La révolte des automates (rêve d'androïdes et ses chalenges S.F: Steam Punk)




« Alors, quelle est la situation ? »


Assis sur un siège trop confortable et finement niellé, le baron François Fichten présidait le conseil. Une élégante paire de lunettes encerclait de petits yeux perçants. Des sourcils broussailleux cachaient presque ces derniers. Devant lui, les huit hommes les plus puissants d'Olympia la première cité arbre n'en menaient pas large. Ils étaient les dépositaires d'une tradition bicentenaire sur le point de chuter de son piédestal.


À sa droite, son frère le vice Baron Edouard Fichten faisait des ronds de fumée avec sa pipe. Il ne semblait guère s'intéresser aux débats du conseil. Il agissait toujours avec la désinvolture de celui qui préfère les plaisirs de la chair à la grande politique.


« La colère gronde parmi les ouvriers et les automates, annonça le cadet de l'assemblé des gentlemen, le conseiller Malcraft. On rapporte que la situation sur Atlantis et Nova Roma s'aggraverait de jour en jour. La grève du peuple durerait depuis plus d'un mois et la colère augmenterait de jour en jour. »

Par temps clair, on pouvait apercevoir Atlantis, la seconde cité-arbre. De loin, elle ressemblait à une sorte de dragonnier de Socotra. De près, la cité cyclopéenne sortait tout droit d'un cauchemar de dément. À la base de cette dernière, une fourmilière d'habitations sales et mal odorantes formait les racines. Des dizaines de milliers d'ouvriers, de prolétaires et d'automates s'entassaient dans la crasse polluée des usines. Ils travaillaient dans des mines de charbon et de pierre d'âme.

Le tronc de l'arbre s'élevait sur plus de deux kilomètres. Il était constitué de bois et de métal. Il comprenait une petite dizaine d'ascenseurs actionnés par des machineries complexe à base de charbon et d'eau bouillante. Il soutenait une seconde cité qui se trouvait au faîte de l'arbre. Le luxe transpirait par tous les pores de cette ville des nuages. Une douce verdure régnait constamment au sommet de l'arbre-cité. De loin, cela ressemblait à une immense forêt.

« Ce n'est qu'une jacquerie supplémentaire, s'énerva le conseiller Von Peyne. Envoyons l'armée, elle calmera les ardeurs de ces racailles. »

Du haut de ses 75 printemps, Von Peyne était le doyen de cette illustre assemblée d'oligarques. Un bandeau noir cachait son œil gauche. Il racontait à qui voulait l'entendre la bataille qui lui avait coûté son regard de jouvenceau. À cette époque, les automates étaient polis. Le respect et la bienséance se perdaient de nos jours. Il sirotait un verre de brandy lorsqu'il n'apostrophait pas ses collègues.

« Je suis désolé de vous le dire, mais vous parlez comme un vieux fou mon cher Von Peyne, lança Malcraft avec toute la hargne de la jeunesse. Dois-je vous rappeler que la caste militaire est constituée d'automates ? »

Toutes les strates de la société comprenaient ces homoncules de métal. La découverte des pierres d'âme avait entraîné une révolution industrielle sans précédent. Par un procédé qu'on appelait l'illumination, on transférait l'âme d'un humain pour la déposer dans une pierre. Ce simple bout de roche donnait une vie immortelle aux automates. Jusqu'à ce jour, les illuminés perdaient leur liberté et devenaient les esclaves de l'oligarchie du conseil. Pour les miséreux d'en bas, l'illumination intervenait à leur 40e anniversaire. Les automates menaient tout un tas de guerres au profit du conseil. Les âmes enfermées dans ces armures de métal devenaient de la chair à boulons sur le champ de bataille. Les pertes ne comptaient pas tant que les conquêtes se succédaient.

Du haut de sa trentaine de printemps, Malcraft suivait un sillon dessiné par ses parents. Major à l'académie d'Olympia, il avait gravi avec avidité les échelons du pouvoir pour se retrouver conseiller du baron. En règle générale, le cynisme de ses collègues l'agaçait, mais à présent, ce trait de personnalité typique de l'élite le mettait hors de lui.

Qu'avait-il fait de plus que tous les pauvres hères d'en bas ? Seul le privilège de la naissance lui donnait un statut dans cette société. Il considérait qu'il n'avait aucun mérite à se trouver assis sur un fauteuil confortable à discourir des troubles frappant son monde.

« Que proposez-vous dans ce cas-là ? harangua Von Peyne. La guilde des volants pourrait bombarder les rebelles, non ? »

De grandes baies vitrées faisaient entrer un doux soleil dans la salle du conseil. À l'extérieur, quelques zeppelins de la guilde volaient mollement. Ils servaient avant tout à transporter des marchandises sur de longue distance sans craindre les bandits du désert. Cependant, certains de ces géants d'hydrogène disposaient d'armes. La guilde des volants n'acceptait pas les automates et de ce fait, les risques de rébellion étaient réduits.

Von Peyne semblait gagner l'assentiment des autres conseillers. Malcraft avait envie de leur hurler qu'il se trompait. Ses collègues faisaient fausse route. Les révolutions qui s'étendaient tel un cancer en bas, ne s'arrêteraient pas aussi facilement. Le peuple désirait plus que tout la liberté et une considération trop longtemps absente des débats au conseil.

« Nous devrions céder, répondit Malcraft. Il faudrait écouter les ouvriers et céder sur certaines de leurs revendications. »

Un tonnerre de réprobation fut la seule réponse du conseil. Le frère du baron Edouard Fichten gardait le silence. Il sortit de sa gabardine une montre à gousset. Il tirait en même temps sur une pipe à tabac en envoyant des volutes de fumée dans l'atmosphère de la salle du conseil. Depuis le début de la réunion, il se contentait d'écouter les avis de chacun en se gardant bien d'intervenir.

Il y eut un flash de lumière à l'extérieur. Quelques secondes plus tard, il fut suivi par le fracas d'une explosion. Comme un seul homme, les conseillers se tournèrent vers la fenêtre. À quelques dizaines de kilomètres, le tronc de la cité-arbre d'Atlantis brulait. Une partie de ce dernier avait visiblement volé en éclat. Dans une lenteur presque irréelle, le haut de la cité pencha et l'arbre commença à se briser. Un zeppelin qui passait dans le coin fut éventré sous le poids de cette cité s'écroulant. Une nouvelle déflagration de flammes jaillit en léchant les nantis d'Atlantis.

Alors qu'un effroyable silence régnait dans la salle du conseil, la ville haute d'Atlantis chuta. Elle frappa les quartiers pauvres en faisant trembler la plaine. Le lustre en cristal de la salle du conseil tinta dans l'indifférence générale. Von Peyne lâcha le verre de brandy qu'il tenait. Les palais des nantis et les cloaques des pauvres furent l'un comme l'autre balayés sous le choc. Des explosions, des incendies et un chaos indescriptible suivirent la chute de la ville.

Difficile de reprendre la parole après la destruction de la cité jumelle d'Olympia. Combien de familles venaient-elles de se briser sous leurs yeux ? Une larme glissa sur le jeune visage de Malcraft. Ses pensées s'embrumaient, il faisait le décompte de ses amis de promotion affecté à Atlantis. Cette situation de crise aurait-elle pu être évitée ? Le conseil avait-il réellement pris conscience de la colère populaire ?

En observant les mines déconfites de ses collègues, Malcraft eut sa réponse. Personne ne s'attendait à ce genre de déchaînement de violence. Seul le frère cadet du baron semblait le moins choqué par la situation. Son visage n'affichait qu'une froide détermination. Il tenait toujours en main sa montre à gousset. Un frisson parcourut l'échine de Malcraft, une information capitale lui échappait. Les autres conseillers ne semblaient pas s'être aperçus de l'attitude de leur collègue.

Les regards d'Edouard Fichten et de Malcraft se croisèrent. Le noble accueillit l'expression interrogative du jeune conseiller par un sourire. Il se réjouissait de la destruction d'Atlantis.

Avant que Malcraft ne puisse prononcer le moindre mot, la lourde porte en métal de la salle du conseil s'ouvrit avec fracas. Une dizaine d'automates armés de fusils pénétrèrent dans la pièce.

Ils n'étaient que de grossières armures de métal aux traits grossiers. Leur machinerie cliquetait à l'intérieur de leur poitrine. Deux yeux rouges brillaient dans cette parodie d'apparence humaine. Ils braquaient leur fusil sur les conseillers. C'était un coup d'État.

« Qu'est-ce que... »

Von Peyne n'osa même pas finir sa phrase.

« Ne soyez pas surpris mon cher conseiller, annonça Édouard, vous saviez bien que tout ceci finirait bien par se produire un jour. Vous avez tous vécu dans une opulence scandaleuse. Vous pensiez que vos études et votre naissance vous donnent une supériorité sur ceux d'en bas que vous méprisez.

— Mon frère, qu'est-ce que cela signifie ?

— Eh bien, j'en ai assez d'être le second ! Notre ami Malcraft ici présent m'a involontairement donné l'idée de cette révolution. Depuis son arrivée, il n'a cessé de vous alerter sur les conditions de travail des gens d'en bas. Dans votre grande mansuétude, vous lui avez ri au nez. Alors que nos compatriotes demandaient des cadences moins infernales et un jour de congé par semaine, vous les avez traités de fainéants. La situation en serait presque risible. Des gens qui passent leur temps à discourir et qui traitent d'honnêtes travailleurs de tire-au-flanc. Mettre le feu aux poudres fut tellement facile. »

Malcraft déglutit. La situation ne le surprenait guère. Le mépris des nantis transpirait tellement de tous les pores de la cité haute qu'un renversement du paradigme était devenu certain depuis longtemps. Il n'espérait pas la fin de son monde, mais il l'attendait. Ses diverses propositions visaient à retarder son échéance. Il fallait reconnaître que l'entêtement du conseil avait précipité cette révolution.

« Vous êtes un traitre ! lança avec hargne Von Peyne.

— Non, vieux fou. Je suis un visionnaire. Je donnerais le pouvoir au peuple et ramènerai l'ordre dans la cité. Je serai le héros de la révolution. J'organiserai des élections et serai élu chef.

— Vous n'avez jamais présenté de dispositions à défendre les intérêts du peuple, lança Malcraft. Votre révolution repose sur un mensonge éhonté.

— Pauvre petit Malcraft ! Les automates sont sous mon contrôle et de ce fait je contrôle toute la cité. L'histoire est écrite par les vainqueurs ! Bon allez finissons-en. Mes amis tas de ferraille, massacrez ces traitres. »

Des dizaines de coups de feu éclatèrent. Dans un fracas assourdissant, l'atmosphère s'emplit de poudre et de sang. Les conseillers tombèrent un à un dans un sommeil éternel.

Seul Malcraft semblait avoir été épargné par les décharges de plomb. Édouard gisait dans une marée écarlate. Il avait une expression de surprise sur le visage. Un automate s'approcha du jeune conseiller.

Sa tête ronde en métal ne disposait pas de bouche. Cependant, une voix gutturale s'échappa de cet amas de boulons.

« Malcraft, vous êtes le seul à vous préoccuper de nos intérêts. Soyez des nôtres pour construire un meilleur futur. »

Alors que son cœur battait à tout rompre, Malcraft reprit son souffle. Les machines étaient-elles capables de penser par elles-mêmes ?

Il chassa cette question de son esprit. Il ne disposait guère de temps pour ce genre d'interrogation.

« Je suis votre homme. »

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