Assise sur son coin d'herbe préféré, elle observe la ville et son agitation ambiante. Ses yeux se perdent devant l'immensité des immeubles. Ses oreilles sont attirées par les sons des voitures qui roulent à fond sur les routes qui passent en dessous de la propriété. Pourtant, l'esprit de Joyce n'arrive pas à s'évader. Quand elle vient s'isoler ici, c'est surtout pour ne plus penser. Elle s'éloigne de sa famille pour oublier qu'ils lui font du mal tout en l'accusant d'être le problème. Cela fait des semaines qu'elle ne se sent pas bien. Elle a l'impression d'être rejetée par les personnes les plus importantes de sa vie. Souvent, on dit qu'on ne choisit pas sa famille. Sauf que ce n'est pas son cas. Joyce a choisi sa famille en prenant un jour la main tendue de Marco.

Joyce déteste sa famille biologique entre un père absent qui aurait préféré un garçon et une mère insatisfaite pour qui elle n'était jamais parfaite. Elle a fui quand elle a eu vingt et un, et assez d'argent pour se payer un aller simple dans un autre état. Pendant des années, elle a voyagé seule. De ville en ville, elle est allée, visitant et découvrant le monde, mais sans jamais se poser. Pourtant, elle s'est tout de suite sentie bien dans cette ville qui est maintenant la sienne depuis plusieurs années. Et elle a décidé de rester, trouvant un travail plus concret et louant un petit appartement alors qu'elle se contentait de camping jusqu'alors.

Et elle avait rencontré Marco. Cet homme charismatique qui en plus de lui avoir offert un boulot, lui a offert une famille. Joyce a rapidement compris que sa définition du mot famille était biaisée. Ses parents biologiques ne se sont jamais souciés de son bien-être, seulement des apparences. Et elle en paye le prix aujourd'hui car c'est sûrement son éducation trop rigide qui l'éloigne des personnes pour lesquelles elle sacrifierait tout. Sauf qu'elle se rend compte que l'inverse n'est pas forcément vrai. Il est normal de se disputer dans une famille, surtout qu'ils travaillent et vivent sur la même propriété. Des affinités se créent comme dans une vraie fratrie et Joyce n'est pas proche de tous de la même façon. Jamais elle n'ira se confier à certains alors qu'elle se laisse aller avec d'autres.

Que s'est-il passé par que cela change ? Est-elle vraiment jalouse comme on l'a accusée ? Est-elle vraiment si froide que cela ? Ce matin, une de ses sœurs lui a craché à la figure qu'elle était une enfant capricieuse qui refusait de s'ouvrir. Une enfant qui ne se rend pas compte de la chance qu'elle a d'avoir une famille qui la soutient et qui l'aime. Vraiment ? Parce que si sœur le voit comme cela, tout ce que voit Joyce, c'est qu'ils lui font du mal et qu'ils s'en moquent.

Le frère dont elle était le plus proche ne lui parle quasiment plus depuis qu'il a rencontré quelqu'un. Joyce n'est pas jalouse et a toujours souhaité le bonheur des personnes qu'elle aime, mais cela fait mal de voir son frère l'occulter et ne plus rien lui dire. Ce frère qui préfère maintenant se tourner vers leur sœur parce qu'elle a un jour osé émettre des réticences sur la femme qu'il aime. Est-ce de la jalousie ? Est-ce de la paranoïa ? Elle ne le sait pas et n'aura sûrement jamais la réponde.

En ce moment, Joyce encaisse beaucoup de reproches parce qu'elle ne parle pas assez, parce qu'elle est trop renfermée face aux nouvelles personnes qui rentrent dans leur famille. Mais personne ne veut comprendre qu'elle ne peut pas changer. Joyce ne veut pas devenir une personne hypocrite qui sourit et se force à parler d'elle à des inconnus. Elle déteste parler d'elle parce que Joyce, on lui a toujours appris à cacher ses pensées et ses maux pour ne pas paraître faible. Elle doit se sentir en confiance pour parler d'elle. Alors oui, elle veut bien parler de la pluie et du beau temps avec sa future belle-sœur, mais elle ne veut pas rentrer dans tous les détails de sa vie. Parce qu'il y a des choses que Joyce ne veut pas que les autres sachent.

Car il y a des choses que seul son mari sait. Ils n'auront jamais d'enfant, car elle ne peut pas en avoir. Elle ne veut pas prendre d'anti-douleurs parce qu'elle a en été dépendante et qu'elle ne veut pas retomber dedans. Jamais, elle se baignera dans la mer ou nagera dans la piscine de la propriété, car elle a vu sa cousine se noyer sans pouvoir rien faire.

Joyce est une femme peut-être trop fermée à qui la vie n'a pas fait de cadeaux. C'est une femme qui a du mal à s'ouvrir aux autres parce qu'elle ne veut pas paraître faible. Elle est une femme qui ne veut pas ressasser le passé et qui préfère se concentrer sur l'avenir.

Sauf qu'aujourd'hui, sa famille lui reproche son manque d'ouverture et elle ne sait pas comment gérer. Elle a envie de leur hurler dessus. Elle a essayé de dire à Marco qu'il lui fallait du temps pour se faire son avis et parler un peu plus. Sauf qu'il ne l'a pas écoutée et il n'a fait que lui envoyer un regard déçu. Comment gérer sa souffrance quand personne ne veut l'écouter ? La dernière fois qu'elle s'est confiée à un de ses frères, il a juste balancé à un autre. Oui, il croyait l'aider sauf qu'il devrait connaître Joyce. Il devrait savoir qu'il ne faut pas la force sinon elle s'isole encore plus.

Et c'est ce qu'elle fait depuis des jours. Elle parle moins, elle mange seule le midi et préfère prendre sa voiture plutôt que de devoir partager avec certains. Son mari s'inquiète, mais ne sait pas quoi faire. Il se contente de la serrer fort la nuit, éloignant les cauchemars.