Histoire courte IV | Je t'ai manqué ?
— Tu sais Gwendoline, je pense que ça te ferait du bien de rencontrer quelqu'un.
La jeune femme lance un regard exaspéré à sa collègue. Le passe-temps favori de cette dernière, est de caser les gens. Ce n'est pas architecte qu'elle devrait être, mais marieuse. En réalité, Amélia doit reconnaître qu'elle est souvent impressionnée par sa collègue qui semble avoir le don de Cupidon. Pourtant, elle déteste quand ça la touche. Depuis deux mois, elle est la nouvelle cible de sa collègue. Celle-ci n'a toujours pas compris que la jeune femme ne veut rencontrer personne.
— Patricia, s'il te plaît. Je n'ai pas envie.
La dite Patricia soupire et Amélia a juste envie de fuir. Elle ne veut pas parler de ça. Les rencontres, les hommes, l'amour, ce n'est pas pour elle. Elle a trop donné et a assez souffert. Elle sait bien que tous les hommes ne sont pas comme son ex petit-ami. La majorité des hommes ne veut pas faire de mal. Cependant, elle ne peut pas oublier. Elle est traumatisée et elle le restera. Peu importe les dires de sa psychologue, elle sait qu'elle n'ira pas mieux.
— Je ne comprends pas. T'es gentille, mignonne et sacrément intelligente. T'as tout pour toi, alors c'est quoi le problème ?
Amélia détourne le regard. Patricia n'a pas tort. Elle est appréciée de tous ses collègues. Elle est assez belle pour se faire draguer quand elle sort avec ses amis. Et concernant son intelligence, ce n'est pas à elle d'en juger, mais elle n'aurait pas ce travail si elle était si idiote. Pourtant, il y a un problème. Il y a Lui.
Son cœur se serre et elle chasse les souvenirs. Ils doivent rester enfermés. La plupart du temps, elle arrive à faire abstraction d'eux. Mais quand un homme s'approche, ils refont surface. Ils sont indélébiles et savent très bien se rappeler à elle.
— Rien, c'est juste que... Écoute, j'ai besoin de personne dans ma vie. Je suis très bien comme ça.
— Tu n'es pas marrante.
Oui, Amélia le sait. Elle esquisse un faible sourire à sa collègue avant de la quitter. À chaque fois, c'est la même chose. Elle se sent obligée d'écourter la conversation. Dès qu'elle sent ses mains trembler, elle fuit. Ça fait déjà six ans et elle a toujours les mêmes réactions. Elle entre dans son bureau et ferme la porte. Elle s'adosse à cette dernière et souffle doucement. Elle doit se reprendre.
***
Amélia ne sait pas pourquoi elle a accepté. Elle n'aurait jamais dû dire oui à Patricia. Et elle n'aurait jamais dû écouter sa stupide psychologue. Pourtant, elle est là, dans ce café. Un homme plus que charmant lui fait face. Il la fait rire. Ça fait longtemps que ça ne lui était pas arrivé. Mais il a réussi. C'est un exploit, même s'il ne le sait pas. Evidemment, avec ses amis, elle sait rire. Mais avec un homme, c'est différent. Parce que la dernière fois qu'un homme qui lui plaisait l'a fait rire, il l'a détruite.
Elle se méfie de tous les hommes depuis Lui. Et même si l'homme en fait d'elle a l'air bon, elle ne lui fait pas confiance. Elle ne le connaît pas. On ne connaît jamais vraiment les gens. La dernière fois qu'elle a fait confiance a un homme, il l'a brisée.
Son ex, ce n'était pas quelqu'un de gentil. Enfin si, au début. Jusqu'à leur rupture, Amélia croyait que c'était un homme gentil et aimant. C'était un homme qui la faisait sourire, qui lui offrait des bouquets de fleurs et qui l'emmenait toujours au cinéma pour voir le dernier film d'horreur, même s'il détestait ce genre. En réalité, elle ne le connaissait pas du tout.
L'homme en face d'elle lui sourit en se levant.
— C'était sympa. La prochaine fois, je te paie plus qu'un café.
Pendant quelques secondes, elle le fixe sans rien dire. Ses pensées s'affolent. Elle ne veut pas le revoir. Pourtant, il est sympa. Elle a envie d'un second rendez-vous. Cependant, elle ne sait rien de lui. Elle ne doit pas accepter. Mais Patricia ne lui aurait jamais arrangé un rendez-vous avec un connard.
Son rencard la scrute, soudainement déçu. Il semble croire qu'elle va refuser. Et jusqu'à la dernière seconde, elle aussi. Pourtant, ce n'est pas cette réponse qui sort de sa bouche.
— J'adorerais.
Le sourire radieux de l'homme est contagieux. Amélia esquisse un sourire qui n'atteint pourtant pas ses yeux. Elle sait comment va finir sa soirée. Elle va rentrer chez elle et directement aller s'allonger. Elle ne mangera pas ce soir. Elle va passer sa nuit, recroquevillée en position fœtale. Elle se maudira d'avoir accepté un second rendez-vous. Elle pleurera sûrement. Et deux parts d'elle s'affronteront.
Une sera ravie de rencontrer une nouvelle fois cet homme. Il est souriant, gentil et il a de l'humour. Il a tout pour plaire et surtout, il adore les films d'horreur, comme elle. Ils ont des points communs et ça fait plaisir. Ça fait longtemps qu'Amélia n'a pas rencontré quelqu'un comme lui. Une personne qui veut prendre son temps. Un homme qui lui a simplement proposé comme premier rendez-vous, de prendre un café en plein après-midi.
Et il y aura l'autre part d'elle, celle plus farouche. Cette part totalement terrorisée qui ne comprendra pas pourquoi elle a accepté. Après tout, les hommes sont pareils. Il va lui faire du mal. Et elle est fatiguée de souffrir. Elle est abîmée et cet homme ne pourra pas supporter. Il ne comprendra pas. Il voudra aller trop vite et elle, elle ne saura rien faire d'autre que fuir.
***
Troisième rendez-vous et Amélia n'a pas fui. Elle a accepté de le revoir. Elle l'apprécie et a envie de continuer à le fréquenter. Mais il faut qu'elle le prévienne. Elle n'est pas comme toutes les autres femmes.
Ils sortent du restaurant et Amélia se stoppe devant sa voiture. Elle doit lui parler maintenant. Elle doit l'arrêter avant qu'il ne tente quelque chose. Il a sûrement envie de l'embrasser, mais elle n'en est pas capable. Elle se tourne vers lui, les yeux fixant le sol. Elle est incapable de soutenir son regard.
— Il faut que... je te dise quelque chose.
Amélia lève les yeux quelques secondes. Jules a les sourcils froncés.
— Qu'est-ce qu'il y a ? Quelque chose ne va pas ?
— Je... Avant qu'on... qu'on aille plus loin... je...
Mentalement, la jeune femme s'insulte. Elle n'est même pas capable d'aligner deux mots. En face d'elle, Jules est de plus en plus inquiet, mais il ne dit rien. Elle sait qu'elle ne va pas le rassurer.
— Je... Ça fait longtemps que je n'ai pas rencontré quelqu'un. Et je... Il va falloir que tu sois patient avec moi.
Elle a connu peu d'hommes dans sa vie. Il y a eu son premier amour, au lycée et puis Lui. Et ces deux histoires se sont mal finies. La première, parce que c'était la première, justement. Et la deuxième parce que son ex avait fait de sa vie un cauchemar.
Cela faisait un an qu'ils étaient ensemble et son amour pour lui avait fini par se transformer. C'était toujours aussi doux et tendre, mais elle ne l'aimait plus. Amélia avait de l'affection pour lui, mais ce n'était plus de l'amour. Et il ne l'avait pas supporté. La rupture avait été violente et elle n'aurait jamais pensé que ça finirait comme ça. Deux semaines après, elle avait reçu la première lettre. Il lui en envoyait plusieurs par semaine. Au début, c'étaient des lettres de tristesse. Il lui écrivait qu'il était malheureux et il voulait qu'elle revienne. Puis ces mots avaient changé. Il s'était fait menaçant. Il lui disait qu'il la tuerait si elle continuait à l'ignorer. Elle n'avait pas cédé et il avait commencé à lui suivre. Les premières fois, elle ne s'était rendue compte de rien. Elle croyait qu'il avait lâché l'affaire parce qu'elle ne recevait plus de lettres. Mais non, il était passé à un autre niveau. Il la suivait, d'abord en cachette, puis il venait lui parler. Elle avait fini par porté plainte. Elle pensait le cauchemar fini grâce à l'injection d'éloignement, mais ça s'était aggravé. Elle recevait de nouveau des lettres. Il lui disait qu'elle était à lui. Elle n'avait pas le droit de le quitter, de l'effacer. Elle l'aimait et il fallait juste qu'elle s'en rende compte. Et avec des lettres, elle recevait des photos d'elle. Il prenait des photographies d'elle et elle ne pouvait rien prouver.
Alors, elle avait déménagé. Elle avait changé de ville et de boulot. Mais est-ce que ça suffisait ? Elle avait été naïve de le croire.
Un jour, elle avait reçu une clé USB. En voyant ce qu'il y avait dessus, elle s'était évanouie. On croit que ça n'existe que dans les films. On croit que les harceleurs ne sont jamais aussi tarés dans la vraie vie. Et Amélia croyait qu'elle était en sécurité dans son appartement. Jusqu'à cette lettre. Jusqu'à ce qu'elle découvre des vidéos d'elle. Il avait trouvé sa nouvelle adresse. Il la filmait. Il s'était introduit dans son appartement et avait placé des caméras. Il l'épiait, observait ses moindres faits et gestes. Il l'espionnait et elle ne s'en était jamais rendue compte.
Est-ce que la police avait fait quelque chose ? Amélia leur avait parlé de son ex-petit-ami. La police avait enquêté, mais n'avait jamais réussi à prouver quoi que ce soit. C'était elle la victime et c'est elle qui en paie encore le prix aujourd'hui.
Pourtant, quand elle voit Jules, elle ne pense pas qu'à Lui. Les souvenirs sont toujours, à la surface, mais le sourire et la bienveillance de l'homme les relèguent dans un coin du cerveau d'Amélia. Jules ne l'a pas rejetée. Il veut bien qu'il prenne leur temps. Elle doit lui donner une chance. Elle mettra sûrement longtemps à lui faire confiance, mais elle finira par y arriver. Elle doit croire en elle. Elle a envie de croire que les bons moments avec Jules remplaceront les mauvais souvenirs. Elle rêve que ses nuits ne soient plus hantées. Elle rêve des bras de Jules qui chassent les cauchemars. Oui, peut-être que l'amour est encore pour elle, peut-être qu'elle le mérite aussi.
— Tout ce que tu veux Gwen. Je t'attendrai.
Et quand Jules la fixe avec son regard pétillant, l'espoir renaît.
***
La porte du hall d'entrée s'ouvre avant qu'Amélia ait eu le temps de taper le digicode. Elle sourit en reconnaissant un de ses voisins.
— Salut Gwen ! Désolé, je suis pressé, mais on se voit toujours ce soir chez Jeanne ?
— Oui, dix-neuf heures, c'est toujours ça ?
Son voisin acquiesce et s'en va d'un pas rapide. Il doit encore être en retard. Amélia ne sait pas comment il fait, mais il est toujours en retard. C'est impressionnant et désespérant à la fois. La jeune femme secoue la tête en souriant et entre dans l'immeuble. Ça fait six ans qu'elle habite ici. Six longues années qu'elle s'appelle Gwendoline. Personne ne connaît sa véritable identité et elle s'y est faite. Parfois, elle s'en veut de mentir à ses voisins qui sont devenus ses amis. Et depuis trois mois, elle s'en veut de mentir à Jules. Il ne sait pas toute l'histoire sur son ex et il sait encore moins qu'elle a changé d'identité. Encore aujourd'hui, elle a peur.
Elle sait qu'elle n'a pas le choix et elle est quand même heureuse. Elle adore son appartement, petit mais confortable. Et ses voisins sont de vraies perles. La brune n'a jamais eu de problème ici. Au début, elle n'a pas été vraiment sympa avec eux. Elle était assez distante et ne venait jamais aux repas entre voisins. Mais au fil des années, elle a appris à les connaître et ils lui sont indispensables. Et Jules est parfait avec elle. Il comprend son besoin d'espace et ses secrets. Evidemment, il a des défauts et elle ne lui fait pas encore totalement confiance, mais elle l'apprécie de plus en plus. Il l'aide à se reconstruire et elle est heureuse qu'il fasse partie de sa vie. Elle ne remerciera jamais assez Patricia pour ce rendez-vous arrangé.
Elle attrape la clé de sa boite aux lettres et ouvre cette dernière. Elle grimace en prenant le courrier. Sa facture d'eau est arrivée. Pas cool. Elle referme la boîte. Il n'y en a pas beaucoup. C'est un petit immeuble de deux étages et il y a peu d'appartements. Tout le monde se connaît. Il y a peu de déménagement. Personne ne veut quitter ce petit coin de tranquillité. Elle ne s'est jamais disputée avec personne. Amélia se sait chanceuse. Combien de fois a-t-elle entendu ses collègues se plaindre du bruit ?!
Ses sourcils se froncent soudainement. Elle a reçu une lettre. Une lettre au nom d'Amélia. Personne ne sait qu'elle habite ici. Ni sa famille, ni ses anciens amis. Ça fait des années qu'elle n'a pas parlé à ses parents et à ses cousins. Et elle a coupé les ponts avec tous ses amis. Puis elle reconnaît cette écriture. Cette écriture un peu ronde. Ce n'est pas possible. Sa respiration commence à s'accélérer. Les battements de son cœur se font plus rapides au fur et à mesure que la peur s'infiltre dans son sang. Elle sent les pulsations dans sa tête. Plus rien ne compte. Elle ne sait même plus où elle se trouve. Ses yeux ne quittent pas l'écriture. Son écriture qu'elle reconnaît entre mille. Elle ne pourra jamais l'oublier.
Pendant quelques secondes, elle essaie de nier. Non, ce n'est pas lui. Il ne sait pas où elle habite. Il ne connaît pas sa nouvelle identité. Comment aurait-il pu la retrouver ? Mais la terreur ne lui laisse aucun répit. Son cerveau, sa mémoire, savent que c'est lui. Elle lâche tout. La facture d'eau s'échoue en silence par terre. Son trousseau de clé tombe dans un bruit mat. Et le contenu de son sac s'étale au sol. Mais elle n'entend rien, elle ne voit rien.
Elle retourne l'enveloppe. C'est toujours le même papier. Sa peau se rappelle son grain. Il n'a pas changé de marque d'enveloppe. Et ça fait remonter tant de souvenirs. Elle a l'impression de suffoquer. Sa respiration hachée résonne dans le hall d'entrée. Mais tout ce qu'elle entend, ce sont les battements affolés de son cœur. Tout ce qu'elle voit, c'est cette lettre à l'écriture si reconnaissable. Elle décachette l'enveloppe, mais elle a du mal. Ses mains tremblent trop. En fait, c'est tout son corps qui tremble. Elle tire un simple bout de papier.
Pendant quelques instants, elle ne voit plus. Un voile noir s'est imposé. Elle s'effondre au sol, comme une poupée de chiffon. Ses jambes ne supportent plus son poids. Et les larmes font leur apparition quand elle lit le mot. Elle a l'impression de connaître cette encre. Il a tracé cette phrase avec son stylo plume favori, celui que son père lui a offert pour son diplôme.
Elle n'arrive plus à respirer. La terreur prend le pas sur tout. Elle ne sait pas ce qu'il se passe ensuite parce que tout ce qu'elle voit, c'est cette phrase.
Bonjour Amélia, je t'ai manqué ?
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