Mortels Immortels


Au pays du Ki les lois sont strictes.

Nulle ne peut penser librement, nulle ne peut choisir, nulle ne peut être heureux. Il faut travailler, travailler et travailler encore et encore. Dès l'enfance jusqu'à la mort, du lever au coucher du soleil. Il faut produire toujours plus, pour que le pays soit le plus rayonnant possible Pour que leur souverain ait enfin un royaume à leur glorieuse image.

On ne peut pas s'amuser au pays du Ki, sauf quand les souverains le décident. On ne peut pas se reposer au pays du Ki, sauf quand les souverains dorment aussi. On ne peut rien posséder au pays du Ki, tout appartient aux souverains.

De glorieux souverains il est vrai, si riches qu'ils peuvent porter des vêtements cousus d'or et de pierre précieuses, si beaux puisqu'ils sont si bien choyés, si impressionnant puisqu'ils ont tous droit sur chacun de leur sujets, si menacés puisqu'ils ils ont de si stricts souverains. Alors pour éviter qu'il ne leur arrive malheur, ils vivent seuls dans leur sublime palais si grandiose aux côtés des minables huttes de leurs sujets, et quand les ministres venaient, quand ils paradaient parmi leurs sujets nul n'avait droit de regarder autre chose qu'eux, de leur adresser la parole, et règle suprême nul ne pouvait les toucher. Pas même les serviteurs. Après tout ils étaient presque l'égal des dieux, décidant qui pouvait vivre ou mourir, honorés de tous, auréolés de gloire et richesse. Et quiconque enfreignait cette règle était mis à mort avec un plaisir pas même dissimulé.

Un jour d'été particulièrement chaud, autour du lac Iksandril des femmes lavaient, frottaient, récuraient, le linge et la vaisselle d'une troupe de soldat qui s'entrainait, courrait, sautait derrière elles, en plein soleil. Ce jour-là la reine Dounia, vêtue de nombreux jupons d'or et d'une robe de fil d'argent ornée des plus magnifiques pierres précieuses sortit sur la calèche faire le tour du lac pour prendre un peu l'air. Les travailleurs levèrent le regard tout en continuant leur activités et le général, songeant qu'il serait trop dangereux de se battre les yeux fixés sur la reine, ordonna à ses hommes de se mettre en bataillon, au garde à vous, près à obéir au moindre de ses ordres.

Alors tout à chacun virent les cheveux trottait fièrement au bord de l'eau, puis une roue de la calèche se briser, cette dernière se renverser et jeter dans le lac la souveraine. Ils étaient presque une cinquantaine à la regarder. Elle s'enfonçait, incapable de nager avec le poids de ses vêtements, elle se débattait, hurlait à l'aide mais en vain, le combat se perdait de plus en plus à chaque minute, et chacun continuait de travailler, le regard fixé sur elle, sans bouger le moindre doigt pour la sauver. Aucun ne voulait risquer le crime suprême, aucun ne voulait risquer la mort pour lui sauver la vie et chacun se délectait au fond de lui la situation. La reine s'enfonça sous l'eau, elle ressortit la tête une première fois quelques secondes avant de disparaitre à nouveau. Enfin celle qui les martyrisait tant payait pour ses crimes. Elle sortit la tête de l'eau une seconde fois, avant de nouveau s'enfoncer dans les flots. Il y eu bien une jeune fille, un jeune soldat, quelques-uns, qui songeaient qu'il faudrait la sauver, mais ils n'osaient pas bouger, pas toucher ce qu'on leur avait proscrit de toucher toute leur vie. Une troisième fois sa tête ressortie, avant de disparaitre. Elle était hideuse, à bout de souffle, trempée, et le spectacle qu'il n'avait pas le droit de ne pas regarder devenait malaisant, voir insupportable pour beaucoup, mais n'incita personne à bouger. Elle ne réapparut pas cette fois. Et au bout de quelques minutes, où le silence régnait en maître malfaisant, chacun baissa de nouveau le regard vers sa tâche. Il n'y avait plus de reine à regarder. Il n'y avait plus de reine du tout.

Le roi Ivor était désormais seul en son palais. Un ministre lui avait annoncé la terrible tragédie, droit dans les yeux. Et parce qu'on le fixait si intensément du regard il n'eut pu verser les larmes qui hurlaient dans son cœur. La rage se saisit alors de lui :

— Personne n'a donc rien fait ? Il devait bien y avoir du monde ?

Le ministre, qui haïssait ses souverains si cruels lui aussi, contint bien sa joie quand il annonça :

— Cinquante-sept personnes Votre Majesté, des soldats en exercice et des femmes qui nettoyaient. Seulement la loi ne les autorise pas à poser la main sur la reine Majesté. Ils avaient trop peur d'être exécutés. Après tout vous nous êtes supérieurs.

Dans un hurlement de rage le désormais unique souverain du royaume de Ki se leva et déclara :

— Tout à fait ! Alors qu'on les exécute pour avoir fait passer leur vie avant celle de leur reine, avant celle du royaume !

Le ministre s'inclina et devant la fureur de son souverain déguerpit au plus vite. Le roi Ivor se retrouva seul, profondément seul, et malheureux comme il ne l'avait jamais été. S'ils ne s'étaient pas pris pour des dieux, son unique compagne serait toujours à ses côtés. Et peut-être la fatalité n'aurait pas eu besoin de leur rappeler qu'ils n'étaient eux aussi que des mortels.


Bien que totalement fictionnelle, cette histoire m'a été inspiré par une information que j'avais vu il y a un moment (et du coût la suite sera très flou) ou dans un pays d'Asie je crois, il y a un moment (des disaines d'années ? Quelques siècles) une reine s'était noyés sous les yeux d'une centaine de ses sujets qui n'étaient pas intervenus car la loi leur interdisait sous peine de mort de la toucher. De cette anecdote est né ce texte que j'espère vous avez aimé.

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