. Pourquoi ? L'appât du gain et du pouvoir ?
Ce cher Auguste l'avait bien prévenu, il y a deux décennies :
« Gardons nos découvertes Père, je vous prie. Les grandes industries et les magnats de l'huile noire n'aimeront pas ce que vous vous apprêtez à révéler. »
« Comment peux-tu penser cela ? Notre Terre agonise dans ces fumées acides et nauséabondes ! Ta mère et ta femme en ont déjà payé le prix fort. Je refuse que ton fils, notre petit Markus, porte lui aussi les marques pulmonaires mortelles de ces résidus d'enfer qu'ils relâchent dans l'air que nous respirons ! »
« Nous pourrions nous éloigner des grandes villes et chercher un coin plus tranquille, moins affecté ? »
« Et laisser tous ces gens innocents mourir sans rien faire ? Dans l'ignorance de l'alternative ? Tu pourrais encore te regarder le matin dans la glace ? Pas moi ! »
Il avait donc fait sa conférence pour dévoiler les résultats de ses recherches. Et la prémonition de son fils unique s'était révélée juste. Les opposants à son système énergétique innovateur avaient frappé... Très fort. Auguste en avait payé de sa vie lors de l'attaque au vieil entrepôt où ils développaient leur nouvelle technologie.
« Explosion accidentelle dans le quartier ouvrier ! » : telle avait été la Une des scripteurs du lendemain matin.
À ce souvenir, l'esprit et les yeux de Julius se brouillent. Il ôte ses lorgnons pour en extraire les larmes. Les émotions intenses qui naissent en lui provoquent une douleur aiguë dans ses pieds fantômes et son cœur cliquetant. Respirant bruyamment, il agite ses articulations mécaniques comme si cela pouvait faire taire son malaise : ce pincement de braise, le même qu'au matin funeste, alors que, sous ses yeux horrifiés, les lambeaux de peaux de ses deux jambes s'étalaient et se mélangeaient avec le cadavre de son fils aîné.
— J'aurais tellement dû t'écouter Auguste, murmure le vieil homme en réajustant ses binocles.
— Papy Julius ! Regarde ! Le soleil se lève enfin !
Il relève ses yeux pâles larmoyants aux appels de sa descendante. La silhouette de la frêle jeune fille se découpe contre la baie arrondie, servant d'horloge au centre-ville du quartier Victoria. Ce rôle de Gardien de l'horloge dissimule en fait leurs recherches sur trois générations de Verne.
— Oui, Alba ! Je vois cela !
— Nous allons nous envoler ! s'exclame la petite brunette en élevant ses bras vers le plafond vitré.
Son rire contagieux éclaire les lieux poussiéreux et surpasse un instant les cliquetis des rouages et le ronronnement des turbines du sous-sol. Quelle bonheur cette enfant ! Quelle joie que Markus et Silia aient su la préserver des Matrices publiques et autres Centres de Savoir réglementaires. La déclarer inapte mentalement a été ce qui lui a conservé sa curiosité et son inventivité.
— Alba ! À ton poste ! rappelle Markus d'une voix fébrile.
— Oui, Père.
La jeune fille prend place devant un pupitre munie de multiples leviers et se coiffe d'un casque avec une embouchure arrondie qu'elle règle à la hauteur de sa bouche.
— Mammilli tu es là ? dit-elle sous le regard interrogateur de Markus.
Sa fille écoute avec attention dans son écouteur. Après un temps de silence, elle ajuste un levier puis fait un signe du pouce vers son père :
— Elle dit qu'elle est prête et que les arrimages se sont bien ouverts. Elle quitte pour le poste supérieur pour la navigation. Elle suivra le décompte de là-haut, Père !
— Parfait, sourit ce dernier en posant sa main sur l'épaule de sa fille. Silia sait ce qu'elle doit faire pour les capteurs du toit.
L'homme à la chevelure abondante parsemée de rares fils gris consulte sa montre à gousset, puis il se tourne vers la silhouette assise en bas de l'estrade :
— Grand-père ! Vous êtes prêt ?
— Autant que jamais en cent ans, mon garçon !
Markus se retourne vers sa fille :
— Transmets à ta mère que nous suivons bien le plan prévu et que nous sommes dans les temps, à moins de cent secondes du plein soleil levant.
La jeune fille transfère avec un grand sourire les commandes de son père. Du haut de ses douze ans elle ne tient plus en place et s'agite sur son fauteuil.
— Du calme ma fille, lui recommande Markus.
— Oui, mais... Je peux faire le décompte, Papy Julius ? demande-t-elle en se penchant de la balustrade pour quêter l'approbation de l'aïeul.
— À toi l'honneur, ma petite, mais attend à trente secondes, Alba. Les turbines auront eu le temps d'emmagasiner leur niveau maximum.
Les grands yeux bruns de la fillette se fixent sur la grande horloge en suivant le trajet de la double aiguille.
Dans la grande pièce, trois générations Verne attendent en silence. L'écume de leurs proches disparus les enveloppe et c'est un moment solennel qu'ils s'apprêtent à traverser. Dans le murmure gonflant des circuits mécaniques, dans des gestes calculés, le seul à s'affairer encore est Markus. Il enclenche différentes commandes et vérifie certains cadrans afin que tout se déroule comme prévu : comme son grand-père et son défunt père l'ont conceptualisé depuis si longtemps.
Tout semble en ordre, la main de Markus Verne s'immobilise près d'une ultime manette argentée. Il porte son regard vers son grand-père qui, les mains croisées sur sa canne au pommeau cristallin, acquiesce de la tête avec un large sourire qui éclaire sa mine barbue sous son chapeau informe. La voix de sa fille s'élève dans la pièce, dont toutes les portes se referment automatiquement en un claquement feutré qui vient peser sur leurs tympans un court instant.
30... 29... 28... 27...
« Pour vous, mes parents, Auguste et Cristelle. »
26... 25... 24... 23...
« Pour toi, ma Bien-aimée Lisbeth. »
22... 21... 20... 19...
« Nous allons réussir, pour Papy ! »
18... 17... 16... 15...
« Pour que cessent le ces gaz mortels. »
14... 13... 12... 11...
« Cette huile noire ne doit plus brûler. »
10... 9... 8... 7...
« Pour l'avenir »
6...
5...
4....
«Ça y est »
3...
2...
1.
« Nous y sommes... »
La main de Markus enclenche l'ultime levier miroitant... Ensuite, avec une certaine révérence, il place ses mains fermement sur les commandes devant lui, les yeux fixés à l'horizon au-delà de la verrière de l'horloge.
Dans le quartier Victoria, en ce jour où les bonnes gens vont se recueillir sur les dépouilles ancestrales des ancêtres, le soleil brille, radieux.
Le ventre creux du jeûne imposé en ce jour sacré, alors que l'heure du Grand Rassemblement sonne aux clochers de tous les coteaux le long de la Manche, les habitants des environs se retournent vers un curieux souffle issu de la fameuse petite Tour de l'horloge du quartier Victoria. Dans un crépitement, les plaques de bardeaux de cèdre du toit se décollent et se retrouvent au sol. Avec un tremblement rocheux, les murs de l'antique monument se déchirent.
Car oui, ce matin-là, la petite Tour semble prendre de l'ampleur de telle sorte que l'on réussit à l'apercevoir des quartiers environnants ! De fait, le haut de l'horloge, là où les doubles aiguilles indiquent l'heure la plus juste et fiable des environs... et oui, cette horloge-là : elle s'élève et flotte dans les airs comme un de ces aéroplans bruyants et nauséabonds.
Mais à la différence de ces mastodontes du ciel, celle-ci n'émet aucune fumée et quasiment aucun bruit. Sa toiture miroite comme un joyau mystérieux sous les rayons de l'astre. Ce sont ces rayonnements qui alimentent les turbines électromagnétiques des Verne : Julius, Auguste, Markus et leur héritière Alba. Voilà le trésor qui apporte aux hommes une énergie sans danger pour la santé, la vie humaine et l'avenir de la Terre.
La fameuse Horloge de Verne...
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