Histoire courte VI | Brisée en plein vol

Cette histoire a été initialement écrite dans le cadre du concours de Lauwern, avec pour thème « Paralysé  ». 

Paralyzed - NF

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Lauren a toujours pensé connaître le désert, sûrement parce qu'elle est née au cœur de l'Arizona. Les décors rougeâtres et sableux n'ont aucun secret pour elle. Pourtant, ça lui manque. Le désert de sa maison lui manque. Ici, ce n'est pas pareil. Les plantes qui se plaisent dans les grains de sable ne sont pas les mêmes. Elle a l'habitude des cactus. Sauf qu'il n'y a aucun cactus à l'horizon dans ce désert africain. Et que dire des couleurs. Foutues couleurs trop pâles, trop jaunâtres. Elle déteste le sable beige. Elle préfère la couleur orangée de l'Arizona. Est-elle la seule à voir une différence ? Peut-être qu'elle hallucine. Il paraît que la chaleur peut provoquer des hallucinations. Pourtant, elle n'a pas si chaud. Oui, le souffle brûlant du vent caresse son visage et les grains de sable volants s'engouffrent dans ses poumons lui donnant l'impression d'étouffer. Mais elle a froid.

Lauren n'est pas stupide et sait pourquoi elle a froid. Terrence est mort. Cela fait déjà plusieurs jours et elle pense qu'elle ne s'en remettra jamais. La tristesse n'a pas quitté ses vaisseaux et ce n'est pas demain qu'elle le fera. Lauren l'a perdu. Il était tout pour elle. Elle n'arrive pas à imaginer sa vie sans lui. Dans quelques jours, elle sera rentrée en Arizona et elle devra faire face à tout le monde. Les membres de sa famille vont la serrer dans leurs bras, même si les débordements d'affection la mettent mal à l'aise. Et elle ne va pas supporter leur regard de pitié. Elle a perdu son fiancé et ils vont tous vouloir la réconforter. Qu'ils aillent au diable !

Pourtant, ça ne sera pas le plus dur. Oh non... Il y a la famille Terrence. Et Lauren sait déjà qu'elle n'est pas assez forte pour l'affronter. Elle peut gérer sa propre mère, mais pas sa belle-mère. Cette femme douce au regard bleuté qui lui prendra sûrement les mains, en essayant de ne pas pleurer pour paraître forte. Sauf que Lauren va craquer. Elle sait qu'elle n'arrivera pas à gérer sa tristesse et il n'y a pas que ça. Car même si la tristesse ronge son cœur, ce n'est pas ce qui empoisonne son esprit. D'abord, il y a cette colère tapie au fond de son être. Elle n'est pas très forte, mais elle est toujours là, comme si elle attendait son heure. La jeune femme est en colère contre tellement de choses. Le monde pour lui avoir pris Terrence. L'armée qui pleure ses hommes sans réellement le faire poussant ceux vivants à mettre leur tristesse de côté. Les ennemis des États-Unis pour avoir tué l'être à qui elle tenait le plus. Elle. Parce que voilà la réalité, la culpabilité est en train de noircir son âme. Elle s'en veut d'être aussi faible. Elle s'en veut d'avoir cru qu'elle pourrait exister aux yeux de son père. Elle s'en veut de ne plus réussir à regarder un hélicoptère.

La terre a toujours été son élément. Elle n'apprécie pas plus que ça l'eau. Lauren n'a jamais été une bonne nageuse. Enfin, elle se débrouille et puis son entraînement fait qu'elle est obligée de savoir nager, mais à choisir, elle préfère ne pas se mouiller. En Arizona, les piscines prennent souvent de la place dans les jardins. Celui de ses parents n'y échappe pas, un désir de sa mère, sûrement. Son père n'est pas du genre à se baigner et plonger pour s'amuser. Et elle a pris la mauvaise habitude de rester sur le bord, allongée sur un transat, à bronzer en écoutant de la musique. Ou alors, elle trempe seulement ses jambes, l'eau rafraîchissant seulement l'épiderme brûlant de ses chevilles. Et ne parlons pas du feu. Elle ne trouve pas d'intérêt aux bougies, cheminées et feux de camp.

Jusqu'à Terrence, la terre était son élément. Puis son fiancé, qui était simplement son collègue à ce moment-là, lui a fait découvrir l'air qui l'a prise au piège et ne veut plus la relâcher. Elle n'a toujours pas compris comment elle est tombée dans ses filets. Elle ne savait pas piloter jusqu'alors. Personne dans sa famille ne sait piloter. Et quand elle est rentrée dans l'armée, ce n'était pas quelque chose qui l'attirait. Piloter, ce n'était pas son rêve. Parce que c'est trop instable et elle n'aime pas ça. Sous son apparence confiante, Lauren aime le contrôle. Elle déteste quand des choses lui échappent. Ses parents ont sûrement déteint sur elle, son père surtout. Elle ne lui en veut pas. C'est un militaire avec des faits d'armes impressionnants et le rendre fier a toujours été un objectif. Et pour cela, il a toujours fallu qu'elle se maîtrise parfaitement. Malheureusement quand des enfants veulent rendre fiers leurs parents, ils deviennent souvent comme eux. Peut-être est-ce généralisé, mais Lauren est comme ça.

Au début, piloter, c'était une nouvelle façon d'attirer l'attention d'un père absent et bien trop fermé qui ne la félicitait jamais. Souvent, elle se demande si ça aurait été différent si elle avait été un garçon. Elle aurait été dans son ombre, mais pas autant, parce que dans l'armée, les hommes trouvent plus facilement leur place. C'est un monde d'hommes. Alors, elle a dû trouver autre chose pour se démarquer. Alors oui, au début, c'était simplement un moyen d'attirer le regard de son père. Sauf qu'il y a eu plus, elle y a pris goût. Jamais elle n'aurait pensé autant aimer ça. Elle dont l'eau n'est pas sa meilleure amie, n'aurait jamais cru que l'air puisse autant la fasciner. Elle a découvert cet élément et est devenue accro à ces sensations. Elle a l'impression d'être une autre personne dans les airs. C'est triste à dire, mais elle se sent plus libre là-haut.

Sauf que voilà, si Lauren est aujourd'hui rongée par la tristesse, un autre sentiment la cloue sur place. Il y a cette peur insidieuse qui lui colle à la peau. Cette foutue terreur qui la paralyse à chaque fois qu'elle voit ou entend un hélicoptère. Terrence n'est plus là et elle n'arrive plus à approcher un hélicoptère. Aujourd'hui, c'est avec un goût amer dans la bouche qu'elle observe le ciel. Un goût amer qui s'accompagne d'un mal de cœur. Pas physiquement. Physiquement, il paraît qu'elle va bien. Elle respire. Elle marche. Ses blessures se remettent doucement et elle sera rapatriée demain. Heureusement que ça ne se fait pas par hélicoptère. À cette simple pensée, elle a envie de vomir et elle se sentirait presque trembler. Elle n'a jamais ressenti cela physiquement. Lauren n'a jamais connu ce sentiment de faiblesse, et ça la perturbe bien plus qu'elle ne veut l'admettre.

Lauren s'en veut tellement. La jeune femme se déteste d'être paralysée de peur à chaque fois qu'elle entend le rotor d'un hélicoptère. Aujourd'hui, alors qu'elle scrute le désert, elle se sent tellement pétrifiée. Lauren n'arrivera pas à s'en remettre. Elle a perdu son fiancé et elle n'arrive pas à lui rendre honneur. La moindre vue d'un hélicoptère la glace et elle n'arrive même plus à s'imaginer piloter. Elle a l'impression de laisser partir Terrence encore une fois. Mais la vérité, c'est que piloter n'a plus de saveur et surtout, elle n'arrive plus à croire qu'elle sait piloter. Parce que sans lui, elle ne sait pas. Lauren craint trop de voler de ses propres ailes.

Elle observe la base militaire d'un regard vide. Il l'a laissée toute seule parce qu'elle a beau être entourée de dizaines de militaires comme elle, elle n'a jamais eu autant l'impression d'être abandonnée. Pourtant, elle ne devrait rien montrer. Au fil des années, elle s'est blindée, construisant un mur entre son cerveau et ses émotions. Elle ne devrait pas se laisser guider par la tristesse et surtout par la peur. Cependant son fiancé est mort et elle ne sait pas comment faire pour aller mieux. Lauren ne peut parler à personne. Ici, dans ce désert, elle n'a pas d'amis. Et il est hors de question qu'elle approche son père. De toute façon, ce dernier ne lui a jamais réellement montré de l'affection et ce n'est pas maintenant qu'il va commencer.

C'est trop pour elle. Son père avait sûrement raison. Elle n'est pas faite pour être militaire. Elle n'était pas faite pour aimer l'air. Maintenant plus rien de compte à part rentrer et fuir l'Arizona. Elle sait déjà qu'elle n'assistera pas à l'enterrement de Terrence et à la cérémonie en son hommage. Elle ne veut pas pleurer devant des centaines de personnes. Elle ne veut pas sentir la main de la mère de Terrence serrer la sienne en guise de réconfort. Elle n'a pas envie d'entendre qu'elle doit continuer de piloter en son hommage.

C'est trop pour elle, trop pour une seule femme. Lauren, elle est seulement humaine et elle s'en aperçoit aujourd'hui. Le retour à la réalité, il fait plutôt mal. 

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