Au-delà du Sablier (1/4)

Nous étions allongés côte à côte sur le sable fin, à la lueur chatoyante du coucher du soleil. Les lèvres pâles de Laureen se mouvaient, elle faisait de grands signes avec sa main droite tandis que ses prunelles vert émeraude scintillaient d'une joie sans pareille. Je n'entendais pas les mots qu'elle prononçait, simplement les échos de sa voix harmonieuse que j'aimais tant, bercée par le doux son des vagues. Je n'avais pas besoin de discerner ses paroles pour comprendre ce qu'elle me disait ; le lien qui nous unissait, nos doigts entrelacés, me suffisait pour lire en elle tel un livre ouvert. J'étais heureux, comme jamais je n'aurais pu l'être autant, nous étions ensemble et ce à jamais. Du moins, je croyais que rien ne pourrait nous séparer.

Ma vision se flouta de noir, la main de Laureen qui bougeait au-dessus de nous s'estompa en de multiples particules ébène, et je sentis la chaleur de ses doigts me quitter. Le cœur cognant contre ma cage thoracique, je me relevai brusquement, ruisselant de sueur. Un frisson me parcourut en sentant un souffle frais sur moi et je vis une forme aux fins contours dorés chuter devant moi. Je connaissais cet objet, je l'avais fabriqué moi-même... Non ! Il était pour Laureen, mon cadeau pour nos fiançailles... Je mettais à courir, le plus vite que je le pouvais, mais je ne parvenais pas à me rapprocher de l'objet. Comme si l'espace-temps s'était dilaté sous mes yeux. Le sable avait presque fini de s'écouler, il ne restait que quelques grains dans la partie supérieure, le symbole des quelques semaines qui me séparaient du jour que j'avais tant espéré. Impuissant, je le vis s'éclater contre le sol dans un bruit sourd, symbole de mon monde qui s'écroulait. Les multiples grains de sable volaient tout autour parmi les éclats de verre, au ralenti comme l'était ma vie depuis ce jour.

J'entendais désormais ses cris perçants, le noir s'estompait pour devenir rouge sang, la même couleur que son visage mutilé. Je la voyais sombrer dans les abysses, tombant du plus haut immeuble, son regard émeraude luisant de terreur ancré dans le mien. Je voulais sauter pour la rejoindre, la rattraper pour ne plus jamais la quitter, mais une force intangible m'en empêchait. Je la voyais s'éloigner irrémédiablement de moi, et je m'écroulai à terre ravagé par la douleur, au milieu de quelques grains de sable doré désormais dépourvus de sens. Elle me quittait, elle partait loin sans moi dans cet autre monde que je ne pouvais atteindre malgré toute ma volonté...

Je sentais une main qui me secouait par l'épaule, me tirant encore plus loin de ma douce Laureen, et j'entendis une voix suraigüe s'exclamer :

— James !

Elle m'était familière mais je ne voulais pas l'entendre. Elle n'était pas celle de ma Laureen, la seule qui pouvait apaiser mes tourments...

— James, réveille-toi !

Je sentis une main froide percuter violemment ma joue me tirant hors de ma réalité à la fois si belle et si cauchemardesque. Un visage angélique entouré par de longues boucles brunes retenues par des rubans fuchsia se trouvait juste au-dessus de moi et me dévisageait de ses yeux noisette avec grande inquiétude ; Heidi, ma petite sœur.

— James, tu es enfin réveillé !

Elle se jeta dans mes bras, m'ensevelissant sous sa tignasse envahissante et je sentis un liquide chaud couler le long de mon cou.

— Heidi...

Elle releva son visage empli de larmes vers moi et elle souffla :

— Plus jamais tu ne me refais ça, James...

— De quoi... ?

— Ça fait vingt minutes que j'essaye de te réveiller... Tu me fais peur, grand frère...

Je tentais d'esquisser un sourire malgré la lourdeur de mon cœur et cela sembla suffire pour réconforter ma petite sœur. Elle se redressa et souffla gentiment :

— Je t'ai préparé un petit-déjeuner comme tu les aimes avec des œufs au bacon, tu viens ?

— Oui, Heidi... Deux minutes pour me préparer...

Ma sœur approuva d'un geste de la tête et elle claqua un bisou sonore contre ma joue avant de filer hors de la chambre. Je reposai douloureusement ma tête contre mon oreiller rose aux motifs floraux et tournai mes yeux en direction de la table de nuit. Un sablier aux fins contours dorés y était posé et je le saisis délicatement malgré mes doigts tremblant pour le serrer contre mon cœur meurtri. Cela faisait un an, huit mois et cinq jours qu'il avait terminé de s'écouler. Un an, huit mois et cinq jours que j'aurais dû être aux côtés de ma Laureen pour toujours. Mais elle était partie de ce monde pour en rejoindre un autre...


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