La goutte
Mes yeux prirent quelques secondes pour s'adapter à l'obscurité qui régnait. La pièce toute entière était plongée dans le noir, excepté une petite bougie posée sur un meuble, à quelques mètres devant moi. Il faisait chaud et l'air humide était difficilement respirable. Une odeur âcre agressait mes narines.
Je n'entendais rien, mis à par le bruit d'une goutte d'eau tombant régulièrement sur le sol de béton. Ce léger son résonnait dans la pièce et dans ma tête, rendant impossible l'identification du lieu exact d'où il provenait.
Les sangles attachées à mes chevilles et à mes poignets me maintenaient fermement contre une vieille table en bois renversée à la verticale. Trop serrées, elles entaillaient ma peau et du sang tiède coulait le long de mes bras et de mes jambes. Je fis une tentative pour me délivrer mais les lanières de cuir s'avérèrent plus solides qu'elles ne le paraissaient.
La pièce était dépourvue de fenêtres et je ne vis aucune porte mais cette dernière pouvait se trouver derrière moi, seul endroit que je ne pouvais pas entrapercevoir. Les heures passèrent sans que rien ni personne ne vint briser le bruit régulier des gouttes tombant une à une. La bougie, quant à elle, avait déjà diminué de moitié. Je ne savais pas qui m'avait mis là et pour quelles raisons. Ma vie n'avait rien de palpitante et après quelques minutes de réflexion, je n'avais trouvé personne qui aurait pu m'en vouloir à ce point.
Les heures passèrent, les gouttes tombèrent et la bougie ne mesurait plus que cinq ou six centimètres. L'espoir d'une libération s'amenuisait peu à peu. Les larmes me montèrent aux yeux. Ce n'était pas la mort qui me rendait triste mais le fait de savoir que dehors, personne ne me regretterait. Je n'avais pas d'ami proche, pas de femme ni d'enfant et mes parents étaient décédés depuis bien des années. Personne ne pleurerait ma mort et je disparaîtrai dans l'indifférence la plus totale.
Une énième goutte s'écrasa au sol et me tira de mes pensées. Je lançai un rapide regard à la bougie et pris conscience qu'il ne me restait plus que quelques minutes de lumière. Le reste de ma vie se passerait dans l'obscurité la plus complète. À cette pensée, un frisson glacial m'envahit. Malgré ma situation plus que critique, je sentais que je n'étais pas près de mourir. Mon agresseur devait avoir pris la peine de me nourrir et de m'hydrater par je ne sais quel moyen. Il me restait encore plusieurs jours. Chaque jour pire que le précédent. Chaque jour à entendre sans cesse les dizaines de maudites gouttes d'eau venir remplir la petite flaque qui devait s'être formée en dessous.
Plus le temps passait, plus la panique m'envahissait. Je n'arrivais plus à rester en place et me débattis sans que les lanières ne se détachent un tant soit peu. Les blessures de mes bras et de mes jambes s'ouvrirent un peu plus à chaque mouvement.
La bougie s'éteint mais le son des gouttes ne s'arrêta pas. Ce brut m'obsédait. Je ne pensais plus qu'à lui. À peine une goutte était tombée, j'attendais déjà impatiemment la suivante. Ce son, pourtant faible, emplissait ma tête. Je me mis à les compter. Pourquoi ? Je ne sais pas. Je ne savais plus vraiment ce que je faisais et j'accordais une importance excessive aux moindres détails des rares distractions qui m'entouraient. Une goutte. Deux gouttes. Trois gouttes. Dix. Cent. Deux cents. Deux cents cinquante. Puis soudain, plus rien. La deux-cent-cinquante-troisième goutte ne vint pas.
Je l'attendis. Je l'attendis des heures mais elle ne vint jamais. Ce son qui m'énervait tant au début, était devenu essentiel pour moi. C'était le seul élément qui me reliait encore à la réalité. Et maintenant plus rien. Juste le son de ma respiration. Et le silence. Un silence toujours plus profond, toujours plus angoissant. Un silence qui enveloppait toute la pièce. Un silence de mort.
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