Nuits d'hiv3r

Skye rêva de feux de cheminée. Elle se réveilla le sourire aux lèvres, une odeur de bois sec flottant autour d'elle.

Même vingt ans après, elle pensait encore à cette discussion au coin d'un feu.

La dernière discussion qu'elle avait eue avec son oncle, d'ailleurs.

Ce soir-là, lorsque Skye était rentrée dans sa chambre, elle avait entendu son oncle s'asseoir derrière la porte, comme pour monter la garde. Sa respiration l'avait bercée jusqu'à ce qu'elle sombre à nouveau dans le sommeil.

Puis elle avait été réveillée encore une fois par des bruits de pas. Elle avait pensé que c'était le matin et était restée étendue sur son lit, les bras en croix, attendant que sa mère ne vienne la réveiller en lui disant qu'elle ne devait pas se lever trop tard, pour ne pas perturber ton rythme de sommeil, ma puce. Sa mère n'était pas venue, et lorsque la porte avait claquée, elle avait simplement cru que quelqu'un se rendait à la boulangerie.

Pas une seule seconde elle n'avait pensé que son oncle partait pour ne plus revenir.

Elle s'étira, se fit un café. Une fois un peu plus réveillée, elle se prépara pour partir à la fac.

Elle étudiait la médecine sans trop savoir pourquoi ; elle avait réussi les examens sans trop savoir comment, et maintenant elle avait oublié ce qu'elle faisait là.

La vue du dossier énorme empli de cours divers qui encombrait son bureau la fit grimacer. Quelques semaines après les partiels, elle en préparait déjà de nouveaux.

Lorsqu'elle fut prête, elle descendit dans la rue.

Il faisait encore nuit et froid, dehors. Elle enfonça le nez dans son écharpe, les mains dans ses poches. Le froid hivernal continuait à s'infiltrer dans son corps malgré les couches de vêtements.

Les cours passèrent ainsi, entre une écharpe et plusieurs pulls. Skye n'écoutait pas. La médecine ne l'intéressait pas ; elle la préférait  simplement au commerce, au droit ou encore aux écoles d'ingénieur. C'était donc la seule option qu'il lui restait, parce qu'on ne devient pas riche en étant artiste, regarde cet imbécile de Yann.

Cet imbécile de Yann lui manquait terriblement. Elle ne l'avait pas vu depuis qu'elle avait cinq ans, ses souvenirs de son oncle auraient donc dû s'estomper ; mais c'étaient les plus nets dans sa tête.

Il faisait déjà nuit lorsque Skye ressortit dans les rues encore plus froides que le matin même. Elle enleva ses gants pour sortir ses clefs de son sac, jura lorsqu'elles lui échappèrent des mains, ouvrit la porte de l'immeuble à grand-peine tant ses doigts étaient engourdis. D'un geste négligent, elle ouvrit la boîte aux lettres.

Son cœur bondit dans sa poitrine. Si c'était bien ce qu'elle croyait... elle ne recevait jamais de courrier.

Elle saisit l'enveloppe entre ses doigts gourds et monta quatre à quatre les marches de l'escalier miteux ; déverrouilla son appartement ; balança son sac à travers la pièce, et enfin ouvrit la lettre.

Skye,

Ça fait longtemps pas vrai ? Au moins un an depuis la dernière lettre. Si tu m'écrivais plus souvent, aussi... En même temps, tu ne sais jamais où je suis, c'est vrai. Bon, c'est moi qui écrirai plus souvent, alors.

Comment vas-tu ? Toujours dans tes études de médecine ? Tes partiels se sont bien passés ? (Enfin, je suppose que tu as des partiels mais je n'en sais rien. Mais c'est à peu près à cette période de l'année, non ?)

Moi, je suis passé à l'Afrique. Je vis de peinture et d'eau croupie, mais je vis.

À bientôt dans ta réponse (à la même adresse, je compte me poser quelques mois),

Ton oncle Yann

Skye soupira. Les lettres de Yann la plongeaient toujours dans la nostalgie, celle des feux de cheminée et de discussions tard dans la nuit.

Elle prit un stylo et une feuille qui passaient par là et commença à rédiger une réponse.

Cher Yann,

À quand l'Europe et la France ?

Elle raya ces lignes. Elle savait bien que Yann ne reviendrait pas. Mais elle ne pouvait s'empêcher d'espérer...

Yann, est-ce que tu reviendras ?

Non plus. Elle n'était plus cette gamine de cinq ans. Autant tremper la feuille de larmes, l'effet resterait le même.

Elle tourna son stylo entre ses doigts. Voulait-elle vraiment parler à Yann ? Oui. Bien sûr qu'elle le voulait. Mais pour dire quoi ? La même lettre ennuyeuse et vide ?

Dis, Skye. Tu promets que dès que tu en auras envie, tu iras allumer un feu ?

« Oh, et puis merde ! » s'écria-t-elle.

Yann, écrivit-elle, laisse-moi venir avec toi. Je me ferai toute petite, et je ramènerai de l'eau fraîche.

Elle ferma l'enveloppe. Elle la posterait demain. Elle avait le temps, après tout.

Elle saisit le dossier qui la narguait sur son bureau et l'ouvrit, laissant les feuilles se déverser par la fenêtre.

Elles chutèrent dans la nuit d'hiver. Un feu semblait briller au loin.

(808 mots)

Ne faites pas comme Skye, les enfants. La pollution, c'est mal. Et puis n'allez pas en médecine, faites le tour du monde.

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