Cher Monsieur...

Cher Monsieur Dorsel,

Vous vous demandez sûrement qui je suis et pourquoi je vous écris, je vais tâcher de répondre à ces deux questions.

Vous vous souvenez de Fabienne Dupuis? Oui sûrement. C'est ma mère. Si si, monsieur, faites un effort. Vous savez, Fabienne; celle qui était tombée enceinte. Ça vous reviens? Je vais même être plus précise, vous aviez refusé de reconnaître le bébé à sa naissance. C'est bon, je pense que vous avez compris. Je suis votre fille. La fille de Fabienne: Lynn Dupuis.

Je me suis présentée, maintenant, vous hésitez, je le sens, vous avez envie de la jeter cette lettre. Vous avez l'impression qu'elle vous brûle les mains, qu'elle vous pique les yeux, tant mieux. Je veux qu'elle vous touche, qu'elle vous rappelle à quel point vous êtes un connard. Je n'ai jamais eu envie de vous connaître, ni de vous parler, mais c'est plus fort que moi.

Mon cher Monsieur, je devrais vous appelez Papa, mais ce titre ne vous correspond pas. Un papa, c'est celui qui est auprès de sa fille dans les moments difficiles, c'est celui qui l'aide à faire ses devoirs et qui lui apprend à conduire discrètement sur une route de campagne. Un vrai papa, c'est aussi celui qui tente de protéger sa fillette des garçons et qui rigole à toutes ses blagues, même les plus nulles. Vous n'êtes pas mon papa, mais vous l'êtes quand même. Papa: j'ai du mal à écrire ce mot.

Quand j'étais enfant, je demandais à ma maman pourquoi tous les enfants avaient un papa et pas moi, elle m'a alors dit que mon papa a moi il travaillait très très loin. Ensuite j'ai grandi et j'ai découvert que mon papa n'était en fait qu'un lâche incapable d'assumer ses responsabilités. D'ailleurs si vous voulez savoir, j'ai les mêmes yeux verts que vous. Les mêmes cheveux clairs aussi, maman dit que je vous ressemble énormément, difficile de me renier tellement je vous ressemble dit-elle. Apparemment j'ai même hérité de votre caractère, je ne peux pas avoir celui de maman, elle c'est la douceur incarnée, vous par contre vous devez être quelqu'un d'énergique et impulsif. D'ironique aussi.

En grandissant, j'ai trouvé une photo de vous et de maman avant que vous ne la quittiez. Elle était heureuse, vous souriez à ses côtés. J'ai découvert cette photo en rangeant le bureau de maman. Et devinez quoi? Au fond du bureau, entre l'encrier et les trombones, il y avait une petite boîte. Dans cette boîte j'ai trouvé quelques manuels "parents solitaires, ce guide est fait pour vous" ou bien " comment éduquer son enfant lorsqu'il n'a qu'un parent?". Derrière les manuels, il y avait un mouchoir, le votre. C'est grâce à ce bout de tissus que j'ai retrouvé votre trace, dessus il y avait vos initiales de cousues: R.Dorsel. Et sous ce mouchoirs, j'ai trouvé le reste des photos. Une photographie de vous en train de faire du vélo, encore une autre de vous et maman main dans la main, et une troisième. Sur cette dernière photo, il y avait un petit garçon, 2 ans peut-être et une fille, sa soeur, un peu plus âgée, je lui ai donné 7 ans. Ce jour j'ai appris que j'avais un frère et une soeur. Maman m'a expliqué qu'ils étaient nés d'une précédente union.

Cher papa, vous devez savoir que j'ai toujours souffert de la solitude. Maman pense que c'est le fait de ne pas avoir eu de père, moi je crois plutôt que j'aurais aimé avoir des frères et soeurs, et en refusant de me reconnaître, vous m'avez privé de cela, il fallait que vois le sachiez. Vous n'en aviez pas le droit! C'est tellement injuste, je me sens bouillonner. J'ai envie de crier de fureur et de pleurer d'impuissance, mais je ne le fais pas, ça n'y changera rien de toute façon.

Le jour de ma naissance, quand maman vous a appelé une énième fois, en vous suppliant de revenir, ou de me reconnaître, vous lui avez raccroché au nez. Ce n'était pourtant pas difficile, un simple "oui" et c'était réglé, j'avais un père, mais vous avez refusé. Ça aurait était tellement plus simple si vous aviez dit ce petit "oui", vous auriez eu une femme aimante, une fillette heureuse entourée de sa soeur et de son frère.

Mon frère et ma soeur s'appellent Timothé et Natacha. Ils ont respectivement 19 et 24 ans. Comment est ce que je le sais? Les réseaux sociaux. Je les ai cherché un long moment, un peu à tâtons puis j'ai finalement trouvé. Vous aussi je vous ai trouvé, je vous ai même rencontré un jour. Vous vous souvenez de cette adolescente un peu gothique, un peu bizarre qui est venue dans votre salon se faire coiffer, le mois dernier? C'était moi.
Pour tout vous dire, ce jour fut affreux pour moi. J'avais passé la matinée à me préparer. Dans le plan initial je devais annoncer haut et fort devant tous que vous n'étiez qu'un pauvre type, mais j'ai vue votre assistante, c'était Natacha, ma soeur, le courage m'a manqué. Pendant que je patientais pour me faire coiffer, je vous ai observé, tous les deux. Vous la regardiez avec amour, c'était déchirant, je revois encore votre regard, vous pourriez me lancer le même, et moi je pourrais vous regardez avec complicité aussi. En sortant de votre salon, j'ai éclaté en sanglots.

Monsieur, on m'a souvent demandé ce que ça faisait de ne pas avoir de père. C'est n'est pas un manque, comme pense certains. Un manque, c'est quand on a eu quelque chose et que l'on ne l'a plus, qu'on le regrette. Maman ressent un manque, pas moi. Moi je ressens une absence, un creux. Je sens que quelque chose devrait être là mais qu'il n'y est pas, c'est comme un comme un roman sans écrivain, c'est un peu absurde et déstabilisant. Mais ça fait mal de vivre sans vous. Vous connaissez cette chanson de Stromae : Papaoutai? Je hais cette chanson, elle me rappelle trop de chose. Je la hais.
Il y a aussi autre chose que je déteste : la fête des pères. Chaque année à l'école je devais dessiner, écrire un poème ou que sais-je encore en votre honneur, en l'honneur d'un homme que je n'avais jamais vu, ni aimé.

En écrivant cette lettre, je vous imagine seul et debout,dans une pénombre accusatrice en train de serrer cette feuille dans vos mains.

Sachez que je vais poster cette enveloppe ce soir. Vous devriez la recevoir samedi matin. Comme tous les samedis, vos enfants viennent manger chez vous. Je le sais, je l'ai vu sur le profil de votre fils, de mon frère. Prévoyez un couvert en plus.

Malgré toute la rancoeur qui me hante, je dois savoir qui est ma famille. Je ne supporte plus de ne remplir qu'une partie de mon arbre généalogique et de ne pas savoir qui sont mes autres grands-parents. Vous avez choisit de ne pas me connaître, mais le reste de votre famille ne l'a peut être pas choisit. Mes grands-parents savent-ils que j'existe? Mon frère serait-il heureux d'avoir une petite soeur? Ma soeur aimerait-elle ma compagnie? Tant de questions qui restent toujours sans réponses. Quelques soit le résultat, j'attends ces réponses avec impatience.

Papa. C'est un mot que je n'ai encore jamais dit. Pas encore. Bientôt peut-être, qui sait?

A samedi midi.

Lynn, votre fille.

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