C.H.L.O.É (2/2)

Lorsqu'elles m'y firent entrer, je résistai, luttai, mais manquant de force et surtout de conviction face à autant de petits êtres déterminés, je finis par me retrouver en face à face avec – oh mais pourquoi – C.H.L.O.É., qui, malgré ma présence, s'affairait toujours derrière son écran. Je ne le remarquai qu'après quelques instants, mais l'Empereur semblait assez paniqué, ce qui ne me fit ni chaud ni froid. Je voulais juste regagner le Torrent et me laisser divaguer : je ne désirais en rien engager une conversation avec lui, pas dans cet état de tristesse et de dépression intense.

— Emotia ? Que se passe-t-il ?!

***

Devant mon absence de réponse, il enchaîna :

— Emotia ! Aide-moi ! Que ressens-tu ?

Je faillis lui rétorquer que lui, si fantastique et génial Empereur, n'avait pas besoin de mes conseils, mais je manquais de volonté. Je répondis simplement :

— Mal... Très mal...

— Sois plus précise, Emotia. Je t'en prie... Je n'arrive pas à bien analyser cette situation : j'ai besoin de toi.

Devant mon manque de réactivité et mon regard – sûrement vitreux –, C.H.L.O.É. sembla s'affoler et déclara avec précipitation :

— Emotia ! Réponds !

— Beaucoup de tristesse...

— Oui, je sais. Continue !

— ... mêlée à une terrible inquiétude...

— À quel sujet ?

— Ma sœur... murmurai-je.

— Ta sœur ? Mais pourquoi... commença C.H.L.O.É. avant de se raviser. Emotia, elle a juste eu un accident de voiture il y a deux jours. Elle est toujours à l'hôpital, mais elle va s'en remettre, les médecins sont très confiants, tu le sais.

— Le traitement peut se compliquer, coupai-je, les larmes qui me montaient aux yeux. Je ne veux pas la perdre...

— Mais pourquoi y penses-tu maintenant ? Tu l'as entendu hier, les médecins ont dit qu'il n'y aurait aucune complication... Pourquoi t'inquiètes-tu alors... ? Oh non, j'ai compris ! C'est à cause du journal TV de ce matin sur les statistiques des décès en voiture. Mais pourquoi passent-ils des reportages aussi débiles ?! Emotia, tout va bien se passer, je te l'assure. Je t'en prie, souris.

— Impossible... murmurai-je, sentant que ma tête devenait de plus en plus lourde.

— Il y quelque chose d'autre qui te tracasse ? s'enquit C.H.L.O.É. tout en tapotant sur son écran, prenant sûrement l'une de ses multiples décisions incompréhensibles.

— Le remord... je n'ai jamais dit à ma sœur à quel point je l'aimais...

— À quel point tu l'aimes ! rectifia sans management C.H.L.O.É.. Elle va vivre, ne t'en fais pas. Tu lui diras l'étendue de ton amour lorsqu'elle reviendra à la maison et cela ne saurait tarder...

Je me sentis encore plus divaguer et j'aurais pu tomber sur le sol mousseux du bureau de l'Empereur si un Soldat Blanc – mais il sort d'où celui-là ? – ne m'avait pas rattrapée.

— Emotia ?! Que se passe-t-il encore ?

— Je suis super fatiguée : j'en ai assez d'aller tous les jours au lycée, d'autant plus que j'ai eu trois seize sur vingt aux dernières évaluations de français, mathématiques et anglais. C'est trop nul !

— Mais non, arrête ta comédie, Emotia !

— Ce n'est pas ma faute !

— Tout va s'arranger...

— Je veux ma sœur, me lamentai-je.

— Emotia... désespéra C.H.L.O.É., en pressant la paume de sa main sur son écran pour la énième fois.

Il ne faisait même pas l'effort de se concentrer sur moi, il y avait toujours autre chose à quoi penser... Je sentais mes forces me quitter et mon corps divaguer un peu trop...

— ÉTAT PHYSIQUE ET PSYCHOLOGIQUE TRÈS FAIBLE ! hurla la Sirène, me meurtrissant encore plus. CODE ROUGE ENCLENCHÉ !

C.H.L.O.É. jeta un regard affolé vers moi et s'exclama, se détournant pour la première fois aussi longtemps de son écran :

— Emotia, reste avec moi : tu ne dois pas t'évanouir, je t'en prie. On compte tous sur toi... Emotia, je m'excuse pour les dures paroles que j'ai pu proférer contre toi ce matin, mais tu dois te ressaisir.

Ces excuses, à peine bien formulées, ne m'atteignirent qu'à moitié. Soudain, je me rendis compte que je n'avais pas mangé ce midi – mais comment avais-je pu commettre une telle erreur ? Ah oui, c'est vrai, l'évaluation de mathématiques que je venais totalement de rater parce que j'avais stressé à la question je ne sais même plus combien... – et que par conséquent, je n'avais plus aucune force. Promis, Maman, je ne referai plus une telle bêtise... Je tenais à peine debout, le chagrin et l'idée de perdre ma sœur m'oppressaient et m'accablaient à un tel point que je me contrefichais des excuses mal formulées et si insignifiantes de C.H.L.O.É.. S'il m'avait fait gérer mon stress correctement, s'il m'avait fait manger, je n'en serais pas là. Je sentis mon être tout entier vaciller, mes paupières se fermèrent et je tombai en avant dans les bras de C.H.L.O.É. – entre le Soldat Blanc et lui, le choix était assez dur...

Lorsque je me réveillai, C.H.L.O.É. était accroupi à côté de moi, sa grosse tête blanche aux grands yeux noisette emplis d'inquiétude – il est assez mignon, je dois vous avouer, quand il se fait du souci – et ses cheveux blonds pendant de part et d'autre de ses oreilles minuscules. Je n'avais jamais vu d'aussi près le beau visage de C.H.L.O.É. et je profitai de cette agréable vue quelques instants avant qu'il ne s'aperçoive que j'étais réveillée et qu'il détourne la tête, ses joues albâtres se teintant en rouge. La Sirène hurla, mettant fin à cette gêne momentanée entre nous :

— REMISE EN MARCHE DU SYSTÈME ! TOUS À VOS POSTES !

C.H.L.O.É. n'attendit pas une seule seconde de plus : comme monté sur ressorts, il se releva précipitamment et se dirigea vers son écran géant. Je me remis debout tant bien que mal, contrariée que C.H.L.O.É. n'eût pas formulé davantage de galanterie à mon égard, par exemple en me donnant la main pour m'aider, moi princesse en péril, à me relever. Tout en lissant ma belle robe rose qui s'était retrouvée toute froissée par les derniers événements, je me dirigeai vers l'écran géant, derrière lequel C.H.L.O.É. était déjà affairé, cliquant partout sur les boutons à côté desquels apparaissaient de nombreux messages. Je regardai et essayai, pour la première fois, de suivre ce qu'il faisait, et je compris que je serais incapable de réaliser ne serait-ce qu'un dixième de pourcent – oui d'accord, C.H.L.O.É. n'a pas toujours tort – de ses actions. C'était lui qui permettait à tout notre système de fonctionner : il assumait beaucoup de responsabilités et moi, je le considérais comme... un Empereur à une soif de pouvoir démesurée... ? Je me rendis compte à quel point j'avais été odieuse envers lui durant ces quinze dernières années... Beaucoup de choses reposaient sur lui...

— Emotia, ça va ? s'enquit C.H.L.O.É. sans pour autant quitter des yeux son écran. Tu n'as rien dit depuis presque deux minutes, une minute et cinquante-cinq secondes pour être tout à fait exact ; c'est assez inhabituel, même fort inquiétant, venant de toi...

— Cette déclaration me laisserait-elle supposer que nos échanges, ou plutôt nos disputes, te manquent ?

— Non, non, pas du tout... C'est juste inhabituel, presque irréel... Tu as l'air soucieuse. Quelque chose te tracasse ?

— Je viens juste de me rendre compte à quel point tu es important pour notre système. C'est un choc.

— Attends, là, c'est toi qui parles ?!

— Oui, c'est moi. Qui voudrais-tu que ce soit ? ironisai-je, sachant tout de même parfaitement où il voulait en venir.

— Que ressent Chloé ?

— Elle est heureuse.

— Tu devrais l'être aussi, alors.

— Oh, mais je le suis, ne t'en fais pas...

Pour la première fois, C.H.L.O.É. décrocha les yeux de son écran, me prit la main et déclara, me regardant droit dans les yeux :

— Ce qui est amusant, c'est que je viens, lors de ton évanouissement, de me rendre compte d'une chose, à peu près similaire à la tienne.

Sa main gauche tapota quelque chose sur l'écran à la fin de cette phrase ; finalement, il ne fallait pas rêver, je n'avais pas son attention tout entière... Mais il continua de parler, tout en s'occupant de son écran sans même le regarder – il possédait des talents qui m'étaient inconnus, définitivement :

— Le système ne peut pas marcher sans toi. Chloé ne peut pas vivre sans toi. Je... – C.H.L.O.É. baissa les yeux, comme avec honte – je ne peux pas vivre sans toi... J'ai décidé de t'écouter à partir de maintenant, du moins pour certaines choses...

— Comme l'orthographe du mot dilemme ? répliquai-je du tact au tact en esquissant un immense sourire, nepouvant résister à la tentation malgré ces belles paroles.

— Oh, arrête un peu avec cette histoire ! C'était il y a quatre ans !

— N'empêche que j'avais raison !

— Ne me fais pas regretter ma décision moins de dix secondes après que je l'ai prise...

Je souris – véritablement touchée par les paroles de C.H.L.O.É. même si pour rien au monde je ne lui aurais avoué directement – et déclarai, désireuse d'exercer mon nouveau pouvoir :

— Je suis heureuse et j'ai envie de chanter en attendant le retour de Léa de l'hôpital. Tu devrais démarrer la chaîne !

— Mais Chloé est en train de faire ses devoirs, ce n'est pas... se ravisa C.H.L.O.É., voyant mon air faussement déconfit.

Il cliqua sur l'un des multiples boutons de son écran, faisant apparaître un nouveau menu où se trouvait au centre un bouton rose avec une note de musique. C.H.L.O.É. s'apprêta à la presser machinalement, mais il se ravisa pour se tourner vers moi et proposer :

— Souhaites-tu prendre ta première décision, Emotia ?

Mon regard illumina, je murmurai un « C'est vrai ?! » d'émotion, avant de sauter sur l'occasion sans attendre que C.H.L.O.É. ne change d'avis. Je me propulsai au niveau de l'écran un peu haut pour moi avant de presser le gros bouton de ma paume tout entière, et une musique entraînante retentit dans la chambre de Chloé puis pénétra dans le bureau de C.H.L.O.É..

— Tu danses avec moi ? invitai-je tout en gratifiant l'Empereur d'un sourire éclatant.

Le désemparement traversa les prunelles noisette de mon futur cavalier et je fus plus rapide que lui pour enchaîner – pourtant vous savez à quel point il est réactif :

— Ne t'en fais pas, Chloé sait marcher et sauter sans que tu ne lui dictes comment faire ! Elle est grande quand même ! Profite de l'occasion pour faire plaisir à la merveilleuse créature que je suis !

Un léger sourire, un peu embarrassé, s'esquissa sur le visage de C.H.L.O.É. et, malgré sa crainte de laisser seule la jeune adolescente de quinze ans pendant ces quelques instants, il se laissa entraîner sur une piste de danse imaginaire...

***

Coucou !

Merci beaucoup pour avoir lu cette nouvelle, j'espère que vous avez passé un bon moment en la découvrant ! 😊

Je vous souhaite une très belle journée,

Agathe Aris.



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