Le temps d'un voyage (1/5)

— ... accident dramatique ayant lieu l'avant-veille au matin. À l'heure de pointe un tramway Aldya s'est fracassé dans les chutes d'Alcom. C'est avec grand déplaisir que je dois vous annoncer que quatre-vingt-quinze personnes ont trouvé la mort dans cette tragédie.

— Grand déplaisir, c'est ça mon œil, ça te fait surtout un sujet pour parler le matin, râlai-je à mi-voix en coupant la radio d'un geste sec ; la voix pseudo dramatique de la journaliste m'insupportait trop.

Cela faisait le troisième tram qui se retrouvait accidenté de cette manière depuis un mois. Toujours au même endroit. Toujours raconté par la même journaliste, de la même façon, avec ce même ton insupportable. Il serait peut-être temps de faire quelque chose sur cette ligne.

D'ailleurs en parlant de temps, je fus soudainement prise d'une vague d'inquiétude et je relevai les yeux vers la grande horloge blanche de ma cuisine. 6h45.

— Diantre !

Je saisis brusquement ma tasse de thé blanche, par je ne savais quel miracle je parvins à la boire d'une traite sans en renverser sur moi, et je me levai précipitamment. J'attrapai ma vaisselle du matin, la posai sans grande délicatesse dans le petit évier grisâtre puis me ruai vers la salle de bain avant de pester contre moi-même.

— Non, Caro, tu n'as pas le temps de te laver les dents ce matin, tu vois bien l'heure ! Allez, va prendre ton sac et on y va.

Je me retrouvai quelques secondes plus tard dans le salon, j'attrapai mon vieux sac que j'utilisais pour les cours à l'université et qui me servait à présent pour transporter une simple pochette verte nécessaire à mon nouveau travail, puis je filai vers la porte d'entrée. En deux temps trois mouvements, j'avais enfilé mes bottines noires, j'attrapai une veste rose fuchsia espérant vainement que je n'aurais pas froid dans la journée alors que je n'avais même pas pris la peine de me vêtir d'un gilet. J'entendais déjà les sermons de mes parents qui me reprocheraient ce terrible manque d'organisation en ce matin – même hier soir car j'aurais pu tout préparer la veille afin d'éviter de me retrouver dans un tel rush maintenant – et ils auraient grandement raison.

Je pensai par chance à prendre mes clés avant de quitter en trombe mon petit appartement. Je me mis à courir sans réfléchir ; mon bus à Iniris était à 7h23, il fallait que je prenne un tramway avant celui de 7h04 dernier recours – en gros je visais celui-ci – si je voulais l'avoir. Avec une demi-heure de marche environ pour aller jusqu'à la gare il n'y avait aucun moyen que je l'eusse...

— Mais si, si tu doubles ta vitesse de marche par rapport à d'habitude c'est bon ! Allez, courage, Caro !

Je me maudis l'instant d'après pour avoir pensé à haute voix tout en courant ; je me stoppai, peinant à reprendre ma respiration, et je jetai un regard abasourdi à mon environnement. Où étais-je ? La gare était par-là ? Mon cerveau sûrement en grand manque d'oxygène se mit à paniquer et refusa de répondre à ma question concernant la gare. Respire Caro, respire... Je parvins à reprendre quelque peu mes esprits et je réalisai que ma course précédente m'avait mise sur le trajet de mon ancienne université par réflexe, au strict opposé de la gare que je prenais depuis un mois. Il n'y a vraiment que toi pour être aussi idiote, Caro ! Il n'y avait en tout cas plus aucune chance pour que j'arrive à l'heure pour mon tramway.

— Il y a peut-être un bus qui t'emmène à la gare pour ton tram, s'illumina soudainement mon cerveau.

Je sortis en vitesse mon téléphone qui refusa de se déverrouiller avec l'empreinte digitale – Murphy en action – et je finis par me résigner à taper manuellement mon code. Je démarrai l'application Carway, tapai Iniris dans le champ destination et quelle fut ma surprise en voyant qu'il m'était proposé un trajet de vingt-cinq minutes. Et il en était indiqué douze pour arriver à une autre gare plus proche de l'endroit où je me trouvais. Je n'y étais jamais allée, il fallait avouer que je ne prenais les transports en commun que depuis un mois, et tout était bien nouveau pour moi. Ok, je suis une extraterrestre.

— Et si cette gare n'est pas bien ?! s'activa la partie protectrice de mon cerveau qui de toute évidence se sentait lésée ce matin.

— On s'en fiche, pour une fois seulement, ce n'est pas grave ! Il faut arriver à l'heure !

J'écoutai seulement la seconde voix, trop tentée pour cette solution miracle – et surtout trop anxieuse à l'idée d'arriver en retard à mon bureau. Je me mis à marcher dynamiquement vers la nouvelle gare suivant à la lettre le chemin que m'indiquait l'application. Une fois arrivée devant l'escalier qui menait au tramway souterrain, j'éteignis mon téléphone, le glissai dans mon sac et me mis à dévaler les marches de l'escalier plutôt étroit et particulièrement sale. Rien à voir avec ma gare habituelle ; je comprenais pourquoi mes parents m'avaient toujours conseillé l'autre même si le trajet était peut-être un peu plus long. Étonnamment personne d'autre ne se trouvait dans l'escalier mais j'entendais une musique d'ambiance qui provenait des souterrains. Et lorsque j'arrivai dans ce qui aurait dû être un hall de gare, je fus frappée par l'animation qui y régnait et la peur s'empara de moi face à cette foule trop différente de celle dont j'avais l'habitude. Pour une heure plutôt matinale, énormément de monde grouillait sur les deux quais, séparés par la ligne de tramway ; celle-ci était d'ailleurs très étonnante car le tunnel comportait un fond d'eau vaseuse et les rails étaient situés en hauteur, accrochant ainsi les wagons par le haut. J'ignorais qu'une telle architecture, plutôt originale il fallait l'avouer, était employée dans certaines gares... Séparés par un pont où étaient agglutinés trop d'individus, les deux quais étaient faits de pierres ocres, descendant en escalier jusqu'aux voies, et de nombreuses personnes que je n'avais jamais vues y étaient présentes.

Un monsieur barbu qui mangeait dans une assiette en plastique blanche des légumes vertes, assis sur une marche. Deux petites filles aux longs cheveux bruns attachés en couettes qui sautillaient gaiement, sans adulte à proximité assigné à les surveiller. Un homme svelte encapuchonné debout tout en haut de l'escalier, toisant la foule d'un air à glacer le sang. Il y avait même un poste de radio bleu posé sur une marche et qui créait la musique d'ambiance très dissonante à mes oreilles.

Où avais-je atterri... ? Pas un endroit que je me recommanderais en tout cas, à en juger le rythme de mon cœur affolé et le raidissement de tous mes muscles. M'arrachant à ma contemplation obsessionnelle de ce nouveau lieu, je remarquai qu'un tramway orange et blanc était en train d'arriver – suspendu au-dessus de l'eau – pour se stopper à l'arrêt...

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