L'enfant

Elle le sentait en elle, dans son ventre.

Cela faisait bientôt trois mois qu'il était là, qu'il grandissait en elle, jour après jour.

L'amour qu'elle ressentait pour cet enfant, ce bébé qui n'était même pas encore né, était indescriptible. Il était là, au chaud, et c'était tout ce qui comptait.

Rien autour d'elle ne pouvait la distraire. Les gens qui passaient, ceux qui lui parlaient, tout cela disparaissait à peine l'avait elle vécu. Rien ne pouvait être plus important que ce petit être qui grandissait dans ses entrailles.

Elle passait de longues heures à parler à son enfant, comme s'il pouvait l'entendre. Et qui sait ? Peut-être l'entendait-il vraiment ? Qui pourrait dire ce qui se passe lorsqu'une vie se développe en soi ? Qui connait la magie et la force de l'amour que l'on ressent pour le fruit de sa chaire ?

Elle caressait son ventre, à peine gonflé, un sourire tendre flottant sur ses lèvres. Elle n'en avait sans doute pas conscience mais elle renvoyait ainsi une image de douceur, de tendresse, mais aussi de féroce passion pour cette vie à venir.

Elle lui consacrait tout son temps, elle qui était pourtant organisée, elle oubliait tout ce qu'elle avait à faire, tous les codes de la société. Elle ne parlait plus, uniquement à l'intérieur d'elle-même. Elle s'était murée dans le silence, non pas par tristesse, peine, ou dépression, mais par peur de perdre chaque instant à faire autre chose que de penser à ce bébé qu'elle tenait encore en elle.

Elle pensait à tout ce qu'elle, ce qu'ils, feraient quand l'enfant naîtrait. Tous les moments qu'ils allaient passer tous les deux. Elle pensait à ce petit corps qu'elle tiendrait dans ces bras, ce petit visage fripé qui la contemplerait de ses grands yeux bleus innocents. Elle pouvait presque sentir le souffle du nouveau-né sur ses cheveux, ses épaules, lorsqu'elle tiendrait son corps fragile contre elle. Elle débordait de joie, d'impatience et d'amour à l'idée de prendre un jour dans ce bras ce nourrisson tout petit, de le nourrir de son sein, de le tenir contre elle en dormant...

Elle savait qu'il allait vite grandir, ce bébé, qu'il deviendrait un enfant de plus en plus grand, de plus en plus autonome. Mais cela ne lui faisait pas peur, elle voulait simplement vivre chaque moment avec toute l'intensité dont elle était capable, savoir chérir et ne pas oublier tous les instants qu'elle allait passer avec lui.

Elle savait aussi qu'un jour il partirait faire sa propre vie, loin d'elle. Cela lui faisait un pincement douloureux dans le cœur, alors elle chassait cette pensée en se disant qu'après tout, c'était la vie, et qu'en attendant elle allait lui consacrer sa vie pour en faire un homme fort et bon.

Elle soupirait parfois, les yeux perdus dans le ciel, diurne ou nocturne, suivant la course des nuages dans le bleu des yeux, ou celle de la lune dans l'obscurité.

Les mois passaient, elle sentait cette seconde vie devenir de plus en plus présente. Elle ne la sentait plus uniquement dans son ventre, sa présence était partout en elle, dans chaque cellule de son corps, chaque atome qui la composait.

Elle était lui comme il était elle.

En s'observant, nue, dans le miroir, elle riait de son ventre tendu. Elle avait perdu sa grâce d'antan ; oubliées ses hanches fines, sa légèreté, sa souplesse. Elle se tenait cambrée pour compenser le poids de son ventre.

Mais d'un autre côté, elle n'en était que plus belle. Ses yeux brillaient, ses joues étaient d'une délicate teinte rosée, ses cheveux d'un noir corbeau dégringolaient sur ses épaules et son dos. Il y avait un côté sauvage dans sa beauté, un amour féroce et cruel, prévenant quiconque oserait s'en prendre à son enfant qu'il subirait le feu de sa vengeance.

Elle savourait cette sensation unique de créer la vie, de nourrir le fœtus qui se développait grâce à elle, d'un jour lui donner vie.

Elle révassait en tricotant de minuscules vêtements pour son bébé. De temps en temps, elle s'arrêtait, fermait les yeux en soupirant, et caressait machinalement son ventre. Elle sentait son sang et celui de son fils battre à l'unisson dans ce corps qu'ils partageaient mais qu'un jour redeviendrait entièrement le sien.

Elle contait à son bébé tout ce qu'elle voyait autour d'elle. Elle lui fredonnait des berceuses, lui murmurait des promesses et lui répétait sans cesse ô combien elle l'aimait. Elle lui décrivait le vent dans les arbres, le vol des oiseaux dans l'air, le chant des cigales et des grillons, le cheminement imperturbable des fourmis, le lierre qui escaladait les murs de leur maison, les bruits de la forêt et ceux des champs, les fleurs qui poussent, s'épanouissent et meurent, les papillons fragiles ballottés dans les courants d'air, la douceur du soleil sur sa peau, le bleu du ciel, le vert de la nature, le gris de la ville. Elle lui parlait aussi parfois des gens qu'elle voyait, de ceux qu'elle aimait et de ceux qu'elle n'aimait pas. Elle lui contait sa vie et mille autres choses.

Elle lui épargnait cependant la méchanceté des hommes. Jamais elle ne parla à son fils de la cruauté, l'avarie, la perversité de l'être humain et toutes les horreurs du monde où ils vivaient. Elle garda pour elle toute la douleur qu'elle avait traversé, elle conserva enfoui au fond de son cœur, là où même son enfant ne pouvait voir, la tristesse, la souffrance qu'elle avait enduré, les larmes qu'elle avait versées et les cris qui avaient déchiré sa gorge. Elle refoula toutes ses émotions négatives pour ne se concentrer que sur le plus important : lui.

Lui que chaque jour, chaque heure qui passait, rapprochait de la naissance. De sa sortie à l'air libre.

Elle savait que cela n'allait pas être simple. Elle était seule, perdue. Elle s'était écartée du monde, voyait de moins en moins ses semblables, se refermait sur elle même. Elle se faisait livrer sa nourriture pour ne pas avoir à sortir. Elle n'avait pas mis les pieds hors de son jardin depuis des semaines, sa dernière conversation avec un être humain remontait à plus de quinze jours, rien ne l'intéressait plus.

Et puis, un beau jour, il naquit.

L'accouchement fut encore pire que ce à quoi elle s'attendait.

Elle avait lu des livres par dizaines, s'était documentée sur cette épreuve, mais la réalité fut bien plus dure. Elle souffrit pendant des heures, crut mourir plusieurs fois, mais toujours elle garda espoir et jamais elle n'abandonna.

Au matin, son rêve s'était enfin accomplit et elle tenait contre son sein ce minuscule corps bleui qui venait de voir le jour. Elle était épuisée, au-delà de ce que les mots peuvent le décrire, mais sa joie était si grande, si intense, qu'elle éclipsait tout le reste.

Elle dormit mal, réveillée à chaque fois qu'elle parvenait à s'assoupir par les pleurs du bébé. Dotée d'une patience infinie, elle se relevait, le berçait, lui chantait des chansons puis, lorsqu'il s'était enfin rendormi, elle s'allongeait sans prêter attention aux larmes de fatigue qui couvraient ses joues. Elle se sentait vidée de toutes forces, elle était même secrètement inquiète de ne pas voir le lendemain, mais pour son fils, elle tint bon.

Quelques jours plus tard, le chant d'un oiseau perça l'air, la tirant du sommeil.

La lumière du jour entrait à flots par la fenêtre. Le nourrisson dormait contre elle, ses poings serrés au-dessus de sa tête et un air contrarié sur le visage. Elle l'embrassa doucement sur le front et se leva sans bruit. Pour la première fois depuis l'accouchement, elle prit le temps de se laver, de se coiffer et de s'habiller. Elle mangea, assise sur son lit, en surveillant du coin de l'œil le petit corps toujours profondément plongé dans le sommeil. Sans pouvoir dire pourquoi, elle se sentait enfin reposée.

Elle posa à nouveau les yeux sur son fils et une vague d'amour la submergea, si forte que des larmes jaillirent de ses yeux et qu'elle éclata de rire. L'enfant se réveilla, poussa un gémissement. Elle le prit contre elle et fit quelques pas de danse sur le parquet de la chambre. Ses pieds nus glissant sur le bois. Elle riait encore de longues minutes plus tard, allongée de tous son long sur le lit, son fils contre son cœur.

Elle était heureuse, et rien d'autre ne comptait.

~ 1394 mots ~

✿✿✿

Bon bah... Voilà !

J'écris des drôles de trucs à 1h du mat mais j'espère que ça vous a plu :)

Je sais pas pourquoi mais là j'avais vraiment besoin d'écrire, peut-être parce que ça fait longtemps.

Et pourquoi ce thème ? Me demanderez vous ?

Eh ben... Aucune idée !

Kiss
Lise

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