La symphonie de la forêt

Ce texte a été écrit dans le cadre du concours Plumes Doubles sur le compte de PlumesDoubles. Comme le nom le laisse entendre il a été écrit en collaboration avec CallMeGatiss  sur le thème symphonie. Je vous laisse deviner quels parties sont de moi et lesquelles ne le sont pas. 




Ouverture



La forêt était silencieuse ce jour-là. Tout du moins pour qui ne sait pas écouter.

Le calme régnait en cet après-midi ensoleillé de printemps, les arbres projetaient leurs ombres sur le sol, le soleil s'infiltrait entre les feuilles, un vent léger créait un peu de fraicheur, tandis qu'un ruisseau coulait paresseusement et que la vie grouillait partout, entre les arbres, sur les branches et jusque dans la terre elle-même.

Puis ce calme apparent fut troublé par le pas de deux personnes. Des pas légers qui démontraient que ceux qui marchaient ainsi étaient des plus enjoués. Ils s'enfoncèrent dans la forêt en bavardant joyeusement, un père qui tenait dans sa main celle de son petit garçon de neuf ans. L'homme s'arrêtait régulièrement pour montrer à son enfant un oiseau, la forme particulière d'un tronc, une fleur à la beauté éclatante, des petits insectes qui fuyaient devant eux.

Ils ne parlaient pas vraiment, juste par signes, comme pour respecter le silence qui les entourait.

Enfin ils trouvèrent un coin magnifique, avec la rivière qui coulait en arrière-plan, le soleil qui s'infiltrait à leurs pieds écrasant l'herbe verte, les arbres qui se penchaient au-dessus d'eux.

Ils s'installèrent sur un vieux tronc couché et le père poussa un soupir de soulagement avant de faire dire à ses mains :

— C'est quand même mieux que la ville non ?

Le petit garçon haussa les épaules, mais son sourire et ses yeux brillants dénotaient bien son accord. L'homme se leva avec un visage apaisé. Il semblait prendre plaisir à être là.

— C'est un endroit vraiment magnifique tu sais ! continua-t-il en jetant un coup d'œil à son fils. Et vraiment très calme. D'ailleurs la plupart des gens diraient que c'est silencieux.

L'enfant le regarda avec des yeux des plus intéressés. Le silence il connaissait. Il ne connaissait plus que ça d'ailleurs.

— Mais en réalité, pour qui sait entendre, la forêt joue une symphonie d'une grande beauté.

— Il faut pouvoir écouter pour ça ! déclara l'enfant en haussant de nouveau les épaules pour tenter de faire passer sa détresse pour un air blasé.

— Laisse-moi te raconter, alors tu entendras, pas avec tes oreilles mais avec ton cœur et ton imagination.

Ainsi le père commença sa description en tendant ses deux mains devant lui comme les pinceaux d'un peintre, un sourire aux lèvres, sous le regard captivé de son fils. Et les arbres au-dessus aussi s'étaient comme penchés vers eux pour à leur tour entendre et surtout lire dans les mouvements des mains les bruits de la forêt.



1er mouvement


Tu vois, cette forêt, c'est comme un orchestre. Un immense orchestre prestigieux qui rassemble les meilleurs instrumentistes du pays. Chacun s'est installé à sa place, et tous n'attendent que le mouvement de poignet d'un chef invisible pour commencer à jouer. Si tu tends l'oreille, déjà tu les entends s'accorder, s'apprivoiser pour ne former plus qu'un, une seule mélodie qui raisonne dans tout ton corps.

Il y a les arbres, déployés, qui commencent le morceau avec des sons très doux, des sons de paix qui grandissent au fur et à mesure que tu les écoutes.

Il y a la rivière qui entre dans la danse, emporte la musique dans un clapotis léger et capture ton attention.

Il y a le vent qui arrive soudainement, dans un crescendo merveilleux, il semble avaler tous les sons pour les rendre encore plus puissants et contrôle la musique, lui donne une note un peu dramatique pour te submerger d'émotions.

Il y a les animaux, pour finir ce merveilleux mouvement, qui jappent, croassent, miaulent, couinent, tous à leur manière ils chantent, et forment un chœur des plus harmonieux.

Et ils s'enchaînent, s'accompagnent, se donnent le ton, par moment untel prend le thème, par moment c'est celui-là.

— Mais moi Papa, je n'entends rien !

— Ne t'inquiète pas, si la musique ne t'a pas encore emporté, elle le fera quand nous nous pencherons sur les différents instruments.




2ème mouvement

Observe les branches d'arbres qui oscillent doucement, les fleurs à nos pieds qui semblent danser, les feuillent qui volent lentement en tourbillonnant. Sens-tu sur ta joue ce souffle frais qui passe et s'infiltre dans ton col ? Ce froid qui glace petit à petit tes mains et qui m'a fait te demander de mettre ta veste dès que nous avons quitté la voiture ? Et ces innombrables doigts qui passent dans ta chevelure comme une caresse, décoiffant tes cheveux au passage ? C'est le vent. Et le vent, même aussi léger qu'aujourd'hui, chante lui aussi à sa manière.

Parfois il ne fait que murmurer, un son très discret et doux comme une respiration. D'autre fois il se fait plus fort et gronde comme une vague qui se jette sur le rivage encore et encore, dans un cycle constant. Et d'autres fois également il tonne et hurle, tu l'entends qui crie et pleure comme s'il était la voix de la terre qui souffre.

Oui le vent ne fais pas que chanter il crie et parle aussi. Parfois ce n'est qu'un chuchotis, parfois ce sont des hurlements, et même parfois il tousse. Quand tu l'écoutes tu pourrais croire qu'il tente de te conter une histoire douloureuse.

Parce que le vent a de la peine.

Oui tu le sens, même quand il est doux et discret, que ce n'est qu'une petite brise, il n'a rien de joyeux, il n'y a en lui qu'une détresse immense qu'il te souffle dans l'oreille, puis dans une autre, qui repart et revient.

Car vois-tu le vent c'est comme une danse, ça tourbillonne ; comme une danse qui entraîne ton corps en rythme soulevant tes pieds, ça entraîne les pétales de fleurs et les feuilles en les faisant tourner ; comme la danse il emporte dans son sillage les cheveux longs et tes vêtements, puisque lui aussi soulève les jupes des dames.

C'est aussi un excellent chef d'orchestre. Il fait bruisser les feuilles qu'il emporte du bout de sa baguette, grincer les branches des arbres qui se plie à ses directives et guide le chant des oiseaux jusqu'à nos oreilles.

C'est tout ça le bruit du vent. Un chant tragique, à la voix douce parfois, fracassante à d'autres, qui t'emporte et te fais planer, qui virevolte sans cesse.

— Mais moi, Papa, je n'entends rien !

— C'est normal, je suis encore au tout début. Bon, écoute-moi bien...




3ème mouvement

Parlons maintenant de la rivière. Tu l'as toujours adoré, n'est-ce pas ? Tout chez elle te rappelle ta maman. Sa manière de couler avec allégresse, éternellement, sa surface qui fait des vagues d'un ton calme pour le plaisir des yeux, le câlin rafraîchissant qu'elle semble te faire quand tu mets ton pied dedans, son odeur simple mais reposante. Elle a tout de la douceur de ta tendre mère, mais aujourd'hui je veux te parler de ce que tu ne connais pas chez elle : son son.

Cette rivière a au début un son très calme, comme une berceuse, un son qu'on peut attraper en route et suivre infiniment. Ce son, c'est celui des petites bulles d'air qui éclatent à la surface, clac, et qui se reforment à un autre endroit instantanément. C'est celui des branches d'arbres qui l'effleurent et la font vibrer, laissant quelques gouttes d'eau s'échapper et retomber sur le sol dans un petit bruit très net. C'est également celui des pierres qui s'entrechoquent au fond, pas facile à entendre, il faut vraiment se rapprocher et faire silence pour qu'il parvienne à nos oreilles. Ce n'est pas forcément le bruit qui d'apparence semble le plus beau, mais lorsqu'il se mêle aux autres il donne à la musique un charme tout particulier.

Mais ces sonorités si douces peuvent changer dans certains cas particuliers. Par exemple, lorsque son lit prend une forme plus abrupte, elle se cabre, probablement a-t-elle peur, et soudainement elle tombe en cascade, gronde, hurle comme un enfant en plein dans un cauchemar effrayant. Ou alors lorsqu'un animal ou un humain, attiré par son clapotis accueillant, décide de piquer une tête. Elle essaye alors de s'écarter, mais l'être vivant en tombant fend sa surface en un bruit brutal. Peut-être cela lui fait-il mal ? Personne ne le sait. En tout cas, maintenant, tu connais le bruit de cette chose si belle qui traverse la forêt.

— Mais non Papa, moi je n'entends rien !

— Patience, patience... ça viendra.





4ème mouvement 

Il y a une autre musique sur laquelle il est temps que l'on s'attarde, celle de la nature même, celle des plantes. Eux c'est une musique particulière qu'ils produisent, ils ont besoin d'un petit coup de pouce pour commencer.

Regarde cette herbe verte, un vert sombre, sous elle tu peux entrapercevoir la terre brune un peu humide. Elle est maintenant silencieuse, mais pose ton pied dessus et elle te jouera un morceau, un peu humide parfois, qui donnera un son de succion. Et cette herbe verte dont je t'ai parlé, sous la caresse du vent elle ne fait pas que danser, elle bruisse un peu, un agréable bruit de frottement qu'il est très difficile d'apercevoir.

Tu vois ces feuilles qui jonchent le sol ? Elles crissent sous tes pas, semblent être mille voix qui murmurent ensemble. Et regarde les branches d'où elles proviennent, là sous ces feuillent vertes, sur ces arbres noueux. Imagine leur couinement quand un oiseau se pose sur elles, ou que le vent les fait plier. Parfois si le vent est trop fort il les arrache et les jette à terre. Alors elles craquent sous nos pas dans un petit bruit de claquement délicieux.

Alors oui c'est tout ça les végétaux, des petits bruits que toi et moi on peut engendrer, des craquements et des bruissements que le vent provoque. Entends les tous jouer de leur mélodie ensemble.

— Mais enfin Papa, moi je n'entends rien !

— Laisse moi te raconter la musique, et je te promets, tu entendras. 




5ème mouvement

À plumes, à poils ou à nageoires...Courant, nageant ou volant ... Câlins ou craintifs, doux ou agressifs... Tu l'as compris, il est temps de s'attarder sur les animaux de notre bien-aimée forêt. Ils sont tous d'apparence physique bien différente, certains extrêmement mignons, d'autres je dois l'avouer un peu plus repoussants. Ils portent pour la plupart l'odeur ambrée du bois, celle plus brute de la terre et celle sucrée des fruits, voire celle maritime de la rivière, qui témoigne de l'endroit où ils vivent. Et ils forment à eux tous une merveilleuse musique, mais tendons un peu l'oreille et repérons chaque famille.

Il y a d'abord les oiseaux, qui d'un jour à l'autre, selon leur humeur, peuvent se montrer plus ou moins bruyants. Aujourd'hui, nous avons de la chance : tout heureux du début du printemps, ils nous offrent avec joie leurs mélodies. Et si tu te concentres, tu te rendras compte que chacune des notes racontent une histoire. Écoute ces tous petits piaillements de merle, aigus et nombreux. Ce sont des oisillons qui viennent de naître, juste au dessus de toi. En se posant sur l'arbre avec un bruit infime et rapide, leur mère vient leur apporter de la nourriture. À quelques mètres de là, sur un arbre, deux pies roucoulent tendrement. Ce sont deux amoureux profitant de la saison des amours, en se contant tendresse et désir.

Il y a ensuite tous les animaux terrestres, qui foulent le sol de leurs pattes, avec un bruit plus ou moins puissant en fonction de leurs tailles. Ils ne s'imposent pas tous de la même manière, par exemple les lapins sont très discrets, à peine si ce sont des petits couinements, quasiment imperceptibles. Tandis que les chats sauvages par exemple, eux tu les entends à des kilomètres, en train de se chercher, de jouer au plus fort en miaulant bruyamment. Il y a également les cervidés, qu'on voit rarement et qui en ta présence se font muets, mais dès qu'ils sont entre eux je te promets qu'ils participent au concert. Et toi aussi, ils t'invitent à y participer. Pas en jouant de la musique, non. Mais tout simplement en les écoutant.

Il y a enfin les poissons, eux qu'on oublie souvent tant leur bruit est imperceptible et se confond avec celui de la rivière. Et pourtant, en nageant, ils provoquent de petites ondes sonores délicieuses aux oreilles de ceux qui essayent de les écouter. Et lorsqu'ils font la course, et se mettent à sauter hors de l'eau par moment, ils font en retombant jouer au cours d'eau une nouvelle musique d'une joie reposante.

Mais ces poissons se parlent aussi entre eux, avec un chant malheureusement inaudible aux oreilles des humains. Je ne peux pas te le raconter, mais tu peux l'imaginer, si tu essayes de tout ton cœur, tu peux imaginer les paroles des habitants de la rivière.

— Mais moi Papa, je n'entends rien !

— Je n'ai pas encore tout à fait fini... 




6ème mouvement 

Maintenant entends-tu tout ça ? Entends-tu la tragique complainte que souffle le vent ? Entends-tu la berceuse apaisante que murmure la rivière ? Entends-tu psalmodier joyeusement en chœurs la nature de la terre au sommet des arbres ? Entends-tu la sérénade mystérieuse des animaux ?

Vois cela comme un tout qui joue côte à côte dans un ensemble parfait.

Et maintenant écoute au loin cet air plus diffus. Sous cette magnifique musique mélodieuse se glisse plus discrètement un petit ensemble plus en retrait. C'est parce qu'il est plus loin mais n'en ait pas moins harmonieux que le reste. Il compose un fond des plus appréciables. Entends le bruit des vélos qui roulent le long des sentiers, du courant d'air qu'il provoque en passant, et du frottement de sa roue sur la terre. Imagines celui des promeneurs qu'ils marchent ou court et dont les pas s'enfoncent dans le sol avec un bruit frénétique, le son de leur voix quand ils bavardent, leur respiration qui se fait plus difficile au fil du chemin parcouru, les aboiements de leurs chiens entrecoupés d'halètements. Tu peux aussi entendre le son des voitures qui roulent sur l'autoroute un peu plus loin sans jamais discontinuer, elles vrombissent à toute vitesse, leur moteur tremblent et vibres. Entends ces sons diffus qui créent un fond envoutant à cette mélodie.

Le tout donne à ce petit coin de forêt une aura enchanteresse. On s'y sent bien, on s'y sent heureux, tu y respires l'odeur doucereuse de tout cela, tu y contemple cette osmose parfaite de la nature et finalement de tes sens. Et maintenant tu peux enfin entendre les bruits qui t'entourent ici. Tu peux totalement entendre la symphonie qui se joue autour de toi.

— Papa ! PAPA ! Je... Je crois... Je crois que je l'entends ! Oui Papa, ça a marché ! J'entends la musique de la forêt !





Final

Le père remit les mains dans ses poches pour montrer qu'il avait terminé son récit, et regarda son fils avec le sourire aux lèvres. Il avait toujours essayé de faire entendre, par n'importe quelle manière, la beauté du monde à son fils. Et pour la première fois de sa vie, la réponse de son fils semblait encourageante. Le jeune garçon paraissait à présent dans un état un peu second, impossible à sonder.

Et en effet, son père avait réussi. Il lui semblait qu'il était une immense marmite, une immense marmite où s'entrechoquaient tous les sons que sont père lui avaient décrits. Et même s'ils ne pouvaient pas sortir, ils résonnaient en lui si distinctement que cela n'avait pas d'importance. Mais surtout, c'était la voix de son père, cette voix qu'il n'avait plus jamais entendu depuis l'accident quand il était tout petit, seulement devinée en lisant sur ses lèvres ou en voyant bouger ses mains, c'était cette voix là qu'il semblait à présent connaître à merveille.

L'homme et son fils étaient restés dans la forêt plus longtemps qu'il n'y paraît. Le soleil commençait déjà à décliner dans le ciel, donnant à la forêt une teinte presque féerique. Les animaux semblaient se taire peu à peu, fatigués de cette belle journée. Et tout le bois semblait commencer à s'endormir, tandis que les deux humains se levaient de leurs souches et se dirigeaient vers le parking ou leur voiture les attendait.

Déjà, les sons dans la tête du jeune garçon devenaient plus bas, presqu'inaudibles. La forêt redevenait cet endroit silencieux qu'il avait toujours connu, et la voix de son père, progressivement, ne restait plus que deux mains muettes reconstituant des mots. Le fils savait que bientôt, le silence serait de nouveau absolu et que la symphonie de la forêt ne serait plus qu'un beau souvenir. Mais ça ne le désespérait pas. Car il savait aussi que son père recommencerait, coûte que coûte, à essayer de lui rendre ce sens qu'on lui avait volé. Car il savait aussi que même si ce merveilleux moment prenait fin, il y en aurait d'autres, plein d'autres, et peut-être qu'au fur et à mesure ils parviendraient à faire durer ces moments plus longtemps.

Lorsque le petit garçon se coucha ce soir-là, il n'entendait plus du tout les bruits de la forêt. Ou du moins, c'est ce qu'il pensait... Car dès qu'il ferma les yeux, il lui arriva quelque chose de tout bonnement extraordinaire. Auparavant, dans ses rêves, il avait toujours été ce petit garçon sourd. Mais cette fois-ci, pour la première fois, il entendait, il entendait merveilleusement bien, de la manière la plus crédible possible. Son rêve avait un son de rivière, un son venteux, un son animal, un son tout droit sorti des végétaux. C'était une véritable symphonie. Mais surtout, son rêve avait un son bien plus important, qui semblait envelopper tout le reste d'une délicate musique : il avait un son d'espoir. 




L'ouverture, le deuxième, le quatrième et le sixième mouvement sont donc les parties que j'ai écrite du moins dans le premier jet. Depuis chacune on est allé de ses petites modifications dans toutes les parties. Qui avait deviné ? En tout cas encore un grand merci à ma binôme ! Ca a été des plus plaisant. Moi qui n'avait jamais écrit en binôme ça a été une expérience géniale. Enfin n'hésitez pas à passer sur le concours lui-même. Et pourquoi pas vous inscrire à la prochaine cession. 

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