Le Double Tueur - Concours de nouvelles (Mélodie Boréale)

Bonjour bonjour, voici encore une nouvelle de concours, dans le thème 1 du concours de la Mélodie Boréale, organisé par la merveilleuse EquipeCDN  (merci encore pour tout cet investissement)

Ci-dessous la fiche informative, la couverture (réalisée par RefletsDeTurquoise ) et le résumé.

« Il est mort un soir de novembre, écorché de toutes parts. Elles sont mortes avec lui, un peu. Quant au reste, on le leur a volé. »

Bonne lecture !








Scène I

LE DOUBLE TUEUR et L'AUTRE, tremblant de concert.

Une place déserte dans une ville fantôme. Personne en vue, exceptées leurs deux silhouettes.

L'AUTRE.

Alors c'est déjà la fin.

LE DOUBLE TUEUR.

On dirait.

L'AUTRE.

Puis-je te demander pourquoi ?

LE DOUBLE TUEUR.

C'est ce que je dois faire. Iel me l'a dit.

L'AUTRE.

Qui ça ?

LE DOUBLE TUEUR, pensif.

Je ne sais pas vraiment. Iel porte un beau costume sur mesure, qui doit valoir très cher, de la couleur de la mer les jours de tempête.Comme les yeux de celle que j'aime. Iel a un sourire gentil et une voix très douce. Dès qu'iel parle, j'ai envie de lui faire confiance.

L'AUTRE.

Ça ne me dit pas qui iel est.

LE DOUBLE TUEUR.

Je n'en sais rien. Iel est souvent dans le parc.

L'AUTRE.

Et pourquoi croire ce qu'iel dit ?

LE DOUBLE TUEUR.

Iel est très intelligent, et iel a l'air gentil.

L'AUTRE.

Parfois les gens ne sont pas ce qu'ils prétendent être.

LE DOUBLE TUEUR, avec véhémence.

Et toi, qui es-tu pour parler comme ça ?

L'AUTRE, amusé.

Tu sais bien qui je suis.

LE DOUBLE TUEUR.

Tune comprends rien ! Tu essaies juste de sauver ta peau.

L'AUTRE.

Et la tienne par la même occasion. Enfin, réfléchis-y ! Une personne inconnue te dit de nous tuer, et tu obéis sans hésiter.

LE DOUBLE TUEUR, résigné.

Mais je le sens aussi, au fond de moi. Nous devons mourir. C'est mieux ainsi.

L'AUTRE.

Tu n'as pas peur de la mort ? Les gens ont peur d'elles, souvent.

LE DOUBLE TUEUR, bas.

Que tu es naïf !...J'aimerais te ressembler plus.

L'AUTRE.

Je suis peut-être naïf, mais au moins je ne veux pas mourir. Alors, me répondras-tu ?Qu'il y a-t-il de bon dans la mort ?

LE DOUBLE TUEUR.

La mort est bonne car elle ne sera pas une fin. Ce sera le commencement.

Silence pensif.

L'AUTRE.

Et en quoi cela nous aidera-t-il ?

LE DOUBLE TUEUR.

C'est mieux ainsi. La mort de notre corps aidera notre esprit.

L'AUTRE.

Et en quoi ?Pourquoi déciderais-tu à ma place ?

LE DOUBLE TUEUR.

Vas-tu résister ?

L'AUTRE.

Non.Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que je ne gagnerais rien à faire cela.J'essaierai, tout au plus, de te raisonner. Dis-moi encore pourquoi je dois mourir.

LE DOUBLE TUEUR.

...Je ne veux que ton bien.

L'AUTRE.

Je n'en doute pas.Mais parfois on croit faire le bien à tort.

LE DOUBLE TUEUR.

Je n'ai pas tort.

L'AUTRE.

Pourtant tu ne m'as toujours pas convaincu. Je ne comprends toujours pas pourquoi tu dois me tuer.

LE DOUBLE TUEUR.

Ne formule pas ça comme ça. Je mourrai juste après toi, tu sais.

L'AUTRE.

Il n'empêche que tu vas me tuer.

LE DOUBLE TUEUR.

Ce ne sera pas vraiment ta mort. Plutôt la fin d'une ère. Et surtout le début d'une autre.

L'AUTRE.

Mais mon cœur cessera de battre, n'est-ce pas ?

LE DOUBLE TUEUR.

Oui.

L'AUTRE.

Je ne respirerai plus.

LE DOUBLE TUEUR.

Oui.

L'AUTRE.

Je ne verrai plus le soleil se lever.

LE DOUBLE TUEUR.

Oui.

L'AUTRE.

Je ne verrai plus rien, d'ailleurs.

LE DOUBLE TUEUR.

Oui.

L'AUTRE.

Crois-tu en la vie après la mort ?

LE DOUBLE TUEUR.

...Tu ne mourras pas.

L'AUTRE.

Pourquoi évites-tu ma question ?

LE DOUBLE TUEUR, s'écriant.

Je ne l'évite pas... !

L'AUTRE.

Tu perds ton calme.

LE DOUBLE TUEUR, tentant de se maîtriser.

C'est difficile. J'aimerais ne pas te tuer.

L'AUTRE.

Alors ne le fais pas.

LE DOUBLE TUEUR.

Ce serait pire encore.

L'AUTRE.

Je ne pense pas. Je pense que l'on devrait essayer, et que tu perds la raison. Tu le sais aussi, n'est-ce pas ?

LE DOUBLE TUEUR, bas.

Non...

L'AUTRE.

Pourquoi mens-tu? Je peux le sentir, tu sais. Tu te mens à toi-même ; mais qui mieux que toi-même sait la vérité ?

LE DOUBLE TUEUR.

Tu es fou.

L'AUTRE.

C'est toi qui l'es. Tu le sais, tu sais que je le sais ; pourquoi faire semblant?

LE DOUBLE TUEUR, après une pause.

Parce que j'ai peur de ce qui arrivera après. C'est plus simple de te tuer, et moi avec. Je t'assure qu'on sera bien, après. Je ne serai plus fou.

L'AUTRE.

Je pense que tu seras fou tant que tu seras conscient. N'est-ce pas mieux d'être fou ?

LE DOUBLE TUEUR.

Non. J'aimerais être mort.

L'AUTRE.

Qu'attends-tu,alors?

LE DOUBLE TUEUR.

Je ne sais pas. Nous avons toute notre vie pour mourir. Peut-être as-tu d'autres questions.

Après un silence coupable.

Il est probable, aussi, que j'aie peur et que j'essaie de retarder ce moment.

L'AUTRE.

Nous pourrions attendre la mort sans la provoquer, peut-être.

LE DOUBLE TUEUR.

Oui.Peut-être. Mais que ferions-nous ?

L'AUTRE.

Je ne sais pas. Nous n'avons pas à décider tout de suite. Regarde ;ne serait-ce pas ça, le bonheur ?

LE DOUBLE TUEUR.

...Mais le bonheur m'est interdit.

L'AUTRE.

Pourquoi donc ? Qui l'a décidé ? Cet homme que vous appelez Dieu ? Ou bien la personne dont tu m'as parlé tout à l'heure ?

LE DOUBLE TUEUR.

Je ne sais pas. Je sais juste que je n'ai pas droit au bonheur. J'ai fait trop de mal.

L'AUTRE.

Qu'as-tu donc fait ?

LE DOUBLE TUEUR.

Eh bien... Beaucoup de mal.

L'AUTRE.

Tu n'as pas répondu à ma question.

LE DOUBLE TUEUR, s'écriant.

Parce que je n'ai pas de réponse...!

L'AUTRE.

Peut-être parce que tu n'as rien fait de mal.

LE DOUBLE TUEUR.

Non, toi et moi, on mérite la mort ! Tu essaies d'échapper à notre destin, mais il n'a jamais été aussi près. Il est entre mes mains.

L'AUTRE.

Entre les mains d'un fou. Ce n'est pas une bonne idée.

LE DOUBLE TUEUR.

Si je suis fou, tu n'es rien.

L'AUTRE.

Mieux vaut être rien que fou. Je n'aurai tué personne.

LE DOUBLE TUEUR.

Eh bien voilà ce que j'ai fait de mal ! Je vais nous tuer.

L'AUTRE.

Tu es fou. Ton châtiment serait ton crime...

LE DOUBLE TUEUR.

Et mon crime, mon châtiment. Tout rentre dans l'ordre ainsi. Je suis peut-être fou mais tout va bien.

L'AUTRE.

Tu t'es décidé ? Tu ne changeras pas d'avis ?

LE DOUBLE TUEUR.

Non. Je suis fou.

L'AUTRE.

Peut-être.Mais peut-être aussi que si tu détournais la tête, que tu regardais autre chose que moi, tout s'arrangerait.

LE DOUBLE TUEUR.

Mais il n'y a plus que toi qui veuille bien de moi.

L'AUTRE.

C'est ce que tu veux croire. Je pense que des gens veulent encore detoi...

LE DOUBLE TUEUR.

Tais-toi.

L'AUTRE.

...que ces gens seraient tristes d'apprendre ta mort...

LE DOUBLE TUEUR.

Tais-toi.

L'AUTRE.

...que nous serions sauvés si tu simplement détournais la tête...

LE DOUBLE TUEUR.

Tais-toi!

L'AUTRE.

Tu veux donc mourir ?

LE DOUBLE TUEUR.

Je ne veux plus t'entendre.

L'AUTRE.

Alors il faut mourir.

Trois coups de feu et un miroir brisé. Ils s'effondrent au sol.

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