Foi brûlante


Tous se tenaient debout, rassemblés pour le prêche matutinal, sur la grand-place qui couvrait l'espace entre les habitations, dômes de terre recouverts de mousse.

Les gouttelettes de rosée miroitaient sous les premiers rayons du soleil et la nature bourdonnait déjà de sons divers.

Ingmur, le grand prêtre, s'avança solennellement vers le centre de la place et gravit les quelques degrés creusés dans l'énorme roche qui se dressait en son cœur, rustique cathedra, d'où il prononçait ses sermons.

Il tendit les bras entre l'Est et l'Ouest, enjoignant aux fidèles de scander l'appel sacré aux Dieux : "Ster - Nyx - Dour - Atil - Gwez - Kêr - Hijr". Les voix s'élevèrent, répétant trois fois en chœur les noms des Dieux protecteurs : Dieux du soleil, de la nuit, de la terre, des arbres, du foyer et de la pierre. Parler était inutile, car les Dieux savaient lire en leur cœur plus clairement que les mots ne pouvaient exprimer leurs pensées.

Ensemble, ils levèrent ensuite les bras, paumes tournées vers le ciel, prenant une profonde inspiration avant de se courber vers le sol qu'ils caressèrent, en expirant longuement.

L'homélie pouvait commencer.

Soudain, dans un bruissement d'ailes affolé, un groupe d'oiseaux traversa le ciel en un sens puis dans l'autre. On eût dit un banc de poissons fuyant un prédateur. 

Ingmur savait qu'ils étaient porteurs d'un message.

Il tendit les bras devant lui pour faire cesser les murmures inquiets de ses fidèles et scruta l'azur. Pas un nuage ne troublait la pureté céruléenne de l'air.

Comme pour faire mentir l'apaisante vision du ciel immaculé, un chien poussa un hurlement lugubre. D'autres mêlèrent leur voix à celle du premier et une longue plainte déchira le silence, glaçant le sang.

La température baissa soudain.

Un frisson parcourut la foule.

Les battements de cœur s'accélérèrent, mais personne ne songeait à fuir la catastrophe imminente. Rester ensemble représentait leur seule chance de salut. Unis, ils ne craignaient rien, du moins voulaient-ils s'en persuader. 

La plupart se pressaient les uns contre les autres pour trouver un incertain réconfort.

Les yeux implorants se tournèrent vers Ster, le Dieu des Dieux.

Ce qu'ils virent alors... Non, c'était impossible !

L'appréhension fit place à l'épouvante.

Saisis d'effroi, ils se figèrent alors face à l'impensable horreur qui se déroulait au-dessus d'eux, avec une lenteur féroce.

Les yeux exorbités, la bouche béante, le sang refluant vers les organes vitaux comme pour retarder une mort inéluctable, les corps ne répondant déjà plus, chaque membre du clan se retrouvait comme statufié :

Nyx attaquait Ster.

Impitoyable, elle avait déjà arraché un morceau du corps du Dieu étincelant et semblait vouloir l'engloutir dans sa panse immense.

Rien de plus atroce n'aurait pu advenir.

La lumière baissait, graduellement, prémices à l'Apocalypse.

Ingmur se força à reprendre ses esprits. Ne pas flancher, réagir... justifier son titre de guide suprême :

"Mes frères, mes sœurs,

Rentrez en vos cœurs

Et baissez les yeux .

La voix du prêtre, psalmodiant, eut l'effet escompté, car elle les apaisait, leur redonnait une marche à suivre : ils sortirent quelque peu de leur hébétude, présentèrent leurs mains ouvertes vers le ciel en signe de prière et, désormais mutiques, baissèrent les yeux avec déférence. Seule la prière résonnait dans l'épaisseur du silence :

Nos maîtres, les Dieux,

Par des égarés,

D'être ainsi scrutés,

Pourraient prendre ombrage.

La nuit se fit, complète, mais au lieu de se laisser sombrer à nouveau dans les affres, les fidèles recommencèrent leur gestuelle de prière, mus par la foi.

Rendre bel hommage

Est notre devoir.

Peu d'humain savoir,

Immense est le leur.

Nous devons sur l'heure,

Sacrifier à Nyx,

Qui veut, dès ce jour,

Voir couler le sang,

D'un de nos enfants."

L'implacable décision ne pouvait surprendre : Nyx était une Déesse sanguinaire que l'on honorait en lui offrant de fréquents sacrifices. Les enfants la satisfaisaient plus qu'aucun autre.

Nyx fut satisfaite des paroles du Guide suprême, puisqu'elle se mit à recracher Ster. Elle prenait son temps, sans doute désireuse de montrer l'étendue de son pouvoir.

Enfin, Ster fut sauvé. Il se tenait, indemne, dardant ses rayons vers Nyx, dont seul le visage était encore visible, semblant faire un clin d'œil.

Lorsque l'office du matin s'acheva, Ingmur descendit de son promontoire et se dirigea vers Diawé, l'aruspice aveugle et sans âge qu'il accompagna dans son antre. Après quelques instants de conciliabule, il la laissa préparer sa potion divinatoire.

Pendant ce temps, les habitants s'affairèrent à installer le bûcher du sacrifice et à préparer les enfants.

Les préparatifs s'étirèrent jusqu'au crépuscule.

Les petits furent alors placés en cercle et, lorsque Diawé reparut, elle s'avança en son centre.

Très vite, elle entra en transe. Les convulsions entraînaient sa maigre carcasse et sa longue chevelure blanche dont les mèches cendreuses ondulaient comme autant de serpents. Ses yeux révulsés découvraient deux globes opalescents. La cécité lui conférait des dons de clairvoyance reconnus par tous.

L'ancêtre s'immobilisa soudain devant une petite fille qui tressaillit avant de se figer sous l'inquiétant regard vide fouillant son âme. L'enfant s'approcha, résignée, vers le lieu du supplice, sans hésitation ni pleurs.

Diawé lui fit boire une potion à base d'actanea aux vertus paralysantes, moins pour éviter à la fillette la souffrance atroce qui l'attendait que pour l'empêcher de crier.

Des hommes la ligotèrent au bûcher.

Ingmur, remonté sur sa cathedra, récita la formule consacrée :

"Toi, l'élue de l'ardente expiation,

Brûleras aujourd'hui pour apaiser

Nyx ! Par ce pieux sacrifice, honorée,

Sanctifiée tu es, comme ta maison."

Les bourreaux allumèrent le feu qui vint aussitôt lécher le corps de l'enfant. Les flammes dansèrent autour d'elle, hypnotisant l'assemblée.

Les épaisses volutes de fumée s'élançaient vers Nyx qui détournait sa face lunaire.

La peau devint aussi rouge que les braises incandescentes, puis les membres se tordirent et noircirent.

L'assistance, composée de l'ensemble du clan, scandait le nom de la Déesse :

"Nyx, Nyx, Nyx, Nyx, Nyx, ...".

Lorsque le corps fut réduit en cendres et une fois la chaleur du brasier retombée, chacun rentra chez soi. Leur foi s'était renforcée. L'autodafé leur donnait le sentiment du devoir accompli, éclipsant leurs doutes et leurs peurs.

Les Dieux seraient satisfaits de leur soumission.


***

Bonjour et merci à ceux qui auront lu jusqu'ici,

Ce n'est pas vraiment une nouvelle dans la mesure où il n'y a pas vraiment de chute.

 J'ai l'impression que l'événement qui se produit est parfaitement identifiable. Pourtant, si ce n'était pas le cas... bref, toutes les critiques seront les bienvenues : qu'avez-vous compris, aimé, détesté, ... ?

 C'est la première histoire que je publie sur Wattpad et j'ai terriblement besoin de conseils. 


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