Au-delà du Sablier (3/4)
Heidi se trouvait devant moi, les yeux écarquillés par la peur, et je voyais Ombeline juste derrière elle, visiblement soucieuse aussi. Où étais-je... ? À en juger par les murs roses décorés de posters qui m'étaient bien familiers, j'étais de retour chez ma sœur... Je ne comprenais néanmoins pas comment j'étais parvenu jusqu'ici.
— James, il faut vraiment que tu arrêtes de me faire autant peur !
Heidi se précipita sur moi pour m'étreindre et j'entendis Ombeline murmurer :
— Je vais vous laisser... Je... j'espère que cela va s'arranger...
Ma sœur se releva brusquement pour faire face à la chanteuse et elle articula d'une voix tremblante :
— Merci pour tout ce que vous avez fait, Ombeline... Enfin, Madame... Je suis désolée, je suis l'une de vos plus grandes fans, mais jamais je n'aurais souhaité vous rencontrer en une telle situation... Merci infiniment d'avoir récupéré mon frère...
Elle s'inclina face à la chanteuse qui semblait encore plus embarrassée et qui se contenta de murmurer :
— Je ne fais que ce qui me semblait bon à faire... Bonne soirée à vous...
Elle s'éclipsa, nous laissant seuls entre frère et sœur. Je ne savais pas quoi dire, tellement mon esprit était peu clair, et il semblait qu'Heidi non plus. Elle finit juste par déclarer au bout de longues minutes :
— Plus jamais je ne te laisse seul le soir, James... C'est promis, je vais m'occuper de toi... Je suis désolée, je ne pensais pas que tu ferais ça...
Ma tête redevint lourde, l'envie de quitter ce monde étrange pour retrouver ma Laureen se faisant de plus en plus pressante, et je me laissai retomber en arrière sur le canapé. Elle était paisiblement endormie à mes côtés, son beau visage serein éclairé par la lueur du jour qui perçait à travers les volets. Je déposai mes lèvres sur les siennes pour la réveiller doucement, mais je découvrais leur froideur, l'univers devenait de plus en plus obscur. Elle était allongée sans vie devant moi, ses yeux clos à jamais, au milieu de paillettes dorées se fondant à un liquide écarlate encore chaud. Le cœur plein de douleur, j'hurlais à l'injustice, maudissais le ciel pour le destin qu'il nous avait accordé.
Puis l'obscurité disparut, laissant place à la lumière. J'étais allongé dans un lit familier, dans une chambre aux murs roses. J'étais de retour dans ma chambre provisoire chez Heidi et instinctivement je me tournai vers ma table de nuit pour observer mon sablier doré. Mon seul point de repère avec ce monde, la seule chose qui me faisait dire que tous ces moments avec ma Laureen n'avaient pas été qu'un rêve. Plutôt un rêve suivi d'un cauchemar. Mais il n'était plus là. Mon sablier doré avait disparu. Je me levai brusquement, l'incompréhension me gagnant, et sortis à toute allure de ma chambre pour retrouver Heidi. Elle dessinait en écoutant une douce musique et elle se retourna en me voyant arriver :
— James, j'espère que tu vas mieux...
— Où est mon sablier... ?
Heidi ignora néanmoins ma question pour en formuler une autre :
— Je vais à un concert ce soir, que dirais-tu de m'accompagner ?
Je voulus décliner comme je le faisais à chaque fois mais la peine qui se lisait dans son regard m'en dissuada et je m'entendis accepter. Ma sœur esquissa un sourire et je me surpris à penser que cette soirée pourrait être l'occasion de laisser de côté mes tourments. Je ne savais même plus ce que j'avais fait aujourd'hui, ni même les jours précédents. Je connaissais seulement le temps qui s'était écoulé depuis l'arrêt du sablier...
Heidi et moi étions installés dans des fauteuils en velours, observant sans un mot la scène encore non éclairée. Puis une lumière blanche apparut, entourant une silhouette féminine vêtue de bleu, me projetant des années auparavant. Laureen apparaissait ainsi puis se mettait à danser devant mes yeux charmés par sa prestation, puis nos regards se croisaient... Le début de notre rêve éveillé...
Mais ce ne furent pas des prunelles émeraude comme celle de ma Laureen que je vis. Mais deux bleues. Et ce ne fut pas une danse à laquelle j'assistai mais une chanson mélodieuse, entonnée par une voix si claire.
— N'as-tu jamais voulu tout recommencer,
Retourner le temps pour changer ce passé ?
N'as-tu jamais rêvé d'un monde différent,
Un destin aux tendres espoirs t'éclairant ?
N'as-tu jamais connu des amours brisés
Par la distance et les années déguisées ?
Je me sentais vaciller face à ces mots qui résonnaient en moi. J'avais l'impression que ces paroles m'étaient dédiées sans que je comprenne pourquoi, et je fus le premier à applaudir une fois la musique arrêtée. Ombeline salua son public et les lumières s'éteignirent sur elle. Heidi saisit ma main pour m'entraîner vers la sortie du théâtre et nous tombâmes nez-à-nez avec la chanteuse de la soirée. Je n'eus même pas le temps de prononcer la moindre parole qu'Heidi me lâcha la main et s'éclipsa à toute vitesse. Je lui jetai un regard interloqué et j'entendis Ombeline déclarer :
— James, je voulais vous parler...
Je relevai les yeux vers elle pour découvrir qu'elle tenait dans ses mains un sablier doré beaucoup trop familier.
— Votre sœur me l'a confié ce matin, mais elle m'a aussi dit que c'était à vous que revenait le choix de me le donner définitivement ou non. Je n'ai pas tout à fait compris, James, pour être honnête avec vous.
Je ne l'écoutais plus, ma vue s'était brouillée, et je voyais désormais Laureen en face de moi. Son visage étincelant de joie alors que je lui offrais le sablier doré. Elle le faisait tourner doucement sur lui-même de ses doigts fins, veillant à ne pas le renverser ou faire tomber le moindre grain de sable de l'autre côté. Ses prunelles émeraude brillaient de joie, elle inclinait de gauche à droite la tête, avant de me retourner ses vœux d'éternité. Sous mes yeux larmoyant de bonheur, elle retournait le sablier, enclenchant le décompte d'un an. Elle passait ses bras autour de moi, je sentais la chaleur de ses lèvres envahir les miennes et plus rien ne me semblait exister autour. Nous étions seuls au monde, deux amoureux transis qu'aucun des malheurs du monde n'aurait pu séparer.
Pourtant ma Laureen n'était plus. Ce n'était pas elle qui se tenait devant moi, mais Ombeline. Son regard bleu était interrogateur, comme si elle cherchait une explication à mon mutisme. Moi-même j'en recherchais une. Je ne comprenais pas pourquoi Heidi lui avait confié ce sablier. Elle savait la valeur inestimable qu'il avait pour moi. Et pourquoi me laissait-elle le choix de le reprendre ou non ?
— James, que signifiait ce sablier pour vous ? Et signifie-t-il désormais ?
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