Arc-en-ciel

Lorsque Gabriel eut fini sa visite guidée ce jour-là, il en avait presque les larmes aux yeux. Personne ne l'avait écouté. Personne n'avait prêté attention à ses explications sur tel tableau ou tel peintre. Il savait déjà que les jeunes voyaient cette sortie au musée comme un poids, mais cela ne rendait pas la chose moins douloureuse.

Les quelques adolescents qui l'avaient écouté au début n'avaient pas tardé à décrocher, eux-aussi. C'était sa faute. Il était un mauvais guide. Il n'arrivait pas à être assez intéressant pour les visiteurs. Sa mère avait raison, il était soporifique lorsqu'il parlait de l'art.

Alors que, Gabriel était passionné par ce sujet. Quand il décrivait un tableau, ses yeux brillaient et il souriait. Mais personne ne prêtait attention à ses paroles, et les gens le coupaient souvent, accompagné d'un "trop chiant". Il ne le montrait pas, mais ces remarques le blessaient cruellement.

En fait, une seule personne l'écoutait parler d'art pendant des heures. Mais il allait tout gâcher avec elle. Comme d'habitude.

Gabriel alla récupérer son manteau et passa devant l'accueil, sans même dire au revoir. Dehors, il aperçut les adolescents dans le parc en face du bâtiment. Ils mangeaient par petit groupe, discutant, riant. Ils n'étaient pas comme ça il y a quelques dizaines de minutes. Ils avaient semblé endormis.

En temps normal, le jeune homme aurait reporté la faute sur eux et les aurait traités de tous les noms silencieusement. Mais aujourd'hui, il n'en avait pas la force. Il en avait assez de faire semblant d'aller bien. Son sourire se fana encore plus.

Il détourna rapidement le regard et commença à marcher. Les commentaires de sa mère se mélangeaient avec les regards inintéressés des gamins. Elle lui avait toujours dit qu'il ne ferait pas un bon guide. Il ne l'avait pas cru. Elle avait eu raison, finalement.

Gabriel n'avait désormais qu'une seule hâte, rentrer chez lui. Se blottir sous la couette, mettre un bon film et s'endormir en bouffant des chamallows. Il espérait qu'il ne soit pas là à son retour. Il n'avait pas la force de l'affronter aujourd'hui. Il allait craquer.

Lorsqu'il arriva devant la porte de son appartement, il sut immédiatement que son souhait n'était pas exaucé. Il ne sortit pas ses clefs et ouvrit la porte en tournant la poignée. Comme il l'avait prédit, Louis était dans la pièce à vivre, un pinceau à la main et un chevalet devant lui. Il avait des taches de peinture dans les cheveux. La pièce était silencieuse, ce que Gabriel trouva étrange, il peignait toujours en musique, d'habitude. Il referma la porte en avertissant son ami de sa présence.

- Salut.

Louis sursauta, reculant vivement son pinceau de la toile. Il ne l'avait pas entendu arriver.

- Salut.

- Alors, ça avance ?

- Je devrai le finir avant ce soir, oui.

C'était la deuxième fois qu'il refaisait ce tableau, il n'en était jamais satisfait. Cette fois-ci était la bonne, il le sentait.

- Ça t'en fait combien en tout ?

- Douze.

Gabriel se défit de ses affaires et recompta rapidement dans sa tête avant de prendre la parole.

- Il y en a six que t'avais déjà peint, trois qui sont dans ta chambre, et celui-là, dix.

- L'esquisse.

- Je l'avais oublié oui. Donc onze. Et le dernier tableau ?

Louis sourit.

- Tu l'as pas encore vu.

- Je l'ai pas encore vu ? s'étonna Gabriel.

- Non, c'est une surprise.

Le guide était curieux. Ils vivaient dans le même appartement, il se serait rendu compte si Louis avait achevé une nouvelle œuvre. À moins qu'il ait pris ses précautions pour le poser hors de sa vue.

Gabriel lâcha l'affaire. Il le lui montrerait quand il le voulait. Ça ne servait à rien de poser des questions. Puis, Louis avait mieux à faire que de lui parler. Il devait finir son tableau.

Alors qu'il se rendait dans sa chambre, il fut interpellé.

- Et toi, ta journée ?

Il sourit tristement. Il était dos à Louis, il ne pouvait pas voir son visage défait.

- Ça va, mentit-il.

- Et pour de vrai ?

Gabriel soupira. Il le connaissait bien. Il aurait préféré que le jeune homme n'en ait rien à faire de lui. Tout aurait été plus simple.

Sans un mot, il alla s'assoir sur le canapé à gauche de l'entrée, face à une télévision qui ne marchait plus et qu'ils n'avaient toujours pas réparé. Louis peignait silencieusement, attendant sa réponse.

- Tu penses que je suis pas intéressant ?

Le pinceau arrêta son mouvement.

- Pourquoi tu dis ça ?

- Réponds, Louis.

- Non, bien sûr que non, s'indigna Louis, le regard posé sur son ami. Sors-toi ça de la tête, t'es une des personnes les plus intéressantes que je connaisse.

Gabriel sourit vaguement. Il ne savait pas si Louis le pensait vraiment ou cherchait seulement à le rassurer.

- C'est vrai ? demanda-t-il.

- Oui, je ne mens pas. Qui t'a dit que t'étais pas intéressant ?

Il avait délaissé son tableau et restait debout, son pinceau à la main. Gabriel savait qu'il allait craquer s'ils commençaient à aborder le sujet.

- Personne, dit-il pour l'éviter.

Il voulait couper court à la discussion en allant dans sa chambre mais restait tout de même immobile.

- Ma mère, finit-il quand même par avouer. Et les visiteurs au musée. Et mes camarades de classe quand j'étais petit. Mes amis, aussi.

Les souvenirs affluaient dans sa tête et les larmes lui montaient aux yeux.

- Tout le monde, finit-il dans un sanglot.

Louis le fixait, sans savoir quoi faire. Délicatement, il posa son pinceau et vint s'assoir sur le canapé aux côtés de son ami. Il n'osait pas le toucher. Il se contenta de l'écouter, le cœur serré.

- C'est juste que, que... commença Gabriel en reniflant, que j'ai l'impression de servir à rien. D'être inutile. De pas être assez. Au musée, personne m'écoute. Mon père est parti. Ma mère en a rien à faire de moi. J'ai l'impression que si j'étais pas là le monde se porterait mieux.

- Gaby, arrête tes conneries, tu...

Il ne l'écouta même pas.

- Et même toi, les seuls trucs que je fais c'est te prendre ton temps alors que t'as ton expo à la fin de la semaine et que je sais que c'est important pour toi. Et là je pleure comme un gosse alors que tu dois finir ton tableau et tu dois me trouver pitoyable à me mettre dans cet état-l...

- Gaby, j'ai dit stop !

Ce dernier sursauta. Il était rare que Louis hausse la voix.

- Putain, t'es fatigué et tu dis de la merde.

Il était rare que Louis jure. Et bordel, qu'est-ce qu'il foutait encore là avec lui. Il méritait mieux qu'un gars qui pleurnichait parce que personne ne l'aime. Gabriel se fit tout petit. Les larmes étaient parties. Il se sentait vide. Inutile, encore. De trop.

Louis passa son bras autour des épaules de Gabriel, le regard posé sur la télévision. Timidement, le plus âgé vint appuyer sa tête sur l'épaule de son ami, qui prit la parole.

- T'es pas inutile, Gaby. T'es assez. C'est pas toi le problème, c'est les autres. Les gens sont cons. Ils apprécient pas l'art comme ils le devraient. Heureusement que t'es là, toi. Et s'ils t'écoutent pas, c'est eux qui perdent quelque chose dans l'histoire, parce que c'est super intéressant ce que tu dis. Et je le sais, j'adore t'écouter. Et la petite qui vient les mercredis aussi, elle ne viendrait pas sinon. Alors dis-pas que le monde serait mieux sans toi, parce que c'est pas vrai. Je te le promets.

Il soupira.

- Et t'excuses jamais de pleurer, c'est normal, d'accord ? Quand tu me consoles parce que j'ai raté un tableau, tu me trouves pitoyable ?

- Non, avoua-t-il.

- Je te trouve pas pitoyable, Gaby. Pas du tout.

Le jeune homme se remit à pleurer. Ces mots lui faisaient mal. Bien trop mal. Parce qu'ils étaient doux justement, et qu'ils semblaient effacer toutes ses incertitudes. Ces mots faisaient peur. C'était effrayant le pouvoir qu'avait Louis sur lui. Ce n'était pas normal.

Louis resserra son étreinte sur son ami en l'enveloppant de son autre bras. Gabriel enfouit sa tête dans son cou. Louis posa sa tête sur la sienne.

- Je suis désolé, dit le brun d'une toute petite voix.

Louis ne répondit rien. Il restait silencieux. Il savait que le plus important, c'était d'être là.

Gabriel s'en voulait. De pleurer dans ses bras, d'avoir cette réaction si peu justifiée, de l'empêcher de travailler, mais surtout, de ressentir cette sensation dans sa poitrine. C'était bien trop fort pour lui. Il avait toujours eu du mal à gérer ses émotions, mais ça avait été encore plus dur pour lui ces derniers temps. Il ne contrôlait plus rien.

Plus rien.

Du tout.

Il tourna la tête.

Ses lèvres s'écrasèrent sur celles de Louis. 

Le plus jeune ne bougea pas, sous le choc. Ce fut Gabriel qui rompit brutalement le contact, se rendant compte de ce qu'il avait fait. Ses yeux s'écarquillèrent. Il s'en voulut immédiatement. Louis semblait terrorisé. C'était sa faute. Il gâchait toujours tout. Bordel. Il avait embrassé Louis. Les larmes coulaient le long de ses joues. Sans laisser le temps à son ami de réagir, il se leva et se précipita dans sa chambre, fermant la porte derrière lui. Il se recroquevilla sur le lit, sanglotant. Il avait honte.

Il passa deux heures allongé sur ce lit. Son estomac gargouillait. Il était près de quinze heures et il n'avait toujours pas mangé. Il avait faim. Il n'osait pas sortir de sa chambre pour aller chercher un truc à grignoter. Il ne voulait pas risquer de le croiser.

Quand ses larmes s'étaient taries, il avait attrapé le bouquin sur sa table de chevet et avait essayé de continuer sa lecture, en vain. Il n'arrivait pas à se concentrer et relisait les mêmes lignes sans arrêt. Il avait donc fini par lancer un film sur son téléphone, son ordinateur étant sur la table du salon. Il n'avait suivi l'histoire qu'à moitié, il se souvenait à peine du nom du personnage principal.

Pendant son visionnage, il avait repensé à l'acte qu'il avait commis. Il culpabilisait beaucoup. Il s'était jeté sur Louis comme une bête, sans lui demander son consentement. C'était une agression. Il avait agressé son ami. Bordel, il était un monstre. À cette pensée, les larmes lui étaient remontées aux yeux. Un monstre.

Il n'avait pas aimé le film. Il était trop chiant. Sans intérêt. Comme lui.

L'appartement était silencieux. Il se demandait si Louis était là. Il était peut-être parti. Il avait eu peur de lui et il s'était enfui. Ou il dormait. Il s'était réveillé tôt ce matin, après tout. Il préférait cette deuxième version. Louis dormait.

Il ne voulait même pas penser à ce qu'il allait se passer ensuite. Il allait devoir sortir de sa chambre, un jour ou l'autre, et lui faire face. Il travaillait demain. Il allait devoir s'expliquer. Il allait perdre Louis. Il avait tout gâché. Encore. Il en avait marre.

- Foutus sentiments à la con, dit-il à voix haute.

Quelques minutes plus tard, la porte d'entrée s'ouvrit. Louis était bel et bien parti. Mais Louis était revenu. Et c'était le seul truc que le cœur de Gabriel voulait retenir. Louis était revenu. Après tout, il n'aurait pas pu aller bien loin, il ne connaissait pas grand monde à part le brun dans cette ville. Il n'était arrivé qu'il y a quelques mois. Il aurait tout de même pu aller se réfugier chez Carla. Mais il était revenu.

Gabriel enfouit la tête dans son coussin pour faire taire la petite voix dans sa tête. Il était bien trop attaché à ce garçon. Dès qu'il se levait, ses pensées le ramenait à lui. Louis. Louis. Louis. À longueur de journée. Et ça lui faisait mal, parce que ce sentiment n'était pas réciproque. Le blond ne le regardait pas comme lui le faisait. Il le voyait.

À quinze heures vingt-huit, on toqua à la porte de Gabriel. Il ne fit aucun bruit. Il savait qui se trouvait de l'autre côté du battant.

- Gabriel ?

Il ne l'appelait jamais par son prénom complet. Le brun ne voulait pas parler à son ami. Il ne voulait pas le voir. Pas si tôt. Mais il n'avait pas le choix.

- Oui, dit-il simplement.

La porte s'ouvrit doucement. Louis passa la tête avant de pousser complètement le battant. Il tenait une assiette à la main.

- T'as pas mangé, s'expliqua-t-il. J'ai fait des gâteaux.

Il posa l'assiette sur le lit et fit un pas en arrière, restant debout. Le cœur de Gabriel se serra. Il lui avait fait des muffins.

- On peut parler ?

Le brun ne répondit pas et attrapa le plat, commençant à manger le biscuit. Il était foutrement bon. Louis prit son silence pour une invitation et s'assit sur le bord du lit.

Le blond regardait le bout de ses chaussures, n'osant pas parler. Une minute ou deux passèrent ainsi.

- Gaby, je... finit-il par dire.

Ce dernier avait fini son gâteau. Il ne voulait pas entendre ce que Louis avait à lui dire. Il avait trop peur.

- Je suis désolé, le coupa-t-il sans oser le regarder. Je sais pas ce qui m'a pris, j'aurai pas du.

- Gaby.

- C'était une erreur.

- Gaby arrête.

- Je suis désolé.

- Arrête ! s'impatienta Louis.

Il serrait les poings. Il avait cette manie depuis des années. Il avait la trace de ses ongles dans sa paume.

- Arrête de t'excuser, bordel ! C'est pas ça le problème.

Il y eut un silence.

- Et qu'est-ce que tu veux que je te dise alors ? lâcha l'ainé.

Gabriel était adossé au mur, assis sur son coussin. Il entourait ses genoux de ses bras, comme si cette carapace pouvait le protéger de cette conversation.

- Je, je veux comprendre. Je veux que tu me dises la vérité, Gab.

Il ne l'avait jamais appelé ainsi.

- C'est la vérité. C'était une erreur. Je suis désolé. Fin de la discussion.

Louis commençait à en avoir assez. Ils tournaient en rond. Gabriel se renfermait sur lui-même et ne voulait pas lui parler. Il n'allaient pas avancer de cette manière. Le blond avait peur. Il avait peur de ce que ce geste avait pu signifier. Il avait besoin de réponses. Réponses que le garçon ne comptait pas lui apporter. Il aurait peut-être mieux fait de ne pas rentrer ce soir.

Il se décida à insister un peu. Et si le brun continuait à déblatérer le même discours, il lâcherait l'affaire.

- C'est pas une erreur d'embrasser des gens. C'est pas possible de pas le faire exprès, Gab. Ça, c'est ce qu'ils disent toujours dans les bouquins que tu lis, et les personnages le pensent jamais vraiment.

- Arrête. C'était une erreur, je te dis. Je le pense. Je sais pas ce qu'il m'a pris.

Louis voulait s'arracher les cheveux. Son ami était particulièrement têtu quand il le voulait. Mais il n'était pas de reste non plus.

- Je te crois pas.

Le ton commençai à monter.

- S'te plaît, fais un effort j'essaie de comprendre.

Gabriel serrait plus fort ses genoux contre sa poitrine. Il voulait plus l'entendre. Il voulait que Louis le laisse. Il allait craquer. Il ne voulait pas craquer.

- Y a rien à comprendre ! s'écria-t-il brusquement.

- Mais arrête putain ! Depuis tout à l'heure y a des milliers de questions qui ont défilé dans ma tête. J'ai besoin de réponses !

- Et moi j'ai besoin que tu me foutes la paix, comme quoi on a pas toujours ce qu'on veut.

Louis accusa le coup silencieusement.

- Tu deviens méchant, Gab.

Je sais.

Le brun regrettait ses propos mais il n'avait pas le choix.

- Ne pas en parler ne résoudra rien.

- Y a rien à résoudre.

Toujours le même discours.

Dans certaines situations, Louis voulait frapper Gabriel. Il savait qu'il insistait peut-être un peu trop mais son ami l'avait embrassé. Ce n'était pas rien pour lui. Il méritait au moins une meilleure explication que celle-ci.

Il connaissait son ami. Il n'était pas décidé à parler. Il fallait le bousculer un peu pour obtenir des réponses, parfois.

- D'accord, y a rien à résoudre. T'as rien à cacher, j'ai compris. Alors pourquoi tu m'as embrassé, hein ? Et je veux pas tes explications à la con.

Les larmes montaient aux yeux de Gabriel. Bordel, il était beaucoup trop sensible en ce moment.

- Sors.

- Non Gab, explique-moi ! Pourquoi t'as fait ça ?

Il avait l'impression de se faire gronder par sa mère, comme quand il était petit. Elle l'engueulait toujours pour un rien. Il ne supportait pas ça. Il ne voulait pas que Louis crie. Pas sur lui. Et pas pour ça.

Gabriel craqua.

- Tu veux que je le dise, hein ? cria-t-il à travers les larmes. T'as très bien compris mais tu veux l'entendre de ma bouche, c'est ça ? T'es venu remuer le couteau dans la plaie pour que je sois encore plus mal ? C'est quoi ton but, en fait ? Tu veux juste te foutre de ma gueule après, c'est ça ?

Louis desserra les poings sans s'en rendre compte. Les larmes qu'il voyait dans les yeux de Gabriel firent apparaître les siennes. Il ne voulait pas croire les mots de son ami. Alors, la petite voix dans sa tête avait eu raison ? Non, c'était impensable. Gabriel n'était pas... , non.

Il se leva du lit. Peut-être que cela l'aiderait à rendre ses idées claires. Il posa sa main sur son front, relevant au passage sa mèche de cheveux. Il voyait que le brun attendait une réponse de sa part. Pire, il semblait avoir peur de lui. De ce qu'il pouvait dire. Il n'avait pas confiance en lui.

- Je te ferai jamais ça. Je vais pas me moquer de toi. Je suis ton ami.

Il le regardait sincèrement en prononçant ses mots.

- Je, je sais pas quoi te dire. J'essaie de comprendre, mais je suis pas sûr de bien savoir ce que t'as voulu dire, Gab. C'est pas facile.

Gabriel ne retint que la dernière phrase. Tout aurait été plus simple si Louis l'avait repoussé et était parti. Mais non, il était toujours là, à "essayer de comprendre".

- Et tu crois que c'est facile pour moi, Louis ?

- Me fais pas dire ce que j'ai pas dit.

Il vint se rassoir. Gabriel ne répondait plus. Il avait le regard dans le vide, posé sur sa couette.
Louis hésitait à rompre le silence.

- Tu préfères pas me dire la vérité Gab ? proposa-t-il doucement. Qu'on en parle vraiment ? Je t'écouterai, je te le promets. Je peux pas deviner ce qu'il se passe dans ta tête. Je sais pas ce que je suis censé comprendre, là.

Non, Gabriel ne voulait pas. Ça ferait trop mal. Mais fichu pour fichu, autant éclairer Louis un peu. Il allait le savoir un jour ou l'autre, de toute façon.

- C'était pas vraiment une erreur, lâcha-t-il d'une petite voix.

Louis resta confus. Est-ce qu'il voulait bien dire que... ?

- Enfin, reprit le garçon précipitamment, je voulais pas faire ça, mais, je-

Il s'embrouillait. Il se tut.

- Gab, est-ce que tu... ?

- Est-ce que quoi ?

Louis hésita. Il voulait pas lui faire mal.

- Est-ce que tu me vois simplement comme un ami ? finit-il par demander.

Gabriel ne s'y attendait pas. Il pensait avoir une remarque maladroite et un peu déplacée sur le fait qu'il était un garçon, et que Louis en était un aussi.

Il décida d'être honnête. Ça ne servait plus à rien de tout nier en bloc.

- Pas vraiment.

Il détourna le regard.

Louis avait déjà compris, mais c'était différent de l'entendre clairement. Ce fut un choc pour lui. Il n'avait jamais imaginé ça. Jamais. Il avait peur. Peur de tout gâcher. Peur de blesser son ami. C'était effrayant.

- Gab, je, balbutia-t-il, je t'ai jamais vu comme ça. Je suis désolé. Je sais pas quoi te dire, j'ai pas les mots. J'ai pas envie de sortir de connerie, et tu sais à quel point je peux être maladroit. Je suis désolé.

Il avait jamais imaginé Gabriel en tant que potentiel partenaire. Il avait été le mec sympa du musée, son colocataire, puis son ami. Pas un possible rencard. Louis ne voulait pas mal faire les choses. Est-ce qu'il voulait se fermer des portes parce que Gabriel était un garçon ? Non, c'était pas vraiment ça le problème. Est-ce qu'il pouvait s'imaginer en couple avec le garçon ? Il ne savait pas. C'était trop dur à décider, là, maintenant. Il avait besoin de temps.

- Pleure pas Lou.

Il n'avait même pas remarqué que quelques larmes avaient coulé le long de ses joues.

- Tu viens de tout foutre en l'air dans ma tête, tu peux pas me demander de rien ressentir. Je t'ai jamais imaginé dans ce sens-là Gab, je, je sais vraiment pas quoi te dire. Je suis même pas foutu de te donner une réponse. Je suis désolé. Je suis désolé de pas être à la hauteur.

- Arrête, tu dis n'importe quoi, c'est pas ta faute. Et ne pleure pas à cause de ça, ça en vaut pas la peine.

Ne pleure pas à cause de moi, j'en vaux pas la peine.

- Laisse-moi pleurer tranquille si je veux pleurer. Je dois encaisser. Et laisse-moi un peu de temps s'te plait. Pour réfléchir à tout ça.

- Louis, arrête, je passerai à autre chose, t'inquiètes pas pour moi. Ne pleure pas s'il te plaît.

- Arrête de faire comme si tes sentiments étaient pas importants.

- C'est pas important. C'est pas grave. On a juste à faire comme si rien ne s'était passé et tout ira bien.

- Mais c'est important pour moi ! Et non, on va pas faire ça. Arrête de penser comme ça. On peut pas rembobiner le temps, on peut pas ignorer ça, c'est pas possible Gaby.

J'aimerai que ce le soit.

- Je tiens à toi. T'es mon ami. J'aime passer du temps avec toi. J'aime te parler. C'est tout ce que je sais pour le moment. Le reste, c'est flou. Et je peux rien te promettre parce que je veux pas mentir ou te faire espérer pour rien.

- Lou, arrête de te prendre la tête je te dis. L'affaire est close.

- Non, non, c'est pas fini. On en reparlera. Souvent. Et ça marche pas à sens unique, donc faut que tu me parles aussi. Faut pas que tu gardes tout pour toi. Faut que tu me fasses confiance, Gab. Faut pas que t'aies peur. Je ferai de mon mieux, ok ? Je serai honnête.

Gabriel l'écoutait en souriant à moitié. Louis voulait pas le blesser. Il voulait essayer. C'était sympa de sa part, mais il se rendrait vite compte qu'il ne le voyait pas comme ça. Louis n'aimait pas les garçons. Il ne pouvait pas l'aimer.

- Gab, s'te plaît, me fuis pas, d'accord ?

Louis se rendit compte que sa demande était un peu égoïste, mais le brun hocha tout de même la tête. Ils se sourirent tristement. Un petit truc s'était brisé entre eux.

Une idée traversa subitement la tête du plus jeune.

- Est-ce que je...

Il se tut. C'était une idée de merde, maintenant qu'il y réfléchissait.

- Quoi ? demanda son ami.

- Rien, répondit-il.

- Louis.

- Gabriel.

Il se défirent du regard. Louis perdit.

- Est-ce que quoi ?

- Rien je te dis.

C'était vraiment une idée de merde.

- Et après c'est moi qui veut pas parler.

Cette remarque le fit sourire.

- J'allais juste sortir un truc stupide.

- Quoi ?

- Je te le dirai pas.

- Pourquoi ?

- Parce que c'est stupide, justement.

- Lou, le supplia le brun.

Il lui faisait sa tête de chien battu, papillonnant des paupières. Louis craqua facilement.

- D'accord, je te le dis mais tu oublies immédiatement.

- D'accord.

Ce garçon était un vrai gosse.

Louis était gêné de formuler sa pensée à voix haute. Il sentait déjà ses joues chauffer. Il rougissait beaucoup trop.

- Je, j'avais pensé que si je t'embrassais je pouvais voir ce que je ressentais.

Gabriel ne dit rien et continua à le regarder, le visage indéchiffrable.

- Mais c'est hors de question Gab. T'es pas une expérience, t'es un humain.

- Je trouve que c'est pas une si mauvaise idée que ça.

Il le pensait. S'il embrassait son ami, ce dernier serait dégoûté et le repousserait. Il serait fixé. Il en avait marre de cet espoir d'être aimé en retour qui grossissait dans sa poitrine à cause de ses belles paroles.

- C'est hors de question.

- Lou. C'est le plus simple. En plus je t'ai embrassé tout à l'heure sans ton consentement, je te suis redevable.

- Mais putain tu te rends compte de ce que tu dis ? s'indigna Louis. Tu m'as embrassé, tu t'es excusé, je t'ai pardonné, c'est fini. T'es redevable de rien du tout. Ca marche pas comme ça. C'est pas parce que t'as merdé que je peux me permettre de le faire aussi.

Gabriel se rendit compte que son raisonnement était un peu stupide, en effet. Mais il trouvait aussi que c'était l'idée la plus simple. Louis aussi, au fond de lui.

- Lou.

- Je te dis non.

- Lou.

- Arrête.

- Lou.

Il était peu à peu en train de céder.

- J'ai ta réponse. Je suis que ton ami.

- Pourquoi tu dis ça Gab ?

- Rien que l'idée de me toucher te repousse.

- Mais non, c'est pas ça !

- Alors c'est quoi, hein ?

- Je veux pas t'utiliser.

- Je suis un grand garçon. Je prends mes propres décisions. J'ai survécu jusque là, ne t'inquiètes pas. Alors ne m'utilise pas comme excuse.

Louis était tiraillé de tous les côtés. La décision n'était que sienne, désormais. Embrasser son ami était le plus simple, après tout, Il aurait sa réponse. Ce serait fini. Pas besoin d'attendre. De se poser des centaines de questions. Tu sais si un baiser te plaît ou non, les sentiments ne mentent pas.

Louis prit sa décision. Il abdiqua. Gabriel le vit dans ses yeux.

- Approche, dit le plus jeune en soupirant.

Il s'exécuta et s'assis plus près du garçon. Gabriel ne bougea pas. C'était à Louis de faire le premier pas. Il en avait déjà assez fait pour aujourd'hui.

L'ambiance était assez étrange. Louis stressait. Il avait peur. Gabriel le sentit. Il dut le rassurer. Il ne voulait même pas l'embrasser parce qu'il en rêvait depuis quelques mois (même si, avouons-le, ce ne serait pas désagréable de son côté), il voulait juste que le blond puisse enfin passer à autre chose.

- C'est rien, Lou.

Ce dernier acquiesça. Il s'avança de quelques centimètres sur le matelas. Gabriel le regardait. Il attendait. Louis sentait son regard sur lui.

- C'est un peu étrange, dit-il d'un ton à peu gêné.

Gabriel soupira.

- Tu peux fermer les yeux ? demanda le plus jeune.

Gabriel avait les yeux fermés, les main posés sur ses jambes. Ce serait mentir de dire qu'il n'était pas nerveux. Il sentait que Louis était proche. Il le sentit devenir encore plus proche.

Plus vite ce sera fait, mieux ce sera, pensa Louis. Sur ce, il posa timidement ses lèvres sur celles de son ami. Le contact dura quelques secondes, à peine, avant qu'il ne se recule.

Il ne vit pas Gabriel ouvrir les yeux, focalisé sur le baiser. Ça n'avait pas été désagréable. Il n'avait rien ressenti de spécial, mais il s'y attendait. En fait, il s'était trompé. Ça ne l'avait pas davantage éclairé. Il savait seulement que ça ne le dérangeait pas tellement de l'embrasser. Enfin, ils n'étaient pas allé bien loin non plus. Leur lèvres s'étaient à peine touchées, sans plus.

Gabriel de son côté, essayait de se contenir. Il savait que ce geste ne signifiait rien, mais Louis l'avait embrassé. Bordel, ça ne voulait rien dire mais il avait embrassé Louis. Pour la deuxième fois de la journée. Mais avec son consentement, cette fois-ci.

Gabriel regardait Louis, qui se posait des centaines de questions. Louis était incroyablement beau, comme ça. Ses joues étaient toutes rouges. Ses yeux brillaient, conséquences des quelques larmes qui avaient coulés. Louis était beau.

Le blond releva la tête. Il était un peu déçu de ne pas être plus avancé. Il croisa le regard de Gabriel posé sur lui. Wouaw. Son ami ne l'avait jamais regardé comme ça. Du moins, il ne l'avait jamais vu le contempler de cette façon. Gabriel le dévorait des yeux. Louis avait l'impression d'être important.

Gabriel était beau, pensa-t-il. Il l'avait remarqué dès la première fois où il l'avait vu. Mais cela ne voulait rien dire, de trouver les gens beaux. Il avait de beaux cheveux brun qui tombaient devant ses yeux bleus à tomber par terre. Ce n'était pas pour rien qu'il l'avait peint sur un de ses tableaux. Mais ça, son ami ne le savait pas encore.

Quand il le regardait comme ça, Gabriel était encore plus beau. Il avait l'air heureux, un pauvre sourire aux lèvres. Il avait l'air d'avoir mal, aussi, mais Louis ne voulait pas le voir.

Gabriel porta sa main sur la joue de Louis. Le blond dut se faire violence pour ne pas reculer. C'était une sensation bizarre, mais assez apaisante. Le brun lui caressait la pommette de son pouce. Louis frissonna. Il faisait diablement froid dans cette pièce. Gabriel se rapprocha, peu sur de lui. Tous deux savaient ce qu'il comptait faire. Louis ne bougeait pas.

- Je peux ? demanda-t-il la gorge nouée.

Louis hésita. Louis ne sut pas quoi répondre. Puis Louis se dit merde. Est-ce qu'il voulait embrasser le brun ? Il n'était définitivement pas contre. Et Gabriel voulait l'embrasser, lui. Il n'avait pas envie de réfléchir.

Louis dit oui. Et Gabriel l'embrassa.

Le plus jeune posa sa main sur les genoux du plus âgé. Louis commença à remuer les lèvres. Gabriel suivit le mouvement et sa main glissa dans les mèches blondes.

C'était agréable. Les lèvres de Gabriel étaient douces. Louis se sentait bien. En fait, Louis  aimait bien embrasser son ami.

Ce dernier était un peu perdu mais profitait du moment, et des lèvres contre les siennes. Il ne savait pas ce que Louis pensait, mais il savait qu'il l'embrassait, là, et que c'était incroyable. Ils allaient devoir parler encore un peu. Mais après.

Louis rompit le contact. La main de Gabriel quitta ses cheveux et le brun se recula.

- Je- hum, balbutia le plus jeune.

Tout était emmêlé dans sa tête.

- Alors ? lui demanda doucement Gabriel.

Il ne savait pas comment formuler ce qu'il peinait à comprendre lui-même. Il pensa un instant à l'embrasser comme réponse, mais ce n'en était pas vraiment une.

- Louis ?

Il retira sa main, toujours sur les genoux de son ami. Il ne savait même pas s'il pouvait toujours l'appeler ainsi.

- J'aime bien t'embrasser, avoua-t-il en détournant le regard. Je sais pas ce que ça veut dire mais c'est tout ce que je sais.

Le cœur de Gabriel explosa dans sa poitrine. Il ne s'y attendait pas. Louis aimait bien l'embrasser, bordel. L'espoir grandissait. Peut-être qu'après tout, une histoire avec le blond était une option.

Son pessimisme refit surface tout d'un coup et son sourire se fana. Louis avait dit qu'il pouvait lui parler. Il allait lui poser la question qui le taraudait.

- Tu dis pas ça juste pour me faire plaisir, hein ?

- Mais non, ça va pas ! J'ai dit que j'étais honnête avec toi, Gab. C'est- (Il déglutit.), c'est vraiment ce que je ressens. S'il te plaît, fais-moi confiance.

Gabriel hocha la tête, son sourire sincère était de retour.

- Je te fais confiance.

Louis sourit aussi.

- Laisse-moi un peu de temps, dit-il, vas-y doucement, parle-moi, et Gab, je pense que ça peut marcher. Je veux pas trop m'avancer, mais j'aime vraiment t'embrasser.

Je pense que ça peut marcher.

Je pense que ça peut marcher.

Gabriel souriait franchement. Il avait presque envie de pleurer. Il n'osait pas embrasser Louis de nouveau ou le prendre dans ses bras, comme il le voulait. C'était tout nouveau pour le blond, il devait lui laisser un moment d'adaptation. Gabriel allait pouvoir s'autoriser quelques petites choses de plus. Il allait pouvoir arrêter d'observer Louis en cachette. Quoi que, non, il préférait que son ami ne le voit pas.

À la place, il posa sa main sur celle de Louis, sur le matelas.

- Je peux ?

- Tu vas pas demander ça à chaque fois que tu me touches.

- Je crois bien que si.

Il ne lui avait pas demandé son consentement une fois déjà, il ne voulait pas que la même chose se reproduise.

- Oui, tu peux.

Leurs mains se lièrent. Louis pensa que c'était un peu étrange. C'était nouveau. Mais il aimait être proche de son ami, comme ça. Peut-être que Gabriel pourrait devenir plus que son ami, à l'avenir. Une partie de lui l'espérait.

Délicatement, Louis posa sa tête sur l'épaule du brun. Il s'était réveillé tôt ce matin. La fatigue commençait à l'emporter dans le pays des rêves.

Gabriel posa sa tête sur celle de la personne qu'il aimait, soupirant de contentement. Louis était là, à ses côtés. Il l'avait embrassé. Il ne l'avait pas repoussé. Il ne savais pas si ce bonheur allait durer longtemps, mais il ne voulait pas y penser. Il était bien à cet instant, c'était tout ce qui comptait.

Le guide repensa à ces gamins, qui sans le savoir, lui avaient permis de révéler ses sentiments. Alors qu'il les maudissait plus tôt dans sa journée, il avait presque envie de les remercier.

Il repensa également à ce vieux proverbe, que son père lui répétait petit, "Pour pouvoir contempler un arc-en-ciel, il faut d'abord endurer la pluie."

Gabriel sourit.

C'était Louis, son arc-en-ciel à lui.

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Et voici la deuxième nouvelle de ce recueil !

Depuis que j'ai rencontré Gabriel, dans L'étincelle, il m'a raconté sa vie, et j'ai voulu la mettre par écrit. Je me suis attaché à ce petit brun, et je lui ai promis de m'occuper de son histoire après avoir fini celle de Maël.

Mais au final, il est parvenu à me faire craquer, et je l'en remercie. En trois petits jours, c'était bouclé, alors que je pensais ne plus être capable d'écrire un truc en ce moment. Je rédigeais des milliers de mots sans m'arrêter et me réveillais à trois heures du matin pour noter quelques dialogues que j'avais peur d'oublier.

Comme Gabriel, je ne savais pas comment allait réagir Louis, ce petit bonhomme qu'on retrouve dans le même bouquin (le jeune homme qui fait l'expo où Maël traîne Lucie, c'est lui!). Au départ, il m'a dit que ce n'était pas réciproque, et j'étais partie sur cette fin. Ensuite, il a changé d'avis pour m'offrir celle-ci que j'affectionne. C'est un peu cul-cul la praline, mais je les trouve mignons, tous les deux. Ils méritaient leur happy-end. (J'ai quand même résisté à l'envie de dire que Gabriel rêvait et s'était endormi devant son film, tandis que Louis ne revenait pas avant le lendemain, mais ça me faisait trop de peine.)

J'espère que lire ce petit bout de leur vie vous a plu autant que j'ai aimé l'écrire, et je vous dis à bientôt, car vous verrez sans doute quelques textes apparaître ici dès septembre. Si vous avez quelques idées, je suis preneuse, d'ailleurs !

Prenez soin de vous,

Justine.

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