La malédiction d'Osiris

Martin Richmond sortit le livre de sa vitrine et le déposa sur son bureau. L'épais volume portait les stigmates du temps sur des pages à moitié déchiquetées. Le conservateur contempla les alignements de hiéroglyphes bariolés ; ces papyrus, reliés entre eux par une civilisation aujourd'hui éteinte, renfermaient des secrets vieux de plusieurs millénaires.

Le livre d'Ammout, déesse gardienne, dévoreuse des cœurs impurs.

Richmond gonfla le poitrail, fier de cette pièce unique. Retrouvé dix ans auparavant dans l'une des nombreuses sépultures chrétiennes qui jonchaient les catacombes de Rome, l'ouvrage se trouvait depuis à l'étude entre ses mains expertes, et il s'évertuait jour après jour à en extirper tous les secrets. En dépit des efforts d'un quelconque prêtre persécuté, le livre païen n'était pas condamné à la disparition, au fond d'une vieille tombe – assez sèche et hermétique, par chance, sans quoi l'humidité aurait rongé le précieux ouvrage.

Le bruit du transpalette tira Richmond de ses pensées. Quelques mois plus tôt, le musée avait déménagé temporairement son bureau dans la section d'histoire naturelle, pour cause de travaux – apparemment, la direction souhaitait élargir l'aile Est du bâtiment. L'historien soupçonnait plutôt une fuite de gaz officieuse – les momies ne sentaient peut-être pas la rose, mais bon, à ce point...

Les ouvriers installaient une nouvelle pièce dans l'immense diorama qui traitait de l'évolution animale. Une pièce plutôt volumineuse, à en juger par le vacarme. Un immense squelette de mammouth parfaitement conservé et récemment mis à jour par des explorateurs du Grand Nord. Il achevait ici, au Canada, son long voyage depuis l'Antarctique ; le collègue de Martin, responsable de ce département, ne cessait de lui en rebattre les oreilles avec une fierté sûrement égale à celle qu'il éprouvait devant « un vieux bouquin poussiéreux ».

Après avoir jeté un regard dédaigneux aux ouvriers, Richmond retourna derrière son bureau. Il s'approcha de la caisse en bois déposée à son attention, étiquetée « fragile ». Quoi qu'on en dise, lui possédait vraiment de quoi vanter les mérites de l'égyptologie.

Il arracha les lattes du colis comme un enfant qui ouvre ses cadeaux au pied du sapin. Il en sortit un coffret en cuir tanné et fit jouer les serrures. Elles sautèrent et Richmond put enfin contempler l'artefact qu'il attendait avec impatience.

La récente découverte de la Nécropole des Prêtres, au Nord de Gizeh avait donné un nouveau tournant à ses recherches ; celles-ci avaient guidé les archéologues à travers les ruines de la Nécropole, jusqu'à la mythique Porte des Morts, sanctifiée dans la salle des Rituels. Là trônait depuis des millénaires la Table d'Anubis, clef symbolique qui séparait les mondes terrestre et spirituel. Etant donné sa large contribution intellectuelle, les confrères du conservateur – également professeur émérite en égyptologie – lui envoyaient tout naturellement cette pièce unique, afin qu'il l'étudie selon son bon vouloir,

Circulaire, forgée dans l'or pur, la Table d'Anubis pesait plusieurs kilos ; sa manipulation demandait des précautions infinies. Constituée d'une superposition de disques dont les glyphes s'alignaient à la perfection, il fallait prendre garde de ne pas en déboîter un seul – le risque était grand, si l'on en jugeait par l'âge de la relique. En son cœur, le sommet d'un axe pivot s'achevait en un hémisphère doré sur lequel avaient été gravé une série de symboles.

Une fois installé à son aise, Martin Richmond s'empara sa loupe et soumit la moindre trace de langage à un examen consciencieux. Rien à voir avec de l'égyptien courant ; cette forme-là remontait bien plus loin, si ancienne qu'elle faisait partie des savoirs qu'on n'enseignait pas à l'université, faute d'une connaissance suffisamment solide sur le sujet. Aussi le chercheur s'acharna pendant un temps, avant de renoncer.

Il reporta son attention sur le mécanisme en lui-même, et plus particulièrement sur l'hémisphère central ; il constituait la tête d'un cylindre pivotant. L'homme posa sa main dessus avec une infinie précaution et il l'actionna dans un crissement à faire vibrer des os. L'axe opposa d'abord une légère résistance, avant de se soumettre. Il tourna, emportant dans son mouvement les différents disques. Les cercles dorés s'agitèrent, comme pris dans les rouages d'un très vieux carrousel, puis s'arrêtèrent subitement. Un nouvel alignement venait de se former. Les étranges cliquetis qui accompagnaient la rotation cessèrent également ; il fallut un moment de réflexion au professeur pour qu'il parvienne à identifier la nature de ces étranges petits bruits.

C'est une serrure ! songea tout à coup Richmond. Le mécanisme tout entier agit comme le verrou d'une chambre forte. Mais pour protéger quoi ?

Le conservateur reprit l'examen de la Table. Il concentra son attention sur l'hémisphère central, doux et froid à travers le latex de son gant. D'instinct, l'on pressentait que l'objet renfermait quelque chose.

Pris dans un tourbillon frénétique, une incontrôlable excitation, Martin Richmond se jeta sur le livre d'Ammout. L'ouvrage s'utilisait au cours des rituels, au sein même de la Nécropole – il l'avait déterminé dans un article qui avait fait grand bruit dans le milieu des égyptologues. Les prêtres avaient forcément dû y laisser des informations exploitables au sujet de la Table d'Anubis.

Après plusieurs minutes, il tomba enfin sur une représentation assez fidèle, précédée et suivie de très nombreuses inscriptions. Le véritable travail pouvait commencer. La tasse de café dans une main et un stylo dans l'autre, le professeur s'attela à la tâche. Il y passerait la soirée s'il le fallait, mais il déchiffrerait le mode d'emploi de cette serrure.

Dehors, la nuit tomba progressivement. Le musée se vida même plus tôt que prévu ; on annonçait du blizzard – rien d'anormal en cette saison, mais mieux valait se trouver chez soi quand il passait sur la ville.

Minuit approchait lorsque le conservateur acheva sa traduction. Au terme de plusieurs longues heures à se torturer les méninges, il observa son papier, satisfait, et tira la Table d'Anubis jusqu'à lui. En réalité, il n'existait pas de code numéral tel qu'on pouvait l'imaginer, en bons occidentaux adeptes des coffres-forts. Il fallait simplement faire pivoter les cercles jusqu'à obtenir le bon mot. Les rotations fonctionnaient selon un processus mathématique prédéterminé ; il suffisait donc d'en calculer les mouvements.

Cependant, la déception grandit à mesure que le conservateur tentait de percer le secret de l'artefact. Aucune combinaison ne donna naissance à un propos cohérent. Les glyphes se superposaient, s'agençaient les uns avec les autres, sans jamais signifier quoi que ce soit.

Exaspéré, Richmond soupira. Il avait tourné cet axe tellement de fois que la sueur collait le latex dans sa paume. Il tenta de retirer sa main, mais l'adhésion avec l'or souleva également le cylindre. Le cœur du pauvre homme fit un bond dans sa poitrine ; il s'exposait à de sérieux ennuis s'il avait amoché une relique aussi précieuse. Il perdrait tout : son agrégation, son droit d'enseigner, de mener des études, et son emploi au musée.

Mais par chance, l'axe ne s'était soulevé que de quelques centimètres avant d'être retenu par un système de blocage. Ingénieux, ces Egyptiens, songea le chercheur. Il tenta de faire pivoter les cercles, priant pour un coup de chance. L'hémisphère effectua une rotation complète cette fois.

L'alignement changea et les symboles se réagencèrent pour former un terme cohérent.

La Mort.

Un frisson parcourut l'échine de Martin Richmond. Un courant d'air froid venait de traverser la pièce. Le conservateur regarda autour de lui ; pas de fenêtre ouverte. On avait sûrement activé la climatisation pour maintenir les œuvres à une température constante, c'était la seule explication possible.

Retournant à sa tâche, le conservateur fut déçu ; il s'attendait à ce que la mort soit la clef – quoi de plus normal pour la Table d'Anubis. Pourtant rien ne s'ouvrit. Les verrous – si verrou il y avait – restaient solidement bloqués. Richmond commençait sérieusement à douter qu'il y ait quoi que ce soit à tirer de ce vieux machin.

En désespoir de cause, il tourna une dernière fois le cylindre. De nouveaux glyphes apparurent, mais encore une fois, rien d'extraordinaire ne se produisit. L'égyptologue soupira et s'avachit dans son fauteuil. Tout ça pour rien, et en plus le voilà coincé au musée pour la nuit, avec le blizzard qui soufflait à l'extérieur et bloquait sans aucun doute les grands axes de circulation.

Soudain, alors qu'il se morfondait, un petit déclic l'interpella. Le cylindre s'enfonça dans la relique. Les cercles se remirent à s'agiter frénétiquement, faisant plus d'un tour. Puis tout cessa net. L'hémisphère tressaillit et s'ouvrit en lâchant un petit nuage de poussière.

Richmond sursauta. Il se leva pour faire le tour de son bureau, ébahi. Il se pencha au-dessus de réceptacle : vide. Enfin, presque... Un symbole de plus, gravé à l'intérieur, attendait qu'on le décrypte à son tour. Le conservateur passa ses doigts gantés sur le métal froid, avant de les retirer d'un coup sec. La brûlure avait traversé le latex, le détruisant au passage ; à l'endroit des trous, la peau cloquait déjà.

Tous ces efforts pour si peu, se dit le conservateur en plissant les yeux, intrigué autant qu'inquiet. Eh ben, au moins j'aurais une bonne histoire à raconter à mes étudiants.

Il ramassa ses affaires en s'exhortant à l'indifférence ; afficher une certaine désinvolture demeurait un moyen comme un autre de rationnaliser les derniers évènements, aussi étranges qu'ils soient.

Alors qu'il remettait le livre d'Ammout en vitrine, un bruit de frottement fit sursauter Richmond. Il regarda autour de lui sans rien remarquer d'anormal. Il retourna à ses occupations quelques secondes, avant que le bruit ne se répète. Le bruissement provenait de la bibliothèque – plus précisément d'un coffret d'entomologie à propos duquel le collègue de Martin ne tarissait pas d'éloges.

L'égyptologue s'en approcha. Les insectes s'alignaient, épinglés sur le fond en mousse, immobiles – ou presque. Un gros papillon bleu, pièce maîtresse de la collection, se mit soudain à battre des ailes. Rapidement, un scarabée doré du Yucatan s'agita à son tour. En l'espace de quelques secondes, ce fut toute la vitrine qui se mit à grouiller.

Le cœur de Richmond s'emballa. L'impossible phénomène le tétanisa. Sa première réaction fut de réfuter le caractère réel de la chose. Il tourna lentement son regard en direction de la Table d'Anubis. Il savait que parfois les Egyptiens pouvaient piéger leurs reliques avec une toxine hallucinogène. La réponse à ses hallucinations lui parut toute trouvée...

Mais, malgré son farouche rationalisme, le conservateur prit ses jambes à son cou ; il quitta son bureau en vitesse lorsque les gros insectes commencèrent à s'échapper de leurs bocaux pour venir taper contre les vitrines. Le vacarme devient vite assourdissant, en plus d'être terrifiant ; Richmond se précipita à la recherche un coin tranquille où il pourrait évacuer le poison. Une fois la toxine hors de son organisme... Oui, évidemment, demain matin tout serait redevenu normal ! Il l'espérait.

Un crissement le fit sursauter alors qu'il traversait la section d'histoire naturelle. Il venait de marcher sur des éclats de verre. Professionnel en toute circonstance, il s'arrêta pour évaluer les dégâts ; quelqu'un avait brisé l'une des vitres protégeant le diorama du darwinisme en cinq étapes. Mais qui ?

L'un des mannequins de cire qui représentait l'homme de Neandertal vacilla alors sur son socle, avant de basculer dans un bruit sourd. Une boule de plumes colorées jaillit en trombe et passa au-dessus de la tête de Richmond, avant de s'enfuir dans une pièce voisine.

Le conservateur ne possédait que quelques notions rudimentaires en ornithologie, mais il était pratiquement certain qu'on n'observait pas ce genre d'oiseau bariolé dans les forêts canadiennes. Intrigué, il le suivit – de toute manière, il s'agissait sûrement d'une nouvelle hallucination.

L'oiseau se posa au pied d'une fontaine factice, décor pour l'exposition sur les animaux de l'Amazonie – les enfants l'adoraient, celle-là.

A l'instant où il mit les pieds dans la pièce, Richmond eut l'intuition qu'un élément manquait. Au cours d'une de ses pauses repas, il se souvenait d'avoir longuement admiré le grand félin blanc qui surplombait la foule, du haut de son arbre en plastique. Un jaguar albinos, l'une des espèces les plus rares du monde. Un collectionneur privé le prêtait gracieusement au musée – l'un de ses ancêtres était apparemment un taxidermiste passionné de chasse.

Le conservateur sentit que l'on effleurait son dos. Une caresse douce, feutrée.

Il pouvait presque imaginer les muscles souples et rapides qui roulaient sous le pelage blanc. Il retint sa respiration lorsqu'un ronronnement guttural s'éleva doucement dans l'air, comme une mélopée morbide. Les chats ronronnent lorsqu'ils sont contents, non ?... Nul doute que ce jaguar-ci devait être ravi d'avoir trouvé son dîner.

Mais c'est ridicule ! Reprends-toi un peu, mon vieux. Tu hallucines. Il n'y a pas plus de jaguars que de papillon bleu ou de perroquet multicolore. Tous ces bestiaux sont morts ; ils sont fourrés avec de la paille.

Richmond se retourna dans un mouvement impulsif et colérique. Une douleur cuisante le fit hurler ; une marque de griffes s'imprima profondément dans sa cuisse. Du sang chaud s'en écoulait déjà. Un feulement résonna dans la galerie, se répercutant sur les verrières du plafond.

Le conservateur revint sur ses pas aussi rapidement que sa jambe blessée le lui permettait. La douleur s'amplifiait à cause de l'hémorragie et devenait de plus en plus insupportable.

Il actionna le signal d'urgence et verrouilla la porte de l'exposition. Le félin trouverait sûrement un autre chemin, mais au moins Richmond gagnait un peu de répit. Il s'adossa contre l'une des estrades de présentation et examina sa jambe. Il avait laissé derrière lui plusieurs traînées rouges qui salissaient abondamment le carrelage. La tête lui tournait – lui qui ne supportait déjà pas d'aller faire une prise de sang.

Une impression de fatigue s'écrasa sur lui. C'est sans doute l'effet du poison, se dit-il. L'autre solution restait bien trop horrible à envisager. La simple pensée que tout cela puisse être réel... Inimaginable ! Je vais me réveiller demain avec une bonne gueule de bois, et ça ira mieux.

Richmond appuya sa tête contre l'estrade. Sa joue rencontra quelque chose de mou et d'humide. Il toucha l'étrange matière rosâtre ; elle formait d'épais filaments qui s'entrelaçaient entre eux, un peu comme...

L'égyptologue se releva d'un coup, malgré les protestations de sa jambe. La blessure le fit trébucher et il retomba douloureusement sur le coccyx. Il ne s'en soucia pas ; il ne pouvait pas décrocher ses yeux du squelette titanesque qu'on avait amené un peu plus tôt. Il avait vu les ouvriers installer le mammouth, il avait vu les os – ces mêmes os qui se couvraient à présent de muscles et de tendons.

Les globes oculaires se reformèrent, ronds comme des bulles de savon. Le cartilage de la trompe se reconstituait également. Le réseau sanguin réapparaissait entre les plis de la chair – ce qui laissait supposer que les organes vitaux étaient déjà opérationnels.

Le titan tourna lentement sa tête en direction de ce petit être qui s'agitait dans tous les sens. L'une des pattes avant se souleva, arrachant les fils de nylon qui la retenaient. Elle fit trembler la terre lorsqu'elle se posa sur le sol du musée.

En désespoir de cause, le conservateur essaya de regagner son bureau – il préférait encore les papillons à ça !

Il referma la porte derrière lui et se précipita vers la table d'Anubis. Tout venait d'elle. Peut-être cette folie prendrait-elle fin s'il parvenait à refermer l'hémisphère.

Cette fois, il prit le temps d'examiner le hiéroglyphe gravé à l'intérieur, au cœur du dispositif. Il ne lui fut d'aucun secours. Il ne s'agissait que d'un simple mot – un terme que les Egyptiens utilisaient pour vénérer le grand dieu Osiris. Résurrection.

Martin Richmond se laissa tomber sur le tapis persan. Il roula sous son bureau et se mit en position fœtale, conscient qu'il risquait de ne pas survivre à cette nuit d'horreur.

Il y eut alors un bruit sourd au-dessus de sa tête ; quelque chose venait de se poser sur son bureau. Un long appendice blanc et poilu descendit. Il ondulait, fouettant l'air avec une certaine satisfaction.

Le jaguar sauta, souple sur ses pattes, fixa Richmond, puis feula avant de se jeter sur lui.

Le conservateur recula instinctivement. Les griffes de l'animal l'atteignirent tout de même. Elles lacérèrent son torse et, sans faire de dégâts majeurs, elles endommagèrent la chair du pauvre homme. De larges auréoles rouges imbibèrent vite la chemise en lambeaux. Un voile sanglant obscurcit la vision de Richmond. Il tenta tant bien que mal de se remettre sur pieds alors que le félin préparait une nouvelle attaque. La bête monta sur le bureau, et, au moment où elle sautait, sa proie s'empara d'un objet long, contondant, dans lequel ses jambes maladroites butèrent à reculons.

La gueule ouverte, le jaguar s'empala sur la pointe en métal renforcé d'un long parapluie britannique. Richmond ferma les yeux et bénit mille fois son insupportable collègue, qui l'avait sûrement posé contre les vitrines et malencontreusement oublié en quittant le bureau – rien d'étonnant, chargé comme il était à ce moment-là, avec ses papiers, son attaché-case, ses livres...

Planté sur le parapluie, l'animal s'agita, arracha le manche des mains du chercheur et tituba jusque dans un coin. Là, il s'effondra, l'étrange aiguillon planté en travers du corps. Les convulsions, cependant, firent craindre à Richmond une récidive – une nouvelle résurrection.

Résurrection !

Le conservateur chancela jusqu'à la Table d'Anubis. Ce portail qu'il avait voulu à tout prix faire excaver de la Nécropole ! Elle formait un lien ! Un passage entre le monde des Vivants et le monde des Morts. Antérieur aux premières traces de religion, doté d'un langage que peu connaissaient, même à l'époque des grands pharaons... Nul doute qu'avec de pareilles conséquences, les défunts auraient pu mettre l'Egypte Antique à feu et à sang.

Osiris, contenu dans Anubis. Deux réalités intriquées l'une dans l'autre, indivisibles. Mais comment refermer la table et mettre un terme à ce cauchemar ?

Après un bref regard en direction de la bête qui gisait non loin, Richmond voulut atteindre le livre d'Ammout, dans l'espoir d'y découvrir une liturgie secrète. Ses jambes le lâchèrent malheureusement avant. Ses doigts serraient les plaies de son torse et, écarlates, ils recueillaient le sang chaud à mesure que la vie s'écoulait hors du conservateur. Bientôt, il s'effondrerait, périrait d'une hémorragie et... Et alors quoi ? Reviendrait-il, lui aussi ? Posséderait-il une conscience ? Deviendrait-il un Lazare ? Ou une simple enveloppe régie par des besoins primaires, comme le gros félin blanc ?

Alors qu'il tombait sur son bureau, le pauvre homme posa ses mains poisseuses sur la Table d'or. Il pria intérieurement Osiris, dans une ultime tentative pour se sauver. Il serra la relique contre lui et, soudain, elle s'anima derechef. Couverte de sang, le liquide propre aux vivants, elle s'activa pour mettre un terme au phénomène. Comprenant l'origine d'une telle agitation, le conservateur s'empressa de badigeonner de rouge la rune centrale. Un éclat l'anima, la mécanique actionna les cercles, un réseau obscur s'empara du métal, jusqu'à ce que la Table s'assombrisse. Comme muée en obsidienne, elle devint aussi noire que la nuit.

L'hémisphère central se resserra jusqu'à reformer un dôme parfait, qui contenait dans ses entrailles l'inscription maudite.

Dans les pièces voisines, les morts s'immobilisèrent subitement. Un invisible anévrisme vrilla leurs corps. En silence, ils tentèrent de regagner leurs piédestaux respectifs mais, avant d'y parvenir, la lueur en eux s'éteignit. Il ne demeura dans le musée qu'un vaste désordre de paille, de fourrure et de plumes.

Le lendemain, lorsqu'on vint ouvrir les portes du Muséum d'Histoire Naturelle de Toronto, la confusion la plus totale régnait partout. On soupçonna un cambriolage. L'hypothèse fut confirmée quand la police découvrit le conservateur mutilé. On le transporta en urgence à l'hôpital, après l'avoir séparé de sa précieuse relique, qu'il avait visiblement protégé envers et contre toutes les agressions qu'on lui avait infligées. L'étrange table d'or fut mise en lieu sûr, tandis qu'à son réveil, le conservateur se voyait questionné inlassablement, sans parvenir à fournir une réponse cohérente.

Il mit plusieurs mois à se rétablir, et quand il se sentit de nouveau assez fort pour reprendre ses recherches, le premier ordre de Martin Richmond surprit tous ses confrères. Dès que possible, depuis la chambre d'une maison de convalescence, il enjoignit le département des antiquités à restituer aux Egyptiens le trésor qui leur revenait de droit. Il le fit renvoyer au Caire, avec une note explicative qui conseillait fortement d'enfermer la Table d'Anubis dans une réserve pour un long moment, afin qu'elle ne soit jamais plus convoitée par quiconque.

La peur des cambrioleurs et des voleurs d'art tiendrait temporairement les intellectuels à distance d'un objet aussi malfaisant. Du moins l'espérait-il.

* * *

Voilà pour un nouveau texte qui rappelle totalement "La Nuit au musée", je suis d'accord, mais je l'ai quand même gardé dans mes cartons, et je me suis dit qu'il serait bien ici :) J'espère qu'il vous aura plu(e), n'oublier pas de voter et/ou commenter si c'est le cas. A bientôt !

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