Vraie Foi (rêve d'androïde et ses challenges SF, n°4 Autodafé)

« Dieu est partout. »

Les hauts parleurs hurlaient la voix du Grand Prêcheur dans toute la ville. Aucune maison, aucun immeuble ne bloquait cet appel. Le son emplissait le monde des fidèles. Il était une protection pour eux. Dans tous les endroits où Dieu était partout, les vrais croyants savaient qu'ils étaient chez eux.

La paix des fidèles représentait pour Sam une sécurité et une limite infranchissable. Son esprit étriqué et superstitieux n'arrivait pas à concevoir cette limite. Les ignorants vivaient dans le bonheur de Dieu. Moins ils se posaient de question et plus ils plaçaient leur foi dans les paroles du Grand Prêcheur et moins le monde leur était hostile.

L'état théocratique avait offert à Sam un poste de défenseur de la vrai Foi. Pour un fidèle comme lui, son travail était plus une passion qu'une activité aliénante. Chaque jour que le créateur faisait, il traquait les artefacts du démon et il les détruisait par le feu. Il avait déjà trouvé des tas d'enregistrements de musiques impies, des images de femmes impudiques et quelques films datant de l'âge obscur. À chaque reprise, la destruction attendait ses trouvailles, il était le bras armé de la sentence divine et il ne se posait guère de questions sur ce qu'il détruisait.

S'interroger sur son action était le premier pas vers l'apostasie. Les traîtres à la foi finissaient lapidé en place publique. Les fidèles de tout âge étaient invité à assister et à participer à la sentence divine. Les images d'agonie marquaient au fer rouge les esprits dès le plus jeune âge.

« Combien ? demanda Jean en coupant le fil des pensées de Sam.

-J'en suis à 3458, répondit le jeune homme. Il m'en manque à peu près autant pour pouvoir y arriver.

-Si Dieu le veut, la pêche du jour sera bonne et on aura tous une prime. »

Jean était le supérieur direct de Sam, il exerçait cette profession de foi depuis deux ans et il mettait beaucoup de zèle dans cette mission. Les ennemis de Dieu étaient ses ennemis personnels.

Le 4x4 des gardiens sortait de la ville. Un convoi militaire de la vrai Foi les protégeait dans leur mission du jour. À l'extérieur, quelques hommes pieux bénissaient les champs de blé, avec l'aide de Dieu et du Grand Prêcheur les récoltes seraient bonnes.

La cible du jour était un village d'apostat. Une dénonciation anonyme avait mis les représentants divins sur la piste d'une cache d'objets interdits. Les trouvailles se devaient d'être bonnes. La prime obsédait nuit et jour Sam. Il avait passé les 25 ans et à présent, il devait penser à construire sa vie.

La vraie foi ne permettait qu'au plus méritant de pouvoir prendre épouse. Les dots coûtaient une somme astronomique et l'état en imposait une partie non négligeable. Les négociations avec les pères de famille étaient codifiées dans le livre de la foi. Ces règles protégeaient la société de tomber dans la luxure la plus vile. Les hommes les plus méritants pouvaient ainsi se marier à plusieurs reprises, tandis que les plus pauvres finissaient leur vie célibataire.

La frustration sexuelle devenait une obsession pour Sam, il n'osait pas en parler et il avait peur au fonds de lui que ceci le détourne de sa vrai Foi. Il se sentait sale à l'idée d'avoir ce genre de pensée.

La dernière femme que Sam avait vue en vrai était sa mère. Certes, il en croisait des dizaines par jour, mais elles cachaient leur féminité derrière leur voile intégral. Il ne pouvait que s'imaginer leur visage en entendant la mélodie de leur voix.

Son métier le mettait en contact avec des représentations de la femme sur papier glacé, on disait que ce genre de vision pouvait faire chanceler la foi des plus croyants.

Alors que le convoi s'enfonçait dans la campagne, l'empreinte de la civilisation se faisait de moins en moins présente. Sam m'appréciait guère ces endroits. Il y avait encore des lieux où des apostats adoraient le démon. En dehors des grandes villes, les ténèbres du mal s'insinuaient dans les fermes isolés. Les défenseurs de la vraie Foi avaient encore du mal à faire correctement leur métier. Cependant chaque œuvre impie détruite rapprochait ces âmes damnées de la lumière divine. Une ou deux exécutions pour l'exemple achevait avec brio le travail des défenseurs. Dieu exigeait ces sacrifices pour instaurer son règne millénaire.

Vers les midis, le groupe arriva dans un minuscule village perché sur les contreforts d'une montagne. La vie ici s'écoulait selon un rythme séculaire et donc forcément impie. Les anciennes traditions menaient aux péchés, la modernité passait par Dieu et par son message universel.

Des prêcheurs à la télévision martelait leur message aux esprits les plus récalcitrants. Le comité de la vraie Foi envoyait des missionnaires itinérants pour voir si le message était bien incorporé. Ils prévenaient les défenseurs en cas de manquement constaté.

« Quelle est notre mission ici, Jean ? Demanda Sam. »

Jean dévoilait toujours la nature des missions au dernier moment. Les responsabilités l'avaient légèrement rendu paranoïaque, il s'estimait toujours en danger. Pour lui, les serviteurs du démon avaient infiltré toute la société. Une fuite pouvait faire échouer une mission à tout moment.

« Un missionnaire, nous a prévenu qu'il y avait une cache d'image impie. Si l'information est bonne, nous procédons comme d'habitude. »

Les flammes d'un bûcher s'élèveraient dans le ciel bleu avant la fin de la journée dans ce cas-là Les objets impies et leur propriétaire seraient réduits en cendre. C'était la méthode la plus efficace pour déraciner les graines du démon.

Une fois sortie des véhicules, le groupe des vrais croyants s'égailla dans le village en quelques instants. Les habitants furent rapidement rassemblés sur la petite place du village. Un filet d'eau coulait d'une petite fontaine en rajoutant une ambiance bucolique à ce paisible lieu. Sam se demandait toujours pourquoi le mal se cachait aussi souvent dans des endroits aussi bénit de Dieu.

Au centre de la place, des femmes cachées sous leur voile, des enfants apeurés et des hommes résignés furent rassemblés et menacé par les armes automatiques des militaires. Pour le coup, la première phase d'inspection se passait dans le calme, il n'y eut aucun cri, aucun acte de rébellion. La puissance de la vraie foi ne souffrait d'aucune contestation, c'était une bonne chose.

Les gardiens commencèrent la fouille des habitations. Bien que le soleil divin fût à son zénith et qu'il abreuvait de chaleur le village, l'intérieur des maisons restait frais. Les murs en pierre apparente d'une trentaine de centimètre résistaient très bien au changement de température. Ils dataient d'une période effacée des livres d'histoire, un monde dirigé par la corruption et la luxure.

Sam ne trouva rien dans la première maison. Les habitants avaient pris la peine de décorer leur intérieur avec une pieuse modestie. Ce genre d'ascétisme plaisait beaucoup au gardien de la vraie Foi. La modestie était une des premières marches vers le paradis.

La seconde habitation disposait d'un style encore plus dépouillé que la première. Une table en bois miteuse, des vitres sales laissant passer quelques rayons de soleil, une armoire branlante, un canapé qui avait connu de meilleurs jours et une vielle télévision pour les prêches étaient les seuls ornements du salon. Après une rapide fouille des autres pièce, Sam s'apperçu qu'il n'y avait pas de glace dans la maison. Les résidents ne risquaient pas de commettre de péché de vanité. C'était un bon point.

Une trace de poussière attira son regard près de l'escalier. Elle représentait un arc de cercle parfait. D'expérience, Sam savait que ce genre de chose puait la trappe secrète. Il ne lui fallut pas plus d'une dizaine de secondes pour découvrir un porte dérobée qui menait à un sous-sol.

Un interrupteur était placé à l'entrée de l'escalier. Sam enclencha la lumière et descendit les marches en faisant craquer le bois centenaire. Les lieux empestaient le moisi et la vielle poussière. En bas, la cave faisait une dizaine de mettre carré. Elle comprenait tout un tas de fatras impie.

Une antique bibliothèque pleine de livres et de musiques interdites, quelques tableaux représentant des femmes impudiques et un bureau avec une pile de journaux jauni par le temps seraient le butin du jour. Sam pouvait être fier de lui. Il empocherait une belle prime. Encore une trentaine de cache autant fournis et il pourrait payer une belle dot.

Un papier solitaire attira son attention sur le bureau. Sa première pensée fut qu'il avait trouvé un dessin sans intérêt griffonné par un impie supplémentaire. Un simple regard sur le papier suffit à lui prouver son erreur. L'auteur de l'œuvre devait être doué. Avoir ce genre de réflexion n'était pas habituel pour Sam. Il appliquait depuis toujours les préceptes de la sainte foi sans aucun compromis.

Le simple visage d'une femme, non d'une très belle femme, était reproduit sur ce papier de mauvaise qualité. La richesse des détails fut la première chose qui sauta aux yeux de Sam. Le regard mélancolique de la femme le transperça de part en part. Il semblait qu'un millier de vies de souffrance l'observait. Pourquoi cette femme était-elle aussi triste ? Pourquoi cette tristesse ne servait qu'à la rendre plus belle ?

Le gardien de la vraie foi ne comprenait pas. Il avait passé toute sa vie à ressentir du dégoût pour ce genre de représentation et à présent une porte dans son esprit s'ouvrait. Pourquoi une œuvre aussi imparfaite qu'humaine arrivait-elle à lui faire oublier la lumière de Dieu ?

Cette œuvre appartenait à un passé révolu. Ce passé n'était que luxure et vanité. Il connaissait ces mots, mais il n'avait jamais eu à les combattre personnellement. Sa vie embrassait les commandements du Grand Prêcheur avec rectitude. Cette adoration sans faille des principes lui laissait cependant un grand vide dans sa vie, cette simple image faisait jaillir ce vide en lui. Il ne disposait pas des mots nécessaires pour qualifier ce vide.

Sa conscience écrasée dans ce monde de règles et de principes n'arrivait pas à trouver d'explication à cet événement et à ce désir. Des chaînes d'ignorances l'attachaient à une vie prévisible. Il n'y avait que des idées hérétiques pour expliquer cette prison mentale. Les limites des règles représentaient un monceau de péchés mortels conduisant à un enfer. Il avait franchi une limite en se laissant toucher par ce dessin. Sa conscience façonnée par des années de conditionnement lui criait de se sentir coupable, cependant son inconscient admirait la beauté simple de cette femme. Pourquoi ceci était-il considéré comme un péché ? Dieu n'avait-il pas créé les hommes et les femmes à son image ? Ne les avait-il pas dotés de mains pour pouvoir reproduire ce genre de chose ?

Le paradoxe était insoluble Dieu ne pouvait pas être contradictoire. La beauté ne pouvait pas lui faire peur au point de l'interdire aux humains. Ce genre d'œuvre d'art ne rendait-elle pas hommage à sa création ?

Une larme traça un sillon sur la joue de Sam. Il lui manquait quelque chose dans la vie qu'il était trop conditionné pour savoir. Il lui manquait le droit de regarder une œuvre d'art sans se sentir coupable. Il lui manquait la possibilité d'aimer autre chose les diktats du Grand Prêcheur. Il lui manquait une seule et unique chose dans sa vie : la Liberté.


« C'était une bonne pêche, annonça Jean. Le comité sera content de nous. Tu as été très bon mon cher Sam, comme à ton habitude. »

Le convoi repartait vers la ville. L'odeur de la fumée imprégnait les vêtements de Sam. Les images de l'artiste brûlant avec ses œuvres le poursuivait. Les regards du vieil homme et celui de Sam s'étaient croisés l'espace d'un instant. Il n'y avait ni haine, ni ressentiment dans ses yeux. La seule chose que Sam cru déceler fut la simple et pure compassion. Le vieil artiste savait. Sam le comprenait aussi à présent.

L'artiste jouissait de sa liberté, tandis que Sam étouffait sous d'obscurs dogmes.

La pire prison est celle de l'ignorance.

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